Un demi-siècle de Théâtre in l'Écho do doué, Bulletin de liaison des amis de la boulite, N°12, mai 1996, pp. 8-9

Émile COUTAND

Sommaire

Texte

Le théâtre existait à la Flocellière, bien avant mon arrivée, en septembre 1930, et la troupe avait un certain renom, même hors de la commune. Des quelques échos, recueillis au cours des répétitions de la bouche des anciens, j'ai retenu que des representations étaient données bien avant la guerre 1914-1918, et que les lieux de spectacles varièrent : une grange (à Brosseau ?), la cour de l'école des filles, et enfin, après sa construction en 1910, l'école privée des garçons. Là, le vestiaire, muni d'un parquet surélevé était converti en scène, et les trois salles de classe, privées des cloisons amovibles, recevaient les spectateurs, le matériel scolaire étant stocké sous le préau.

En 1917 sur un terrain donné par la famille Pierre Germain, une belle salle (pour l'époque) était bâtie, contiguë à la maison d'école, au préau et au vestiaire. La scène était vaste et profita assez tôt de l'arrivée de l'électricité. Le rideau, brossé par le père Auguste Germain (dit Bacchus) représentait, en vue cavalière, l'église, le château, les deux chapelles de Lorette et de Carmel. La salle fut étrennée avec ''Frères et martyrs".

"Des représentations bien avant la guerre 1914-1918"

Avec l'arrivée de l'abbé Roy, on se lança dans une grande entreprise : ''Le Courrier de Lyon". Ce n'était pas rien. D'abord il fallait modifier le texte pour transformer les rôles féminins en rôles masculins - les troupes mixtes étant interdites dans les patronages - et bien avant Robert Hossein à la télévision, nous avions changé la fin, pour que "notre justice" soit respectée et que le malheureux Lesurques soit acquitté. Durant toute cette période, le "Bouif' connut ses plus grands succès, dans la comédie et les intermèdes.

Avant guerre, les décors étaient peu nombreux. On utilisait de préférence ceux qui nous appartenaient. Quant aux costumes, ils étaient stockés dans une garde-robe et des cartons, dans le grenier de la cure. Seuls les décors et les habits extraordinaires étaient loués à la Maison d'Angers.

Les hommes n'eurent pas seuls, le monopole de la scène. Les jeunes filles, exercées par Monsieur le curé Soulard, représentèrent, avec succès, un drame romain : "Fabiola" que suivait une comédie désopilante : "Ma petite tante chérie". Enfin, chaque année, pour la distribution des prix, filles et garçons s'exerçaient, avec plus ou moins d'audace, à l'art scénique.

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Rappelons aussi que les séminaristes de la Flocellière, nombreux alors, s'étaient regroupés dans "l'académie lyrique du Moulin aux Chats" sous la direction du futur chanoine Joseph Gaborit et, à plusieurs reprises, au cours de leurs vacances, affrontèrent la scène avec talent et succès, et purent ainsi aider leurs parents à l'achat des livres dont ils avaient besoin.

La guerre 1939-1945 dispersa acteurs et machinistes dont un bon nombre partit pour les stalags. Pour envoyer des colis aux prisonniers, des séances de variétés furent organisées. Je crois avoir entendu parler du drame "Sacerdoce". Les jeunes filles ont remplacé les hommes et se sont distinguées dans "les Miroual", drame breton que j'ai pu voir, et "Pauvre Reine". Enfin, après la Libération, la troupe a repris ses activités avec "Rouget le Braconnier" et "Une cause célèbre".

Avec "Michel Strogoff”, jouée pour la première fois, le 31 décembre, s'ouvre une nouvelle ère théâtrale : celle des grands spectacles avec nombreux décors et changements à vue. La Flocellière va se donner un renom qui ne fera que grandir dans la région et au-delà. À l’origine de cette transformation, Auguste Rampillon : "Dudute". Durant sa captivité, il s'était trouvé à monter des spectacles dans son stalag et nous apporta le bénéfice de son expérience. Sous ses conseils, les machinistes installaient les décors, en commençant par les derniers. Les coulisses se plaçaient les unes devant les autres et les toiles de fond, là où devait se finir la scène utilisée. Si bien que le tableau fini, on enlevait les coulisses du décors, on relevait la toile puis abaissait la suivante, et le tableau suivant était prêt. Cela se faisait toutes lumières éteintes et dans un temps très court.

L'ère des grands spectacles

Les deux rôles féminins de Michel Strogoff étaient interprétés par des hommes : l'émouvante Marfa, mère de Michel, par Joseph Rambaud et la blonde Nadia, la fiancée de Michel, par Jean Morinière. Cependant et pour la première fois, quelques jeunes filles parurent en scène au milieu des hommes, deux comme figurantes et les autres comme ballerines.

En effet, autre innovation : les ballets. La présentation du spectacle était un ballet, exécuté par quatre soldats, sur l’air de la “Cavalerie légère”, et cela sur l’avant-scène. L’arrivée de Féofar Khan, le chef tartare, était accompagnée par une danse de quatre jeunes garçons (air des “Indes galantes”) que j’avais eu l’outrecuidance d’exercer moi-même, non sans peine d'ailleurs, l'un des exécutants prenant toujours un temps de retard. Enfin, les jeunes filles, dirigées par Madeleine Sevin (qu'un petit garçon dénommait "la danseuse aux étoiles"), donnait un superbe ballet russe.

La musique accompagnait non seulement les ballets, mais aussi les changements de décors. Le son, légèrement monté et dirigé vers la salle, étouffait les échanges de voix des machinistes, mais ne réussissait pas à convaincre tous les spectateurs ; certains sceptiques sur l'habileté de nos machinistes, pensaient qu'ils ne travaillaient que derrière le rideau fermé et éclairés. Pour s'en assurer, ils avaient apporté des piles électriques avec lesquelles ils lançaient des éclairs vers la scène, mais étaient très vite rabroués par des hurlements venus du théâtre.

Après la réussite de ''Michel Strogoff'' plus question de revenir en arrière. Nous continuons donc le grand spectacle avec ''Les Aventures du Capitaine Corcoran", ''Bouboule", "Les Pirates de la Savane" et "Les Enfants du Capitaine Grant". Et les spectateurs affluent, venant de tous les environs. Pour ces deux dernières pièces, des actrices tiennent les rôles féminins- c'est une première !

L'apparition des actrices

En 1951, relâche par suite de difficultés extérieures au théâtre. On en profite pour rénover l'intérieur de la salle. Grâce au dynamisme du vicaire, l'abbé C. Loizeau, et à de nombreuses bonnes volontés, paysannes et autres, un sous-sol est creusé, la toiture de la scène surélevée, les fauteuils renouvelés. Des passerelles longent les murs de la scène, à trois mètres de hauteur, et une autre, domine de huit mètres les acteurs. Un beau rideau de velours rouge est installé, qui peut s'ouvrir en grand ou à l'italienne.

Plus tard, une scène tournante sera installée, puis, pour le confort des spectateurs, une buvette (qui servira aussi de cantine scolaire) sera bâtie sur le côté de la salle. Elle sera prolongée par une pièce profonde de huit mètres, destinée au rangement des décors. Enfin, un hall d'entrée sera construit, avec sur son fronton, une statue de Notre-Dame de Toutes-Joies.

Avec ce nouvel outil bien amélioré, les grands spectacles revivent. Les textes se faisant rares, on arrange "Monte Cristo", "Jean de Fougereuse" ; on reprend "Corcoran". Vient alors le cycle des pièces de l'abbé Blanchet : ''Ben Hur", "C'est arrivé à Lourdes", et surtout "Monsieur Vincent", écrit spécialement pour notre troupe, ce spectacle connaîtra un tel succès qu'il sera joué deux années de suite, et repris plus tard, au temps du père Girard. Il sera représenté 49 fois en trois saisons, et attirera foules et personnalités.

Les opérettes font merveille

Vient alors le temps des opérettes. D'abord, reprise de "Bouboule", avec chants et ballets. Puis "Carmela", ''La Croisière au soleil" et "Amours Tziganes". Chacune de ces pièces occupera deux saisons, parfois avec quelques modifications. Mais la richesse des décors et des costumes, le dynamisme des acteurs feront merveille. Le succès sera tel que la salle se révèlera trop exigüe parfois.

Finalement, le "Châtelet Vendéen" fermera ses portes, non faute de spectateurs, mais à cause du départ de certains acteurs non remplacés. Signalons aussi que notre scène vibra à de nombreuses reprises, lors de "Coupes de la Joie" et de séances de variétés.