Microbiome et transplantation


Notre unité est dédiée à la médecine de précision en transplantation en combinant des connaissances et des recherches à plusieurs échelles sur les médicaments immunosuppresseurs. Dans cette perspective, notre équipe étudie l’interaction entre le microbiote intestinal, l’hôte et les médicaments immunosuppresseurs, ainsi que sa contribution à la variabilité inter-individuelle des résultats de transplantation. C’est pourquoi nous menons plusieurs projets dans le domaine de la pharmacomicrobiomique et de l’immunopharmacologie.

Roland Lawson

Responsable

Les médicaments immunosuppresseurs sont connus pour induire des modifications dans la communauté microbienne intestinale. Le microbiome intestinal joue un rôle central dans la modulation du système immunitaire de l’hôte, notamment dans la production de la principale immunoglobuline muqueuse, l’IgA. La modulation du microbiome intestinal (appelée dysbiose) a été liée aux résultats de la transplantation. La dysbiose peut affecter la capacité de certaines populations bactériennes à produire des acides gras à chaîne courte (AGCC), qui sont essentiels à l’homéostasie de l’hôte. L’épigénétique a mis en lumière le rôle possible des AGCC (par exemple, acétate, propionate et butyrate) dans les modifications post-traductionnelles des histones, telles que l’acétylation. Il est à noter que les modifications des histones ont été associées à des maladies malignes ou auto-immunes, suggérant un rôle très plausible dans la modulation de l’immunité chez le patient transplanté. L’acétylation des histones est généralement associée à une augmentation des activités transcriptionnelles en raison d’une plus grande accessibilité de la double hélice d’ADN aux facteurs de transcription. Les AGCC empêchent la désacétylation des histones en inhibant les histone désacétylases (HDAC). Cela est particulièrement vrai pour le butyrate, qui est l’inhibiteur de HDAC (HDACi) le plus puissant parmi les AGCC. Fait intéressant, les HDACi ont démontré leur potentiel thérapeutique en oncologie ainsi que dans le traitement des maladies auto-immunes. Cependant, à ce jour, très peu d’études ont exploré la corrélation entre la dysbiose, le profil des AGCC et le rejet de greffe.
Le présent projet vise (i) à explorer le lien de causalité entre le rejet de greffe et le niveau d’AGCC et (ii) à évaluer le potentiel thérapeutique soit de la supplémentation alimentaire en AGCC, soit des HDACi, afin de prévenir le rejet de greffe. Nous évaluerons le lien entre l’évolution longitudinale des concentrations d’AGCC dans les échantillons de plasma et d’urine d’une cohorte rétrospective de patients transplantés et les épisodes de rejet de greffe.
La transplantation d’organes dépend fortement de la qualité initiale du greffon, qui à son tour dépend de divers paramètres tels que les caractéristiques et la préparation des donneurs, les procédures de prélèvement d’organes, et les protocoles de préservation des organes. Afin de répondre au besoin croissant d’organes provenant d’un nombre limité de donneurs vivants ou en état de mort cérébrale, la plupart des centres de prélèvement d’organes utilisent de plus en plus de donneurs suboptimaux. Dans ce contexte, les organes prélevés sont plus susceptibles de subir des lésions d’ischémie-reperfusion (IR). L’IR est un processus pathophysiologique complexe associé à de nombreuses modifications structurelles et métaboliques pouvant potentiellement conduire à une défaillance aiguë ou à long terme du greffon, sous la forme de rejet aigu, de néphropathie chronique du greffon et, en fin de compte, à une perte de fonction du greffon. L’utilisation d’une approche préventive pendant la période de conservation pourrait aider à prévenir, ou du moins à minimiser, les conséquences des lésions d’IR. Les acides gras à chaîne courte (AGCC), et plus particulièrement le butyrate, représentent une source d’énergie pour de nombreux types cellulaires. Ils ont également démontré des effets protecteurs contre les lésions d’IR. Ce projet vise à évaluer l’effet protecteur de la supplémentation en AGCC dans les fluides de préservation des organes à l’aide de modèles cellulaires et murins.

Le mycophénolate mofétil (MMF) est l’un des immunosuppresseurs les plus efficaces. Il est largement utilisé dans les transplantations d’organes solides et de moelle osseuse, ainsi que dans les troubles auto-immuns (par exemple, le lupus érythémateux, la polyarthrite rhumatoïde, l’arthrite psoriasique ou les vascularites). Malheureusement, le traitement par MMF est associé à de nombreux effets indésirables, parmi lesquels les effets gastro-intestinaux sont une préoccupation majeure. Plus de 30 % des patients se plaignent d’effets indésirables gastro-intestinaux, qui peuvent aller de simples nausées, vomissements, douleurs abdominales ou diarrhées à des ulcérations hémorragiques et des érosions du tractus gastro-intestinal. Ces effets peuvent survenir indépendamment de la durée d’exposition au MMF, entraînant une diminution significative de l’adhérence des patients au traitement. Ces effets gastro-intestinaux du MMF sont probablement médiés par la rétro-transformation intestinale du métabolite glucuronide d’acide mycophénolique (MPAG), excrété par les hépatocytes dans la bile, en sa forme active parentale, l’acide mycophénolique (MPA). Les β-glucuronidases bactériennes (β-G) exprimées par certaines espèces bactériennes du microbiome sont capables de transformer le MPAG en MPA. Ainsi, une modification du microbiote intestinal ou une dysbiose intestinale chez les patients transplantés, favorisant la prolifération de bactéries exprimant cette enzyme ou induisant son expression, est susceptible d’entraîner des concentrations accrues de MPA dans l’intestin distal, provoquant à son tour des effets indésirables gastro-intestinaux.
Notre projet vise à évaluer l’effet de l’inhibition ciblée des β-G bactériennes comme traitement préventif et/ou curatif des lésions gastro-intestinales induites par le MPA. Nous évaluerons, dans un modèle murin de colite induite par le MMF, le potentiel thérapeutique d’un inhibiteur sélectif de la β-G bactérienne, l’amoxapine. L’amoxapine est un antidépresseur utilisé chez l’homme, qui est également un puissant inhibiteur de la β-G bactérienne sans effet antibiotique. Parallèlement, nous caractériserons de nouveaux inhibiteurs candidats de la β-G bactérienne par un criblage à haut débit d’une grande bibliothèque chimique académique. Cette approche sera soutenue par une modélisation thermodynamique à l’échelle atomique de l’inhibition de la β-G.

L’immunoglobuline A (IgA) est l’isotype prédominant dans les sécrétions des muqueuses, où elle joue un rôle majeur dans la régulation du microbiote. Une production insuffisante d’IgA par la muqueuse ou un transport déficient dans la lumière intestinale entraîne une dysbiose chez la souris. Le déficit sélectif en IgA, généralement asymptomatique et découvert fortuitement en raison d’un faible taux d’IgA dans le sang, est l’immunodéficience primaire la plus fréquente chez l’humain, avec une prévalence estimée à 1:700 chez les personnes d’origine européenne. Récemment, il a été démontré que les humains déficients en IgA présentent une dysbiose du microbiote intestinal. La maladie IgA la plus fréquente, la néphropathie à IgA, est également caractérisée par une dysbiose du microbiote. La néphropathie à IgA est la glomérulonéphrite primaire la plus courante dans le monde, avec une prévalence de 10 % dans les pays européens. Généralement bénigne, la néphropathie à IgA conduit cependant, chez 25 % des patients, à une insuffisance rénale terminale nécessitant une suppléance de la fonction rénale. Elle se caractérise par une IgA circulante anormale, potentiellement due à une anomalie de la production d’IgA muqueuse, et par des dépôts d’IgA dans les glomérules. Des études chez les patients transplantés atteints de néphropathie à IgA primaire ont montré que la survie du greffon rénal n’est pas statistiquement différente par rapport à celle des patients atteints d’autres maladies rénales primaires, malgré la dysbiose du microbiote.
Le but de ce projet est d’évaluer l’impact du statut individuel en IgA, c’est-à-dire IgA normal, IgA déficient ou IgA anormal (néphropathie à IgA), sur les résultats du greffon et les effets indésirables du MMF. Deux approches seront utilisées : des modèles murins et l’analyse d’échantillons rétrospectifs et de données cliniques provenant d’une cohorte de patients transplantés.