Recherche sur les violences conjugales : l’urgence d’un modèle d’intervention auprès des AUTEURS

Sandra LEROUX 

https://doi.org/10.25965/lji.672

Sommaire
Texte

Commençons par l’intuition. De bon augure pour tout geste de recherche scientifique, quand émerge la proposition, apparemment intelligible dans sa lettre et l’intitulé de cet article, mais foncièrement encore indécise dans son esprit. Une recherche mais laquelle exactement ? Et pourquoi ?

D’emblée :

  • Un terrain sensible, marqué du sceau éminemment politique et de son agenda à courte vue, miné souvent par l’hygiaphone de la cause publique, partie du juste combat criant, fortement féministe et encore mal entendu en Justice des victimes, pour aboutir à l’idéal d’une intervention interministérielle (justice, Santé, Egalité Hommes/femmes, Logement, Action Sociale) à l’attention des auteurs. Pour qu’il n’y ait plus de victimes, ne faudrait-il pas plus d’auteurs ?

  • Un terrain proclamé comme vierge – mais le travail social est souvent celui des profondeurs invisibles et le travail de Justice écoute déjà ces inaudibles- qui ouvre des possibles dans la définition même des figures de la vulnérabilité, coutumières de l’intégration rhétorique de la délinquance, dont la France tenterait de proposer un traitement social et qui tenterait de concevoir d’appréhender de concert, et dans le même temps d’accompagnement, les deux faces du même phénomène de dégradation de la conjugalité.

  • Un terrain prometteur et ambitieux, à la fois dans la nécessité de la pluralité des approches disciplinaires qui pourraient s’exprimer dans la constitution pérenne d’un Conseil scientifique à obédience nationale, et dans sa possibilité d’être un facteur de légitimation objective du travail à mener auprès des auteurs. Inévitablement, comprendre les mécanismes à l’œuvre dans la commission des violences entre partenaires intimes déconstruit la rupture du processus empathique envers les auteurs et tend à asseoir peu à peu un nouvel espace symbolique partagé, dans une évidence absolue, entre tous les genres et leur fluidité.

  • Une recherche à forte utilité sociale avec, en première intention, un enjeu d’indicateurs de résultats -le libellé est clair : lutter contre la récidive des violences et prévenir leur occurrence, mais qui participe à moyen et long terme d’une politique affichée de lutte, sur tous les fronts, contre toutes les formes de violences, en particulier intrafamiliales, répondant à l’impératif de protection de toutes les populations identifiées comme fragiles.

Un terrain ou une Recherche ? Les deux, en principe. La démarche duale de la recherche-action au sens où son concepteur initial Kurt LEWIN (1890-1947) l’entendait : Dans l’adoption d’une position qui se déplace de la communauté scientifique vers la cité, il s’agit d’accroître les connaissances scientifiques sur tel aspect de nos communautés humaines et s’engager à transformer leur réalité quotidienne ; pratiquer l’investigation doublée d’un vœu civique et politique délibéré.

Le lancement prudent de cette recherche-action, soutenu et financé, dès 2022, par le nouveau Ministère Egalité femmes-hommes dirigé par Isabelle Rome (magistrate puis haut-fonctionnaire du Ministère de la Justice) obéit à une logique d’intervention qu’il convient de contextualiser.

Dans le sillage des orientations prises lors du GRENELLE des violences conjugales qui s’est tenu en France à l’automne 2019, la mise en place, par le Ministère Egalité entre les femmes et les hommes, des Centres de Prise en Charge des Auteurs de Violences Conjugales (CPCA) constitue sans doute une étape décisive dans le calendrier des mesures gouvernementales.

En effet, la combinaison des législations sur la famille, les violences à l’égard des femmes et enfants, la sécurité intérieure et les réformes du droit pénal ont provoqué une hausse des injonctions et de mesures aussi diverses que la mise en place d’une plate-forme d’écoute permanente et d’un numéro d’appel national (le 3919), le prononcé d’ordonnances de protection, l’éviction du domicile conjugal, l’organisation de stages de citoyenneté pour des violences légères commises une première fois, le recours plus technique au téléphone grave danger ou des bracelets anti-rapprochement, des campagnes d’information en milieu scolaire et de formations auprès des professionnels des traitements des violences (policiers, gendarmes, psychologues), le déploiement dans les territoires, par les directions régionales du Ministère, d’observatoires régionaux des violences sexuelles et sexistes envers les femmes.

Pour autant, rien ne garantit l’opposabilité ni de cette prise de conscience ni la mesure de l’impact réel des actions de lutte, cas après cas, comme en témoignent les chiffres alarmants des décès (féminicides) et des violences accrues lors du confinement de la crise sanitaire (engorgement du numéro d’appel national). Prioritairement centrée sur les victimes, cette mobilisation lente mais irréversible des autorités publiques parlementaires ou gouvernementales, s’est tournée vers les auteurs et ce focus, jusque-là inédit, témoigne du caractère multi-dimensionnel de la lutte contre les violences conjugales. S’il s’agit toujours de protéger les victimes que sont les partenaires intimes et les éventuels enfants témoins, il convient désormais de garantir la cohérence et la continuité des interventions auprès d’auteurs potentiels, présumés ou poursuivis et condamnés par la Justice.

Note de bas de page 1 :

Mesure annoncée par le 1er Ministre le 25 novembre 2019 lors de la clôture du Grenelle

C’est une initiative ministérielle1 (Elisabeth MORENO, Ministère Egalité femmes hommes), sous forme d’appel à projet lancé à toute forme statutaire et juridique de structure individuelle ou mutualisée intéressée et compétente, qui est à l’origine de la création, en deux vagues successives- novembre 2020 et juin 2021, de 30 Centres de Prise en Charge des Auteurs. Ainsi, l’ensemble du territoire national et d’Outre-Mer (Guyane, Mayotte et la Polynésie française) s’est trouvé maillé de « dispositifs » désignés et devenus visibles en priorité pour la Justice et son Parquet mais également pour toutes les parties prenantes du traitement des violences conjugales et intra-familiales, que sont, principalement, l’hôpital, l’hôpital psychiatrique, la Gendarmerie, la Police, le service d’insertion et de probation et les services sociaux, en l’occurrence ceux relevant de la lutte contre l’exclusion sociale.

Les quatre objectifs, visés par cette offre globale sur le territoire, étaient explicites :

  • prévenir la récidive des violences conjugales ;

  • structurer l'émergence d'une offre de prise en charge des auteurs de violences complète et homogène sur l'ensemble du territoire national autour de principes d'actions communs ;

  • favoriser la mise en œuvre des mesures d'éviction et des obligations de soins assignées aux auteurs de violences ;

  • apporter une écoute et une orientation aux auteurs de violences, aux potentiels auteurs de violences, à leur entourage, voire aux professionnels.

C’est ainsi que, dans le choix très diversifié, opéré par les pouvoirs publics de partenaires de terrain (hôpitaux psychiatriques, associations), l’ARSL (Association de Réinsertion sociale), dont l’objet statutaire est la « lutte contre toute forme d’exclusion », est un acteur local, identifié prioritairement en Nouvelle-Aquitaine, dès le lancement des 16 premiers CPCA et retenue dans le 1er appel à projet ; ceci pour plusieurs raisons :

  • Une expertise reconnue en matière d’accompagnement des personnes aux prises avec la Justice à travers un service qui a fait ses preuves depuis plusieurs années « Mots pour Maux » et qui propose des groupes de paroles pour les détenus en milieu carcéral

  • La volonté affichée de ne pas créer une énième structure ex nihilo mais plutôt de prendre appui, par la conclusion de conventions partenariales, sur des acteurs locaux et leurs savoirs-faires, dans un périmètre d’action de 6 départements (16,19, 23, 79,86,87) de façon à constituer un Centre de ressources servant de référence et s’appuyant sur une cartographie fiable et pérenne de l’existant

  • Une contribution incontournable à la création d’outils d’intervention et d’évaluation mutualisés

  • Enfin, l’engagement, dans un premier temps verbal, auprès des interlocuteurs nationaux et régionaux du Ministère de l’Egalité entre les femmes et les hommes, de donner au projet de CPCA une dimension « Recherche » favorisée par l’élection au Conseil d’Administration, en novembre 2020 d’une enseignante-chercheuse, Maître de conférences en droit public, spécialiste des politiques et institutions sociales, autrice de cette contribution !

Par une lettre de Mission de Madame la Ministre Elisabeth MORENO du 5 mai 2021, l’ARSL se voyait en outre, confier la coordination nationale des 30 CPCA institués et acceptait le 26 mai par vote de son Conseil d’Administration, la « feuille de route » tracée.

Pour clore, l’énoncé de la genèse de cette commande publique de plus en plus ambitieuse pour tout un secteur hospitalier et associatif, dont l’ARSL, fortement impliquée, il convient de préciser qu’elle met à disposition de tous ces acteurs, la force pensante et agissante qu’est l’expérimentation. Aussi, comment ne pas saisir l’opportunité de valorisation de ce champ d’intervention, attaché à la défense des droits-créances fondamentaux des personnes, générée par la création de structures, telles que les CPCA, quand la temporalité - 3 ans- de ce déploiement correspondrait à celui de la recherche ?

Si la démarche politique n’est pas radicalement nouvelle et s’apparente à l’élaboration d’une sorte de stratégie nationale, coutumière dans le champ médico-social, prenant appui sur une lisibilité institutionnelle des opérateurs responsables, conduits à rendre des comptes à un concepteur-contrôleur étatique, la recherche-action voulue comme l’observation au participe présent d’un accompagnement « en train de » se faire et de se définir, obéit bel et bien à la logique de l’exploration qui choisit comme tremplin, une forme de réalité, à sa force de proposition. Rien de nouveau non plus sous le soleil de l’expertise scientifique quand elle se crée une dynamique de chercheurs « d’hors », après avoir exploité le filon !

1. La logique d’un premier dispositif de recherche centré sur des nouvelles structures dédiées

C’est une logique-miroir où l’on peut établir facilement un parallèle entre l’objet de recherche, ceux qui le font vivre ou qui l’étudient, dans une première intention de justification d’exister.

Note de bas de page 2 :

(Etude GENVIPART en cours, mandatée, en 2019, à la fois par la Mission Droit et Justice et la région Nouvelle-Aquitaine, menée par le sociologue Éric MACE à Bordeaux

L’état de l’art, en matière de recherche sur les violences conjugales, se concentre largement sur les victimes que sont les femmes, dans la très grande majorité des cas et commence à étudier les effets dévastateurs sur les enfants témoins. Encore embryonnaire mais en germe, aspirant à plus de visibilité au-delà de la diffusion de travaux et autres colloques, la Recherche, centrée sur les auteurs émerge progressivement, tant dans l’étude du profil des auteurs2), que dans celle des différents modes d’intervention.

Note de bas de page 3 :

Parmi lesquelles : Valérie ROY, Norman Broder : How do practitioners and program managers working with males perpetrators, View IPV : A Quebec study, 29 novembre 2019, Journal of family violence ou encore « Systématisation des savoirs expérientiels des intervenants.e.s du réseau à coeur d'hommes sur les pratiques de responsabilisation des conjoints ayant des comportements violents Valérie Roy et Normand Brodeur, École de travail social et de criminologie de l’Université Laval, 2022

Parallèlement à l’approche psychiatrique (médecins) et à celle de la Justice restaurative (juristes et criminologues), la recherche en direction d’un accompagnement de type médico-social, doit être encouragée et s’inspirer de modèles de prise en charge plus communautaires dans des pays étrangers (type Québec3et Canada.)

Elle pourrait avoir pour objet la problématique suivante : élaborer et promouvoir un modèle d’intervention sociale globale (de l’accompagnement à un éventuel hébergement) auprès des auteurs de violences conjugales pour contribuer à la réduction du RISQUE de passage à l’acte (primo-délinquance et prévention ou récidive et traitement) de violence sur son partenaire.

Note de bas de page 4 :

Robert COURTOIS, Professeur, département de psychologie, Université de TOURS, Valérie ROY, Professeur travail social et criminologie Université de LAVAL au Québec, Sandra LEROUX, Maitresse de Conférences, Droit public (Université de Limoges, Margaux BOUE, Doctorante en sociologie (Université de Bretagne), Emilie FERNANDEZ, docteure en sociologie Université de Toulouse https://www.youtube.com/watch?v=KMAFs3jcRys

Note de bas de page 5 :

SARA 3 pour Spousal Assault Risk Assessment, KROP and HART, 2015) déployé en France par les chercheurs Robert COURTOIS et Thierry PHAM (Belgique)

Pour ce faire, le groupe de chercheurs, constitué ad hoc4 , voué à se muer, à moyen terme, en Conseil scientifique national, a proposé un premier projet de recherche, à dominante psycho-sociologique, sur 18 mois, en 2 phases : dresser tout d’abord le portrait des pratiques des CPCA, qui n’ont de nouveau que l’appellation mais qui fédèrent, en réalité, des interventions de longue date, de natures différentes. Une enquête quantitative et qualitative, menée par un trio de professionnels par CPCA, dégagerait, dans un second temps, l’impact auprès des auteurs de violences conjugales, par une hétéro et auto-évaluation (interrogés par un professionnel psychologue à l’aide d’un outil validé au niveau européen (SARA 35) et répondant ensuite eux-mêmes à un questionnaire).

Cette méthodologie inductive a choisi de sélectionner 7 ou 8 CPCA, dits « pilotes » sur la base de critères géographiques, statutaires, psychiatrique et/ou médico-social, avec ancienneté dans la prise en charge de ce type de publics ou totalement nouveaux ; bref, le plus représentatif de la diversité des formules présentes sur le territoire et en Outre-Mer.

A- Le CPCA, un objet pilote dans le paysage social, en voie d’identification

La diversité des porteurs sélectionnés semblait exclure, à l’origine et à première vue, que les CPCA constituent des Centres « Ressources », sorte de plates-formes, interlocuteurs uniques, centralisant les dossiers et les informations (type Maison Départementale pour les personnes en situation de handicap dans la loi du 11 février 2005 ou les Centres de Ressources Autisme, 1er Plan Autisme 2005-2007) mais sans intervention directe car, ceux-ci n’ont pas changé leur savoirs-faires et leurs façons d’agir en devenant CPCA. Ils ne constituent pas non plus des nouveaux centres de prise en charge avec hébergement automatique.

En effet, de nature expérimentale et financés sur 3 ans, ces Centres expriment des réalités différentes ; qu’il s’agisse des cohortes suivies, des profils des auteurs, de la nature des poursuites, sanctions et interventions corrélatives, du degré de partenariat entre les acteurs locaux ou encore de la coordination de parcours en lien avec celui des victimes. Si l’on retrouve automatiquement l’organisation de stages de responsabilisation pour des auteurs poursuivis pour des premiers actes de violences, les formules de prise en charge sont très diversifiées.

Ayant pour objectif premier d’accompagner les juridictions dans la mise en œuvre d’un dispositif dit « innovant », une directive gouvernementale du 26 mai 2021, vient préciser le cadre d’intervention et les modalités de pilotage, dans le respect du champ de compétences de chaque acteur : « Conçu comme un lieu ressource à compétence régionale ou interdépartemental, pouvant prendre en charge de manière globale et pluridisciplinaire, sur la base de volontariat comme dans le cadre de mesures judiciaires ».

Note de bas de page 6 :

Numéro d'écoute "Ne frappez pas" (08 019 019 11) à destination des auteurs ou potentiels auteurs, et de leur entourage, porté par la FNACAV

Le public-cible visé est donc large : des personnes volontaires orientées par exemple par la plate-forme téléphonique « NE frappez pas »6 ou par les intervenants sociaux en Commissariat et en gendarmerie, comme des personnes orientées par les autorités judiciaires et/ou les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), dans le cadre d’alternatives aux poursuites, contrôle judiciaire, composition pénale ou de peines.

B- Une coordination nationale en quête de moyens et de fins fédérateurs

Note de bas de page 7 :

Comité régional de priorisation, comité régional et Comité national

Note de bas de page 8 :

Autorités judiciaires, sanitaires (ex :Agences Régionales de Santé), sociales (ex :Centres Conduites addictives° gendarmerie , police, sociales

Le nouveau dispositif n’est pas en peine d’instances de veille institutionnelle à tous les niveaux qui semblent être le gage administratif, très français, de lisibilité de l’engagement gouvernemental ainsi que la garantie d’une forme de centralisation de la remontée d’informations. Ainsi, la même directive interne « installe » plusieurs Comités7 politiques dont elle précise la composition8 et les missions.

A l’échelle plus technique des opérateurs, le souci de fédérer l’ensemble des CPCA s’est traduit par le choix d’une coordination nationale confiée, par convention, à l’ARSL jusqu’à la fin de l’année 2023 avec budget correspondant. Il s’agit bien de donner de la visibilité aux actions menées et de faire remonter un consensus des bonnes pratiques et des indicateurs communs de suivi et d’évaluation des résultats des prises en charge en harmonisant les étapes du parcours (nombre et périodicité des rendez-vous sociaux et médicaux, groupes de paroles dédiés, pair-aidance). Cette stratégie d’intervention qui consiste à créer une instance-enveloppe et à en confier le contenu et l’évaluation aux professionnels eux-mêmes, est assez caractéristique du secteur et rend compte de difficultés liées au lancement d’une politique nationale qui prétend, dans un délai-réponse plutôt court à la demande de l’opinion publique, évaluer ses déclinaisons locales. La figure reste libre en quelque sorte, sous réserve que l’opérateur assume les résultats d’une expertise capitalisée mais qui doit faire ses preuves de performance.

C’est tout un défi managérial pour une Association locale qui élargit son périmètre d’action par obédience nationale sur un champ d’expertise où conceptions et pratiques doivent se rejoindre et démontrer une cohérence de « terrain » propre à animer, plus tard, une politique publique interministérielle. Dans le projet de recherche, l’observation des articulations entre le social et le judiciaire doit être de mise et les points de divergence récurrents.

A cet égard, il est sans doute plus question de pluriprofessionnalité que d’interdisciplinarité stricto sensu (au sens où les disciplines potentiellement convoquées sur cette thématique n’ont pas toujours de correspondance en tant qu’acteurs de terrain ; chacun agissant selon sa formation, son cœur de métier, son expertise, voire sa déontologie et se justifiant, tel un maillon d’une chaine d’interventions, dans sa place dans une réunion de synthèse.

2. La dynamique de l’émergence d’une nouvelle politique publique sociale

Ainsi, cette Recherche se donne pour missions de renforcer la visibilité du déploiement du dispositif qui promeut une approche globale, d’asseoir la légitimité de l’approche auteurs de cette politique publique qui passe nécessairement par la production d’indicateurs d’évaluation des actions menées pour justifier l’impact positif sur de nombreux cas et nécessiter, de façon impérieuse, un modèle plus transversal et fortement intégré pour les cas les plus complexes et encore insaisissables dans les cadres existants.

Il aura sans doute pour conséquences la mise en place d’actions de formation, information et sensibilisation en direction des professionnels et de la population. Il participera également du mouvement plus général de défense des droits fondamentaux de tous, d’un accompagnement social global des auteurs en infraction.

De façon inédite, enfin, ce projet de recherche mise sur la synergie des interventions sur les figures de vulnérabilité en prise dans un même face-à-face de violences. La lecture écosystémique du phénomène inacceptable des violences conjugales oblige à étudier l’interdépendance des généalogies des comportements, actions, démarches, états de nécessité de leurs protagonistes. C’est la seule façon aujourd’hui de lutter contre le phénomène récurrent, en agissant, avec équidistance ; en comparant au besoin les points communs de leurs expériences singulières, en réfléchissant en amont sur leur occurrence malheureuse. En protégeant les auteurs contre eux-mêmes par la prévention dans une approche de santé mentale publique, on protège toutes les victimes.

D’autres approches se font ainsi déjà jour pour venir enrichir la première proposition pourvoyeuse de résultats attendus mais aussi de suggestions pour le futur.

A- L’élargissement de la focale

  1. Une étude davantage pluridisciplinaire
    Lorsque l’on associe, de façon non exhaustive les violences conjugales à des thèmes-clefs tels que : estime de soi, genre, génome familial, maltraitance, conditions de logement, rapport au travail et à la règle, conduites addictives, il ne fait aucun doute que sont convoquées une multitude de disciplines ; au-delà de la lecture de la psychologie et de la sociologie. Riches doivent être les éclairages de toutes les sciences, parmi lesquelles, de l’individu à l’espèce : l’éthologie, la biologie, la sémiologie, les sciences de l’Education, la communication, l’Economie, le Droit, les sciences politiques, l’ethnologie, l’anthropologie, la philosophie.

  2. Des auteurs pluriels : la présente recherche se cantonnera, comme les statistiques y invitent, à l’accompagnement et à l’impact sur les auteurs « hommes » envers les femmes victimes. A l’heure des identités plurielles, traduisant le besoin de dépasser la détermination d’un sexe assigné à la naissance par des attributs génitaux, une description plus fine de ce qui se joue dans la violence entre partenaires intimes devrait vite intégrer toutes les variantes de couples constitués.

B- L’apport et la combinaison d’autres méthodologies de recherche complémentaires

Sans extrapoler, il est aisé de se tourner vers d’autres méthodologies complémentaires, très utilisées dans ma sphère anglo-saxonne, déjà à l’œuvre, partiellement ou localement

  1. La version de la santé publique
    On peut aisément imaginer un suivi de cohortes (qui pourrait être constituées des files actives d’un CPCA, des 3 CPCA de la Nouvelle-aquitaine dans un souci de complémentarité et de comparaison des modes d’intervention) dans une approche EPIDEMIOLOGIQUE, type Santé publique, faisant bien le lien entre la santé mentale et les conditions d’existence du public ciblé. L’étude de cas témoins et la confection d’une enquête d’incidence fondée sur le modèle de prise en charge des CPCA n’ont jamais été, à ce jour, réalisées.

  2. L’approche de la gestion des risques
    Celle-ci s’appuie sur une cartographie exhaustive et fine des facteurs du risque qui constituent autant de leviers d’action et d’intervention pour les professionnels à l’œuvre, dans le parcours de prise en charge ainsi élaboré ; quelle que soit la porte d’entrée dans celui-ci, volontaire ou contrainte par la Justice. L’approche du traitement du risque présente l’avantage de travailler en prévention, protection, précaution, voire en gestion de Crise, le cas échéant. Il est d’ores et déjà pertinent de croiser plusieurs cartographies sur le passage à l’acte, le féminicide, la rupture de prise en charge des problématiques de l’auteur pour constater la mise en exergue de causes communes déterminantes, parmi des variables personnelles et environnementales, dans la commission des violences.

C- De l’expérimentation à la pérennisation de l’accompagnement

Telle serait la dynamique de toute réponse gouvernementale à une demande sociale parfois retentissante, pétrie d’incertitudes et d’imprévisibilité dans l’acceptabilité du risque produit par ce choix de prise en charge. On peut, tour à tour, craindre une suppression, une absorption par un service socio-judicaire unifié, voire redouter une pénalisation forcenée des actes de violences conjugales, que n’encouragent guère les chiffres récents et honteux de la surpopulation carcérale. On peut aussi espérer, en prenant garde à la complexification « millefeuilles » à la française, un bon retour sur investissement politique et économique dans la fixation de solutions bien identifiées parce qu’elles expriment toute l’interdépendance des acteurs et l’exigence du tissage permanent de leur partenariat.

Note de bas de page 9 :

Référence faite au rapport MARTIN-BLACHAIS de 2017 sur les besoins fondamentaux de l’enfant expérimentant une démarche de consensus entre tous les acteurs (judiciaire, social, médical) de la protection de l’Enfance

La finalisation d’une démarche de consensus9 pour un outil d’aide à la décision
Sans préjuger des résultats générés par le portrait des pratiques des CPCA, celles-ci s’inscrivent nécessairement dans un processus itératif que la nature expérimentale de leurs porteurs induit. La recherche-action sous-tend également cette volonté puisqu’elle produit des propositions que le « terrain » active à sa guise et à son rythme.

Note de bas de page 10 :

Martine ERZOG-EVANS, Conférence de consensus sur la prévention de la récidive Programmes et méthodes de prise en charge des personnes condamnées à une peine en milieu ouvert Contribution de Martine Herzog-Evans (université de Reims), 2013

  1. Le nécessaire et difficile travail de coopération avec la Justice qui a ses propres acteurs et logiques d’interventions, ses penseurs reconnus de la science de la probation et de la justice restaurative10, vise une commune grille de lecture des situations et des comportements à risque, guidant les magistrats, en amont du traitement prescrit et donc au meilleur moment de ce qu’on pourrait appeler, non la capture, mais la « captation » vers l’interlocuteur unifié, labellisé, polycéphale.

  2. L’étape décisive de l’opposabilité d’un fondement légal à venir
    Ce ne serait pas la première fois, dans le secteur sanitaire et social, que dans le dialogue des faits et droit, des juges et du législateur, les pouvoirs publics aient choisi de temporiser la légalisation des CPCA, attendant qu’ils fassent, en quelque sorte, leurs preuves. Pour autant, ce type d’initiative, même consolidé, porte l’empreinte de la précarité des mandats gouvernementaux, contaminant les prestataires de la mise en œuvre, qui s’en trouvent insécurisés dans leurs propres budgets, paris de recrutement, projets territoriaux, abondements de taille critique de services existants… Seule l’inscription dans la loi, orchestrée par des chercheurs juristes, parachèverait la confection progressive d’une définition et d’un cahier des charges opposable ; entrant, comme tel, dans le champ d’application du droit applicable aux institutions médico-sociales.

Pour conclure, force est d’admettre qu’au-delà de l’approche phénoménologique des sciences humaines, une telle recherche interroge et acte de l’inscription du violent dans le vivant, dans une mise à distance qui suppose tout de même de regarder en face les manifestations du tragique.

Terminons par une résolution, fidèle à une interprétation téléologique de quelque modèle que ce soit. Elle est salutaire pour les praticiens de la théorie et des concepts, qui s’aventurent sur des terrains convoités ; ballottés qu’ils seraient, d’enjeux en querelles, de statuts en idéologies.

Promettons de ne jamais perdre de vue que chercheurs et professionnels du secteur sanitaire et social marchent côte-à-côte et regardent donc dans la même direction : Œuvrer pour que cesse et se discrédite, dans la lumière de la connaissance, ce geste définitivement inacceptable d’une domination ; celui de la violence envers l’Autre d’une vie, certes privée mais privée surtout de respect et de considération et qui sur le plan conscient et inconscient, rate, à l’évidence, sa désignation.