Les décorations décernées aux personnes morales : une extension peu banale de la personnalité juridique

Matthias Martin 

https://doi.org/10.25965/lji.465

Sommaire
Texte
Note de bas de page 1 :

Cf. MARTIN (Matthias) « La médaille de Sainte-Hélène, une médaille pour la postérité », Bull. spécial de la SAMNLHOC - Bicentenaire de la mort de Napoléon Ier, 2021, p. 120 - 134 ; « Le port féminin des ordres nationaux français », Bulletin de la Société suisse de phaléristique, mars 2020, n° 129 bis, p. 32 à 50.

Note de bas de page 2 :

Décret modifié n° 62-1472 du 28 novembre 1962 (JO 7 décembre 1962, p. 11988).

Il pourrait sembler étonnant d’aborder la personnalité juridique, notion des plus classiques en droit civil, au travers du prisme méconnu des décorations, tant ces deux domaines de recherche semblent différents. Par décorations, il convient d’entendre les distinctions honorifiques données par l’État en reconnaissance de mérites éminents ; elles se scindent entre les ordres et les médailles. Une science auxiliaire de l’Histoire regroupe l’étude des ordres, décorations et médailles : il s’agit de la phaléristique1. Un code de lois existe en France : le Code de la Légion d’honneur, de la médaille militaire et de l’ordre national du mérite2.

Ainsi, la compréhension de la personnalité juridique peut être éclairée d’un jour nouveau par le biais de la phaléristique.

Note de bas de page 3 :

Art. 1er DDHC : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ».

Note de bas de page 4 :

Trésor de la Langue française informatisé, entrée « mérite ».

Note de bas de page 5 :

Cf. Larousse de poche, 1979, p. 261, entrée « mérite ».

Note de bas de page 6 :

Cf. MARTIN (Matthias), « L’attribution posthume de décorations, ou la personnalité outre-tombe », Revue générale du droit on line, 2020, n° 53479 ; « Décorer les morts : les décorations données à titre posthume en France », Bulletin de la Société suisse de phaléristique, mars 2021, n° 132, p. 27 à 30.

Traditionnellement, les décorations sont accordées aux seuls êtres humains vivants. La lecture combinée de l’article premier de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen3 et des articles R.1, R.6 et R.16 du Code de la Légion d’honneur renvoient aux personnes physiques. C’est l’objectif même d’une décoration : honorer des mérites, c’est-à-dire les « qualités remarquables d’une personne »4 qui la rende « digne de récompense »5. Si certaines dérogations ont été faites à la suite du drame de la Première Guerre mondiale, et existent toujours actuellement, pour honorer un défunt trop tôt disparu6, la règle d’un être vivant s’impose dans le domaine de la phaléristique.

Note de bas de page 7 :

L’avocat Eric Morain a proposé en mars 2020 une récompense collective pour l’ensemble du personnel soignant ; cf. https://www.lejdd.fr/Societe/tribune-la-legion-dhonneur-pour-le-personnel-hospitalier-3956923 (consulté le 28 août 2021).

Note de bas de page 8 :

Voir la remise de la médaille de mérite de première classe de la République de Saint-Marin aux drapeaux de la police ou de la Croix-Rouge de cet État (https://www.tribunapoliticaweb.sm/politica/2020/08/25/53376_ieri-la-cerimonia-di-conferimento-delle-medaglie-al-merito-di-prima-classe-emergenza-covid-19/ consulté le 28 août 2021).

Les recherches phaléristes montrent toutefois qu’une troisième catégorie de récipiendaires existe : les personnes morales dont un certain nombre a été récemment décoré. On peut ainsi citer, parmi les exemples d’actualité, l’octroi de la médaille d’or de la défense nationale avec palmes de bronze et une troisième médaille d’honneur pour acte de courage et de dévouement, échelon or, le 1er juillet 2019 à la Brigade des Sapeurs-pompiers de Paris à la suite de l’incendie de Notre-Dame de Paris, la remise de la croix de chevalier de l’ordre de la Légion d’honneur à la ville de Londres par décret du 18 juin 2020, ou encore les diverses propositions faites pendant le premier confinement dû à la Covid-19 pour honorer le personnel hospitalier7. Des exemples existent également à l’étranger8.

Ces remises de décorations à des personnes morales, qui trouvent ses origines sous le Premier Empire (cf. infra) témoignent-elles d’une évolution profonde de la notion de décoration, qu’il conviendrait de déconnecter de la notion de personne humaine, ou bien d’une extension des caractéristiques de la personnalité juridique ? Ainsi, au même titre que l’identité, l’adresse ou la date de naissance, les décorations seraient-elles des éléments propres et caractéristiques de la personnalité juridique ?

1. Les décorations ou la récompense d’un mérite personnel par essence

Note de bas de page 9 :

Cf. GALIMARD FLAVIGNY (Bertrand), Histoire de l’Ordre de Malte, éd. Perrin, 2006 ; GENNES (Jean-Pierre de), Les chevaliers du Saint-Sépulcre de Jérusalem, essai critique, vol. 1er : Origines et histoire générale de l’ordre, éd. Hérault, 1995.

Note de bas de page 10 :

Cf. DAMIEN (André), Les ordres de chevalerie et les décorations, éd. Mémoire et Documents, 2002.

Pendant des siècles, l’attribution des décorations n’a guère soulevé de problème juridique. Sous l’Empire romain, où les premiers balbutiements de décorations apparaissent avec les phalères, le principe même d’une décoration est posée : récompenser des mérites éminents et un comportement exemplaire nécessairement individuel. En honorant un centurion, on honore une carrière ou une action d’éclat. Ce principe d’individualité des décorations se maintient dans les siècles suivants, même si l’objectif de la décoration va varier : davantage fondé sur une appartenance spirituelle avec les ordres religieux et militaires qui apparaissent lors des croisades9, reposant sur un lien étroit de communion entre un souverain et son sujet avec les ordres de chevalerie créés à la fin du Moyen-Âge10.

Une évolution sensible apparaît au XVIIe et au XVIIIe siècles avec l’accroissement continu de la population (et par conséquent du nombre de personnes qu’il convient d’honorer) et une meilleure prise en considération des mérites individuels. En effet, au nombre restreint de chevaliers du Moyen-Âge se substituent des armées de plus en plus nombreuses : comment récompenser massivement sans que la distinction ne perde corollairement de son éclat ?

Cette problématique s’était déjà posée du temps de la Rome Antique qui avait donné pour solution les triomphes où les chefs victorieux étaient accompagnés de leurs armées. La chute de l’Empire romain entraîna avec elle la fin de ces honneurs.

Note de bas de page 11 :

Cf. GUIMARAES (Christophe), L’Ordre royal et militaire de Saint-Louis 1693-1830, éd. d’auteur, 2014 ; d’HOZIER (Jean-François-Louis), Recueil de tous les membres de l'Ordre royal et militaire de Saint-Louis, depuis 1693, rééd. 2012, éd. Hachette-BnF, en deux tomes.

Note de bas de page 12 :

Bien que l’Ordre de Saint-Louis soit ouvert à tout officier, des débats existent sur les conditions de naissance requises pour être officier, revenant de facto à imposer une sélection pour l’Ordre de Saint-Louis. Voir : SIX (G.) « Fallait-il quatre quartiers de noblesse pour être officier à la fin de l'Ancien Régime », Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 4, n°19,1929, pp. 47-56.

L’Ancien Régime cherche de nouveau à récompenser massivement. La solution va consister à multiplier les différentes décorations tout en levant le numerus clausus des membres admis en son sein : c’est l’apparition des ordres de mérite. L’ordre de Saint-Louis est ainsi créé le 5 avril 169311 sans condition de nombre ni de naissance, mais restreint aux officiers catholiques12, et l’Institution du Mérite militaire voit le jour le 10 mars 1759 pour récompenser les officiers protestants.

Note de bas de page 13 :

Art. 1er : « Tout ordre de chevalerie ou autre, toute corporation, toute décoration, tout signe extérieur qui suppose des distinctions de naissance, sont supprimés en France ; il ne pourra en être établi de semblables à l'avenir. » 

Toutefois, ceci ne suffit pas à honorer l’ensemble des citoyens méritants. Si la Révolution met temporairement un terme à cette question en supprimant l’ensemble des marques de reconnaissance (décret du 30 juillet 179113), les guerres napoléoniennes relancent la question : comment récompenser plus largement encore ?

2. La nécessité d’élargir le spectre des récompensés : honorer le collectif

Note de bas de page 14 :

Cf. LAISSUS (J.), « La Légion d’honneur », p. 189, in MUSEE MONETAIRE, Ordres de chevalerie et récompenses nationales, éd. Administration des monnaies et médailles, 1956 ; le chiffre de 40 000 est évoqué par CHABANIER, « La Légion d’honneur sous l’Empire », disponible à https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/articles/la-legion-dhonneur-sous-lempire/ (consulté le 28 août 2021).

Note de bas de page 15 :

Soit environ 0,11 % de la population. Une proportion relativement stable puisqu’elle est la même en 2021 : il y a 92 000 membres de la Légion d’honneur pour 66,73 millions d’habitants, soit 0,14 %.

Une première réponse est adoptée avec la création de l’ordre de la Légion d’honneur le 19 mai 1802, dont les conditions d’octroi sont -et c’est un fait nouveau- élargies sans aucune restriction : l’ensemble des citoyens méritants, peu importe leur religion, leur naissance ou encore leur appartenance à l’armée, est concerné. Ceci entraîna mécaniquement un nombre d’attributions sans commune mesure avec les anciens ordres de chevalerie, puisqu’en une quinzaine d’année, la croix des braves est accordée à près de 33 000 citoyens14 pour un pays qui compte alors environ 30 millions d’habitants15.

La seconde réponse, qui va émerger petit à petit tout au long du XIXe siècle, est l’idée de la récompense collective. C’est un changement de paradigme complet dans l’histoire des décorations : pour la première fois, on ne souhaite plus honorer une individualité mais un collectif en mettant en valeur une action commune.

Note de bas de page 16 :

Cf. p. 11, ARROUAS (Serge), Villes, emblèmes et collectivités décorés de la Légion d’honneur, éd. B.O.R.E., 1976.

Note de bas de page 17 :

Châlons-sur-Saône, Tournus et Saint-Jean-de-Losne.

Comme souvent en termes de décorations modernes, c’est à Napoléon que l’on doit les premières tentatives de récompenses collectives : en 1797, encore Bonaparte, il permit aux drapeaux des brigades les plus valeureuses d’être ornés du nom de la bataille remportée. Cette initiative, qui ne rencontra pas l’adhésion du Directoire, fut pérennisée sous l’Empire par le décret du 26 décembre 181116. Mais un nom brodé n’est pas une décoration accordée. Une étape décisive fut franchie en 1815 avec le privilège, pour trois villes17, de faire figurer l’étoile de la Légion d’honneur, en tant que meuble héraldique, dans leurs armoiries. Du dedans au dehors de l’écu, il n’y avait qu’un pas à franchir, mais un pas qui sembla longtemps trop hardi. C’est Napoléon III qui permit l’attribution d’une décoration à une unité par décision du 14 juin 1859 : tout régiment qui aurait pris un drapeau à l’ennemi aurait le droit de faire pendre la Légion d’honneur à son propre drapeau en signe de reconnaissance.

Note de bas de page 18 :

Cf. notamment : p. 34, DEPLOIGE (Guy), « L’ordre de la Croix de la Liberté (Estonie), les croix de la Liberté dans les collections du War Heritage Institute à Bruxelles », Bull. SAMNLHOC n° 20, 2017.

Depuis lors, la pratique s’est largement répandue, notamment suite aux deux conflits mondiaux : Verdun est ainsi honorée de pas moins de 26 décorations18, françaises ou étrangères.

3. Récompenser les personnes morales : une transposition imparfaite

D’un point de vue juridique, récompenser un groupe d’individus est plus complexe qu’il n’y paraît. Une conciliation doit être trouvée entre la prise en compte des actions individuelles, le maintien nécessaire du prestige d’une décoration qui ne doit pas être galvaudée et la récompense collective.

Note de bas de page 19 :

Cf. p. 7 ss. SIMONART (Valérie), La personnalité morale en droit privé comparé, éd. Bruylant (Bruxelles), 1995.

La solution à cette équation difficile est apportée par la fiction juridique que constituent les personnes morales. Une personne morale est une entité juridique, incorporelle et de création humaine, à qui est conférée la personnalité juridique, c’est-à-dire la capacité à être titulaire de droits et de devoirs et donc à être considérée comme sujet de droit, de manière amoindrie toutefois19. C’est bien entendu la nature humaine des membres des personnes morales qui ont permis à ces groupements de bénéficier d’une extension de la personnalité juridique.

En décorant une personne morale, la notion de décoration garde sa cohérence : récompenser une personne, peu importe au final que celle-ci soit physique ou morale (c’est-à-dire constituée d’un regroupement de personnes physiques). Cette transposition est toutefois imparfaite et plusieurs concessions doivent être faites.

Note de bas de page 20 :

Le dernier compagnon physique, Hubert Germain, est décédé le 12 octobre 2021.

Note de bas de page 21 :

Sur ce thème, voir : TAIBI (Nadia), « Ne plus être né, l’effacement des êtres et la mort civile », Sens-dessous, 2018/2, p. 21 à 28 ; Salmon de Laubourgère (Charles), De la mort civile, thèse de doctorat de l’Université de Rennes, 1853.

En premier lieu, la durée de vie d’une personne morale est plus longue qu’une personne physique, puisqu’une personne morale peut presque vivre sans fin. Si l’octroi d’un ordre de mérite ou d’une médaille ne pose pas de problème, il n’en est pas de même pour un ordre de chevalerie dont le nombre de membres est restreint : la personne morale occuperait ainsi indéfiniment une place. La question se pose aussi pour les ordres dormants, dont l’ensemble des titulaires est décédé. C’est le cas de l’ordre de la Libération, qui comporte 18 unités militaires et cinq villes décorées, mais plus aucun membre vivant20. Si certaines unités militaires ont disparu depuis, telles que le sous-marin Rubis désarmé le 4 octobre 1949 (ce qui pourrait être assimilé à une mort civile pour une personne morale21), d’autres personnes morales existent toujours, ce qui pose la question d’un ordre qui n’existe désormais plus que par les personnes morales distinguées : est-il encore possible de le considérer valablement comme une décoration ?

En deuxième lieu, la récompense d’une personne morale pose des problèmes de considération concernant la raison de l’octroi d’une décoration. Lorsque Napoléon III permit à un régiment d’accrocher la Légion d’honneur à sa hampe en récompense d’un drapeau pris à l’ennemi, c’est bien l’éclat d’une action individuelle qui rejaillit sur le groupe. Si l’évolution des conflits, désormais de masse, ne permet pas nécessairement d’individualiser les actions récompensées, la problématique reste la même : la personne morale, par sa nature même d’être incorporel, est incapable d’une action méritante. C’est donc toujours par l’action de ses membres, personnes physiques, qu’elle est récompensée. Le raisonnement reste identique même en prenant en considération l’idéal pour lequel on agit : un soldat peut se battre pour son régiment (d’où la logique de récompenser le groupe), il n’en reste pas moins que l’action est menée par une personne physique.

L’inverse est cependant faux : si l’action d’un membre permet à tous de profiter d’un honneur collectif, un honneur collectif ne bénéficie pas à un membre en particulier. Si le prestige est commun et rejaillit sur l’ensemble des membres de ce groupe, c’est bien la représentation du corps social qui est honorée et non chacun de ses membres pris individuellement. En conséquence, aucun membre d’une personne morale ne peut se prévaloir individuellement de la décoration conférée.

Note de bas de page 22 :

Texte de la citation de la croix de guerre conférée à l’Université de Nancy (JO du 14-15 novembre 1927) et remise solennellement le 17 novembre 1927 par le maréchal Foch. Cf. p. 499, ARROUAS (Serge), op. cit.

En effet, l’honneur accordé n’efface pas une certaine disparité d’actions entre des membres qui ont beaucoup agi et d’autres qui se sont abstenus. C’est par exemple le cas de la croix de guerre 1914-1918 conférée à l’Université de Nancy : tous ses membres n’ont pas participé de la même manière à l’effort de guerre, ce qui n’a pas empêché que, dans son ensemble, le corps social soit reconnu comme ayant « poursuivi ses travaux et son enseignement, malgré la proximité de la ligne de bataille et en dépit d'un bombardement continu et des plus violents, qui a causé la mort de nombreuses victimes et occasionné d'importants dégâts. S'est ainsi acquis les plus beaux titres à la reconnaissance du Pays par son héroïsme, qui symbolise l'effort des Universités de France pendant la grande guerre. »22

Malgré ces deux principales concessions, l’avantage de récompenser une personne morale est indéniable : un grand nombre de personnes peut être honoré sans avoir à multiplier les décorations. En outre, honorer un groupe permet de créer une cohésion sociale et ainsi de dépasser l’individualité humaine.

Note de bas de page 23 :

Décret n° 2014-389 du 29 mars 2014 relatif à la médaille de la Défense nationale (JO 1er avril 2014).

Note de bas de page 24 :

Décret n°2013-1113 du 4 décembre 2013 (JO 6 déc. 2013), instituant les art. D. 141-2 à D. 141-10 du Code de la sécurité intérieure.

Note de bas de page 25 :

Décret du 9 décembre 1924 modifiant le décret du 16 novembre 1901 relatif aux récompenses honorifiques pour actes de courage et de dévouement (JO 22 janv. 1925). Il est intéressant de constater que deux ans plus tard, « la médaille d’or est accordée pour actes de courage et de dévouement à la fédération nationale des sapeurs-pompiers français »… Voir art. 1er décret du 4 avril 1926 (JO 10 avril 1926).

Note de bas de page 26 :

Art. 1er, ord. n° 7 du 16 nov. 1940 créant l’ordre de la Libération (JO France Libre, 10 fév. 1941).

Note de bas de page 27 :

Cf. p. 16, DUTHEIL (Tom), « "Honneur et adversité", les villes décorées de la Légion d’honneur », in "Honneur de la cité, cités à l’honneur", villes et villages décorés des deux guerres mondiales, actes de la journée d’étude de Bar-le-Duc du 16 novembre 2018, éd. ANCGVM, 2020.

Paradoxalement, les textes législatifs sont le plus souvent muets sur la possibilité de conférer une décoration à une personne morale, préférant ainsi réserver les ordres et médailles à une élite vivante. Ainsi, aucune disposition spécifique n’existe au sein du Code de la Légion d’honneur ni au sein des décrets relatifs à la médaille de la Défense nationale23, à la médaille de la sécurité intérieure24 ou à la médaille d’honneur pour actes de courage et de dévouement25, pour citer les principales médailles conférées à des personnes morales. Une exception doit être signalée avec l’ordre de la Libération qui prévoit expressément l’attribution à « des collectivités militaires et civiles » dès sa création26. L’attribution d’une décoration à une personne morale relève d’un grand empirisme juridique27.

Conclusion

Note de bas de page 28 :

Cass. 1er juin 1863, S. 1863-1-447 ; annexe de l’instruction générale du 11 mai 1999 relative à l’état civil (JO 28 juillet 1999).

En conclusion de cette rapide étude, il est possible d’affirmer que les décorations sont un élément propre de la personnalité juridique. Elles figurent ainsi en marge des actes de l’état civil, et ce depuis fort longtemps28. Elles permettent de mieux individualiser une personne.

Faut-il en déduire que l’attribution d’une décoration à une personne morale témoigne d’une évolution profonde de la notion de décoration, désormais séparée de la notion de personne humaine à laquelle elle était intimement liée depuis des siècles ? Nous ne le pensons pas car les actions qui ont valu à la personne morale d’être ainsi honorée par l’État sont toujours le fait de personnes physiques.

Au contraire, l’attribution d’une décoration à une personne morale montre un peu plus, s’il en était encore besoin, le caractère incomplet de la personnalité juridique conférée aux personnes morales. Si elles partagent bien des éléments communs avec les personnes physiques, tels que le nom ou une date de « naissance », l’absence d’un certain nombre d’autres éléments, tous liés à son caractère incorporel (comme le droit de manifester ou la liberté de pensée) conduit plutôt à s’interroger sur la place réelle des personnes morales au sein de la personnalité juridique. N’est-ce pas permettre une extension un peu trop importante de la personnalité juridique que de leur reconnaître d’appartenir au même corps -les personnes- que les êtres humains ?