Créer un langage végétal Creating a plant language

Camille REIDT ,
Michel PAYSANT ,
Idelette PLAZANET ,
David MARIONNET 
et Vincent GLOAGUEN 

https://doi.org/10.25965/lji.445

La rencontre du chercheur et de l’artiste peut-elle conduire à la création d’un langage végétal ? A l’origine d’un dialogue interculturel entre chercheurs en sciences végétales et artistes plasticiens, ce questionnement a servi de fil conducteur à la définition d’une véritable dialectique végétale. Cet article propose une contribution tout à la fois expérimentale et méthodologique qui débouche sur la mise en oeuvre d’une recherche transdisciplinaire originale. Les pistes d’étude empruntées à cette occasion, tout comme les approches scientifiques et technologiques retenues pour sa mise en oeuvre, sont illustrées par le processus de création d’une œuvre majeure baptisée Essentia.

Is it possible that the meeting of a researcher and an artist could lead to the creation of a plant language ? At the origin of an intercultural dialogue between researchers in plant sciences and visual artists, this question has served as a guideline for the definition of a true plant dialectic. This article proposes a contribution, which is both experimental and methodological, that leads to the implementation of original transdisciplinary research. The avenues of study taken on this occasion, as well as the scientific and technological approaches chosen for its application, are illustrated by the creation process of a major work called Essentia.

Sommaire
Texte

Introduction

Comment faire parler les plantes ? Comment leur permettre d’exprimer qu’elles sont une composante indispensable du vivant, l’ingrédient nécessaire d’une harmonie entre l’homme et l’environnement ? Cette dialectique végétale inscrite en filiation de la pensée naturaliste hégélienne est née de cette recherche transdisciplinaire entre chercheurs en sciences végétales spécialistes de la valorisation durable des ressources végétales et artistes plasticiens qui questionnent la fragilité de notre société en puisant leur inspiration dans l’interaction du vivant avec la matière. Une telle approche a été présentée à l’occasion des expositions « L’Arbre de Darwin » (Reidt, 2018) et « Formes vivantes » (Reidt, 2019) puis reportée à l’occasion de l’édition 2021 des fêtes de la Science intitulée « Planète Nature » (Gloaguen & Paysant, 2020).

Saisissant la démarche proposée par l’Université de Limoges à l’occasion de l’organisation des premières journées de l’interdisciplinarité, artistes et chercheurs ont souhaité présenter plus particulièrement leur démarche méthodologique et les pistes d’études empruntées pour développer un tel langage. Ce processus créatif sera finalement illustré par la présentation d’une œuvre majeure baptisée Essentia.

1. Un regard croisé sur les plantes et les technologies végétales

1.1. La culture in vitro végétale comme outil pour le chercheur

Au cours de leurs échanges préalables, chercheurs et artistes font le constat que les végétaux sont des organismes fixés et que cet immobilisme les invite à une grande capacité adaptative destinée à préserver la vie de l’organisme face aux agressions du milieu. La multiplication végétative est une illustration de cette faculté adaptative souvent observée chez les organismes végétaux qui sont parfois capables de se multiplier de manière asexuée par fragmentation, bouturage ou encore marcottage.

Cette extraordinaire et fascinante capacité des végétaux a été très largement exploitée par le laboratoire PEIRENE-E2Lim et la société InPlanta qui utilisent dans le cadre de leurs recherches académiques et/ou des développements applicatifs qui en découlent, des modèles de plantes cultivées in vitro (figure 1 ; Vidalie, 1999).

Figure 1 : le processus de culture in vitro végétale

Figure 1 : le processus de culture in vitro végétale

Crédit image ©InPlanta

Placées dans un espace clos, à l’abri de toute contamination chimique et microbiologique, disposant des quantités de nutriments et d’eau nécessaires à leur croissance, les plantes ainsi cultivées vont pouvoir se développer durablement, sans aucune intervention. Le concept des Plantaphores® était né (figure 2).

Figure 2 : le concept du Plantaphore®.

Figure 2 : le concept du Plantaphore®.

Crédit image ©InPlanta

Dans une approche tout à la fois technologique et esthétique, des plantes remarquables grandissent durablement dans leur enceinte protectrice au design contemporain, sans entretien. Il est ainsi recréé un jardin intérieur, un véritable écosystème miniature, tout à la fois parfaitement autonome et fragile dans son équilibre comme tout objet vivant.

1.2. La culture in vitro végétale comme source d’inspiration pour l’artiste

Le Plantaphore®, cet univers végétal artificiel, s’avère utopique pour l’artiste. Il convoque l’imaginaire, il idéalise la plante lui donnant un air tellement parfait que cela s’avère presque irréel, impossible. Il devient la représentation d’un univers idéal, sans défaut et le questionne. Dans une démarche presque contemplative il donne enfin à voir les plantes, à en apprécier l’esthétisme des formes.

Cette nature artificielle totalement préservée et contrôlée par le scientifique se transforme progressivement dans l’esprit de l’artiste en promesse d’avenir. La promesse d’un recommencement, la possibilité d’un réensemencement des écosystèmes dégradés. Les plantes ainsi cultivées s’affichent alors comme le salut possible de l’humanité (Reidt et al, 2021).

2. La création : de l’esquisse d’artiste à la création de l’œuvre originale

Les Plantaphores® développés à l’interface du Laboratoire PEIRENE - E2Lim et de la société InPlanta sont alors réinterprétés par l’artiste comme autant d’écosystèmes miniatures, à mi-chemin entre la capsule temporelle et l’étui reliquaire (figure 3). Ils ont désormais pour but de protéger, de préserver et de transmettre.

Figure 3 : une démarche méthodologique et un processus créatif bio inspirés.

Figure 3 : une démarche méthodologique et un processus créatif bio inspirés.

Crédit image et photo ©C. REIDT

Les plantes y sont déposées pour y être protégées des agressions du milieu extérieur mais aussi pour y être mises à distance de l’homme. S’appuyant sur une démarche bioinspirée / biomimétique, cette capsule temporelle a été pensée comme un véritable étui reliquaire. Elle incarne désormais l’essence d’une chose, son âme (figure 4).

Figure 4 : de l’esquisse d’artiste à la création de l’œuvre originale. Essentia - Verre soufflé, porcelaine, impression 3D stéréolithographie, plante : Sequoia sempervirens (Séquoia toujours vert), gélose In-Planta. Diamètre 13 cm, H : 36 cm. Vue de l’exposition Formes Vivantes, Musée National Adrien Dubouché, 2019.

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Crédit image et photo © C. REIDT et ©InPlanta

Conclusion

À mi-chemin entre la capsule temporelle et l’étui reliquaire, ces œuvres vivantes sont constitutives d’une démarche artistique originale et séduisante qui fait naître un véritable langage végétal. Elles expriment au grand public tout comme aux passionnés d’art l’idée d’une nature fragile, protégée et à protéger. Ces œuvres ont elles-mêmes vocation à préserver et transmettre la diversité végétale. Elles représentent en tout cas un hymne à la beauté végétale, à la biodiversité, à sa préservation, à sa valorisation.