L’utilisation des animaux en sciences : pourquoi et comment ? Use of animals in sciences: why and how?

Laetitia MAGNOL ,
Magali SAGE ,
Karine VUILLIER ,
Anne Druilhe 
et Severine Nadaud 

https://doi.org/10.25965/lji.213

Pour progresser, la recherche en biologie animale s’appuie sur des données obtenues à partir de prélèvements faits sur des êtres vivants et sur différents modèles complémentaires. Ces modèles miment tout ou partie de l’être vivant étudié et reposent sur la modèlisation informatique (approche in silico), sur l’analyse de molécules en « tubes » et la culture de cellules ou de tissus (in vitro) et sur le recours aux animaux (in vivo). Les modèles in silico et in vitro sont très utilisés mais ne permettent pas, à l’heure actuelle, de reproduire la complexité d’un organisme vivant. L’utilisation des animaux en sciences reste d’actualité, et est menée dans un cadre juridique et éthique qui protège les animaux et exige le respect de leur bien-être. Dans les pages qui suivent, sont présentés le cadre européen actuellement en vigueur et les justifications de l’utilisation des animaux à des fins scientifiques au niveau international et au sein de l’établissement utilisateur d’animaux qu’est l’Université de Limoges.

Despite the development of techniques in silico (computer modelling) and in vitro (in test tubes), the use of animals is still needed to make progress in life sciences and medicine. The present article gives the number of animals used and the objectives of the research programmes involving animals in Limoges University. It also informs on the european regulation on the use of animals for scientific purposes and on the ethical principle that every researcher must comply with.

Sommaire
Texte

Happy animals make good science.

Trevor Poole

Cette présentation s’inscrit dans une démarche de transparence sur le recours aux animaux en sciences telle que voulue par la communauté scientifique nationale dans le respect de la directive européenne 2010/63/UE. Le texte de la charte est disponible sur le site https://www.recherche-animale.org/charte-transparence .

1. La nécessité du recours aux animaux en sciences 

Comprendre le fonctionnement des êtres vivants pour les préserver, pour les soigner nécessite de les observer, de les étudier, de les utiliser. L’utilisation des bactéries, des champignons ou des végétaux pour la réalisation d’expériences est acceptée. L’utilisation des animaux, en particulier ceux doués de sensibilité, dans le but d’accroître les connaissances pose, au contraire, des questions morales. Suite aux atrocités commises sur des déportés par des médecins et des scientifiques lors de la Seconde Guerre mondiale, et suite au procès des criminels nazis, les magistrats ont jugé nécessaire de rédiger un code de droit international fixant la légitimité des expériences médicales tout en instaurant des limites protégeant les sujets qui y participent. Cet acte, le code de Nuremberg (1947) précise que les « fondements de l’expérience (sur l’homme) doivent résider dans les résultats d’expériences antérieures faites sur des animaux ». Ainsi, à partir du milieu du 20ième siècle, l’utilisation des animaux à des fins scientifiques implique une nécessité morale.

C’est aussi au 20ième siècle que se développent des techniques de culture de cellules, les éléments de base constituant les organismes vivants. Initialement ces techniques dites in vitro permettaient la multiplication de cellules mais celles-ci avaient perdu la spécificité qu’elles avaient dans le corps. Le perfectionnement des techniques de culture cellulaire a rendu possible la multiplication des cellules hors du corps et le maintien de certaines particularités voire la reconstitution de certains tissus. Pour exemple, les scientifiques sont capables de cultiver du tissu cardiaque qui bat in vitro. Actuellement, les systèmes in vitro miment certaines parties de l’organisme entier, mais ne permettent pas encore de reconstituer sa complexité dans son intégralité. Le développement de l’informatique ouvre de nouvelles perspectives, notamment celle de modéliser in silico les organismes entiers ; si la modélisation des molécules est devenue réalité, la modélisation in silico des cellules, des tissus, des organismes vivants en est à son balbutiement. Face à la complexité du vivant que techniques et technologies ne peuvent reproduire in vitro ou in silico en l’état actuel des connaissances, le recours aux animaux, appelé approche in vivo, reste une nécessité pour les progrès en biologie et en médecine. Les progrès qui reposent sur l’utilisation des animaux sont bien réels : les vaccins qui ont permis la diminution de la morbidité et de la mortalité et même l’éradication de maladies infectieuses en sont un exemple.

2. La réalité du recours aux animaux

Tous les ans, les scientifiques européens doivent déclarer le nombre d’animaux qu’ils utilisent et les raisons de leur utilisation. Les statistiques sont rendues publiques sur le site de la communauté européenne et, en France, sur celui du Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI). Les dernières statistiques rendues publiques sont celles de 2019. Elles montrent que près de 1 900 000 animaux, reconnus comme doués de sensibilité et hors l’Homme, ont été utilisés dans des expériences cette année-là ; ce nombre est stable depuis quelques années. Environ autant d’animaux sont utilisés pour générer les animaux expérimentaux ou pour prélever, après mise à mort par une méthode sans souffrance, des tissus ou des organes pour des études ultérieures.

La vaste majorité des animaux utilisés sont des mammifères, 10 % sont des poissons, 2 % des oiseaux, 0,2 % des amphibiens, 0,1 % des reptiles ; environ 100 céphalopodes, des seiches, sont aussi utilisés. Près de 95 % des mammifères utilisés sont des rongeurs et ce sont essentiellement des souris. Les autres mammifères utilisés sont les lapins dans 4 % des cas, des porcs dans 0,5 %, des carnivores dans 0,1 %, et d’autres espèces dans 0,6 % des cas. En 2019, 416 primates non humains (marmousets, macaques rhesus, babouins, autres singes de l’ancien monde, prosimiens) ont été utilisés à des fins scientifiques ; aucun grand singe (gorille, bonobo, chimpanzé, orang-outan, gibbon et siamang) n’est utilisé. La plupart des animaux utilisés sont élevés en captivité et certaines expériences sont réalisées aussi sur des animaux de la faune sauvage.

Les statistiques ne prennent pas en compte les invertébrés (à l’exception des céphalopodes) alors même que certains comme la mouche drosophile ou le ver nématode Caenorhabditis elegans sont des modèles d’étude importants en recherche.

Toute utilisation d’un animal générant une douleur supérieure à l’introduction d’une aiguille est considérée comme une expérience. Les expériences réalisées bénéficient à l’homme mais également aux autres animaux. Dans plus de 40 % des cas, les expériences sont réalisées dans un but de recherche fondamentale, c’est-à-dire qu’elles visent à accroitre les connaissances en biologie animale comme, par exemple, à comprendre le fonctionnement normal d’un organe. Un tiers des expériences est réalisé par obligation législative ou réglementaire européenne pour valider des médicaments à usage humain ou vétérinaire, ou des appareils médicaux comme des prothèses, et dans une très faible mesure pour contrôler la non dangerosité pour la santé de produits chimiques à usage courant. Presqu’un quart des expériences est réalisé pour de la recherche appliquée sur les maladies humaines ou animales. Les expériences en vue de conservation des espèces animales ou de protection de leur environnement naturel, et les travaux pratiques sur les animaux représentent chacun 2 % des utilisations. Moins de dix animaux sont utilisés dans le cadre d’enquêtes médico-légales.

Les animaux sont utilisés dans des structures agrées : établissements publics, universités ou grands organismes de recherche comme le CNRS, l’Inserm, l’INRAE, et dans des structures privées, telles que l’industrie pharmaceutique ou les entreprises de biotechnologies.

L’Université de Limoges est un établissement dit « utilisateur » d’animaux ; huit de ses laboratoires (CAPTuR, CRIBL, IPPRITT, MMNP, NET, PEIRENE, RESINFIT, XLIM) et trois de ses facultés (Médecine, Pharmacie, Sciences et Techniques) utilisent des animaux. Cinq mille animaux sont utilisés tous les ans au sein de l’Université ; 90 % sont des souris, 5 % des rats, 5 % des poussins mâles et 0,2 % sont des cochons d’Inde. Les deux tiers des animaux sont utilisés dans le cadre de recherches appliquées à des maladies visant à comprendre les mécanismes de développement de ces atteintes ou à étudier des traitements potentiels. Les maladies étudiées à l’Université sont le cancer (lymphome et divers cancers solides), les maladies à dépôt d’immunoglobuline comme l’amylose, les neuropathies des nerfs périphériques, les maladies du foie, le rejet de greffe, et certaines maladies virales. Un tiers des expériences entre dans le domaine fondamental et concerne l’étude du développement du système immunitaire et celui des muscles. Enfin, 10 % des expériences sont faites dans le cadre de travaux pratiques pour la formation d’étudiants en 3ième ou 4ième année et d’internes en chirurgie. Les gestes pratiqués sur les animaux vont de la prise de sang à la chirurgie, réalisée sous anesthésie et antalgique.

3. Le cadre juridique de l’utilisation des animaux 

Le recours des animaux en sciences est cadré, en France, par le décret n° 2013-118 et les cinq arrêtés du 1er février 2013, qui sont une transposition de la directive européenne 2010/63/UE. Cette réglementation vise la protection des animaux spécifiquement utilisés à des fins scientifiques. La première loi de protection des animaux, la loi Grammont, apparait en France en 1850 ; cette loi protège les animaux domestiques des mauvais traitements exercés en public et abusivement. La protection des animaux fait un bond en avant en 1976 avec la notion de sensibilité des animaux qui est reconnue par par la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 (exigence intégrée depuis à l’article L2014-1 du Code Rural et de la Pêche Maritime ou CRPM). Cette loi fait état pour la première fois des animaux de laboratoires et indique qu’il « est interdit d’exercer des mauvais traitements envers les animaux » domestiques, sauvages, tenus en captivité et en laboratoire (article L214-5 du CRPM). En 1986, la Communauté Economique Européenne rédige la directive CEE 86/609 qui est transposée en France dans le décret n° 87/848 du 19 octobre 1987 et les trois arrêtés du 19 avril 1988 ; ces textes cadrent spécifiquement le recours des animaux à des fins scientifiques.

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé Animale (OIE) le bien-être des animaux terrestres, placés sous la responsabilité de l’Homme, se définit sur la base du respect des cinq libertés fondamentales suivantes : 1) absence de faim, de soif et de malnutrition, 2) absence de peur et de détresse, 3) absence de stress physique ou thermique, 4) absence de douleur, de lésions et de maladie, et 5) possibilité pour l’animal d’exprimer les comportements normaux de son espèce. La notion de bien-être animal est consacrée en 1997 dans le traité de l’Union Européenne où il est précisé que « lorsqu’ils … mettent en œuvre la politique de l’Union dans les domaines de l’agriculture…de la recherche… les états membres tiennent pleinement compte des exigences du bien-être animal en tant qu’êtres sensibles ». Le bien-être des animaux de laboratoire est dès lors davantage pris en compte dans la directive 2010/63/UE qui révise le texte de 1986, ce qui renforce d’autant la protection des animaux de laboratoire. Le respect du bien-être doit guider tout acte sur l’animal utilisé à des fins scientifiques et ce tout au long de sa vie. Les actes sont de deux types : l’hébergement et les gestes réalisés sur l’animal lors du soin de base comme lors des expériences.

Concernant l’hébergement, chaque établissement utilisateur d’animaux doit disposer de locaux spécifiques pour héberger les animaux et de dispositifs d’hébergement, cages ou enclos, dont la taille est adaptée à chaque espèce. Une attention particulière doit être portée à l’environnement de l’animal : les odeurs, la lumière, le bruit la température, l’hygrométrie doivent être contrôlés voire régulés. La litière doit être renouvelée de telle façon à garder des odeurs familières pour les animaux. Les animaux, particulièrement les rongeurs qui sont grégaires, doivent être élevés puis maintenus dans un groupe social défini. Les soigneurs qui s’occupent des animaux doivent être, si possible, toujours les mêmes. Les animaux doivent avoir un accès libre à l’eau et à de la nourriture adaptée à leur espèce. L’environnement doit être régulièrement enrichi avec des objets qui vont permettre à l’animal d’exprimer son comportement naturel : ronger pour les souris et les lapins, fouiner pour les porcs, … se cacher, faire des nids, … Les locaux d’hébergement doivent être distincts des laboratoires où les expériences sont réalisées. Tous ces locaux font partie de l’animalerie qui est sous la responsabilité d’un personnel de l’établissement. Le responsable de l’animalerie doit s’assurer que les animaux sont surveillés quotidiennement 365 j par an. Des prélèvements doivent être pratiqués régulièrement pour vérifier l’état sanitaire des animaux ; un vétérinaire référent conseille le responsable d’animalerie sur les mesures à prendre si nécessaire.

Pour que les animaux soient manipulés dans des conditions qui respectent leur bien-être, la réglementation met l’accent sur la formation des soigneurs et des expérimentateurs. Ces personnels doivent avoir suivi une formation qui les sensibilisent à la réglementation et à l’éthique animalières et leur donnent des connaissances de la biologie et de la santé des espèces qu’ils manipulent. Régulièrement ils doivent mettre à jour leurs connaissances dans ces domaines. Ils doivent également être formés aux gestes techniques par des personnels compétents ; l’apprentissage des gestes se fait sous forme de tutorat. Les compétences et les formations suivies sont enregistrées dans un livret sous la responsabilité d’un responsable des compétences pour l’établissement utilisateur.

Tout établissement utilisateur doit mettre en place un comité de conseil sur le bien-être animal. Ce comité appelé Structure du Bien-Etre Animal (SBEA) est coordonné par le responsable bien-être. La SBEA doit déployer toutes les mesures collectives à l’échelle de l’animalerie pour améliorer le bien-être animal et doit suivre l’évolution de chaque projet expérimental.

Tout établissement utilisateur est soumis à des contrôles par un inspecteur vétérinaire du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. Le rapport de l’inspecteur fait état de tous les points mentionnés ci-dessus et conditionne la délivrance par la préfecture d’un agrément ; l’agrément est donné pour six ans mais peut être interrompu à tout moment en cas de preuve de non-respect de la réglementation. Aucun animal ne peut être utilisé à des fins scientifiques dans un établissement sans agrément.

En plus du respect du bien-être animal, la directive 2010/63/EU a gravé dans le marbre l’obligation d’avoir une démarche éthique au préalable de toute utilisation d’animaux à des fins scientifiques. La démarche éthique est basée sur trois principes énoncés en 1959 par les scientifiques Russell et Burch et connus sous le nom de règle des 3R. Cette règle impose de REMPLACER l’approche in vivo par de l’in vitro ou de l’in silico chaque fois que c’est possible et, si c’est impossible, de REDUIRE le nombre d’animaux au strict minimum, et de RAFFINER les méthodes d’étude, c’est-à-dire de réduire, supprimer ou soulager l’inconfort, la douleur, la détresse ou l’angoisse subie par les animaux.

Tout responsable de projet utilisant des animaux se doit de soumettre son projet à l’avis d’un comité d’éthique. Le comité d’éthique dont la composition et le fonctionnement sont sous le contrôle du MESRI réalise une évaluation éthique basée sur le « bénéfice-risque » du projet et la mise en œuvre de la règle des 3R. L’avis éthique est favorable si les avancées scientifiques pour l’Homme ou les animaux sont considérées supérieures aux dommages causés sur les animaux. Le comité d’éthique rend son avis au MESRI qui autorise ou non la réalisation du projet. A noter que le responsable du projet, comme les personnes qui manipulent les animaux, doit avoir aussi suivi une formation de sensibilisation à la réglementation et à l’éthique animalière et délivrant des connaissances de la biologie et de la santé des espèces concernées dans le projet. Ils doivent mettre à jour régulièrement leurs connaissances dans ces domaines.

La réglementation est strictement respectée au sein de l’Université de Limoges, grâce notamment à une réelle coordination entre de nombreux acteurs, de la conception d’un projet à sa réalisation. La présidente de l’Université est responsable in fine de l’utilisation des animaux au sein de son établissement. Elle partage cette responsabilité avec toutes les personnes ayant recours aux animaux : responsables de projet, expérimentateurs, soigneurs, responsable de l’animalerie, responsable des compétences, membres de la SBEA, responsable du bien-être, vétérinaire référent.