Émilie Ropert Dupont, Journalisme et réalité virtuelle. Emotion ou information ?, L’Harmattan, 2017

Angela Anzelmo 

Texte intégral

L’ouvrage d’Emilie Ropert Dupont livre une riche réflexion analytique sur le journalisme immersif, une « technologie qui ne filme plus le réel mais le récrée », à travers deux principaux dispositifs que sont l’image à 360° – une reconstruction totale d’une scène au moyen d’images réelles, et la réalité virtuelle – une reconstitution du réel par l’intermédiaire de l’ordinateur.

L’ouvrage, articulé en trois parties dont chacune comporte un bilan, se focalise globalement sur les notions d’« immersion » et d’« empathie », termes fréquemment associés au journalisme immersif. La première partie traite l’historicité et les caractéristiques des pratiques immersives appliquées à différents domaines (journalistique, artistique et ethnologique) ; la recherche de sens et la constitution du réel sont abordées dans la seconde partie. Enfin, l’analyse de productions de journalisme immersif en fin d’ouvrage vise à caractériser ce qu’il s’opère du côté du spectateur et du producteur et ainsi répondre à la question centrale que soulève ce travail : « l’émotion, suscitée par le journalisme immersif, peut-elle être considérée comme un moyen d’intelligibilité ou un simulacre de participation au monde ? ».

Alors que les concepts de ressemblance, réalité, fiction, orientation, désorientation, croyance, et illusion suscitent des réflexions bien antérieures à l’arrivée de la réalité virtuelle en 2014, Emilie Ropert Dupont, en considérant la seconde appellation du journalisme immersif, le « journalisme expérientiel », s’interroge sur ce que recouvre l’immersion du point de vue de l’émetteur et du récepteur. En effet, les dispositifs sont conçus pour susciter des sensations intenses et, l’émotion du récepteur, générée par l’expérience sensorielle, renforce l’effet immersif ; l’empathie, l’intuition, la perception sont à l’origine de notre compréhension du monde. Toutefois, le fait que l’interprétation passe par l’expérience vécue est nuancé par l’auteure qui convoque le point de vue de Jeanneret (p. 69) selon lequel il demeure essentiel de ne pas réduire la culture à sa seule dimension sensorielle ou expérientielle.

La notion de lecteur modèle projetée par Umberto Eco peut s’appliquer au sujet télévisé dans la mesure où le spectateur se situe dans un horizon d’attentes et formule des hypothèses pendant et après le visionnage. Ces dernières seront alors confirmées et infirmées par son jugement, c’est pourquoi, l’examen des mécanismes de crédulité et d’incrédulité déclenchés par le journalisme immersif, en deuxième partie d’ouvrage, tient toute sa place pour tenter de savoir si cette technologie développe une nouvelle approche de la construction narrative. L’auteure déduit d’ailleurs (p. 112) que crédulité et incrédulité du spectateur ne s’attachent pas à ces dispositifs en soi puisque « les spectateurs exercent déjà leur esprit critique au contact des images télévisées et des images en général ».

La partie « création du réel, identification et croyance : élaboration d’une position au monde et recherche de sens » tend à replacer l’arrivée de la réalité virtuelle dans le contexte de l’histoire et de la philosophie des médias en étayant la réflexion avec des notions connexes comme l’empathie, la réalité, la virtualité, la crédulité, l’incrédulité, la disparition du medium et la place du corps. Un passage est dédié à l’utopie de la communication. Selon l’auteure, attribuer à cette technologie journalistique la caractéristique de la transparence du dispositif reviendrait à croire à un accès direct au réel. Or, l’idée de transmettre le réel, de délivrer une forme de connaissance absolue relève dès lors d’une utopie de la communication (p. 94), tout comme d’une utopie de la transparence supposant la disparition du médium. Convivialité, interactivité, accessibilité, indépendance, immédiateté, dématérialisation, participation et transparence forment un faisceau de caractéristiques prêtées aux nouvelles technologies et plus généralement aux nouveaux médias lors de leur apparition. L’auteur se focalise sur 3 aspects constitutifs d’une utopie de ce que serait le journalisme immersif : la transparence, la fusion et la dématérialisation pour mener un raisonnement à la lumière du travail de Philippe Breton « L’utopie de la communication entre l’idéal de la fusion et la recherche de la transparence ».

Dans la dernière partie, l’auteur s’intéresse au contexte économique, aux axes de développement du journalisme immersif et fait l’analyse de quatre productions par le biais de son observation participante. Il s’agit de voir comment les technologies sont mobilisées par l’utilisateur et d’appréhender la manière dont les auteurs exploitent ces dernières (narration, réalisation, implication du participant, parti pris) pour voir s’il est réellement question d’un nouveau format médiatique. L’analyse menée sur les marques de présence éditoriale dans les productions en journalisme immersif se donne pour but de voir si la démarche tend à estomper le geste éditorial ou si, au contraire, elle vise à accompagner le récepteur en rendant visibles ou audibles des intentions de l’énonciateur.

En fin de lecture, Emilie Ropert Dupont répond aux hypothèses soulevées en début d’ouvrage. Ainsi déduit-elle que la disparition du medium n’est pas corroborée à l’utilisation du dispositif puisque le spectateur a conscience de recourir à cet objet pour accéder aux contenus.

Enfin, si la réalité virtuelle sert à générer l’empathie, l’analyse démontre qu’elle peut être, dans certains cas, utilisée à des fins de lobbying, pour changer le cours des choses, contribuer à une forme de journalisme citoyen et, alors, provoquer une prise de conscience de la part du récepteur en tant que la scène est envisagée comme facteur d’amélioration de l’humanité, de résolution de conflits.