De l’utilité de l’appellation « Serious Game »
Le jeu est-il l’apanage du divertissement ? The underlying purpose of the « Serious Game » designation: are games solely meant for entertainement?

Damien Djaouti 

https://doi.org/10.25965/interfaces-numeriques.1583

Afin de contribuer à la réflexion sur les « disséminations vidéoludiques », cet article s’interroge sur l’appellation même de « Serious Game ». Notre démarche s’appuie sur un corpus de textes visant à définir la notion de « Serious Game », ainsi que sur un corpus de jeux vidéo répondant à sa définition. Nous reviendrons tout d’abord sur les origines historique de l’appellation « Serious Game », afin d’appréhender ce à quoi elle renvoie, ainsi que les raisons de son utilisation actuelle. À partir de ces éléments, nous entamerons ensuite une discussion sur l’utilité de l’appellation « Serious Game », tout en essayant d’identifier en quoi elle interroge éventuellement la notion de « jeu ».

In order to contribute to the analysis of the “disseminations of video games”, this article attempts to examine the “Serious Game” designation itself. Our study relies on a corpus of texts aiming to define what a “Serious Game” is, alongside with a corpus of video games matching its definition. We will begin with a study of the historical origins of the “Serious Game” designation, in order to identify what it refers to, and why it is used today. Using these elements, we will then try to discuss the underlying purpose of the “Serious Game” designation, and how it might challenge the current definitions of “game”.

Sommaire
Texte intégral

1. Introduction

Note de bas de page 1 :

L’utilisation de majuscules est volontaire, l’appellation contemporaine ayant été orthographiée ainsi par ceux l’ayant « définie » et mise en avant (cf. 3.1.).

Les « Serious Games », ou « jeux sérieux », sont actuellement populaires (Alvarez et al., 2012). Mais le fait de mélanger ainsi jeu et travail, jeu et éducation, jeu et communication, jeu et thérapie… n’est pas sans soulever des questions sur la nature des objets et activités résultant de cette rencontre. Par exemple, la qualité « ludique » de certains Serious Games1 n’est pas sans soulever des critiques (Lavigne, 2012), tandis que l’efficacité « sérieuse » d’autres titres est sévèrement mise en doute (Alvarez, 2007, chap. 2). Loin d’être évidentes à résoudre, ces questions nous invitent à réfléchir sur la pertinence même de l’association du « ludique » et du « sérieux ». Dans cette optique, nous proposons à travers cet article de revenir sur la notion de « Serious Game » : Quand et comment cette appellation a-t-elle été inventée ? Et surtout, quelle est son éventuelle utilité ?

Afin de tenter d’apporter une réponse à cette question, nous proposons tout d’abord d’étudier l’origine historique de l’appellation « Serious Game », en nous appuyant à la fois sur un corpus de textes visant à définir cette notion, ainsi que sur un corpus d’objets qui répondent à sa définition. À partir de ces éléments, nous entamons une discussion sur l’utilité de l’appellation « Serious Game », tout en essayant d’identifier en quoi elle interroge éventuellement la notion de « jeu ».

2. Méthodologie

Notre méthodologie d’analyse de l’appellation « Serious Game » repose sur l’étude de deux corpus complémentaires : un corpus de textes définissant cette notion, ainsi qu’un corpus d’objets répondant à sa définition.

2.1. Constitution d’un corpus de textes

Afin d’étudier les définitions de l’appellation Serious Game, nous avons tout d’abord constitué un corpus de textes en effectuant des recherches bibliographique sur le terme « Serious Game », ainsi que sa version francisée « jeu sérieux ». Nous avons ensuite retenu les textes proposant une définition originale de cette notion, c’est-à-dire des travaux qui ne se contentent pas de citer une définition préexistante.

Tableau 1. Corpus de textes étudiés pour la revue de définition du Serious Game

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Afin de contenir le périmètre de notre étude face à la récente explosion du nombre de travaux sur cette thématique, nous avons sélectionné uniquement des textes publiés avant 2010. Ce travail nous a permis de rassembler un corpus composé des 23 textes du tableau 1.

2.2. Constitution d’un corpus de Serious Games

Note de bas de page 2 :

D’après Google Scholar, l’ouvrage de Chen & Michael a été cité 733 fois, celui de Abt 659 fois, et celui de Zyda 633 fois, alors que les autres textes comptent en général moins de 150 citations, à l’image de celui de Sawyer & Rejeski (72 fois) [relevé le 01/09/2014 sur http://scholar.google.com/scholar?q=serious+games]

En plus d’une revue de littérature, nous avons également souhaité étudier directement les objets répondant à la définition de Serious Game. Face à la pluralité de définitions existantes (cf. 3.1), nous avons choisi de constituer un corpus recensant uniquement des jeux vidéo qui répondent à la définition du Serious Game proposée par Chen & Michael (2005), à savoir Tout jeu dont la finalité première est autre que le simple divertissement. Le choix de cette définition parmi celles que nous avons identifiées est principalement motivé par sa très grande influence sur la littérature consacrée aux Serious Games2. Nous avons également considéré le fait qu’elle n’exclut à priori aucune thématique, à l’inverse d’autres définitions. Par exemple, celle de Zyda (2005) n’inclut pas les jeux à vocations artistiques ou sociales dans son champ. De plus, afin de limiter l’envergure du travail de recherche lié à la constitution de ce corpus, nous avons pour l’instant recensé uniquement des jeux sur support informatique ou assimilé, autrement dit des « jeux vidéo ».

Pour chaque jeu du corpus, plusieurs informations sont alors indexées dans notre base de données : titre, date de publication, noms et pays du développeur et de l’éditeur du jeu, support de jeu, mode de distribution… Ces informations de base sont ensuite complétées par les différents critères du système de classification G/P/S. Le modèle G/P/S a été élaboré par nos soins à partir de l’analyse et la synthèse de différents systèmes de classification du Serious Game et du jeu vidéo qui l’ont précédé (Djaouti & al, 2011). Il permet de classifier les Serious Games en s’appuyant sur trois critères permettant de prendre compte simultanément de leurs dimensions « ludique » et « sérieuse » :

Note de bas de page 3 :

Terme anglophone ne possédant pas de traduction française directe. Ce terme renvoie généralement au principe de jeu ou à des notions connexes.

  • Gameplay, basé sur le gameplay3 du Serious Game. Ce critère renseigne sur la dimension « ludique » en donnant des informations sur le type de structure utilisée pour créer le jeu.

  • Permet de (Purpose), basé sur la finalité du Serious Game. Ce critère renseigne sur la ou les vocations dépassant le simple divertissement souhaitées par le concepteur du titre.

  • Secteur (Scope), basé sur les domaines d’applications visés par le « Serious Game ». Ce critère informe sur le type de public (marché, âge…) que le concepteur du titre cherche à atteindre.

Note de bas de page 4 :

La liste complète du corpus est détaillée ici http://serious.gameclassification.com/

Ainsi, pour déterminer si chaque titre est assimilable à un « Serious Game » ou bien un « jeu vidéo destiné au seul divertissement », nous regardons tout simplement les critères « Permet de » et « Secteur ». Si le « Secteur » référencé est autre que « Divertissement » et qu’au moins une des finalités définie par « Permet de » a été attribuée au titre, alors nous considérons qu’il peut intégrer notre corpus. Selon ce protocole, 1 032 contributeurs différents ont référencé un total de 2 968 titres, publiés entre 1951 et 2012, qui remplissent les critères que nous venons de définir4. À noter que ce corpus rassemble des titres sortis avant 2002, qui, bien que présentant aujourd’hui les caractéristiques socio-culturelles d’un « Serious Game », n’ont jamais revendiqué cette appellation à l’époque de leur publication, mais en ont parfois utilisé d’autres comme « edutainment », « ludo-éducatif », « ludo-culturel »

Soulignons également que les données de notre corpus proviennent en grande partie de contributions extérieures. Par exemple, nous avons sollicité de nombreux studios de création de Serious Games pour qu’ils référencent leurs réalisations, et avons également reçu de nombreuses contributions de la part d’autres chercheurs du domaine. De plus, bien que le chiffre de 2 968 Serious Games ou assimilé soit relativement conséquent, il est très loin d’être exhaustif. De nombreux titres manquent à ce corpus, ce qui introduit un certain biais dans l’analyse.

Pour résumer, les données quantitatives exposées dans cet article ne sont pas à prendre pour un reflet exact et exhaustif des Serious Games ou assimilés existants dans le monde. Mais, après plus de six années passées à constituer ce corpus, il s’agit, à la date d’écriture de cet article, de la plus grande liste de « jeux vidéo dont la finalité première est autre que le simple divertissement » disponible. Faute de l’existence d’une base de données plus complète en la matière, nous estimons donc que ce corpus permet d’illustrer certaines tendances générales du domaine.

3. Étude des corpus de textes et de Serious Games

Nous proposons tout d’abord de revenir sur les différentes définitions du « Serious Game » présentes dans notre corpus de textes, avant d’étudier les objets auxquels elles renvoient dans notre corpus de jeux vidéo.

3.1. Quelques définitions du Serious Game

3.1.1. Origines historiques

Note de bas de page 5 :

Games may be played seriously or casually. We are concerned with serious games in the sense that these games have an explicit and carefully thought-out educational purpose and are not intended to be played primarily for amusement. This does not mean that serious games are not, or should not be, entertaining.

Si les origines de l’appellation « Serious Game » semblent remonter jusqu’à l’époque de la Renaissance avec l’expression serio ludere (Alvarez & Djaouti, 2010), sa première définition formalisée semble être celle proposée dans l’ouvrage Serious Games (Abt, 1970). Dans ce livre, Clark Abt, un chercheur américain ayant travaillé sur le potentiel du jeu pour la formation militaire pendant la guerre froide, propose de nombreux exemples de jeux traitant des mathématiques ou des sciences humaines, destinés à être utilisés dans un cadre scolaire civil. Son approche du « Serious Game » est la suivante : Les jeux peuvent être joués de manière sérieuse ou en dilettante. Nous considérons comme serious games les jeux explicitement et intentionnellement conçus à des fins éducatives, et qui ne sont pas principalement destinés au divertissement. Cela n’implique aucunement que les serious games ne soient pas, ou ne doivent pas, être amusants5.

Note de bas de page 6 :

[America’s Army] was the first successful and well-executed serious game that gained total public awareness.

Au-delà de cette définition historiquement importante, la vague actuelle de Serious Games semble globalement s’inscrire dans le sillage d’un livre blanc intitulé Serious Games : Improving Public Policy through Game-based Learning and Simulation (Sawyer & Rejeski, 2002). Comme son titre le laisse supposer, il s’agit d’un appel à l’utilisation du savoir et des technologies issues de l’industrie du jeu vidéo de divertissement pour améliorer les simulations et autres outils d’apprentissage utilisés dans les institutions publiques. Cependant, à l’exception de son titre, ce livre blanc ne fait jamais mention de l’appellation « Serious Game ». À l’origine, Ben Sawyer, qui a rédigé ce texte, n’avait même pas employé cette appellation dans le titre. D’après Sawyer (Quillet, 2007), l’emploi de cette appellation vient de son collègue David Rejeski, qui, inspiré par la lecture d’un ouvrage intitulé Serious Play, a modifié le titre du livre blanc pour y inclure l’appellation « Serious Games ». Ce livre blanc est ensuite suivi par la création de la Serious Games Initiative, une association fondée par les deux hommes afin de promouvoir l’usage du jeu vidéo en dehors du secteur du divertissement. Cela permet à l’appellation « Serious Game » de gagner progressivement en popularité (Sawyer, 2009). Quelques mois après la publication de ce livre blanc, l’armée américaine lance publiquement le jeu vidéo America’s Army (Virtual Heroes, 2002), que Sawyer érige en fer de lance du mouvement qu’il cherche à lancer : [America’s Army] est le premier Serious Game réussi et de qualité a avoir massivement attiré l’intérêt du grand public6 (Gudmundsen, 2006).

3.1.2. Définitions actuelles

Note de bas de page 7 :

Games that do not have entertainment, enjoyment or fun as their primary purpose.

La combinaison du succès populaire d’America’s Army avec les efforts de Sawyer et Rejeski nous invitent à définir l’année 2002 comme le point de départ de la « vague actuelle » des Serious Games. Dans les années qui suivent, de nombreux jeux vidéo sont réalisés pour servir des finalités dites « sérieuses » (cf. 3.2.). Ils sont accompagnés par plusieurs tentatives de définition des « Serious Games ». La plus simple, que nous avons déjà mentionnée (cf. 2.2.), est celle proposée par les concepteurs de jeux vidéo Chen & Michael (2005) : Tout jeu dont la finalité première est autre que le simple divertissement7.

Note de bas de page 8 :

A mental contest, played with a computer in accordance with specific rules, that uses entertainment, to further government or corporate training, education, health, public policy, and strategic communication objectives.

Dans le même temps, Zyda (2005), un chercheur américain ayant participé au développement d’America’s Army, propose une définition plus spécifique : Un défi cérébral contre un ordinateur impliquant le respect de règles précises, et qui s’appuie sur le divertissement pour atteindre des objectifs liés à la formation institutionnelle ou professionnelle, l’éducation, la santé, la politique intérieure et la communication8.

De son côté le chercheur français Alvarez (2007, 51) en propose une plus complète : Application informatique, dont l’intention initiale est de combiner, avec cohérence, à la fois des aspects sérieux (Serious) tels, de manière non exhaustive et non exclusive, l’enseignement, l’apprentissage, la communication, ou encore l’information, avec des ressorts ludiques issus du jeu vidéo (Game).

Note de bas de page 9 :

Serious Games are defined as digital games and equipment with an agenda of educational design and beyond entertainment. Serious Games have learning as a distinct keyword and include, among others, learning games, educational games, training games, business games, and games promoting physical play; and they cross a variety of topics, target groups and contexts.

D’autres chercheurs, comme Sørensen & Meyer (2007) en font de même : Les Serious Games sont définis comme des jeux vidéo destinés à l’éducation ou à des finalités autres que le divertissement. « Apprentissage » est un mot-clé majeur des Serious Games, qui regroupent, entre autres, les jeux éducatifs, les jeux d’entraînement, les jeux d’entreprise, les jeux d’exercice physique… Ils rassemblent une diversité de thématiques, publics et contextes9.

Note de bas de page 10 :

Any meaningful use of computerized game/game industry resources whose chief mission is not entertainment.

Enfin, ces tentatives semblent conduire Sawyer (2007) à formaliser sa propre définition : Toute utilisation pertinente des technologies issues de l’industrie du jeu vidéo à des fins autres que le divertissement10.

3.1.3. Une appellation qui ne fait pas l’unanimité

Ces diverses définitions semblent toutes être porteuses de la même volonté : mettre en relation une finalité sérieuse avec des jeux vidéo. Pour autant, l’appellation « Serious Game » n’est pas la seule à porter une telle volonté. Dans un article très critique sur le sujet, Corti (2007) réclame l’élargissement des définitions usuelles du Serious Game. Il explique que certains acteurs de l’industrie ne se reconnaissent pas dans cette appellation, et lui en préfèrent d’autres comme « Game-Based Learning » ou « Simulation ». Le grand nombre d’appellations existantes pour désigner un jeu dont la finalité première est autre que le simple divertissement en témoigne, tel que relevé par Sawyer & Smith (2008) : Educational Games, Simulation, Virtual Reality, Alternative Purpose Games, Edutainment, Digital Game-Based Learning, Immersive Learning Simulations, Social Impact Games, Persuasive Games, Games for Change, Games for Good, Synthetic Learning Environments, Games with an Agenda…

Cette multitude d’appellations reflète autant le nombre conséquent d’acteurs qui s’intéressent au Serious Game que la diversité de leurs approches. En effet, sans pour autant proposer une analyse et un point de vue véritablement formalisés, chaque acteur possède une vision propre du « Serious Game » selon son secteur d’origine : enseignant, concepteur de simulation professionnelle, éditeur de jeu vidéo, groupe médiatique… Cette diversité des acteurs nous conduit à aborder une question fondamentale : quelles sont les réalités recouvertes par la notion de « sérieux » dans l’appellation « Serious Game » ? Dans les définitions que nous venons d’étudier, la notion de « sérieux » semble renvoyer aussi bien à des finalités publicitaire, pédagogique, médicale, sociale, voire même artistique. Il semble pourtant qu’il s’agisse là de finalités très différentes. Comment rapprocher la diffusion de messages marketing avec la transmission de savoirs permettant de développer l’esprit critique ? Comment associer l’entraînement à la pratique de gestes chirurgicaux avec un commentaire sur l’actualité internationale ? C’est pourtant ce que fait la notion de « sérieux » dans l’appellation « Serious Game ». D’après la définition de Sørensen & Meyer (cf. 3.1.2.), cette couverture particulièrement large est même sa principale force.

Note de bas de page 11 :

Whether you like the term or not (I don't, for the record), "serious games" has served this purpose reasonably well. It has given its advocates a way to frame the uses of games in governmental and industrial contexts, by making the claim that games can tackle consequential topics and provide profound results. When people complain that "serious games" is an oxymoron miss the point: it's supposed to be an oxymoron. When people hear "serious games," this contradiction is foregrounded and silently resolved.

Bogost (2011) abonde dans ce sens lors de son analyse de la construction rhétorique de cette appellation. Pour lui, l’appellation « Serious Game » est suffisamment bien construite pour arriver à faire oublier les contradictions dont elle est porteuse : Que vous aimiez ou non cette appellation (moi je ne l’aime pas), “serious games” a plutôt bien rempli sa mission. Elle a aidée ses défenseurs à introduire les jeux dans des contextes industriels et gouvernementaux, par l’affirmation que les jeux peuvent aborder des sujets importants tout en amenant des résultats pertinents. Quand les gens se plaignent que “serious games” est un oxymore, ils n’ont rien compris : c’est supposé être un oxymore. Quand les gens entendent “serious games”, cette contradiction est clairement affichée, et par là même discrètement résolue.11

Ainsi, le flou qui entoure le contour du « sérieux », et son interaction avec le « jeu », permet à une grande diversité d’acteurs de se reconnaître dans l’appellation « Serious Game », qu’ils soient producteurs, acheteurs ou usagers des objets ainsi nommés. Nous observons là l’idée qu’une appellation peut tout à fait servir une finalité malgré des faiblesses dans sa définition, tant que sa construction rhétorique est efficace.

3.2. Évolution des Serious Games et de leurs ancêtres dans le temps

D’après cette revue, non exhaustive, de définitions, l’appellation « Serious Game » serait donc utilisée massivement, mais pas exclusivement, depuis 2002. Mais les « Serious Games » vidéoludiques sont-ils réellement apparus en 2002, où existaient-ils auparavant ?

Observons la répartition des années de publication de notre corpus de 2 968 jeux vidéo dont la finalité première est autre que le simple divertissement (cf. 2.1.) :

Figure 1. Nombre de titres de notre corpus publiés chaque année

Figure 1. Nombre de titres de notre corpus publiés chaque année

Nous constatons tout d’abord que le nombre de jeux publiés dans les années 2000 est plus important que les années précédentes, ce qui semble confirmer l’importance donnée à la « vague actuelle » lancée par Sawyer & Rejeski. Nous remarquons cependant que de nombreux jeux correspondant aux définitions actuelles du « Serious Game » ont été publiés avant l’année 2002. Ces « ancêtres » des Serious Games remontent même jusqu’au début de l’histoire du jeu vidéo. En effet, les premiers jeux sur support informatique, alors inventés par des chercheurs, n’étaient pas destinés au divertissement (Alvarez & Djaouti, 2010). Par exemple, Tennis For Two (William Higinbotham, 1958) tentait de rassurer les habitants d’une ville abritant un centre de recherche sur le nucléaire quant aux effets bénéfiques de ses travaux scientifiques. Au-delà des jeux pionniers réservés aux laboratoires de recherche, la première console vidéoludique de salon, la Magnavox Odyssey (Ralph Baer, 1972), propose à la fois des jeux de divertissement, tels que Tennis, Haunted House et Roulette, et des jeux à caractère éducatif, à l’image d’Analogic, States et Simon Says.

Au fur et à mesure du développement de l’industrie du jeu vidéo en tant que secteur de divertissement, de nombreux autres titres ont suivi ces exemples pionniers. Commercialisés selon des modalités identiques aux titres de divertissement, ces jeux vidéo visent cependant des finalités qui s’en écartent. L’appellation « Serious Game » n’ayant pas encore été « relancée » par Sawyer & Rejeski, ces titres ont recours à d’autres appellations pour marquer leurs différences. Par exemple, The Oregon Trail (MECC, 1971) est un jeu pour ordinateur destiné à enseigner la période historique de la conquête de l’ouest aux élèves américains. Ce populaire titre éducatif, qui a connu de nombreuses suites et adaptations au fil des ans, est une des figures de proue de l’edutainment, appellation traduite en français par « ludo-éducatif ». Dans un autre registre, Versailles : complot à la cour du Roi Soleil (Cryo, 1997) permet aux joueurs d’enrichir leur culture sur le célèbre palais royal, d’où son utilisation de l’appellation « ludo-culturel ».

Et il ne s’agit là que de quelques exemples des nombreux jeux vidéo que nous avons recensés au sein de notre corpus. Face à cette multitude d’ancêtres de « Serious Games » publiés avant 2002, nous pouvons légitimement nous interroger sur les raisons qui ont conduit à introduire cette appellation à partir de cette date. Après tout, si ce type de jeu vidéo existe depuis les années 1950, pourquoi attendre près d’un demi-siècle pour leur attribuer un vocable spécifique ?

4. Discussion: de l’utilité de l’appellation « Serious Game »

Si plusieurs facteurs peuvent être avancés pour expliquer ce phénomène, le principal semble être la prédominance des jeux vidéo destinés au seul divertissement, et plus particulièrement l’image négative dont ils souffrent au sein de la société civile américaine.

4.1. Besoin historique de l’appellation « Serious Games »

De nombreux travaux sont consacrés à l’histoire du jeu vidéo en tant que divertissement. Nous pouvons y identifier des éléments ayant construit une image particulière du jeu vidéo aux États-Unis. Ces éléments sont de deux types : les stratégies commerciales qui inscrivent le jeu vidéo comme une activité de loisir destinée aux enfants, et les polémiques qui remettent en question leur pertinence.

4.1.1. Le jeu vidéo comme loisir pour enfants

Comme nous l’avons évoqué (cf. 3.2.), les premières consoles de salon sont vendues comme des systèmes potentiellement éducatifs, à l’image de l’Odyssey en 1972. Mais les jeux les plus rentables sur ces machines sont généralement des adaptations de titres disponibles en arcade, uniquement pensés pour divertir l’utilisateur. Par exemple, le jeu le plus vendu sur la VCS 2600 est l’adaptation de Pac-man (Namco, 1980), qui atteint le score honorable de 7 millions de cartouches vendues entre 1982 et 1983. C’est à cette date que l’industrie américaine du jeu vidéo connaît sa première crise d’envergure, au point de faire penser aux revendeurs américains que le jeu vidéo n’est qu’une mode passagère. Si Nintendo connaît un véritable succès commercial en 1983 en lançant sa console Famicom au Japon, cette crise complique son lancement sur le marché américain. Le fabricant nippon doit donc adapter sa stratégie de communication pour éviter de parler de « jeu vidéo ». Il avance alors le terme de « système de divertissement », et renomme sa console Nintendo Entertainment System (NES). Un jouet en forme de robot automate est également inclus dans la boîte afin que les revendeurs américains l’acceptent dans leurs rayonnages (Kent, 2001).

Si cette stratégie de communication, renforcée par des publicités ciblant les enfants, amène un immense succès commercial à la firme, elle contribue en parallèle à inscrire les jeux vidéo comme un loisir « réservé aux enfants » au sein de la société civile américaine. De plus, le modèle économique de Nintendo implique que, pour sortir un jeu sur sa console, qui domine le marché, les développeurs doivent adhérer à une politique de contrôle du contenu des titres dénommé Nintendo Content Policy. Il s’agit d’une charte interdisant formellement aux développeurs de créer des jeux vidéo traitant de sujets considérés par Nintendo comme « inadaptés à une cible enfantine », telle que la violence, le sexe, la religion ou la politique (Kent, 2001).

4.1.2. Un loisir pour enfants au contenu inapproprié

Cette vision du jeu vidéo permet de comprendre les diverses polémiques engendrées par la publication de jeux vidéo à caractère violent. Ainsi, la sortie de Mortal Kombat (Acclaim, 1992) déclenche une polémique qui amène le législateur américain à pousser l’industrie vidéoludique à mettre en place un système permettant d’évaluer le contenu des jeux. Baptisé ESRB, il est adopté dès 1994 et inspire les systèmes analogues que l’on trouve dans d’autres régions du monde, dont le PEGI utilisé en Europe (Kent, 2001).

Pour autant, l’apposition de logos indiquant un âge d’utilisation conseillé ne suffit pas à mettre fin aux polémiques d’ordre moral autour du jeu vidéo, en tout cas aux États-Unis. En 1999, le drame de Columbine déclenche un débat médiatique d’envergure nationale, les deux tueurs étant apparemment de grands amateurs du jeu Doom (id Software, 1993). Sans rentrer dans le détail d’une polémique complexe, retenons néanmoins les interventions du lieutenant colonel Dave Grossman, qui accuse ouvertement l’armée américaine d’utiliser Doom à des fins peu glorieuses (Grossman & Degaetano, 1999). Bien que ses arguments furent critiqués par la suite (Berget, 2013), cet ancien militaire suit un raisonnement qui illustre assez bien l’image du jeu vidéo pour la société civile américaine de l’époque. Il part du principe que les jeux vidéo s’adressent aux enfants, mais constate que de nombreux jeux proposent un contenu violent et guerrier. Cette conviction est d’ailleurs renforcée par l’existence de Marine Doom (U.S. Army, 1996), un mod de Doom II utilisé par l’armée américaine à des fins d’entraînement.

4.1.3. Du jeu vidéo au « Serious Game »

Si l’étude de ces polémiques sort du cadre de notre article, nous retiendrons qu’à l’aube des années 2000, l’image du jeu vidéo est très négative pour une partie de la population américaine. Alors, lorsque le colonel E. Casey Wardy propose, en 1999, le projet America’s Army à ses supérieurs, il semble évident que le qualifier de « jeu vidéo » serait mal vu par l’opinion publique. Hasard du calendrier ou convergence d’influences, le jeu est présenté au public en 2002. Soit l’année de la publication du livre blanc de Sawyer, qui popularise l’utilisation de l’appellation « Serious Game » (cf. 3.1.), dont America’s Army devient un des fers de lance. Par la force des choses, cette appellation est donc utilisée pour pouvoir utiliser le jeu vidéo dans des secteurs autres que celui des loisirs, tout en évitant de déclencher de nouvelles polémiques dans la société civile américaine. Ainsi, si elle désigne des « jeux à vocation utilitaire » (Alvarez, 2007), l’appellation « Serious Game », dans son usage depuis 2002, est en elle-même porteuse d’une finalité utilitaire : légitimer, aux yeux du grand public, l’usage du jeu vidéo en dehors de la sphère du divertissement.

Les États-Unis ne sont pas le seul pays à avoir vécu de telles polémiques. L’Europe en a également connu avec quelques années de décalage (Berget, 2013), notamment avec la publication de Carmageddon (Stainless Software, 1997) et Grand Theft Auto (DMA Design, 1997). Cela explique sûrement que l’appellation « Serious Game » ait gagné en popularité en Europe à partir du milieu des années 2000, d’une manière analogue aux États-Unis. Mais c’est n’est pas le cas de tous les pays, par exemple le Japon. Si effectivement la majorité des titres japonais s’adressent à un public jeune, la sortie de jeux comme Dr Kawashima’s Brain Training (Nintendo, 2005), destiné à un public plus âgé et visant une finalité de renforcement cognitif, n’a pas nécessité l’emploi d’un terme spécifique (Fujimoto, 2007). Par essence, un jeu vidéo sortant au Japon peut s’adresser à tout type de public et traiter de nombreux sujets, sans que l’opinion publique en soit forcément choquée comme ce fut le cas en Europe ou aux États-Unis. Le recours à une appellation telle que « Serious Game » n’y fut donc pas nécessaire.

4.2. Les effets de l’appellation « Serious Game »

Maintenant que nous avons identifié l’utilité espérée de l’appellation « Serious Game », nous pouvons nous interroger sur son éventuel effet. En d’autres termes, l’introduction de ce terme a-t-elle réellement permis d’étendre l’utilisation du jeu vidéo au-delà du secteur des loisirs ?

4.2.1. Différences entre les « Serious Games » et leurs ancêtres

Pour tenter d’apporter une réponse à cette question, il nous faut reprendre notre corpus de 2 968 titres à la recherche de différences entre les jeux sortis avant 2002 et ceux publiés après. Nous avons alors analysé séparément la répartition des secteurs d’applications (Djaouti et al, 2011), représentés dans nos données par le critère « secteur » du modèle classificatoire utilisé (cf. 2.2), pour les titres sortis entre 1951 et 2001 (les « ancêtres », soit 1 176 jeux) et ceux sortis depuis 2002 (la « vague actuelle », soit 1 792 jeux).

Sur les 1 176 « ancêtres » des Serious Games de notre corpus, 66 % d’entre eux ont été conçus pour le marché de l’éducation. Nous observons également 10 % de jeux destinés à des fins publicitaires, et 8 % qui traitent d’écologie. Les autres secteurs représentent chacun moins de 2 % des titres. D’après ces données, les « ancêtres » des Serious Games sont majoritairement des jeux vidéo à caractère éducatif. La situation est différente du côté des jeux de la « vague actuelle », dans laquelle la part de l’éducation n’est plus que de 28 %. En conséquence, les autres secteurs voient leur part augmenter, en particulier le secteur de la publicité qui représente dorénavant 24 % des titres. Les autres marchés, qui étaient pour la plupart sous la barre des 2 %, se situent dorénavant dans une fourchette comprise entre 4 % et 10 % des jeux.

Figure 2. Marchés visés par les ancêtres des Serious Games,
sortis avant 2002 (1 176 titres)

Figure 2. Marchés visés par les ancêtres des Serious Games, sortis avant 2002 (1 176 titres)

Figure 3. Marchés visés par les Serious Games sortis à partir de 2002
(1 792 titres)

Figure 3. Marchés visés par les Serious Games sortis à partir de 2002 (1 792 titres)

Au final, nous constatons que la plupart des ancêtres des Serious Games sont des « jeux éducatifs », contrairement aux titres de la vague actuelle. D’après ces données, nous pouvons donc penser que l’appellation « Serious Game » permet à la « vague actuelle » de s’inscrire dans une plus large variété de secteurs. Nous remarquons également un plus grand nombre de titres présents au sein de la « vague actuelle ». En effet, les 1 176 ancêtres des Serious Games de notre corpus sont sortis entre 1951 et 2001 (50 ans), alors que les 1 792 Serious Games de la « vague actuelle » n’ont été publiés qu’entre 2002 et 2012 (10 ans). Comparés à leurs prédécesseurs, les jeux vidéo de notre corpus sortis après le recours à l’appellation « Serious Game » sont donc à la fois plus nombreux, et plus variés en matière de thématiques abordées.

4.2.2. Autres éléments distinctifs

Notons également que l’appellation « Serious Game » semble aussi avoir contribué à les doter d’un modèle économique spécifique (Alvarez et al., 2012). Alors que les ancêtres des Serious Games étaient généralement commercialisés de la même manière que les jeux de divertissement (cf. 3.2.), la plupart des Serious Games actuels sont directement financés par un commanditaire, qui le diffuse ensuite gratuitement au public visé (grand public, membre d’une entreprise ou institution, étudiants…).

Note de bas de page 12 :

Une recherche Google sur « Serious Game » renvoie 627.000 résultats, contre 450.000 résultats pour « Game-Based Learning » [relevé le 01-09-2014].

Note de bas de page 13 :

Une recherche Google sur « Gamification » renvoie 7.440.000 résultats [relevé le 01-09-2014]

Note de bas de page 14 :

http://www.google.com/trends/explore#q=%22gamification%22 [relevé le 12-09-2014]

Rappelons cependant que l’appellation « Serious Game » n’est pas la seule à être utilisée dans cette optique (cf. 3.1.3.). Ainsi, l’appellation « Game-Based Learning », qui vise à légitimer l’utilisation du jeu dans l’éducation, est, à la date d’écriture de cet article, presque aussi employée que l’appellation « Serious Game »12. De même, l’appellation « Gamification », même si elle sert une finalité différente, semble aujourd’hui largement plus courante que « Serious Game »13, alors qu’elle n’est employée massivement que depuis 201014.

Au final, s’il semble donc scientifiquement impossible d’évaluer précisément les effets uniques de l’appellation « Serious Game », nous pouvons supposer que son utilisation, en complément d’autres facteurs et d’autres appellations, semble bel et bien avoir renforcé l’inscription du jeu vidéo dans des sphères autres que celles du divertissement.

5. Conclusion

Afin d’essayer d’apporter un éclairage sur l’utilité de l’appellation « Serious Game », nous avons commencé par revenir sur ses origines historique. Ce travail nous aide à expliquer pourquoi l’appellation Serious Game est employée de nos jours. Pour résumer, une perception culturelle négative du jeu vidéo aux États-Unis a engendré l’utilisation d’un nouveau terme, afin d’être en mesure de proposer des jeux vidéo visant des secteurs d’application différents de celui des loisirs et du divertissement. Ainsi, les Serious Games ne seraient finalement que des jeux vidéo, qui possèdent pour principale caractéristique de ne plus viser le segment de marché du « divertissement ».

Pour autant, il faut relativiser la scientificité de cette définition, au regard de la confrontation qu’elle semble soulever avec la notion de « jeu ». Par exemple, nous pouvons noter que, du point de vue du « jeu » en tant qu’activité, la notion de « Serious Game » est très problématique : la finalité sérieuse n’entre-t-elle pas en conflit avec les critères de « futilité » et de « liberté » propres au jeu (Caillois, 1967) ? Si les discussions autour de ce point sont complexes et toujours d’actualité (Brougère, 2005), le courant du Serious Game semble quant à lui avoir réussi à l’évacuer complètement. En effet, à la lecture des différentes définitions présentées dans cet article (cf. 3.1.), il est frappant de voir que le « jeu » y est uniquement considéré comme un « objet », dont la seule spécificité est que son concepteur souhaite l’inscrire dans un champ autre que le divertissement. Le fait que cet objet soit effectivement utilisé dans le cadre d’une « activité » censée mêler jeu et apprentissage, jeu et communication, jeu et santé… n’est donc pas analysé scientifiquement dans la plupart des textes que nous avons étudiés, car focalisés sur « l’objet ». Cela nous renvoie encore à l’utilité de l’appellation « Serious Game » : loin de se prétendre une définition scientifique solide, elle est plutôt à considérer comme une « appellation marketing » permettant d’aborder la question du « jeu » dans des secteurs d’application où il est généralement mal perçu (éducation, santé, etc.). Comme le souligne Bogost (2011), il s’agit ici finalement d’une « construction rhétorique » plutôt que d’un concept scientifique.

Mais, au fond, est-ce véritablement problématique ? Car, malgré sa vocation essentiellement « rhétorique », cette appellation semble avoir depuis 2002 contribué à légitimer l’utilisation du jeu vidéo en dehors de la sphère du divertissement. En effet, les Serious Games actuels que nous avons pu étudier dans notre corpus de 2 968 titres se démarquent de leurs ancêtres par un nombre plus élevé, un modèle économique spécifique et surtout une plus grande variété thématique. Cette appellation en tant que telle est sûrement loin d’être le seul facteur pouvant expliquer cette évolution. Mais, à partir des éléments, non exhaustifs, dont nous disposons, nous pouvons supposer qu’elle a bel et bien participé à modifier la perception, ou tout du moins l’usage effectif, du jeu au sein de la société américaine et européenne. Ce faisant, est-ce que l’appellation Serious Game ne questionne pas également la définition du « jeu » ?

Car, si l’application des définitions classiques du jeu aux Serious Games reste ouverte, notamment en ce qui concerne la nature exacte des activités qu’ils offrent au joueur, ces derniers semblent néanmoins contribuer à faire évoluer la définition culturelle du « jeu ». Cette influence nous semble comparable à celle qu’ont eue les jeux mécaniques, électroniques et vidéo sur le jeu traditionnel. Initialement, l’existence de « machines à jouer », telles que les flippers, était perçue de manière très négative par Caillois (1967) : Pour qui est persuadé de la fécondité culturelle des jeux, au point d’y voir un des facteurs principaux de la civilisation, l’existence et le succès des appareils à sous ne peuvent que révéler une faille dans le système. […] [V]oici qu’il rencontre des jeux vides, des jeux nuls, qui n’exigent rien du joueur et qui sont simple et stérile consommation de loisir. [p. 354-355]. Mais avec le temps et l’avènement des jeux vidéo, y compris celui des jeux d’arcade, la définition culturelle de ce qu’est le « jeu » a fini par évoluer. Et il en va de même pour les définitions dites classiques du jeu (Triclot, 2011). Si les jeux vidéo ont contribué à légitimer la pratique du jeu en solitaire avec une machine, le courant du Serious Game semble quant à lui pouvoir, avec le temps, participer à modifier l’association culturelle entre « jeu » et « loisir ».

Au final, cela nous renvoie à la construction profondément socioculturelle de la notion de « jeu », qui rend sa définition particulièrement complexe à saisir (Brougère, 2005). En tant que « construction rhétorique efficace » (Bogost, 2011), nous émettons donc l’hypothèse que l’appellation « Serious Game » fait partie des nombreuses influences participant aujourd’hui à la construction culturelle de la notion de « jeu », et pourrait, à terme, potentiellement remettre en question son rattachement exclusif à la sphère des « loisirs ». Afin d’éprouver cette hypothèse, il faudrait maintenant tenter d’identifier plus en détail les différentes influences participant à la notion contemporaine de « jeu », et les confronter aux usages réels, et non plus seulement aux définitions théoriques, du Serious Game.