AAC Volume 11, n°3|2022

Numérique éducatif, interactions et socialisation

Numéro dirigé par Gaëlle Lefer Sauvage
et Cendrine Mercier

Sortie du numéro en mai 2022

Date limite de réception des propositions : 10 février 2022

L'association des termes « social » et « numérique » peut a priori nous interroger lorsqu’ils sont côte-à-côte, surtout dans notre société du « sans contact » (Girard, 2020). Mais comprendre les transformations des interactions sociales potentielles, probables, effectives, redoutées entre les personnes, à travers le numérique, c’est se positionner dans une forme anthropologique du rapport au monde qu’il s’agira de décrire, d’observer, et de comprendre. Le numérique est entendu ici dans son usage restreint, en tant que technologie éducative (logiciels, plateforme, dispositif, etc.), outil et instrument médiateurs et médiatisateurs (Rabardel, 1995), utilisés dans le milieu particulier de l'éducation et en contextes ; il n'inclut pas le design de ses différentes strates interreliées – strate des sciences des techniques numériques, strate des objets matériels et logiciels numériques, celle des usages et non-usages (Pignier, 2020).

Le terme « social » est appréhendé sous deux aspects : les interactions sociales et les collectifs. Les interactions sont un état d'esprit tourné vers l'autre avec des attitudes et des comportements permettant aux personnes d'être dans une activité réciproque et interdépendante (Tisseron, 2020) ; la construction de collectifs ou de communautés (Auray, 2017), renvoie à la théorie de l'activité collective, regroupant des acteurs poursuivant des objectifs différents pré-établis avant même la constitution d'un groupe (collectif) ou après (communauté) (Wenger, 1998). Les outils technologiques et instruments médiateurs peuvent participer aux renforcements des interactions sociales (Mercier et al., 2018 ; Mercier et Lefer Sauvage, 2017) et des communautés, mais ces dernières restent dépendantes des contextes d'enseignement-apprentissage, avec la prise en compte des particularités des élèves, des inégalités etc. (Mercier et al., 2018; Tricot, 2020).

Plus généralement, c'est la forme anthropologique de l'interaction et de la communauté qui est questionnée ici : quelle place peut y prendre le numérique ? Comment le numérique participe-t-il à leur genèse ? Est-on dans un « connectivisme » (Siemens, 2005), dans un « interactionnisme du tiers lieux » (Azam et al., 2015), dans une « société sans contact » (Girard, 2020) ou dans autre chose ?

Les travaux sur l’inclusion du numérique dans nos sociétés et leur acceptabilité sont décrits depuis une trentaine d’années (Assude, 2019 ; Davis, 1989 ; Dubois et Bobillier-Chaumon, 2009 ; Tricot et al., 2013 ; Venkatech, 2000). Ils mettent en valeur un ensemble de conditions et processus, notamment intra-personnels, inter-personnels, socio-organisationnels, identitaires et professionnels, mais aussi techniques et ergonomiques, participant à leur acceptation. Mais la question demeure : en quoi l'implémentation d’un outil, d’une ressource, et l’appropriation dans l’usage et par l’usage, participe, modifie, interfère, ou ne transforme en rien, les relations et interactions (entre humains, entre humains et technologies) ?

Les auteurs pourront décliner leurs travaux dans le contexte du numérique éducatif, dans une approche mobilisant les sciences de la communication fondamentalement, mais aussi les sciences de l'éducation et la psychologie. Les questionnements thématiques suivant sont possibles (sans que cette liste ne soit exhaustive) :

  • Le numérique favorise-t-il ou détériore-t-il de nouvelles formes de sociabilités et d’accompagnement, que ce soit dans la relation entre les apprenants, entre les apprenants et le savoir ou encore entre les apprenants et les enseignants ou les institutions ? Comment mesurer l’impact de ces nouvelles interactions et entrées en contact dans l’évolution du monde l’éducation ? Ces interactions permettent-elles de lutter contre les inégalités sociales à l'école ou créent-elles d’autres formes d’inégalités ? Comment les technologies modifient-elles le rapport à l’altérité (Brandone et al., 2007) et à la différence (notamment, entre les filles et les garçons, entre les personnes de différentes cultures, entre les personnes présentant des besoins éducatifs particuliers et les autres, etc.) ?

  • Comment le numérique modifie-t-il les rapports aux autres dans les institutions ? Les constructions de collectif, à travers des associations promotrices du libre (April, Linux, communauté Debian, etc.) pourraient-elles permettre de développer de nouvelles formes de démocratie tempérées par la compétence technique (Auray, 2017) ? Comment la période de COVID-19 participe au mouvement de sécurité des systèmes d'informations ? De nouvelles formes de ruptures, mais aussi des continuités entre les rapports sociaux, les formes d’apprentissage et de rapports aux savoirs à travers des communautés humaines en réseau (Siemens, 2005) ou des systèmes d’activités conçus au sein de communauté (Engeström, 1987/2015) sont encore à éclaircir. Un focus sur l’hybridation mise en place par les acteurs de terrains (notamment les Directions Académiques au Numérique, les parents, les enseignants, etc.) pourrait être une piste intéressante pour comprendre ces potentielles nouvelles formes de structurations sociétales, institutionnelles ou associatives liées à l’École. Toutefois, ces formes d'hybridation doivent-elles nécessairement être fondées sur les technologies numériques ? Peut-on parler d'hybridation sans outils numériques ? En quoi ces technologies numériques freinent l’activité créatrice ?

  • L’accès ouvert à d’innombrables ressources numériques avec Internet met à la portée de tous une offre culturelle inédite. Pour autant, il est constaté de grandes inégalités d’accès tant pour des raisons économiques, territoriales ou techniques que culturelles. À la suite de la « fracture sociale », le concept de « fracture numérique » (Plantard, 2014) est critiqué et implique le « non-usage ». En plus du manque d'accès, c'est l'ensemble d'une culture en acte qui n'est pas accessible : le milieu pédagogique attribue aux élèves des connaissances en lien avec les outils numériques qui ne sont pas explicitées. Les pratiques numériques des élèves en milieu scolaire ou dans la sphère privée peuvent être assez différentes (Baron et Bruillard, 2008 ; Fluckiger, 2007). En ce sens, concept de fracture numérique pourrait aussi être interprété comme un mythe technophile au service d’une idéologie libérale.

  • Dans le domaine des arts et de la culture, la démocratisation de la diffusion dans et par l'école peut-elle contribuer ainsi à un effacement des distinctions culturelles ? Comment les outils de réalité augmentée ou la réalité virtuelle permettent-ils l’accès à certaines ressources éducatives ? Est-ce que ces technologies peuvent avoir leur place dans les apprentissages pour permettre une meilleure accessibilité aux espaces (scolaires et hors scolaires) ?

Ces questionnements sont des pistes non exclusives de réflexion, dès lors que les thématiques autour des « interactions sociales », « communauté et collectif » et « numérique éducatif » sont au cœur des propos, dans une perspective critique.

Les articles ayant à cœur de vulgariser les concepts pour rendre accessibles les recherches à travers des exemples concrets seront les bienvenus.

Bibliographie

Assude Tereza (2019). Éducation inclusive et éducation numérique : quelles convergences? Une étude de cas avec les tablettes numériques. La nouvelle revue – éducation et sociétés inclusives, vol. 87, no 3, 2019, pp. 11-29.

Auray Nicolas (2017). L’Alerte ou l’enquête : Une sociologie pragmatique du numérique. Presses Universitaires des Mînes, Nîmes.

Azam Martine et al. (2015). Quand un tiers-lieu devient multiple. Chronique d’une hybridation. Recherches sociologiques et anthropologiques, vol. 46, no 2, 2015, pp. 87‑104.

Baron Jean-Louis, Eric Bruillard (2008). Technologies de l’information et de la communication et indigènes numériques : quelle situation ? Revue Sticef — Sciences et technologies de l’information et de la communication pour l’éducation et la formation, vol. 15, 2008, https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00696420/document.

Brandone Amanda et al. (2007). Action speaks louder than words: Young children differentially weight perceptual, social, and linguistic cues to learn verbs. Child Development, vol. 78, no 4, pp. 1322‑42.

Davis Fred (1989). Perceived Usefulness, Perceived Ease of Use, and User Acceptation of Information Technology. MIS Quarterly, vol. 13, no 3, pp. 319‑39.

Dubois Michel, Marc-Eric Bobillier-Chaumon (2009). L’acceptabilité des technologies : bilans et nouvelles perspectives. Le travail humain, vol. 72, no 4, pp. 305‑10.

Engeström Yrjö (1987). Learning by Expanding. An Activity-Theoretical Approach to Developmental Research. Cambridge University Press, New York.

Fluckiger Cédric (2008). L’école à l’épreuve de la culture numérique des élèves. Revue Française de pédagogie, vol. 16 [En ligne], http://journals.openedition.org/rfp/978 ; DOI : 10.4000/rfp.978.

Girard Bruno (2020). Panser la COVID-19, c’est penser la technique. Dans M. Morel, R. Bergeron et L.P. Willis (dir.), Penser la COVID-19, et penser le monde, JFD. pp. 79‑92, https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=1l01EAAAQBAJ&oi=fnd&pg=PA79&dq=Mayotte&ots=-hmcEEdUi0&sig=O7qz8U0nH-UWLpmUCVFIpIN0nJc#v=onepage&q=Mayotte&f=false.

Mercier Cendrine, Lefer Sauvage Gaëlle (2017). Interactions sociales et régulation comportementale des enfants avec TSA (Troubles du Spectre Autistique) face aux tablettes tactiles. Interfaces numériques, Éditions design numérique. ⟨hal-01895960⟩.

Mercier Cendrine et al. (2018). Effet d’un agenda numérique sur le développement des compétences socio-cognitives chez des personnes avec autisme. De la conception d’une application sur tablette tactile à la valorisation sur le terrain. Éducation & Formation [En ligne], ⟨halshs-02869479⟩.

Pignier Nicole (2020). L’éducation critique aux médiations informationnelles et communicationnelles en milieu numérique. Dans A. Saemmer (dir.), Éducation critique aux médias et à l’information en contexte numérique, Presses de l’ENSSIB, pp. 163-173.

Plantard Pascal (2014). Usages des technologies numériques: innovations et imaginaires. Dans Musso, P. [dir.] Industrie, imaginaire et innovation, pp. 57‑68.

Rabardel Pierre (1995). Les hommes et les technologies : approche cognitive des instruments contemporains. Armand Colin, Paris.

Siemens George (2005). Connectivism: A Learning Theory for the Digital Age. Instructional technology and distance learning, vol. 2, no 1, 2005, pp. 1‑9.

Tisseron Serge (2020). Apprendre à s’en passer, apprendre à s’en servir. Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence, vol. 68, no 3, pp. 141‑42.

Tricot André (2020). Numérique et apprentissages scolaires. Rapport pour le CNESCO. Cnesco, http://www.cnesco.fr/fr/numerique-et-apprentissages-scolaires/.

Tricot André (2013). Utilité, utilisabilité, acceptabilité : interpréter les relations entre trois dimensions de l’évaluation des EIAH. Sticef, Environnements Informatiques pour l’Apprentissage Humain, pp. 391-402., https://edutice.archives-ouvertes.fr/edutice-00000154/document.

Venkatech Viswanath (2000). Determinants of perceived ease of use : integrating control, intrinsic motivation, and emotion into the technology acceptance model. Information system research, vol. 11, no 4, pp. 342‑65.

Wenger Etienne (1998). Communities of Practice : Learning, Meaning and Identity. Cambridge University Press, New York.

Organisation scientifique

La réponse à cet appel se fait sous forme d’une proposition livrée en fichier attaché (nom du fichier du nom de l’auteur) aux formats rtf, docx ou odt. Elle se compose de deux parties :

  • Un résumé de la communication de 4 000 signes maximum, espaces et bibliographie non compris, comprenant le cadrage théorique et le contexte, le questionnement de recherche, la méthodologie et les résultats sont attendus ;

  • Une courte biographie du (des) auteur(s), incluant titres scientifiques, le terrain de recherche, le positionnement scientifique (la discipline dans laquelle le chercheur se situe), la section de rattachement.

Le fichier est à retourner, par courrier électronique, pour le 10 février 2022, à gaelle.lefer-sauvage@univ-mayotte.fr et cendrine.mercier@univ-nantes.fr. Un accusé de réception par mail sera renvoyé.

Calendrier prévisionnel

  • 1er janvier 2022 : lancement de l’appel 

  • 10 février 2022 : réception des intentions de contribution

  • 10 mars 2022 : réceptions des articles complets

  • 28 mars 2022 : retours aux auteurs (expertise 1)

  • 8 avril mai 2022 : réceptions des articles complets (version 2)

  • 20 avril 2022 : finalisation des expertises (version 2) et des retours d’auteurs

  • 1 mai 2022 : parution prévue du numéro de revue

Modalités de soumission

L’article complet devra être mis en page selon les normes en vigueur de la revue, dont la feuille de style est téléchargeable ici : https://www.unilim.fr/interfaces-numeriques/4185

Il devra être envoyé par courrier électronique avant le 10 mars 2022 en deux versions : l’une entièrement anonyme et l’autre nominative. A la suite de la réception des articles complets au plus tard le 10 mars 2022, un premier comité de rédaction se réunira pour l'expertise des articles et donnera sa réponse fin mars 2022. Les articles qui ne respecteront pas les échéances et les recommandations ne pourront malheureusement pas être pris en compte.

Gaëlle Lefer Sauvage <gaelle.lefer-sauvage@univ-mayotte.fr>
et Cendrine Mercier <
cendrine.mercier@univ-nantes.fr >
 
Interfaces Numériques est une revue scientifique reconnue revue qualifiante en Sciences de l’Information et de la Communication sous la direction Nicole Pignier et de Benoît DrouillaT.
Présentation de la revue classée par l’HCERES (Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur) : https://www.unilim.fr/interfaces-numeriques/

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