Introduction

Dominique Gay-Sylvestre

Texte intégral

Rapport de forces, tension(s) extrême(s), confrontation(s), lutte(s), antagonismes, oppositions, la définition du conflit recouvre maintes réalités et des formes parfois insoupçonnées. Les jeunes chercheurs du laboratoire FRancophonie, Éducation, Diversité (FRED) et du Réseau Amérique latine Europe Caraïbes (ALEC) l’ont bien compris qui se sont attachés, lors des journées d’études qu’ils ont organisées, en juin 2014, à l’Université de Limoges, sur « Les conflits en territoires hispanophones, lusophones et francophones », à favoriser l’expression de la diversité des occurrences générées lors de situations marquées aussi par la confusion, l’altération, l’égarement.

Mission ardue, épineuse, à laquelle se sont exercés et confrontés ces chercheurs, qui sortant des sentiers battus, ont en commun de partager une même thématique, ancrée dans la réalité historique, sociale et politique de leurs pays. Deux continents, deux mondes : ibéro-américain et africain, qui sous la plume de jeunes auteurs, sont racontés et analysés dans des contextes et épisodes bien précis, mais malgré tout bien différents, bouleversant ainsi les espaces temporels et les frontières territoriales.

Peuple soumis par la Conquête du début du XVI° siècle, les Indiens n’ont pas tous accepté le joug espagnol de bonne grâce. En Nouvelle Espagne, les révoltes des Pimas, des Opatas, des Séris et tout particulièrement celles des Yaquis ont façonné l’identité territoriale de l’actuel état du Sonora, au nord du Mexique. Mais, pas seulement ! La recherche menée par Elisa Idalia Coronel Higuera de l’École Nationale d’Anthropologie et d’Histoire à Mexico, intitulée «  Reflexión/ Conflicto(s) en el proceso de conformación de una cultura de género en la época colonial en Sonora », nous montre l’imbrication étroite entre territoire, religion et sociétés. Sociétés en mouvement, l’espagnole et l’indienne, qui se cherchent, se rejettent, s’unissent et/ou se déchirent, et au sein desquelles, les femmes jouent un rôle essentiel, bien qu’empreint de tensions et de violence, de passeur de cultures, de traditions, de savoirs.

Les luttes pour l’indépendance des colonies espagnoles avaient pour but la formation de nations latino-américaines reposant sur des relations sociales plus égalitaires. Or, l’indépendance ne signifia pas pour autant le passage à la démocratie. Les modes de gouvernements autoritaires qui s’ensuivirent, les guerres civiles nombreuses, les coups d’état, l’autoritarisme, le clientélisme… feront basculer certains pays dans une violence quasi endémique. Violence conjoncturelle et structurelle à laquelle n’échappera pas la Colombie. L’article « La Responsabilidad Social Compartida frente a la migración en un escenario POsconflicto » présenté par les Colombiens Michel Lara et Freddy Galeano montre que la violencia, période qui marqua l’histoire du pays, a laissé des séquelles indélébiles. Marqués par les conflits territoriaux, pris en tenailles entre les guérilleros et les para-militaires, les paysans et les indigènes, n’ont d’autre ressource que la fuite, c’est-à-dire le « déplacement forcé ». Le massacre des habitants d’El Salado dont il est question ici, l’exode qui s’ensuivit, puis son rôle pionnier dans le cadre de la politique de reconstruction mise en place, entre autres, par le gouvernement colombien, sont analysés avec minutie par les auteurs.

Note de bas de page 1 :

Au Brésil, les directeurs de Master ou de thèse sont co-auteurs des articles produits par leurs étudiants. C’est le cas du professeur Luciane Pinho de Almeida de l’Université Catholique Dom Bosco de Campo Grande Mato Grosso do Sul.

« Migração de retorno : fator de conflitos pessoais, familiares e sociais » de Francisca Bezerra de Souza et Luciane Pinho de Almeida1, évoque le retour douloureux de nombreuses femmes brésiliennes d’origine japonaise (dekasseguis) installées au Japon dans les années 1980-90, en particulier, soit entre la fin de la période de dictature militaire et le retour à la démocratie avec José Sarney. Douloureux, parce qu’elles ont quitté un pays dont elles sentaient qu’il n’était pas tout à fait le leur et retrouvent un pays (le leur) qui ne l’est plus tout à fait. A travers les récits de 15 femmes avec lesquelles les auteures se sont entretenues, dans la ville de Campo Grande, dans l’état du Mato Grosso do Sul, le lecteur partage le mal être de ces déracinées, en quête d’identité. En proie à toutes sortes de conflits personnels, familiaux, économiques et financiers, il leur faut affronter à la fois le regard des autres, de nouvelles conditions d’existence, l’insécurité et le chômage. Et, surtout, le sentiment de ne plus être, de vivre dans un espace flottant entre deux mondes, aussi éloignés que possible l’un de l’autre et qu’elles ne maîtrisent pas. 

La recherche de terrain menée dans l’état du Sonora (Mexique), par Gildardo Bautista Hernández et José Ángel Vera Noriega auprès d’adolescents ou de jeunes adultes sujets à des conduites anti-sociales et/ou délictives et dont ils nous livrent les résultats dans leur article « Conducta antisocial, anomia y alienación en adolescentes mexicanos », fait appel à un autre genre de conflit. On y lit le parcours de jeunes mexicains, rebelles, réfractaires à toute norme, à tout ce qui les entoure, sans repères, sans espoir, délaissés des programmes publics.

Ce désarroi, cette solitude et la sensation d’abandon qui en découle est tout aussi manifeste dans l’article d’Andressa Meneghel Arruda, Carlos Heber Oliveira et Luciane Pinho de Almeida. Les portraits des hommes sans domicile fixe, présentés dans « A história de vida de pessoas em situação de rua na cidade de Campo Grande/MS, Brasil  », bouleversants, illustrent des comportements atypiques où l’auto-destruction, l’auto-punition, le manque d’estime de soi font partie intégrante d’un quotidien voué à la subsistance et à la survie. Emprisonnés dans des conflits internes, ravageurs, ces êtres fragiles et fragilisés par une absence totale de soutien familial sont attachants par bien des aspects.

Une guerre civile dévastatrice touche le Liban de 1975 à 1990. Des familles tentent, en vain, de se reconstruire mais les cicatrices sont trop profondes et le temps lui-même n’est pas assez puissant pour qu’une page puisse se tourner et les êtres, abîmés, se reconstruire. Et, pourtant, c’est à cela que s’attachera la romancière libanaise Désirée Aziz dans ses deux oeuvres Le parfum du bonheur et Le Silence des cèdres. Les deux héroïnes Marie et Myrte, dont on découvrira, sous la plume de Mai Farid qu’elles sont mère et fille devront affronter bien des douleurs, des déchirements et des solitudes pour, enfin se reconnaître et se (re)trouver. « Le Parfum du bonheur, Le Silence des cèdres : la (non) prise en compte des femmes après la vibre et séparation » est l’œuvre d’une chercheure, sensible, idéaliste et profondément humaine. De son Egypte natale, elle a ce ton ardent et passionné qui vibre au travers de la quête éperdue de Marie et Myrte et des tourments qui les traversent.

Enfin, l’article, surprenant, de Flaviany Fontoura et Luciane Pinho de Almeida « Vivências e conflitos de pacientes pós-transplante renal em Dourados/MS  » nous plonge dans le monde hospitalier et plus particulièrement dans celui des transplantations rénales. Les enquêtes qu’elles mènent auprès des patients hommes mettent à jour des comportements masculins inusités, une fragilité et un mal-être profonds d’une partie de la population face à la maladie. Les espaces masculin/féminin sont toujours aussi prégnants et, plus encore, lorsque la maladie s’installe. Le sexe dit fort a alors bien du mal à lâcher prise, à exorciser ses peurs et ses préjugés et à prendre conscience d’un abandon nécessaire pour aller vers la guérison. Conflits internes douloureux où l’homme, malade, est confronté à une situation inhabituelle, partagé entre l’image forte et inébranlable que la société et la culture ancestrale lui ont imposée et inculquée et qu’il veut toujours donner et l’être affaibli et impuissant face à la maladie.