Introduction

Raymond MBASSI ATÉBA

Texte intégral

Envisager les minorités : du sentiment à la condition minoritaire

Aujourd’hui plus qu’hier, peut-être, les minorités constituent une catégorie sociopolitique, identitaire et structurelle complexe tant du point de vue de leur délimitation numérique et géo-culturelle, de leur existence, que de leur reconnaissance et de leur visibilité. Communauté humaine – ou autre – souvent problématique au nom des enjeux politiques qu’elle charrie et des thématiques qu’elle recouvre, elle se donne souvent également en spectacle aux jeux poétiques et artistiques qui révèlent son univers symbolique et les trajectoires qu’elle emprunte pour l’exprimer.

Le XXe siècle finissant et le XXIe siècle naissant ont vu éclore le phénomène minoritaire dans presque toutes les dimensions de l’activité humaine : génériques, raciales, culturelles, linguistiques, socio-économiques, politiques, territoriales, diasporiques, etc. Souvent objet d’instrumentalisation ou de récupération politique, ce phénomène donne à observer des groupes ou communautés plus ou moins organisés, plus ou moins isolés, se sentant mésestimés, marginalisés, phagocytés ou vampirisés par d’autres plus ou moins grands, qui développent divers modes d’affirmation, d’accommodement, de recouvrement, de rejet, de transfert ou d’expression de la condition minoritaire.

Sans nécessairement interroger l’intégralité des expériences minoritaires dénoncées ou assumées, visibles ou invisibles dans le paysage contemporain, le présent numéro réunit les travaux issus de l’appel à contributions transdisciplinaire lancé depuis novembre 2013 par le Laboratoire FRED (Francophonie, Éducation, Diversité) de l’Université de Limoges. La condition minoritaire y est d’abord envisagée en tant que « conditionnement » de projections utopiques sur les communautés humaines (Ainseba). Elle est ensuite abordée dans ses dimensions poétiques (Dghim, Mailhot) et sociologiques – sociologie politique (Terrazzoni), sociologie du champ littéraire (Bélanger, Coly). Elle dévoile enfin diverses figures minoritaires ou minorées dans des situations de socialisations complexes – l’homme éléphant (Delage de Luget) –, d’itinérance planétaire – les Coolies (Bléser) –, d’affinités électives – la femme-à-nègre (Moutombi) – ou de sexualités parallèles – lesbiennes (Gueboguo), homosexuels (Ncube).

Acceptée, refusée ou niée, la condition minoritaire semble se construire autour d’un sentiment de victimisation de soi, de subordination, d’aliénation ou de répulsion plus ou moins violente par/de l’Autre lors des interactions entre les communautés humaines. On voit, en effet, se multiplier de toutes parts des foyers de tensions où des groupes humains se sentant en situation de domination, de dépendance, d’exclusion, ayant visiblement l’impression d’être traités de manière inégalitaire ou pensant faire l’objet d’une discrimination collective ou d’une négation de leurs particularités, cherchent à négocier une redistribution des pouvoirs avec des groupes majoritaires, à modifier la forme des rapports qui ont fait d’eux des minoritaires, à expérimenter de nouvelles légitimités – fondées ou non – contre une espèce de cannibalisme symbolique orchestré par l’Autre majoritaire.