Les associations lexicales et discursives du terme illegal immigrant dans la presse britannique Lexical and discoursal associations of the term illegal immigrant in the British press
Un corpus d’articles de la presse britannique consacré à des questions sur l’immigration montre bien les associations lexicales, locutionnelles et phraséologiques de certains termes tels que immigrant (immigrant), asylum seeker (demandeur d’asile) ou refugee (réfugié). Une approche quantitative des phénomènes collocationnels et cotextuels nous permet de dégager des tendances de combinatoire lexicale et ensuite d’engager une analyse qualitative du traitement du phénomène migratoire dans les Iles Britanniques. L’association lexicale du nom immigrant avec l’adjectif illegal (illégal, clandestin) est la première qui vient à l’esprit. Elle est confirmée par notre étude. Il s’avère que ce groupement de mots apparaît majoritairement en relation cotextuelle avec des notions relevant de la criminalité, de la contrebande, du vol, de la fraude, de l’abduction, de l’emprisonnement, etc.
A corpus of British newspaper articles related to the topic of immigration has been used in order to show the lexical, phrasal and phraseological associations held by such terms as ‘immigrant’, ‘asylum seeker’ and ‘refugee’. A quantitative approach to these collocational and cotextual phenomena will facilitate the retrieval of lexical combination trends and the qualitative analysis of the treatment by the press of the topic of immigration in the British Isles. The lexical association of the noun ‘immigrant’ with the adjective ‘illegal’ is the first that comes to mind and this is confirmed by our study. Furthermore, this word combination tends to appear on the whole in contexts related to topics such as crime, forgery, theft, fraud, kidnapping, imprisonment, etc.
I. Introduction
La façon avec laquelle certains sujets plus ou moins polémiques ou « sensibles » sont traités par les médias revêt une grande importance. L’opinion publique et l’imaginaire collectif se forgent actuellement à partir de tout ce que l’on voit, entend et lit sur des supports nombreux et variés. L’accumulation et la répétition incessante d’informations quotidiennes qui se ressemblent de plus en plus dans leur forme et dans leur contenu sont à l’origine, entre autres phénomènes, de ce que l’on en est venu à nommer « la pensée unique ». En ce qui concerne l’immigration clandestine en Europe, et plus particulièrement au Royaume-Uni, la presse (soit dans sa version papier ou électronique) a joué et joue un rôle décisif. L’article que nous présentons ici révèle les associations lexicales et contextuelles du terme anglais illegal immigrant (clandestin) dans la presse britannique grâce à la combinaison de la linguistique de corpus et de l’analyse du discours.
II. La linguistique de corpus comme méthodologie de recherche
La linguistique de corpus est une méthodologie de recherche qui permet de montrer, par le biais d’outils informatiques, l’utilisation réelle que les locuteurs font de leur langue pour pouvoir, en dernier ressort, rendre compte de la diversité et de la fréquence d’emplois d’une multitude de faits et de phénomènes linguistiques. L’un des apports les plus remarquables de la linguistique de corpus est l’importance donnée au fait que le sens d’un mot n’est pas strictement lexical mais plutôt textuel, c’est-à-dire qu’il se construit à travers l’interaction d’unités de signification différentes à l’intérieur d’un texte. On distingue différents types de corpus selon l’utilisation que l’on veut en faire – corpus diachroniques, littéraires, bilingues, etc. D’une manière générale, les corpus employés dans la recherche linguistique sont des corpus textuels, autrement dit des collections de textes d’origine variée qui sont rendus disponibles en format électronique et qui peuvent être soumis au traitement automatique. La linguistique de corpus a aussi permis de révéler l’importance que le texte et le contexte ont dans l’analyse du sens des mots et des groupements de mots. En effet, le sens d’une unité se construit en cotexte (son environnement linguistique), c’est-à-dire que le sens n’est pas confiné au niveau du mot mais résulte, d’une certaine façon, de la présence d’autres éléments dans son cotexte à droite et à gauche, ainsi que dans le contexte plus large.
Pour pouvoir connaître l’environnement lexical d’un mot dans un type de discours donné, le recours à la linguistique de corpus et au traitement automatique des langues permet de dénombrer, de façon systématique et exhaustive, tous les cas de combinaisons ou associations lexicales qui peuvent s’avérer significatives pour des analyses qualitatives d’un certain nombre de thématiques ou problématiques diverses et variées.
III. L’analyse du discours journalistique
Le discours journalistique regroupe l’ensemble des textes produits par les différents supports médiatiques (écrits, audiovisuels et électroniques) ainsi que leurs conditions de production, c’est-à-dire tous les paramètres contextuels qui se mettent en place lors de leur création. Nous avons circonscrit cette recherche à l’analyse du discours d’une partie de la presse britannique contemporaine, représentée par le quotidien national The Guardian, pour en saisir le traitement que font les journalistes de l’immigration clandestine au Royaume-Uni.
IV. Le terme illegal immigrant dans les corpus et les dictionnaires
A. Le British National Corpus et l’Oxford English Dictionary
Le British National Corpus (BNC) est un corpus général censé représenter la variante britannique de la langue anglaise dans la deuxième moitié du XXème siècle et plus exactement jusqu’à 1993. Il s’agit d’un corpus textuel, synchronique et monolingue de 100 millions de mots. Il est intéressant de signaler que pour commencer cette recherche, la première combinaison lexicale ou collocation du mot immigrant qui nous est venue à l’esprit est illegal immigrant. Encore plus intéressant, le fait que le BNC donne cette combinaison comme la plus fréquente de toutes. Si on lance la requête [adjectif] + immigrant(s) sur le moteur de recherche de l’interface de ce corpus on obtient les résultats suivants : illegal immigrant(s) avec 93 occurrences, Jewish immigrant(s) avec 30 occurrences et ensuite d’autres combinaisons d’immigrant(s) avec des adjectifs de nationalité dont le nombre d’occurrences est mineur et donc peu significatif. Il est évident que la collocation [adjectif] + immigrant(s) la plus représentée dans le BNC est illegal immigrant mais on pourrait se demander pourquoi la combinaison Jewish immigrant y occupe la deuxième place. Une consultation de l’entrée illegal dans l’Oxford English Dictionary (OED)montre l’existence d’une sous-entrée consacrée à la combinaison illegal immigrant tout à fait révélatrice :
« 2. Special Comb.: illegal immigrant, orig. a Jew who entered or attempted to enter Palestine without official permission during the later years of the British mandate; now used more generally; so illegal immigration; illegal operation, an abortion procured illegally. -- 1939 Times 31 May These illegal immigrants come practically penniless, and have no documents to indicate their origin. » (OED, 1989, Vol. VII, 652)
Le sens primitif de cette combinaison, qui à son origine était appliquée exclusivement aux Juifs qui essayaient d’entrer ou qui entraient en Palestine sans un permis officiel pendant les dernières années du mandat britannique, est corroboré par le nombre important d’occurrences dans le BNC. Bien évidemment le sens actuel s’est étendu à tout clandestin de n’importe quelle origine. Le sens restreint primitif n’est plus en vigueur vue l’évolution historico-politique du Proche-Orient.
Il nous paraît important de signaler le processus de lexicalisation expérimenté par la combinaison illegal immigrant qui explique, par conséquent, qu’elle aie sa propre entrée dans le Cambridge Advanced Learner’s Dictionary (CALD) où elle est définie comme « Someone who goes to live or work in another country when they do not have the legal right to do this », ce qui fait de cette combinaison un nom composé lexicalisé. La lexicalisation d’un mot, d’un groupement de mots ou d’une expression, voire d’un nouveau sens, passe forcément par le discours. Pour qu’une nouveauté s’intègre au lexique, il faut d’abord qu’elle se répande dans l’usage. C’est l’usage qu’enregistrent les dictionnaires, autrement dit la composante sociolinguistique des unités lexicales.
B. Les archives électroniques du journal The Guardian et le corpus « illimm »
Dans la mesure où le nombre d’occurrences des combinaisons lexicales du terme illegal immigrant dans le BNC est assez faible et que plusieurs de ces combinaisons reflètent d’ailleurs un état des lieux révolu, nous avons procédé à une recherche dans les archives électroniques du journal britannique The Guardian afin de connaître le nombre d’articles contenant la combinaison illegal immigrant. Cela a donné un total de 479 occurrences. Ensuite nous avons restreint la recherche à la rubrique UK news, c’est-à-dire exclusivement aux informations nationales, ce qui a donné un résultat de 182 articles. Le but de cette sélection étant de limiter les résultats de cette étude uniquement à des phénomènes d’immigration clandestine sur le sol britannique et, ainsi faisant, d’analyser plus exactement ces données en ciblant un seul espace géographique. Autrement, les résultats auraient été disparates et difficiles d’appliquer et d’analyser.
Le corpus « illimm » est un corpus monolingue. Il est constitué d’articles extraits du journal The Guardian et de l’hebdomadaire The Observer entre 1999 et 2010 contenant la combinaison illegal immigrant. Ce corpus a un nombre total de 162 197 mots. Par conséquent, il s’agit bien de tous les articles de la rubrique nationale d’un journal britannique renfermant la combinaison illegal immigrant pour une période précise, à savoir la première décennie du XXIème siècle. Bien qu’il s’agisse d’un petit corpus, il est néanmoins complet, clos et représentatif : notre objectif étant de décrire et d’analyser le discours journalistique, même si c’est celui d’un seul journal, en rapport avec cette thématique et plus particulièrement lorsqu’elle se circonscrit à la sphère nationale. L’intérêt de créer un corpus spécifique ou thématique réside d’une part, dans le fait que celui-ci contient d’emblée un grand nombre d’occurrences en raison des critères de création du corpus et d’autre part, dans le fait que les contextes extralinguistiques sont plus homogènes, le corpus devenant un ensemble textuel représentatif du point de vue chronologique, géographique et socioculturel.
C. Le « paradigme désignationnel » de l’immigration clandestine
- Note de bas de page 1 :
-
Même si nous avons trouvé d’autres termes appartenant à ce paradigme désignationnel tels qu’emigrant, émigré et guest worker, ils ont une fréquence extrêmement faible et par conséquent nous ne les avons pas inclus dans l’analyse.
Nous entendons par « paradigme désignationnel » l’ensemble des termes utilisés pour faire référence à une réalité ou problème social ou à un groupe humain dans les médias. Les quatre termes les plus utilisés pour décrire les personnes d’origine étrangère en situation irrégulière au Royaume-Uni sont immigrant, migrant, asylum seeker et refugee1. Nous avons voulu en premier lieu vérifier que notre hypothèse de départ est conforme ou se rapporte à l’usage réel dans ce type de discours. Les résultats obtenus illustrent bien la prééminence de la combinatoire lexicale avec l’adjectif illegal. Même si les quatre noms ne sont pas synonymes en langue, ils le sont souvent dans ce type de discours où ils sont co-référents. Les résultats correspondant aux mots-cibles dans le Tableau I donnent comme gagnant refugee. En revanche, lorsque la requête s’effectue en combinaison avec l’adjectif illegal, les résultats quantitatifs montrent la préférence pour illegal immigrant.
- Note de bas de page 2 :
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Ces résultats correspondent à une requête lancée le 15/10/2009 dans les archives électroniques du journal.
Tableau I : Nombre d’articles dans The Guardian contenant les mots du paradigme désignationnel des immigrants et leur combinaison avec l’adjectif illegal2
Mot-cible |
résultats |
Combinaison-cible |
résultats |
refugee |
16 936 |
illegal immigrant |
479 |
immigrant |
12 550 |
illegal migrant |
83 |
migrant |
6 121 |
illegal asylum seeker |
21 |
asylum seeker |
1 373 |
illegal refugee |
1 |
Suite à ces résultats, qui confirment la prévalence de la combinaison illegal immigrant dans les archives électroniques du journal The Guardian pour la première décennie du XXIème siècle, nous avons réalisé une étude de fréquence lexicale dans le corpus « illimm ». Cela a donné 296 occurrences pour illegal immigrant, 217 pour asylum seeker, 128 pour refugee et 74 pour migrant.
Il est évident que le terme asylum seeker (demandeur d’asile) gagne du terrain dans le discours journalistique Toutefois sa fréquence d’emploi est plus ou moins élevée en fonction du biais politique du journal utilisé pour la création du corpus de travail. Nonobstant, mise à part la présence non négligeable du terme asylum seeker, c’est illegal immigrant qui occupe la première position.
Il faudrait, avant de continuer, préciser la différence entre les termes qui nous occupent, même s’ils sont souvent confondus et utilisés indistinctement non seulement par les journalistes mais par les locuteurs en général, reflétant ainsi d’une confusion générale sur la question de l’immigration clandestine. Un asylum seeker, c’est-à-dire un demandeur d’asile, est quelqu’un qui cherche un statut de refugié ou une protection humanitaire, donc il ne peut pas y avoir dans la langue juridique quelque chose comme illegal asylum seeker (un demandeur d’asile illégal). Un demandeur d’asile peut seulement devenir illegal immigrant (c’est-à-dire un clandestin) s’il reste au Royaume-Uni après avoir négligé une notification officielle le contraignant à abandonner le territoire.
V. Une analyse du traitement médiatique de l’immigration clandestine au Royaume-Uni
Il est intéressant de noter que pratiquement la totalité des articles qui composent le corpus « illimm » sont des faits divers. Il y a donc très peu d’éditoriaux ou d’articles de fond où apparaît le terme illegal immigrant. Ceci est un signe évident de ce qui a été avancé par Robert Solé en 1988 alors qu’il était chef du service Société au journal Le Monde:
« Les journalistes ont beaucoup de mal à parler de l’immigration sereinement. On dirait que ce sujet entraîne automatiquement de la passion et c’est regrettable. On a tendance à ne parler des immigrés que sous l’angle du fait divers ou du misérabilisme, à ne les voir que comme des agresseurs ou des victimes. » (Solé 1988 : 159)
Les résultats obtenus dans cette recherche montrent, entre autres, que la situation décrite par Solé en 1988 n’a pas changé vingt ans plus tard, au moins en ce qui concerne l’immigration clandestine au Royaume-Uni. Cette situation est similaire dans les médias des autres pays européens récepteurs d’immigration illégale, comme l’Italie, la Grèce ou l’Espagne. Une étude comparative du traitement médiatique de cette question dans la presse des pays méridionaux de l’Union Européenne serait très intéressante et révélatrice soit de certaines tendances spécifiques à chaque pays soit de tendances à caractère transnational. Malheureusement, une étude de cette ampleur requiert des moyens techniques et humains dont nous ne disposons pas ; elle est d’ailleurs hors la portée de cette analyse.
A. Etude de fréquence lexicale dans « illimm »
- Note de bas de page 3 :
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On entend par mot grammatical l’ensemble des lexies d’une langue composé principalement de pronoms, articles, déictiques, prépositions, conjonctions et certains verbes supports tels que être, avoir, faire, etc. Cependant, certains mots grammaticaux peuvent s’avérer significatifs pour l’analyse discursive, surtout s’ils sont capables de véhiculer des notions telles que l’expressivité, la modalité, etc.
Une étude de la fréquence lexicale, c’est-à-dire des mots qui sont les plus utilisés dans un corpus donné, est essentielle comme une première approche à des questions concernant les associations contextuelles et discursives qui établissent certains mots. Si nous excluons les mots grammaticaux3, d’ailleurs les plus fréquents dans les corpus et qui n’apportent pas d’information sur le plan lexical, il y a des mots qui prennent tout de suite de l’importance juste par leur haute fréquence. Nous nous sommes servi de deux logiciels de traitement de texte, en l’occurrence les concordanciers AntConc 3.2. et ConcGram 1.0. Le Tableau 2 ci-dessous montre la liste des mots les plus fréquents dans « illimm » et le nombre exact d’occurrences. Seuls ont été retenus les noms, adjectifs et verbes lexicaux. La valeur discursive des adjectifs est un élément à tenir en compte dans ce type d’analyse puisqu’elle relève, entre autres, du jugement, de l’évaluation et de l’appréciation.
Tableau 2 : Liste de mots par fréquence d’emploi dans « illimm »
Mot-cible |
fréquence |
year(s) |
550 |
people |
434 |
asylum |
408 |
illegal |
384 |
police |
373 |
UK |
324 |
immigration |
318 |
Britain |
317 |
government |
264 |
immigrant |
232 |
L’analyse des résultats présentés dans le Tableau 2 ne prend pas en compte un mot tel que people (gens), d’un emploi très général et qui ne porte pas d’indices sur d’associations lexicales potentielles. Pour des raisons évidentes, les termes qui sont ceux de la recherche, ou d’autres mots apparentés, ne sont pas pris en compte (en l’occurrence asylum, illegal, immigration et immigrant). En troisième lieu, nous ne considérons pas les termes Britain et UK puisque le corpus a été créé uniquement à partir d’articles de la rubrique nationale du journal. En conséquence, les références à la Grande Bretagne ou au Royaume-Uni ne sont pas traitées comme des éléments à analyser. Ainsi, sur les dix mots lexicaux les plus fréquents dans notre corpus, nous en retrouvons trois qui sont significatifs et qui explicitent le traitement médiatique de ce sujet, à savoir year(s), police et government.
Un examen de l’ensemble des occurrences du mot year(s) dans « illimm » montre que 90 d’entre elles correspondent à la description de l’âge d’un individu, principalement d’un clandestin, comme l’illustre l’exemple (1) ci-dessous. Si tel n’est pas le cas, le terme est souvent employé pour indiquer le nombre d’années écoulées depuis l’arrivée du clandestin au Royaume-Uni, le nombre d’années passées en prison, ou d’autres références temporelles de ce genre. Une donnée intéressante est constituée par des références récurrentes à l’année précédente (last year) pour signaler, par exemple, des variations dans le nombre de clandestins ou à titre comparatif.
(1) « Loloahi Tapui, an illegal immigrant from Tonga whose employment by Scotland prompted calls for the attorney general to stand down, was held by UK Borders Agency officers in Chiswick, west London, yesterday. A spokesman said 27-year-old Tapui had been questioned over alleged immigration offences and released on bail until October. » (The Guardian, 24 septembre 2009)
Le deuxième mot par ordre de fréquence parmi ceux choisis pour l’analyse est police. Il est souvent utilisé en relation à des arrestations de clandestins ou à d’autres interventions policières dans ce domaine, comme l’illustre l’exemple (2) :
(2) « In France, meanwhile, the police dismantled the immigrant camp near Calais that has become known as "the jungle". The UK authorities pushed Paris to take down the shantytown, which housed Afghans hoping to make a dash to Dover. » (The Guardian, 23 septembre 2009)
En troisième lieu, par fréquence d’emploi, c’est le mot government qui apparaît associé au terme illegal immigrant. On le trouve fréquemment utilisé dans des énoncés concernant des mesures prises ou des mesures à prendre en relation avec l’immigration clandestine, comme l’illustre l’exemple (3):
(3) « The government has already introduced a points system for immigration. But once immigrants have been working legally in Britain for five years, it is relatively easy for them to qualify for citizenship. » (The Guardian, 3 août 2009)
B. Etude des associations discursives du terme illegal immigrant dans « illimm »
Pour ce qui est des associations discursives, nous avons cherché dans un premier temps, manuellement, les mots ou groupements de mots situés dans le cotexte à droite et à gauche du terme illegal immigrant. Cette procédure permet de repérer certaines régularités (expression de grandes quantités, expression de la nationalité d’origine et associations avec la criminalité) qui peuvent s’avérer intéressantes pour l’analyse qualitative du traitement dudit terme. Dans un deuxième temps, nous avons cherché automatiquement à l’aide de concordanciers les actualisations discursives de chacune de ces associations cotextuelles.
1. L’expression de grandes quantités
- Note de bas de page 4 :
-
Martí Solano, Ramón (à paraître). « L’expression idiomatique de grandes quantités en anglais contemporain », Littérature et multilinguisme 1, Publications de l’Université d’Oran, Oran.
Un nombre important de déterminants quantifieurs est utilisé dans les discours en général, et plus particulièrement dans le discours journalistique, en relation avec certaines bases nominales. Celles-ci sont combinées avec people et ses hyponymes, dont refugees, mais aussi avec d’autres noms « non-humains » tels que money, criticism, abuse, insults, information et evidence (Martí Solano, à paraître)4. Des quantifieurs tels que hundreds of (des centaines de), thousands of (des milliers de) ou millions of (des millions de) sont parmi les plus employés. Mais on trouve aussi des quantifieurs où le noyau nominal est actualisé par un nom au sens figuré et à forte valeur connotative, comme l’illustre l’exemple (4) :
(4) « Clearing the backlog of illegal immigrants currently in the UK could take 10 years, according to the immigration minister, Tony McNulty. » (The Guardian, 18 mai 2006)
Le nom backlog, dont le sens premier correspond à une grande bûche placée au fond du foyer, est souvent employé dans d’autres contextes pour évoquer de grandes quantités de tâches inachevées. On le trouve également dans le domaine du commerce où il signifie un nombre important de commandes en carnet ou inexécutées. La charge connotative de ce terme est assez forte car il évoque des tâches lourdes, difficiles à résoudre et souvent pesantes. La combinaison de cette locution avec la base nominale illegal immigrant n’est pas anodine. Le journaliste attribue l’expression au ministre chargé de l’immigration au Royaume-Uni, Tony McNulty. Ainsi faisant, il se détache discursivement de cette expression. L’immigration illégale est, par le biais de ce choix discursif, perçue essentiellement comme « un grand problème à résoudre ».
L’association de ce terme avec la notion de quantité est, de ce fait, très évidente et aussi symptomatique d’une préoccupation dominante au sein de la classe politique, des médias et des citoyens qui souhaitent être informés sur le nombre de clandestins. L’aspect quantitatif de ce phénomène prend ainsi de l’ampleur et se reflète de façon nette et transparente, comme l’illustre l’exemple (5) :
(5) « Keith Best, chief executive of the Immigration Advisory Service, said the introduction of a new border control system would require a "clean sheet" approach that should include knowing how many illegal immigrants were already residing in Britain. » (The Guardian, 19 juin 2006)
2. L’expression de la nationalité d’origine
La deuxième association discursive du terme illegal immigrant se rapporte à la nationalité d’origine des clandestins. Cette information, qui pourrait être significative dans le cas d’un demandeur d’asile en provenance d’un pays en guerre, d’un régime dictatorial ou d’un pays en situation de catastrophe naturelle, est très répandue dans le discours journalistique en général et dans notre corpus en particulier.
Le terme illegal immigrant est précédé, pour la plupart des occurrences, d’un déterminant ou d’une préposition, ce qui se révèle grammaticalement logique. Si nous exceptons quelques cas de verbes tels que find, force, employ, regulate ou stop, c’est l’explicitation de l’origine qui, systématiquement, se trouve dans le cotexte immédiatement à gauche avec des exemples tels que a Jamaican / Turkish / Chinese / Algerian, etc. illegal immigrant. On trouve d’ailleurs cette information dans le cotexte à droite, comme l’illustre l’exemple (6) :
(6) « Kadri, an illegal immigrant from Algeria, was jailed after pleading guilty to leaving the scene of the accident, failing to report it, having no insurance or tax, and using a false passport. » (The Guardian, 6 février 2004)
Il est également important de noter que l’association avec la nationalité d’origine des clandestins est souvent en rapport avec des récits ou des histories de vie de certains de ces clandestins, racontés par les journalistes.
3. L’immigration clandestine et l’association avec la criminalité
Le discours de la presse quotidienne et des médias en général est assez réitératif par rapport à certaines thématiques, en l’occurrence l’immigration clandestine. Cette situation s’afférente à un processus circulaire selon lequel le discours politique s’alimente du discours journalistique et inversement. Mis à part les titres des journaux, qui ont tendance à être assez alarmistes et parfois même criminalisants envers les clandestins, le discours politico-journalistique est associé dans l’imaginaire collectif à des problèmes d’insécurité, de criminalité et de marginalité.
Concrètement dans notre corpus, le terme illegal immigrant apparaît majoritairement en relation cotextuelle avec des notions relevant du crime organisé, de la contrebande, du vol, de la fraude, de l’abduction, de l’emprisonnement, etc. Le Tableau 3 montre les noms, adjectifs et verbes associés cotextuellement à cette thématique et la fréquence de leur emploi.
Tableau 3 : Noms, adjectifs et verbes avec leur nombre d’occurrences dans « illimm » associés au terme illegal immigrant
noms |
nbr. d’occurrences |
adjectifs |
nbr. d’occurrences |
verbes |
nbr. d’occurrences |
police |
373 |
criminal |
61 |
arrest |
86 |
crime |
107 |
guilty |
37 |
sentence |
76 |
security |
98 |
dangerous |
36 |
murder |
70 |
death |
89 |
suspected |
28 |
deport |
61 |
gang |
84 |
failed |
22 |
accuse |
58 |
sex |
66 |
bogus |
19 |
kill |
53 |
VI. Conclusions et perspectives
Dans le discours journalistique, un nombre important de valeurs idéologiques sont véhiculées par certaines cooccurrences lexicales, répétitives et récurrentes. Le recours constant et systématique non seulement à l’expression de la quantité en relation au nombre de clandestins, mais aussi à leur nationalité d’origine, est révélateur d’un état d’esprit des sociétés de l’Europe occidentale, et plus particulièrement du Royaume-Uni, qui se méfie à leur égard. De même, les associations lexicales et discursives dont les notions relèvent de la criminalité dans toutes ses déclinaisons sont très révélatrices d’un traitement unidirectionnel de ce sujet. Il serait souhaitable d’établir une comparaison entre les résultats obtenus, qui correspondent exclusivement à la presse britannique de qualité, avec les résultats potentiels dans les tabloïdes britanniques et dans d’autres journaux européens pour la même période. Les représentations des immigrés et de l’immigration se forgent au Royaume-Uni, comme dans d’autres pays européens récepteurs, principalement à travers des discours médiatiques. Les opinions sur ce sujet se construisent de façon involontaire, voire inconsciente ; le rôle que jouent les médias dans ce processus est tout à fait indéniable.