Les mines des Lémovices en Haute-Vienne entre le cinquième et le premier siècles av. J.-C.

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On trouve au sud, à l’est et au nord-ouest de la Haute-Vienne et au nord-est de la Dordogne des mines d’or exploitées à l’époque antique par les Lémovices, qui peuplaient alors la région du Limousin et qui ont donné son nom à la ville de Limoges. L’étain était également exploité sur ces terres, mais la carte présentée et le texte ci-dessous se concentrent sur l’exploitation de l’or. Le territoire des Lémovices avant la conquête romaine s’étendait sur les départements de la Haute-Vienne, la Creuse, la Corrèze, ainsi que sur de faibles portions des départements de la Charente, de la Dordogne et de l’Indre, et s’étendait à l’est jusqu’aux limites du socle hercynien. En activité entre le Ve et le Ier siècles av J.-C., les mines d’or de la Haute-Vienne n’avaient alors pas livré tout l’or qu’elles renfermaient, puisque celles du Bourneix par exemple, à côté de Saint-Yrieix dans le sud du département, n’ont été fermées qu’en 2002, après que tous les bons filons[1] ont été exploités.
Après le premier siècle av. J.-C., ces mines sont progressivement tombées dans l’oubli, leurs exploitants ayant été contraints de les abandonner par les autorités romaines qui dépossédaient systématiquement les nouveaux territoires annexés de toute source d’or pour prévenir d’éventuelles révoltes. Des traces de l’exploitation d’alors sont toutefois perceptibles : par la toponymie par exemple, avec le radical aurum, dans le cas d’« Aureil », de « Laurière » ou de la rivière l’Aurence, ou avec des noms de lieux-dits se rapportant à des animaux fouisseurs (« Renardière » ou « Tessonière[2] »). Ces toponymes font référence aux espaces accidentés que les mineurs ont laissés derrière eux.
On trouve l’or sous deux formes : les gisements primaires sont ceux où l’or est présent dans les roches, sous forme de filon ; et les gisements secondaires, dans lesquels l’or a été draguée par de l’eau (à cause de l’érosion par exemple) et se retrouve dans les rivières et les alluvions[3] sous forme de paillettes. Ce sont les gisements primaires qui ont été exploités en Limousin. Les mineurs d’alors, probablement formés de façon empirique, creusaient en suivant les filons qui se sont formés dans le sol du Limousin. La composition géochimique du sol a permis de favoriser la présence d’or natif, qui était probablement visible à même les parois rocheuses et qui a dû attirer l’œil des Gaulois lémovices. Le sol du Limousin prend appui sur un socle granitique, et donc cristallin, ce qui implique, au sein de cette base, des failles. L’eau circule dans ces failles qui peuvent, lorsque certaines conditions sont réunies (changement de pression et de température, pièges géochimiques), constituer l’endroit où des filons d’or naissent. Autrement dit, les mouvements hydriques transportent l’or sous forme d’éléments trace solubles (donc de toutes petites particules) ce qui, en présence de conditions propices, précipite l’or pour former des filons.

Cette configuration tout entière se prête à la présence et la formation de filons d’or en Limousin. Pour progresser le long des filons, les mineurs creusent la terre et déblaient de très grandes quantités de stériles[4], qu’ils amoncèlent à côté de la mine formant de massifs tas de roches appelés haldes ou cavaliers. Afin de creuser le sol granitique du Limousin, plusieurs techniques sont employées par les mineurs lémovices : l’une, manuelle, consiste à attaquer la roche à l’aide d’outils (marteaux, pics, pointerolles[5]). Une autre technique est l’ouverture par le feu, qui consiste à faire chauffer la roche jusqu’à son éclatement, et qui permet de progresser même quand la roche est vraiment difficile à creuser.

On ne sait que peu de choses des hommes qui ont exploité ces mines. Il est néanmoins possible de dire que, suivant les périodes et les aires géographiques, leur lieu de vie avait une proximité différente par rapport au lieu d’exploitation. D’une part, autour des mines d’or de Cros Gallet-nord, des habitations permanentes ont été retrouvées par les archéologues. Ces dernières, en termes d’agencement, de taille, de mobilier, sont sensiblement du même type que celles des autres habitants de la région, qui eux, exploitaient la terre. Elles datent de la période d’exploitation la plus ancienne, entre le Ve siècle et le IIIe siècle avant J.-C., et sont proches du lieu d’exploitation. Des vestiges d’habitations et la présence d’objets du quotidien (matériel de tissage) confirment que les mineurs vivaient en famille aux abords de la mine. D’autre part, sur le site des Fouilloux, exploité plus tardivement (du IIIe siècle au Ier siècle avant J.-C), les habitations permanentes sont introuvables aux abords du site. Cela permet de penser qu’ils vivaient plus loin, dans de petites zones urbaines fortifiées, comme il a pu en exister à Tuquet-Château.

Nous pouvons comparer ces mines du Limousin à des mines espagnoles pour en faire ressortir les particularités. Alors que l’exploitation des mines lémovices a cessé à la suite de la conquête romaine, on trouve dans le nord-est de l’Espagne des mines d’or en alluvions appelées Las Médulas qui ont été exploitées par l’Empire Romain du Ier au IIIe siècle de notre ère. L’exploitation de ces mines semble avoir été un moyen pour Auguste de romaniser la zone, et a également permis de réintroduire une source d’or dans cette partie de l’Empire. Grâce aux textes romains[6], l’organisation des Médulas est bien mieux connue que celle des mines du Limousin. Il apparaît qu’entre les deux exploitations tout était différent : l’ampleur des traces laissées dans le paysage, la technique d’extraction utilisée, la main d’œuvre employée (une main d’œuvre locale était mise au travail forcé dans les mines espagnoles).

Ainsi, l’exploitation de l’or par les Lémovices apparaît remarquable tant par son ampleur que par son organisation. Ses spécificités techniques et géographiques sont nombreuses et témoignent d’une certaine maîtrise de la part de ses exploitants ainsi que de son caractère spécifiquement lémovice.

[1] En géologie, les filons sont des gisements de minerai(s) métallique(s) ou de minéraux, en masse allongée, qui se trouvent au milieu de couches différentes (définition du CNRTL).

[2] Tesson signifie blaireau en occitan.

[3] Les alluvions sont des dépôts de sédiments abandonnés par un cours d’eau quand la pente ou le débit sont devenus insuffisants.

[4] Les roches stériles sont les roches extraites qui ne contiennent pas de minerai intéressant, ici, l’or.

[5] Les pointerolles sont des sortes de ciseau en fer de section quadrangulaire, emmanché ou non, qui pouvait être frappé par une massette en fer.

[6] Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, XXXIII, 5.

Bibliographie

 

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Pauline Goutorbe, 2017

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