Tout est dit !

Dominique Gay-Sylvestre 

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« C'est une dangereuse invention que celle de la torture, et il semble bien que ce soit plus une épreuve d'endurance que de vérité. Celui qui peut la supporter cache la vérité tout autant que celui qui ne le peut pas. Pourquoi en effet la douleur me ferait-elle plutôt dire ce qui est que ce qui n'est pas ? Et à l'inverse, si celui qui est innocent de ce dont on l'accuse est assez fort pour supporter ces souffrances, pourquoi celui qui en est coupable ne le serait-il pas lui aussi, quand en échange ce qu'on lui propose est d'avoir la vie sauve ? Je pense que le fondement de cette invention réside dans la considération accordée à l'effort de la conscience. Car dans le cas du coupable, il se pourrait qu'elle l'affaiblisse, et s'ajoute à la torture pour lui faire confesser sa faute ; à l'inverse, elle fortifierait l'innocent contre ses tourments. Mais en vérité, c'est un moyen plein d'incertitude et de danger. Que ne dirait-on pas, que ne ferait-on pas pour échapper à des souffrances aussi horribles ?

[…] Il arrive donc que le juge, qui a soumis un homme à la « question » pour ne pas le faire mourir s'il est innocent, le fait finalement mourir et innocent... et torturé…

[…] On prétend que c'est la chose la moins mauvaise que la faiblesse humaine ait pu inventer... Bien inhumaine, pourtant, et inutile, à mon avis ! » (Montaigne, Les Essais, Sur la conscience. Livre II, chapitre V - extraits)