L’hybridation numérique dans un établissement en pédagogie active : l’expérience des étudiants de EPITECH Blended Learning in an active learning institution: the experience of EPITECH students

Nicolas BOURGEOIS 
et Nefeli PAPARISTEIDI 

https://doi.org/10.25965/interfaces-numeriques.4919

Cette étude a pour cadre l’école EPITECH, un établissement d’enseignement supérieur en informatique, fonctionnant en pédagogie active. Comme les autres établissements scolaires, cette école a dû faire face à la nécessité de recourir massivement à l’hybridation numérique avec un temps d’adaptation relativement court. La question posée est de savoir si, au-delà des aspects disciplinaires et du public concerné, la dimension constructiviste de la pédagogie a effectivement favorisé cette transition. Dans ce papier nous proposons une cartographie des méthodes déployées et de l’expérience étudiante dans le cadre de l’hybridation, en nous basant sur les observations réalisées sur le terrain et les témoignages des étudiants et des pédagogues. Notre conclusion est que les méthodes de pédagogie active, une fois intégrées, sont un outil favorisant le passage à l’hybridation numérique. Nous pensons que cette étude contribue à étayer à la fois l’existence de l’effet établissement, et l’intérêt spécifique de la pédagogie active à des fins de transition numérique et hybride.

This study is taking place in EPITECH, a school of higher education in computer science, with an active pedagogy approach. Like other educational institutions, this school faced the need to make extensive use of blended learning with a relatively short time to adapt. The question is whether the constructivist dimension of pedagogy, beyond the disciplinary aspects and the public concerned, has indeed favored this transition. In this paper we propose a mapping of the methods deployed and the student experience of blended learning based on field observations and testimonies of students and pedagogues. Our conclusion is that active pedagogy approach, once integrated, enable the transition to blended learning. We believe that this study contributes to demonstrate both the existence of the school effect, and the specific interest of active pedagogy during a digital and hybrid transition.

Sommaire
Texte intégral

1. Introduction

Cette étude a pour cadre l’école EPITECH, un établissement privé d’enseignement supérieur en informatique. Délivrant une certification RNCP, l’école est soumise à peu de contraintes quant à son fonctionnement pédagogique, ce qui lui a permis de développer un modèle original fonctionnant selon une approche constructiviste : pas de cours ni de professeurs mais des projets et des pédagogues en situation d’accompagnement. Le modèle d’EPITECH était comme la plupart des autres établissements supérieurs, conçu dans un cadre présentiel, jusqu’à la rupture de 2020.

Au moment de commencer notre étude, nous avions conscience qu’EPITECH possédait trois caractéristiques de nature à influer sur cette adaptation. Le premier point est la distribution a priori de compétences clefs dans la population étudiante et enseignante, du fait de la discipline enseignée. Le second point est lié aux méthodes pédagogiques éloignées des cours magistraux et travaux dirigés, qui posent la question de l’adaptation en des termes très différents. Le dernier point renvoie à la structure d’établissement privé, qui influe sur la composition sociale du groupe des étudiants. Nous nous interrogions à la fois sur le poids relatif et la possible ambivalence de ces trois caractéristiques dans la mise en place de l’hybridation numérique. Plus précisément, le questionnement de l’étude porte sur la capacité spécifique de la pédagogie active à favoriser l’adaptabilité des apprenants à une situation inédite, au-delà des seuls savoirs enseignés.

1.1. Hybridation et e-learning : un impact fort et contrasté sur la pédagogie

L'une des conséquences les plus sensibles de la pandémie de COVID-19 a été la perturbation de la vie scolaire. Les interactions à l’école se sont arrêtées, les cours ont changé de mode, les enseignants et les élèves ont dû s'adapter à ces changements sans avertissement préalable (Lozano et Paparisteidi, 2021). D'un point de vue sociologique, la structure de la vie quotidienne a été bouleversée (Berger et Luckmann, 1966), en particulier l'espace d'échange symbolique qui permet la création d'une culture scolaire (Pérez Gómez, 1998). Le recours à l’enseignement hybride et au e-learning est devenu, sinon la norme, du moins une question systématique.

L’e-learning et l’hybride exigent un effort cognitif important pour faire face aux nouvelles tâches de travail dans un environnement virtuel et favorisent le développement des capacités d’adaptation de tous les participants (Kurbakova et al., 2021). La position de Jézégou (2012) par rapport à la définition du e-learning comme une communauté sociale est reprise par Djebara et Dubrac qui mentionnent que l‘e-learning est à distinguer d’un simple enseignement mis en ligne de façon monodirectionnelle. L’apprenant peut ainsi interagir avec son tuteur et ses pairs, et se rendre compte de son propre apprentissage (Djebara et Dubrac, 2015).

Parmi ses avantages, les étudiants identifient leurs besoins et organisent leur apprentissage pour répondre à ces besoins (Kurbakova et al., 2021) tandis que Krasodomska et Godawska (2020) remarquent que l’engagement des participants dans l'e-learning a un effet positif sur leur performance. Le rôle du pédagogue est considéré comme l’un des facteurs les plus importants (Alam et al., 2021). La posture empathique des pédagogues joue un rôle prépondérant surtout en raison de la présence d'un « changement de l'état mental et psychologique des personnes sans précédent causés par la pandémie » (Saxena et al., 2020).

En contrepoint de cette vision irénique, Fawaz et Samaha soulignent que l’apprentissage par le biais de plateformes en ligne a donné lieu à des dépressions et des troubles anxieux chez les étudiants (Fawaz et Samaha, 2020). Cela pourrait être dû à la charge de travail à laquelle les étudiants font face pendant l’e-learning (Maatuk et al., 2021). En Roumanie, l'e-learning s'est avérée être à la fois une opportunité de réforme systémique et un risque d'exclusion sociale (Hosszu et Righinis, 2021). L’e-learning aurait ainsi aussi un impact social négatif. L’étude de Paparisteidi & Lozano montre aussi que l'importance de la socialisation et sa privation pourraient faire oublier rapidement les résultats positifs de l'e-learning.

Pour Amadieu et Tricot, les outils numériques ne suffisent pas pour que l’apprentissage ait lieu à distance. Un travail méticuleux en termes de conception pédagogique, d’animation, de définition de compétences et de veille est essentiel (Amadieu et Tricot, 2014).

1.2. Lien avec les pédagogies actives

L’efficacité des nouvelles technologies se manifeste dans des dispositifs pédagogiques dans lesquels les étudiants sont acteurs et les enseignants ont un rôle d’encadrant et de tuteur (Lebrun, 2007). Les modalités pédagogiques évoluent également avec le développement des formations à distance ou hybrides (Dulbecco et al., 2018). La nouvelle pédagogie est centrée sur l’apprenant, elle met en activité le processus cognitif par opposition à un enseignement classique, où les étudiants ont un statut de réceptacle de la parole enseignante (Bourdieu, 1971 ; Garcia, 2003).

Le constructivisme, et, en particulier, la pédagogie par projet, est une pédagogie collective dans laquelle les étudiants sont acteurs. Elle est basée sur l’autonomie, la mise en œuvre de projets, d’expérimentations et de résolutions de problèmes souvent de manière pluridisciplinaire. John Dewey pensait que l’école doit représenter l’environnement social car les étudiants apprennent davantage dans des environnements familiers (Flinders et Thornton, 2013). Il était partisan de l’idée que les intérêts des étudiants peuvent déterminer la formation des enseignants (Dewey, 1938). De son côté, Piaget proposait que, grâce aux processus d'adaptation et d'assimilation, les étudiants construisent de nouvelles connaissances à partir de leurs expériences (Piaget, 1969 ; Piaget, 1977a ; Piaget, 1977b). Les approches constructivistes de l'apprentissage fournissent des environnements d'apprentissage contextuels comprenant des tâches significatives. Celles-ci encouragent la construction active de connaissances par les apprenants à travers leurs expériences et leurs interactions sociales, et sont susceptibles de favoriser l'acquisition et le transfert de ces compétences dans des situations de la vie réelle (Papastergiou, 2006). Elles nécessitent cependant que l’étudiant apprennent un nouveau métier d’étudiant (Dulbecco, 2018).

Une des conditions de la pédagogie active, est que les élèves puissent être en situation de recherche collective sur des sujets répondant à leurs besoins (Epstein, 2016). La mise à disposition de nombreuses ressources pédagogiques a été un élément central de cette pédagogie bien avant l’arrivée de l’informatique. Plus récemment, un rôle déterminant a été attribué aux environnements numériques de travail, comme prolongement numérique de l’établissement pour, non seulement organiser la vie scolaire, mais pour centraliser l’accès aux ressources et la communication ainsi que pour soutenir le travail collaboratif (Aillerie, 2017). L'apprentissage collaboratif va au-delà des approches conventionnelles centrées sur les cours magistraux et valorise l'engagement des étudiants dans le processus d'apprentissage (Dillenbourg et Fisher, 2007). Dans les environnements collaboratifs, l'enseignant passe d’être un expéditeur d'informations à un facilitateur d'apprentissage (Laaland et Laal, 2012), car les étudiants sont stimulés à interagir, à répondre à des questions et à s'exprimer (Stahl et al., 2006). On peut faire l’hypothèse que les outils numériques s’intègrent naturellement à une pratique constructiviste centrée sur l’appropriation des outils par les apprenants (développement par et pour l’apprenant), là où ils pourraient représenter une menace pour la légitimité de l’enseignant comme vecteur de transmission dans un contexte behavioriste (pédagogie de la transmission).

2. Méthodologie

Pour répondre à notre problématique nous avons étudié l’expérience de deux promotions d’étudiants, respectivement en 2019-2020 et 2020-2021 ; la première ayant par conséquent six mois d’expérimentation de pédagogie active avant le passage en hybridation, ce qui n’était pas le cas de la seconde.

L’étude repose sur une investigation basée sur la triangulation des méthodes et des outils (Cohen et al., 2008). Nous avons cumulé une approche par observations, par entretiens semi-directifs et par diffusion de questionnaires auprès de l’ensemble de la population étudiante. Nous avons eu également accès aux bases de données internes de l’école, ce qui nous a permis de croiser des données pédagogiques plus massives. L’étude menée porte les caractéristiques d’une monographie vu que nous avons choisi un terrain spécifique afin de vérifier empiriquement les hypothèses de recherche (Albarello, 2011).

Note de bas de page 1 :

Dans ce texte, les personnes interrogées seront identifiées par un numéro précédé d’une lettre indiquant leur statut : E pour élève, P pour assistant pédagogique et D pour directeur pédagogique.

Note de bas de page 2 :

Avant 2020 les équipes pédagogiques utilisaient Teams principalement à des fins d’organisation interne, avec une utilisation plus anecdotique vis-à-vis des étudiants (annonce d’évènements dans le cadre du Hub par exemple). De leur côté beaucoup d’étudiants avaient une pratique personnelle de Discord. Dans le cadre de l’hybridation post-COVID ces deux outils qui étaient des marqueurs de leur communauté respective sont au contraire devenus les supports privilégiés de communication entre les deux communautés, et de l’activité pédagogique.

L’enquêtrice a effectué 88 entretiens semi-dirigés : 39 auprès d’étudiants de première année, 26 auprès d’assistants pédagogiques et 20 auprès de membres de la direction pédagogique1. Les observations se sont d’abord déroulées, pour un total de 410 heures, dans les locaux de plusieurs campus de l’école entre juin 2019 et octobre 2020 et via les canaux Teams et Discord2, en 2021. Pour l’analyse des données qualitatives, nous avons utilisé la méthode de l’analyse thématique (Paillé et Mucchielli, 2012). Comme Manon et Cohen le mentionnent, un des plus grands défis pendant le process d’analyse des données est de maintenir la vue holistique des données (le texte) à côté de notre tendance à automatiser et fragmenter les données (Cohen et al., 2006). La transcription des entretiens avait souvent lieu quelques heures après l’enregistrement. Elle comprenait une phase de codage descriptif largement automatisé, une phase de codage des thèmes, une phase de codage analytique (Richards, 2014). Après un premier essai de transcription, une étape de vérification a eu lieu pour s’assurer que la transcription ne prenait pas des dimensions paraphrastiques d’auto-reformulation et pour ajouter en même temps des éléments périphériques du langage comme, par exemple, les très importantes réactions non-verbales de la personne interrogée (Krejdlin, 2008).

L’ethnographie est fondée sur une démarche empirique qui implique l’immersion du chercheur dans son terrain afin d’étudier de façon fine des institutions, des communautés, des situations, des interactions, des comportements individuels et collectifs (Jouët et Caroff, 2013). Or, pendant la pandémie, nous avons été confrontés à la nécessité de rendre les observations virtuelles. Nous avons ainsi eu accès à des données à la fois denses et variées (commentaires, chats) et ce sur le long terme. Par conséquent, les canaux Teams et Discord ont étaient conçus dans cette perspective comme un ensemble de microcosmes sociaux, de répliques en miniature des campus qu’on a été invités à explorer (Berry, 2012). Notre implication virtuelle a permis de comprendre le contexte des programmes, de voir des éléments qui pourraient autrement être inconsciemment manquées, dont les participants ne parleraient peut-être pas librement dans les situations d'entretien (Cohen et al., 2006).

Par ailleurs, nous avons soumis un questionnaire aux étudiants des 13 campus d’EPITECH, pour lesquels nous avons reçu 519 réponses (soit 28,1 % de l’ensemble des étudiants des promotions visées). Le questionnaire comportait 31 questions, dont seules quelques-unes seront exploitées dans ce travail. Nous avons enfin mobilisé la base de données des 16 406 étudiants pour mesurer la réussite des étudiants avant et après l’hybridation.

3. Résultats

Confrontée aux périodes de confinement, EPITECH a dû s’adapter au contexte sanitaire en proposant un parcours hybride. Des modifications ont porté sur l'aspect organisationnel et sur la création d'une vie sociale au sein de l'école pour répondre à la crise sanitaire et pour abaisser la pression que celle-ci engendrait chez les étudiants (D15). Les directeurs pédagogiques décrivent un processus mené dans l’urgence :

« le travail a été fait au début de l’épidémie » D13

« on a adapté tout le système pédagogique et globalement ça marche, on est ambitieux […] trouver un fonctionnement pour réussir à garder quelque chose de fonctionnel avec l'étudiant » D18

Nous nous sommes intéressés à la nature de ces adaptations, à leur spécificité en lien avec le caractère constructiviste de la pédagogie et à l’impact tel que perçu par les étudiants et mesuré à travers leurs résultats scolaires. Cette analyse va se décliner en deux parties. La première partie sera consacrée à l’étude de l’évolution du cadre scolaire pendant l’hybridation. La seconde parlera des réactions des étudiants et de l’influence sur leur expérience et leur réussite.

3.1. L’évolution du cadre scolaire dans le contexte de l’hybridation

Au début de l’enquête nous avons interrogé la communauté étudiante et pédagogique sur le format des études ainsi que sur l’utilisation des outils et plateformes numériques. Un faible pourcentage de notre échantillon a répondu avant la pandémie qu'il travaillait uniquement à distance (5,6 %). La modalité principale était principalement le travail sur place (73,4 %), tandis qu’une minorité suivait un apprentissage hybride (21,1 %).

L’hybridation a permis aux étudiants de faire des activités asynchrones et synchrones depuis la maison ou un téléphone portable (E26). La modalité dominante pendant la première phase du COVID-19 a été plutôt un apprentissage à distance (D1), mais pendant l’année académique 2020-2021, les régions ont adapté les moyens à disposition à leurs propres besoins, en favorisant le format hybride (D12, D17) :

« un jour [en présence] sur lundi et mardi, un jour sur jeudi et vendredi » D12

« un mode mixte : on a des étudiants qui vont venir à l'école, on a d'autres qui vont travailler en remote » D17

« chez Discord sur mon téléphone, sur mon ordinateur, je peux être en voiture en train de discuter avec un ami. Si un collègue demande une question, je peux être en voiture et répondre tout de suite » E26

Un environnement éducatif peut être qualifié d'ouvert lorsque les étudiants ont des possibilités de choix sur les contenus, les espaces et les rythmes de l’apprentissage (Sofos et Kron, 2010). Cela ne nie pas l'existence de délais à respecter, mais chaque apprenant peut aménager l’emploi de son temps afin de respecter les délais. Ici les étudiants ont eu la possibilité de choisir le mode d'organisation de l'enseignement, le type de travail qu'ils effectuaient, le corpus de sources. De surcroît, les étudiants pouvaient interagir et définir collectivement les créneaux, les rôles et les modalités de travail :

« parfois je me mets dans la salle tout seul pour bosser tranquillement. S’il y a quelqu'un qui veut venir c'est possible ou si je dois bosser en groupe. On est jamais seul sur Discord » E26

Par contre, dans plusieurs régions, l’école a pu continuer en présentiel compte tenu du nombre limité d’étudiants dans le campus (E26, E25) :

« c'est une petite école je peux être en présentiel » E26

« c'est une petite promo, on a pu reprendre le présentiel depuis février » P25

Les activités pédagogiques se poursuivaient en ligne avec le même format qu’en présentiel. Les débuts des projets avaient toujours lieu en ligne afin d’inclure tous les étudiants. En termes d’organisation des projets, nous voyons des changements du volume horaire et de la structure des groupes d’étudiants :

Screenshot 1 : Discord EPITECH Nancy

Screenshot 1 : Discord EPITECH Nancy

« tout faire par Teams dès qu'on avait une activité on prévoyait la réunion sur Teams, mais pour les reviews on passait sur Discord » E33

« en présentiel […] 20 étudiants pendant 2h dans une salle et on a fait 10 étudiants pendant 1h en visio et avec caméra et interactions obligatoires » D18

Les pédagogues étaient présents dans les classes virtuelles ; ils organisaient des sessions matinales pour établir le contact avec les étudiants avant le démarrage de leur journée :

« les accompagnateurs sont là pour nous aider » E27

« Un pédago nous appelait et pour vérifier qu'on était bien réveillés qu'on était bien prêt attaquer la journée » E29

« réunions chaque matin de 4 à 8 personnes » E30

« quand j'arrive je dis ‘Bonjour’ à toute la promo, je me suis fait mon groupe d'amis » E35

L’information des apprenants est une forme d’action pédagogique qui a lieu dans le cadre d’un apprentissage hybride. Contrairement à l'enseignement, elle n'implique pas la présentation et l'explication d'un contenu complexe (Holmberg, 2002) :

« on oblige les élèves à travailler ensemble ou on leur dit qu’il faut être connecté de telle heure à telle heure » P9

Ces informations relèvent de la responsabilité de l’équipe pédagogique mais peuvent également être demandées par les apprenants par le biais de divers moyens de communication : courrier électronique, forums, canaux Teams (Screenshot 1) et Discord (Screenshot 2). Des informations par rapport à l’ouverture de l’école, la disponibilité des pédagogues et les réglementations établies par le gouvernement étaient annoncées aux étudiants afin d’organiser leur travail :

Un tiers des équipes pédagogiques n’utilisaient jamais d’outils de communication à distance avant d’y être amenés par la transition. Les équipes pédagogiques ont eu le choix de définir l’outil pédagogique qui leur convenait le mieux, les plus utilisés étant Teams et Discord. Les témoignages D14 et D15 décrivent Discord comme un outil incontournable de par sa simplicité d'utilisation.

« on essayait de fonctionner vers Teams. Ils sont tous autonomes avec les outils informatiques [avec des] variations régionales des pratiques » D13

« Teams et Discord. On utilise Teams pour les rendez-vous officiels. On a aussi Yammer pour l’info descendante » D12

« on a continué à utiliser les outils académiques historiques d’Epitech, Teams et on a très vite

mis en place une communauté Discord » D14

Screenshot 2 : Discord EPITECH Paris

Screenshot 2 : Discord EPITECH Paris

Lors de l’hybridation numérique des parcours scolaires, les outils numériques et les pratiques pédagogiques sont devenus importants tant dans les sphères familiales que scolaires (Fluckiger, 2014). A EPITECH avant le COVID-19, les plateformes de communication servaient surtout à un usage personnel, avec un peu de communication institutionnelle. Lors de la pandémie, des espaces numériques ont été créés afin de représenter la vie de l’école en présentiel avec souvent des canaux qui correspondaient à des salles. Cet effort a été mis en place afin de recréer virtuellement l’école et continuer à avoir du lien avec les étudiants (D14) :

« structuré de manière à ce que exactement les mêmes salles que dans les Epitech en présentiel. Il y a un bureau administration avec le directeur, le bureau communication, on y a une salle canapé sur discord on y va pour discuter » E26

« on fait des activités une fois par semaine le mercredi au début c'était des jeux » P12

L’usage éducatif et l’usage personnel des plateformes (Fluckiger, 2014) ne se distinguent pas facilement dans les échanges entre étudiants. Ce sont plutôt les différents canaux dans ces plateformes qui jouent ce rôle et permettent aux étudiants d’être en contact permanent avec leurs collègues et écoles, même pendant leurs activités extra-scolaires ou hors les cours :

« j'ai ajouté donc le canal des étudiants, ils parlent de tout de rien - le coin café. Le foot a une grande place - ça permet aux étudiants de garder un lien » P14

Le numérique n’est pas que technique, mais demande aussi des pratiques sociales (Aillerie, 2017). La posture de l'enseignant, le type d'activités liées à l'introduction du numérique sont aussi un changement à observer plus profondément (Roussel et Jourdan, 2015). A partir des témoignages, on voit que sur Discord (Screenshot 3) a émergé une espèce de communauté étudiante. Les outils numériques ont aussi été utilisés par les étudiants pour des activités extrascolaires, tels que jouer aux jeux vidéo et discuter sur des points d’intérêt communs (E32, D14).

« 3 salles ou il y a toutes les choses importantes sur Teams et on a créé à côté des salles pour développer ça » E32

« ils jouent à Pokémon et puis streament leurs parties de jeux vidéo » D14

Screenshot 3 : Discord EPITECH Strasbourg

Screenshot 3 : Discord EPITECH Strasbourg

3.2. Réactions des étudiants et modification de leur expérience.

Nous avons d’abord demandé aux étudiants leur opinion par rapport aux avantages et aux désavantages de l’hybridation de leur parcours.

Le fait de ne pas avoir besoin d'utiliser les transports est présenté comme l'avantage le plus important (21,7 %) suivi par l’autonomie (18,1 %), puis la gestion du temps (16,7 %) et enfin l’accès illimité à l’information.

Au cours des entretiens nous avons relevé que le distanciel a aidé un étudiant à éliminer des facteurs négatifs comme le stress et le manque du sommeil, ainsi qu’à optimiser son temps en évitant les transports (E33). Plusieurs mentionnent la facilité de s’adapter à l’apprentissage en ligne grâce à leurs compétences en informatique et le format de leur formation (E37, E39). Un directeur (D17) suggère que le modèle hybride est un format qui va probablement continuer chez EPITECH. Un étudiant aborde également l’expansion du télétravail (E30) et un autre mentionne que l’hybridation lui permet de continuer d’être autonome dans son apprentissage (E27). Enfin, un directeur mentionne les bénéfices de l’apprentissage à distance pour les étudiants avec troubles d’apprentissage (D14)

« la méthodologie EPITECH ‘apprendre à apprendre’ se prête bien au distanciel, surtout pour les étudiants avec des troubles de l'apprentissage » D14

« on continue d'apprendre par nous-mêmes » E27

« des petits rituels du matin créent un sentiment de rythme et de continuité » D12

« on n’a plus à faire les transports [on a] moins de stress, plus de sommeil » E33

« je trouve que l'informatique c'est un domaine qui s'adapte très bien au télétravail » E30

Le distanciel est censé promouvoir l’ouverture d’accès (Holmberg, 2002) car il favoriserait la participation en limitant les contraintes financières, géographiques ainsi que sociales. Un témoignage nous montre aussi que l’utilisation des TIC a été favorable pour raccrocher les étudiants avec des problèmes de santé, qui ne pouvaient pas se déplacer :

« il a quitté l’hôpital […] graves soucis de santé et le fait qu'on ait intégralement basculé toutes les activités en distanciel ça lui a permis de raccrocher le wagon de chez lui dans son lit » D14

« d'étudiants qui ont des difficultés d'apprentissage - autisme - pour lesquels ça marche ; ce côté social n'est pas là » P14

En parallèle, la promotion de la professionnalisation et l’auto-entrepreunariat se sont maintenus. Les équipes pédagogiques encourageaient les étudiants à s’impliquer dans des activités extra-scolaires (Business Game, Career Days). Ces activités étaient aussi proposées à distance au vu du contexte sanitaire (Screenshots 4, 5).

Screenshot 4 : Teams EPITECH Marseille

Screenshot 4 : Teams EPITECH Marseille

Screenshot 5 : Teams EPITECH Toulouse

Screenshot 5 : Teams EPITECH Toulouse

Pour chacune des 5 compétences suivantes : Créativité et Innovation, Prise d’initiatives et leadership, Capacités à s'intégrer au programme d’apprentissage, Maîtrise des objectifs de mes études et Compétences d’analyse et de synthèse, nous avons demandé aux étudiants s’ils avaient l’impression de les avoir acquises. Nous n’avons constaté aucune différence significative entre les réponses des différentes années.

Au-delà des seules compétences, on peut également se demander si le modèle pédagogique actif en hybride a maintenu la construction collaborative des savoirs. Pendant les observations virtuelles nous avons pu observer des étudiants appliquer la méthode pair à pair en sollicitant leurs camarades pour poser des questions techniques (Screenshots 6, 7), former des groupes de travail (Screenshot 8) ou échanger des contenus (Screenshot 9). Les réponses aux questions se donnaient en public en écrivant les réponses directement dans les canaux.

Screenshot 6 : Teams EPITECH Marseille

Screenshot 6 : Teams EPITECH Marseille

Screenshot 7 : Teams EPITECH Paris

Screenshot 7 : Teams EPITECH Paris

Screenshot 8 : Teams EPITECH Nice

Screenshot 8 : Teams EPITECH Nice

Sur cet extrait d’observation (Screenshot 9) on peut distinguer le post d’un étudiant qui propose du matériel à ses camarades en lien avec leur projet.

Screenshot 9 : Teams EPITECH Strasbourg

Screenshot 9 : Teams EPITECH Strasbourg

L’encouragement des pédagogues a eu lieu dans les espaces virtuels publics. Par exemple, pour le projet de première année Solo Stumper, la direction a prolongé la date de rendu. En annonçant cela, le directeur encourage les étudiants à créer des sessions de travail en commun pour continuer de s’entraîner (Screenshot 10). La bienveillance du directeur se manifeste par sa décision de prolongation sans reprocher aux étudiants d’éventuels retards. En même temps, la direction annonce les conditions de travail et la méthodologie à suivre.

Le travail d’équipe est omniprésent. Les témoignages des membres de l’équipe pédagogique ainsi que des étudiants viennent compléter nos observations, en confirmant que le travail en groupes est devenu une partie indispensable de leur apprentissage (D4, D5, E1, D19, E36) :

« Ils bossent souvent avec des potes et très souvent les potes ne travaillent pas assez, mais eux ils sont toujours évalués en groupes » D4

« on se réunit pour travailler et pour s'entraider » E36

« à l'école il faut aimer partager échanger des expériences » D19

L’entraide (E4, E5, E7, E31, E32, E34) et le sentiment d’appartenance à une équipe et communauté (E4, E10, E38) sont prépondérants dans les entretiens des étudiants. Outre l’esprit d’équipe en termes de convivialité, les étudiants apprécient la solidarité des camarades ainsi que la découverte des méthodes qu’ils n’auraient pu découvrir seuls (E5, E27). Un des membres de la direction pédagogique note également que l’apprentissage par les pairs a un aspect plutôt comportemental que pédagogique (D13) :

« Je préfère demander à mes copains. Vu qu’on a un groupe assez soudé. On se communique des informations et on échange beaucoup » E5

« on peut – s’ adapter à tout – toucher à tout – et rester surtout dans l’idée qu’on est pas seuls. Il y a des gens à côté de nous mais qui ont d’autres méthodes » E10

Screenshot 10 Teams EPITECH Nice

Screenshot 10 Teams EPITECH Nice

Nous avons demandé aux étudiants d'évaluer l'impact de l'hybridation sur leur relation avec leurs camarades. Dans leur grande majorité (62,4 %), les étudiants pensent que le distanciel a joué un rôle négatif dans leurs relations avec les autres étudiants.

Les données qualitatives rejoignent aussi les conclusions quantitatives. Les témoignages soulignent que les problèmes de motivation des étudiants se reflètent sur ses notes. Un étudiant dit se sentir abandonné par l’administration. Des témoignages déplorent la procrastination, le manque de concentration et la démoralisation des apprenants. Deux directeurs mentionnent aussi l’impact psychologique de se voir « voler leur vie étudiante » (D14, D19) car les étudiants ne sont plus motivés pour venir au campus. La dégradation de la santé mentale et physique des étudiants a aussi été abordée par des membres de la direction. (D18) .

« avec la procrastination il y a aussi la motivation qui joue son rôle étant donné qu'on est seul chez nous » E32

« problématique de motivation de lassitude et d'équilibre émotionnel, psychologique. Ils ont mal à travailler chez eux en toute autonomie sans lien social […] j'ai beaucoup de mal à les faire revenir à l'école » D14

« ils sont en situation très compliquée […] un qui a perdu 15 kilos en 2 mois » D18

Les données quantitatives nous aident à aborder le sujet de la réussite pendant l’hybridation numérique, étant celle-ci le passage de l’étudiant en classe supérieure. C’est la mesure la plus immédiatement importante du point de vue des étudiants, et également la plus facile à évaluer. Notons cependant que le cadre formel d’évaluation est resté constant, et qu’en particulier les procédures de tests automatiques sont demeurées en l’état – ce qui n’exclut pas certains aménagements pédagogiques (augmentation des délais pour rendre un travail par exemple).

Sur la figure suivante on observe que, avant l’hybridation du parcours, le taux de réussite est de 59,9 % contre 59,7 % de réussite pendant la pandémie. On en conclut que l’hybridation n’a pas eu un impact significatif sur la réussite des étudiants.

Figure 1 La réussite des étudiants avant et après l'hybridation

Figure 1 La réussite des étudiants avant et après l'hybridation

De même, lorsque l’on segmente la population étudiante selon les tranches de revenus parentaux, on ne parvient pas à discerner une différence de distribution significative entre la période antérieure et celle postérieure à l’hybridation.

En revanche, en comparant l’année avant et après l’hybridation on voit que le taux d’abandon après est de 27,1 % contre 22,2 % avant, tandis que le taux de redoublement passe de 17,8 % à 13,2 %. Par conséquent on a une augmentation sensible des abandons parmi la population en situation de redoublement. Cela semble indiquer que, même si l’hybridation n’a pas trop affecté les étudiants en situation de réussite, ceux qui étaient déjà en situation d’échec ont eu davantage tendance à abandonner.

4. Conclusions

L’objectif principal de cette recherche était d’étudier l’adaptation des étudiants d’EPITECH à l’hybridation numérique afin de favoriser une meilleure compréhension des synergies entre pédagogie active et hybridation.

L’apprentissage hybride est un format qu’une minorité (1 sur 5) des étudiants avait déjà expérimenté avant le début de la pandémie. Au cours de celle-ci, l’hybridation numérique a permis aux étudiants de suivre un parcours virtuel avec des classes numérisées dans les plateformes pédagogiques, avec une plus grande flexibilité d’organisation de leur temps, leurs groupes et leurs rendus. La présence des pédagogues dans les plateformes se manifestait quotidiennement dans les classes virtuelles via des espaces plus ou moins formels. Les plate-formes ont été investies simultanément pour des usages professionnels et personnels. Les équipes pédagogiques se sont efforcées, avec des différences entre campus, de multiplier les passerelles pour recréer les espaces pédagogiques et de sociabilisation qui étaient traditionnellement au cœur de la pédagogie constructiviste de l’école. On peut conclure que le caractère centré sur l’étudiant et l’encouragement à l’autonomie a contribué à favoriser le passage à l’hybridation, même si l’importance du groupe dans la pédagogie a nécessité de mobiliser des moyens et a posé des challenges spécifiques.

On a ainsi constaté, comme dans d’autres établissements plus conventionnels, une baisse de motivation importante chez les étudiants pendant la période hybride. L’importance du climat d’entraide et du sentiment d’appartenance pour le déploiement de la pédagogie active a rendu nécessaires des efforts importants de la part de la communauté pédagogique, à la fois sur le plan de l’innovation matérielle et pédagogique mais aussi sur celui du soutien psychologique.

Finalement, il ne semble pas exister de différences significatives en ce qui concerne la réussite des étudiants avant et après l’hybridation numérique, et les origines sociales des étudiants ne semblent pas avoir impacté leur capacité à traverser cette période au sein de l’école. Néanmoins, on constate que les élèves en situation d’échec ont eu plus tendance à abandonner qu’à redoubler, signe que l’efficacité de la pédagogie active n'arriverait pas à compenser aussi bien les difficultés de l’hybridation chez les élèves en difficulté.

Notre conclusion est qu’en dépit des difficultés spécifiques qu’elle peut susciter (nécessité de recréer à distance le groupe social), la pédagogie active peut être une solution efficace pour faciliter le passage à l’hybridation, à condition de bénéficier d’une communauté pédagogique acquise aux méthodes et d’un environnement techno-pédagogique adapté. Cet effet bénéfique semble être indépendant des origines sociales de l’étudiant, mais être moins efficace sur les élèves déjà en situation scolaire précaire.