Les petites écoles en Limousin (XVIIe-XVIIIe siècles)

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Mises en place dès le XVe siècle, les petites écoles connaissent un essor considérable à partir du XVIIe siècle et donnent aux enfants, âgés de 7 à 12 ans, les rudiments de l’instruction primaire en leur apprenant à lire, écrire et compter. Gratuites ou payantes, elles sont les conséquences des mesures prises par la contre-réforme catholique en matière d’éducation du peuple, notamment pour l’éducation féminine. Ces avancées sont également appuyées par le pouvoir royal, en 1698 et 1724, puisqu’il ordonne la création d’écoles dans toutes les paroisses, posant même un principe d’obligation scolaire jusqu’à 14 ans, qui ne sera toutefois pas appliqué dans les faits.

Au XVIIe siècle, le Limousin est une des régions les moins urbanisées du royaume. Les petites écoles, par la diversité de population qu’elles touchent, sont donc aussi un moyen, pour l’Eglise et pour le roi, de donner au peuple un semblant d’union nationale et religieuse par l’apprentissage des notions rudimentaires communes à tous les diocèses. Le rôle de l’Église dans la fondation des petites écoles rurales est fondamental, car celle-ci apporte directement ou indirectement une partie des moyens matériels nécessaires et participe au recrutement d’une partie du personnel enseignant, laïc ou religieux. Cette distinction dans le statut des enseignants répond en réalité au public visé. L’éducation des filles dans les campagnes limousines est uniquement prise en charge par les congrégations enseignantes (Ursulines, Visitandines, Sœurs de la Croix, Filles de Notre Dame, Sœurs de la charité et de l’instruction chrétienne de Nevers, Clarisses) puisqu’elles répondent aux volontés de l’Église. Dans les grandes villes, on trouve également parfois la présence d’écoles de filles tenues par les maîtresses laïques, mais elles constituent une minorité dans l’enseignement féminin limousin. Concernant les écoles de garçons, nous sommes dans le cas inverse. La majorité des enseignants sont des maîtres laïcs qui reçoivent une autorisation d’enseigner de l’évêché. Cette situation peut s’expliquer par les finalités éducatives de l’Église qui concernent surtout l’instruction féminine et la structure avec les congrégations tandis que l’éducation masculine demeure à la charge des initiatives individuelles ou de la volonté des familles, avec une offre plus riche et plus en ancienne (elle est mise en place depuis le Moyen Âge avec les écoles cathédrales).

La création d’écoles est également différente selon le lieu où l’on se trouve. Dans les villes du Limousin, les écoles sont créées assez facilement, l’enseignant doit simplement obtenir une autorisation d’enseigner. Dans les paroisses rurales, les écoles sont à la charge des habitants qui doivent donc en assurer le financement ou compter sur la générosité d’un donateur quand ce n’est pas le curé qui enseigne. Le paiement du maître ou de la maîtresse demeure souvent en effet à la charge des familles quand les écoles sont payantes tandis que les écoles de charité dépendent des dons faits à la paroisse. En plus de ses fonctions, l’enseignant s’engage également à assurer des services d’église en se chargeant de l’éducation religieuse et du plain chant au sein de sa classe ou en étant auxiliaire du curé.

Dans le Limousin, de nombreuses petites écoles à destination des garçons voient le jour ; c’est ce que met en évidence notre carte. Il est difficile de donner une date précise puisqu’il s’agit surtout de fondations faites par des laïcs et dont la date n’est pas toujours donnée dans les archives. La plus ancienne dont nous ayons connaissance, hormis celles fondées au Moyen Âge, semble être celle de Limoges, établie vers le milieu du XVe siècle et gérée par Jean Servienlis[1]. L’éducation des filles, nous l’avons dit, est majoritairement prise en charge par les congrégations enseignantes comme les Clarisses de Tulle fondées dès 1613 ou les Sœurs de la Croix de Magnac Laval, fondées en 1632. Cette division sexuée de l’école est une des particularités des espaces ruraux. Toutefois, les grandes villes de la région telles que Limoges ou Tulle accueillent une offre scolaire plus variée tant à destination des filles que des garçons. En effet en plus des petites écoles de garçons, gratuites ou payantes, se trouvent également des petites écoles de filles voire des petites écoles mixtes ainsi que la corporation des maîtres-écrivains qui donne un perfectionnement dans l’écriture.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer une partie des inégalités géographiques et la densité très irrégulière dans le tissu scolaire mis en évidence par la carte. Il est d’abord essentiel de rappeler l’importance des fondations pieuses pour l’éducation des filles en milieu rural. La rivalité religieuse dans la fondation d’école génère une forte concurrence entre les établissements catholiques et protestants dans de nombreuses villes (pour les villes de Lyon ou de Nantes par exemple[2]). Cependant, la faible présence protestante dans les campagnes limousines semble expliquer le développement tardif des écoles dans cette région, car nous ne retrouvons pas d’écoles protestantes dans nos archives qui auraient pu être en concurrence avec les écoles catholiques[3]. Malgré une offre scolaire assez variée dans les villes limousines, de nombreuses paroisses rurales restent en marge de ce mouvement de scolarisation primaire qui est également assez mal réparti sur le territoire. Ce qui peut expliquer les différences notables dans l’évolution du taux d’alphabétisation dans cette région. L’alphabétisation des conjoints en Limousin à la fin du XVIIe siècle oscille entre 2,5 % et 10 % et atteint à la fin du XVIIIe siècle entre 7,5 et 10 % pour la Haute Vienne, 10 et 12,5 % pour la Creuse et 18,75 à 22,5 % pour la Corrèze [4]. Ces évolutions sont le reflet de l’offre scolaire que l’on retrouve dans le Limousin entre le XVIIe et le XVIIIe siècle puisque la Corrèze est pourvue de nombreuses écoles réparties sur tout son territoire tandis que la Creuse et la Haute Vienne voient leurs écoles plus concentrées sur le territoire et localisées à proximité des grandes villes ou des espaces connaissant une plus forte densité de population.

[1] GUIBERT Louis, L’instruction primaire en Limousin sous l’Ancien Régime, Limoges, chez Ducourtieux, 1888, p. 23.

[2] Les cahiers d’inspections présents aux archives départementales du Rhône (AD 69, 5D20) font état de trois écoles protestantes en concurrence avec les petites écoles catholiques. La ville de Nantes connaît une histoire religieuse conflictuelle entre catholiques et protestants qui stimule la fondation de petites écoles.

[3] Une seule école protestante apparait dans la ville d’Aubusson, en Creuse dans le courant du XVIIe siècle mais elle est remplacée à partir de 1700 par le couvent des Sœurs de la Croix pour l’instruction des filles.

[4] Voir les cartes du Tome 2 de l’Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France par François LEBRUN, Marc VENARD et Jean QUENIART, 2e éd. Perrin, Paris, 2003, p. 425 et 459.

Bibliographie

BOUTIER Jean, « Les petites écoles en Bas-Limousin du XVe au début du XIXe siècle », Bulletin de la société des Lettres, Sciences et Arts de la Corrèze, n°84, 1981, p. 37-66.

CHARTIER Roger, COMPERE Marie-Madeleine, JULIA Dominique, L’éducation en France, du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, Sedes-CDU, 1976.

GROSPERRIN Bernard, Les petites écoles sous l’Ancien Régime, Rennes, Ouest France, 1984.

GUIBERT Louis, L’instruction primaire en Limousin sous l’Ancien Régime, Limoges, chez Ducourtieux, 1888.

PARIAS Louis-Henri (dir.), Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, tome 2 : 1480-1789, Perrin, Paris, 2003 (2e éd.).

Sources archivées

Archives départementales de la Haute Vienne (AD 87)

1G801: Contrats, requêtes, autorisations, délibérations et actes divers concernant les petites écoles et les préceptoriales de : Allassac, Le Dorat, Dun-le-Palleteau, Eymoutiers, La Souterraine, Saint Vaury et Saint Yrieix (1682-1784)

1G34: Arrêts du conseil d’état ordonnant qu’il sera passé désormais des actes notariés de toutes les donations, cessions ou obligations faites pour cause de dotation en faveur des professons religieuses dans les communautés et monastère du royaume, 14 septembre 1773. Instruction pour les communautés religieuses dressées par ordre de l’Assemblée de 1785 concernant les formalités à observer pour les constructions et reconstructions de bâtiments appartenant aux gens de main-morte, hôpitaux généraux et particuliers, maisons et écoles de charité 7 septembre 178

1G802 : Permissions d’enseigner dans le diocèse de Limoges et dans celui de Bourges, délivrées à un maître d’école, 1731

27H1: Dames de la Charité de Limoges

28H1 : Dames de la Charité de Saint Léonard

29H – 30H – 43H : Sœurs de la croix de Limoges, Magnac Laval et Bellac

30H: Sœurs de la Croix de Magnac Laval (1664)

38H : Visitandines de Limoges (1626-1792)

 

Archives départementales de La Creuse (AD 23)

D 10: Sœurs de l’Instruction chrétienne de la Souterraine

D11- 13: Sœurs de l’instruction chrétienne de Guéret

5H Dépôt 1-13: Bureau des pauvres et écoles de charité d’Evaux

 

Archives départementales de la Corrèze (AD 19)

Série de l’Hôpital de Brive :

B11: Donation de JB Dubois, 1750

G5 : Ecoles de Brive, 1763-1783

F2 : Sœurs Hospitalière, 1698

Aurélie Perret, 2017

33 rue François Mitterrand
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Tél. +33 (5) 05 55 14 91 00
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