La nature en tant que sujet de droit : une perspective sémiotique sur la notion de sujet dans le discours juridique

Alexandre Provin Sbabo 

https://doi.org/10.25965/trahs.967

Il ne fait aucun doute que la Constitution équatorienne de 2008, a marqué une étape ; non seulement pour le pays lui-même, mais aussi pour d’autres sociétés et dans différents domaines scientifiques, tels que le Droit et la Sociologie. Toutefois, ce que nous cherchons à aborder dans cet article concerne une caractéristique très particulière présentée dans le septième chapitre de cette Constitution, à savoir la notion de sujet, elle-même associée aux droits de la Nature. Cela étant, notre objectif consiste à chercher et à justifier, à partir de la notion de Nature comme sujet de droit et à travers la théorie sémiotique française, le positionnement juridique de la reconnaissance de la Nature en tant que sujet. Pour ce projet, nous effectuerons une analyse du discours juridique de la Constitution de l’Équateur, abordant plus spécifiquement un possible parallélisme théorique entre le concept de sujet en Sémiotique et en Droit. Ainsi, nous pouvons renforcer, fondée sur la sémiotique, l'importance du statut de sujet attribué à la Nature. Justifier un tel positionnement juridique à travers d’autres disciplines est une étape fondamentale pour donner une visibilité au thème et pour reconnaître juridiquement l’importance de la Nature, vue non comme un bien au sens économique du terme, mais comme une entité et, en cela, assurer ses droits sur tout le globe.

Sem dúvida alguma a Constituição do Equador, datada de 2008, foi um marco não só para o próprio país, mas também para as outras sociedades e para as diferentes áreas científicas, tais como o Direito e a Sociologia. Porém, o que procuramos abordar neste artigo diz respeito a uma característica muito particular apresentada no capítulo sétimo de tal Constituição, a saber, a noção de sujeito, que por sua vez é associada aos direitos da Natureza. Com isso, nosso objetivo consiste em, a partir da noção de Natureza como sujeito de direito, investigar e justificar, por meio da teoria semiótica francesa, o posicionamento jurídico de reconhecimento da Natureza enquanto sujeito. Para este empreendimento, realizaremos uma análise do discurso jurídico da Constituição do Equador, tratando especificamente de um possível paralelismo teórico entre o conceito de sujeito na Semiótica e no Direito. Assim, podemos reforçar, com o auxílio da semiótica, a importância da qualidade de sujeito atribuída à Natureza. Justificar tal posicionamento jurídico por meio de outras disciplinas é um passo fundamental para dar visibilidade à temática e reconhecer legalmente a importância da Natureza, não mais como um bem no sentido econômico da palavra, mas como uma entidade e com isso, garantir seus direitos ao redor do globo.

Undoubtedly, the Constitution of Ecuador, dated from 2008, was a milestone not only for the country itself, but also for other societies and for different scientific fields, such as legal field and sociology. However, what we seek to address in this article concerns a very particular characteristic presented in the seventh chapter of such Constitution, namely, the notion of subject, which in turn is associated with the rights of Nature. Thus, our objective consists of, from the notion of Nature as legal subject, to investigate and justify, through the French semiotic theory, the juridical position of recognition of the Nature as subject. For this achievement, we will perform an analysis of the legal discourse of the Constitution of Ecuador, dealing specifically with a possible theoretical parallelism between the concept of subject in Semiotics and Law. Hence, we can reinforce, with the help of semiotics, the importance of the statute of subject attributed to Nature. To justify such legal positioning through other disciplines is a fundamental step to give visibility to the theme and to legally recognize the importance of Nature, no longer as a good in the economic sense of the word, but as an entity and with that, guarantee its rights around the globe.

Sin duda alguna la Constitución de Ecuador, que data de 2008, fue un marco no solo para el propio país, sino también para otras sociedades y para diferentes áreas científicas, tales como el Derecho y la Sociología. Pero, lo que buscamos abordar en este artículo se refiere a una característica muy particular presentada en el capítulo séptimo de dicha Constitución, a saber, la noción de sujeto que, a su vez, está asociada a los derechos de la Naturaleza. Siendo así, nuestro objetivo consiste en, a partir de la noción de Naturaleza como sujeto de derecho, investigar y justificar, por medio de la teoría semiótica francesa, el posicionamiento jurídico de reconocimiento de la Naturaleza como sujeto. Para esto, realizaremos un análisis del discurso jurídico de la Constitución de Ecuador, tratando específicamente de un posible paralelismo teórico entre el concepto de sujeto en la Semiótica y en el Derecho. Así, podemos reforzar, con el auxilio de la semiótica, la importancia del estatuto de sujeto atribuida a la Naturaleza. Justificar tal posicionamiento jurídico por medio de otras disciplinas es un paso fundamental para dar visibilidad a la temática y reconocer legalmente la importancia de la Naturaleza, no como un bien en el sentido económico de la palabra, sino como una entidad, y, con ello, garantizar sus derechos alrededor del globo.

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Full text

Introduction

Note de bas de page 1 :

« L’actant peut être conçu comme celui qui accomplit ou qui subit l’acte, indépendant de toute autre détermination » (Greimas, A. J. ; Courtés, J., 1993 : 3)

Discuter de sujets liés à l'environnement, à la nature et au développement durable s'avère toujours une tâche pour le moins, compliquée et complexe. Compliquée, puisqu'il est extrêmement difficile, en tant que sémioticien, d'effectuer une analyse à bonne distance de notre objet d'étude, tout en gardant un regard naïf et « libre de tout cadre a priori » (Landowski, 2001 : 22). Complexe, car un nombre croissant d’agents ou, comme nous disons dans le vocabulaire de la sémiotique, d’actants1 commencent aussi à s’inquiéter par la thématique. Comme reflet de cette situation nous pouvons percevoir une préoccupation croissante concernant les questions liées à la protection de la faune et de la flore, au niveau mondial, ainsi que les politiques publiques en visant à réduire les émissions de déchets polluants.

Note de bas de page 2 :

L’objet de valeur « […] se définit alors comme le lieu d’investissement des valeurs (ou des déterminations) avec lesquelles le sujet est conjoint ou disjoint » (ibid., : 259)

L'insertion de nouveaux actants, à son tour, conduit à des conflits d'intérêts de plus en plus divergents, de sorte que, toujours en utilisant le vocabulaire de la sémiotique, chaque sujet a son propre objet de valeur2. Le courant environnementaliste, d'une part, dont l’objet de valeur est la préservation de la faune et de la flore ; les grands conglomérats économiques, d'autre part, qui considèrent la nature comme un objet de valeur d'échange économique en raison de son exploitation et, nous avons encore, la présence du gouvernement et des politiques publiques qui, du moins en théorie, devraient au minimum jouer un rôle de médiateur entre les intérêts environnementaux, sociaux et économiques.

Note de bas de page 3 :

“La naturaleza será sujeto de aquellos derechos que le reconozca la Constitución”. Traduit par nos soins de l’espagnol.

C'est précisément en pensant à l'essence du rôle du gouvernement dans ce jeu d'intérêts que le gouvernement de l'Équateur a décidé, en 2008, de mettre à jour sa Constitution , et en particulier son chapitre VII intitulé les Droits de la Nature. Ainsi, non seulement le gouvernement commence-t-il à arbitrer et à négocier des questions liées à l'utilisation, à l'exploitation, au maintien et à la préservation de la nature, mais aussi, comme le montre le titre II, l'art. 10, « La nature sera soumise aux droits reconnus par la Constitution »3 (Ecuador, 2008 : 11), c'est-à-dire que la Nature commence à jouir du statut de sujet de droit.

C'est donc, à partir de ce statut de sujet de droit, légalement attribué à la Nature que nous avons fondé la recherche de cet article. Nous cherchons à nous interroger sur la manière dont la notion de sujet et de sujet de droit opèrent aux niveaux technique et sémantique et quelles seraient les implications des valeurs d’une telle catégorie sémantique. Cette recherche peut nous conduire, à travers une science autre que le Droit, à réaffirmer et à justifier, dans un avenir pas trop lointain, l'insertion de la Nature comme sujet de droit dans les pays qui ne voient pas encore l'importance de cet acte juridique.

Pour la réalisation de cet étude, l’utilisation de la sémiotique française devient essentielle, notamment si l’on tient compte de son lien étroit avec la linguistique, les phénomènes sociaux, les discours et sa vocation à dévoiler les valeurs qui circonscrivent l’acte de communication. Nous ferons directement référence, ici, à la sémiotique française forgée dans la pensée structuraliste. Sans perdre la cohérence avec la ligne épistémologique de la sémiotique, nous chercherons à présenter les concepts de la sémiotique au fur et à mesure de leur actionnement, en visant toujours la bonne compréhension du texte, non seulement pour les sémioticiens, mais aussi pour tous les chercheurs d'autres sciences qui s'intéressent à cette thématique.

La sémiotique et le discours juridique

La première approche théorique entre la sémiotique et le discours juridique a été réalisée en 1970, sous forme d'analyse, pour le Centre de recherche sur le droit des affaires de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris (Greimas, A. J. ; Landowski, E. in Greimas, A. J., 1976). Dans ce texte, malgré les préoccupations concernant la nouveauté de l'approche épistémologique, les auteurs commencent par construire le lieu du discours juridique au sein d'autres discours, afin de justifier la pertinence et la validité de cette approche théorique. Cependant, avant d’aborder l’objet de notre recherche, il est nécessaire de reconnaître sémiotiquement certains éléments du discours juridique, car comme le disent Greimas et Landowski (ibid. : 82), « l’analyse d’un texte juridique particulier […] présuppose une réflexion sur le statut sémiotique du discours juridique pris dans son ensemble »

Ainsi, les auteurs soulignent trois points inhérents au discours juridique lui-même : 1) le discours juridique fait partie d'un ensemble plus large d'autres discours manifestés ; 2) parce que le texte juridique fait partie d’un sous-ensemble d’autres textes, il est soumise aux mêmes règles qui les constituent, soit en ce qui concerne la manifestation syntagmatique, soit à sa propre organisation interne, c’est-à-dire en paragraphes, chapitres, etc. ; 3) « La qualification d’un sous-ensemble de discours [considéré] comme juridique implique, à son tour, soit l’organisation spécifique des unités qui le constituent, soit l’organisation d’une connotation particulière sous-entendue à ce genre de discours, soit, enfin, les deux à la fois » (ibid. : 82-83).

Note de bas de page 4 :

« […] le concept d’isotopie a désigné d’abord l’itérativité, le long d’une chaîne syntagmatique, de classèmes qui assurent au discours-énoncé son homogénéité » (Greimas, A. J. ; Courtés, J., 1993 : 197).

De cette façon, le discours juridique, en tant que sous-ensemble d'un ensemble plus vaste de textes, partage en même temps des caractéristiques de tous les autres textes, qu'ils soient littéraires, publicitaires, politiques, etc. En faisant partie de ce sous-ensemble, il est intégré dans l'univers partagé de langues naturelles, telles que le français ou le portugais, par exemple. À son tour, une langue naturelle possède la qualité référentielle de manifester ce qui est en dehors du paradigme linguistique, ce qui signifie que la langue peut décrire quelque chose qui lui est extérieur, tout en rendant possible la construction des discours spécifiques ; par exemple, le discours juridique. Cet entrelacement évoque ainsi une double isotopie4 marquée par l'existence et la corrélation de deux discours : le discours législatif et le discours référentiel (ibid. : 84).

« La première [isotopie] est représentée par le discours législatif, fait d’énoncés performatifs et normatifs, instaurant des êtres et des choses, instituant les règles des comportements licites et illicites, tandis que la seconde [isotopie] apparaît sous la forme d’un discours référentiel qui, tout en n’étant qu’une élaboration idéologique, une couverture discursive du monde, se donne pourtant comme le monde social lui-même, antérieur à la parole qui l’articule (id) ».

Appartenant donc à la même nature linguistique, l'imbrication de ces deux isotopies est ce qui constitue finalement, en général, le discours juridique. Le discours législatif se trouve en relation avec lui-même, c'est-à-dire, avec l'ensemble des lois et des règles qui le constituent, de sorte qu'elles ne soient pas incohérentes entre elles ; mais il se trouve aussi en relation avec le discours référentiel, c'est-à-dire avec ce qui est en dehors, avec « les choses du monde », avec ce qui est antérieur au discours législatif lui-même. En bref, le discours législatif ne peut légiférer que sur des choses « extérieures », sur la « réalité du monde », en respectant sa propre cohérence interne.

Note de bas de page 5 :

“ninguém se escusa de cumprir a lei, alegando que não a conhece”. Traduit par nous du portugais.

En revanche, si nous inversons le regard, nous constatons que le « monde référentiel », celui qui construit le discours référentiel, est régi par le discours législatif. Ceci constitue probablement le présupposé pour la constitution de lois qui invalident la justification de l'ignorance de la loi. Ainsi, par exemple, l'art. 3 de la loi relative à l’introduction aux normes du droit brésilien qui stipule que « nul n’est censé ignorer la loi »5 (Brasil, 1942).

C'est donc grâce à cette relation entre discours référentiel et discours législatif qu’émerge la notion de discours connotatif. Celui-ci renvoie à la compétence que les langues naturelles, telles que le portugais, le français, l'espagnol, etc., possèdent en produire, en leur sein, d'autres discours métasémiotiques. En d’autres termes, « un système de connotation est constitué de l’ensemble de signifiés secondaires que peut comporter, en plus de son sens dénotatif et ouvertement intentionnel, tout texte engendré par un système sémiotique quelconque » (Greimas, A. J. ; Landowski, E. in Greimas, A. J., 1976 : 85).

Avec ce recours discursif, le discours juridique est capable de « construire des réalités » en s'imposant à travers ses prescriptions légales et sociales. Prescriptions, en effet, car un tel genre discursif nous dit ce que nous pouvons faire, ce que nous ne pouvons pas faire, dans quelle situation nous avons le droit de faire quelque chose, ou non, et quelles sont les conséquences de nos actes en cas de refus ou d’infraction aux lois. La construction de cette réalité parallèle à travers le discours juridique devient ainsi responsable pour donner :

« [..] dénominations et [..] définitions juridiques (société, conseil d’administration, assemblée, etc.) le statut d’objets sémiotiques autonomes, dotés de personnalité, de fonctions quasi organiques, etc., en transformant, autrement dit, des objets discursifs, faits de paroles, en objets sémiotiques, organismes ou institutions. La connotation sociale peut bien n’être qu’un ensemble d’effets de sens, elle n’en constitue pas moins une dimension symbolique autonome qui rend compte du poids des discours juridiques et de la crédibilité des institutions du droit » (Greimas, A. J. ; Landowski, E. in Greimas, A. J., 1976 : 85).

Cela étant, cette perspective de construction des objets sémiotiques autonomes, en existant dans le discours juridique, nous autorise à analyser le statut du sujet de droit par le prisme de la théorie sémiotique, ainsi qu'à essayer de reconnaître quelles sont les traces significatives de ce sujet et son extension quant à la Nature.

Au sujet, ce qui est à lui

Le statut du sujet est, comme l’affirme Fiorin (2007 : 24), l’un des plus complexes à travailler, car il est entouré d’une série d’ambiguïtés. Toute discipline utilisant cette notion cherche à la définir à sa manière, comme c'est le cas de la linguistique, de la philosophie, de l'anthropologie, de la sociologie, du droit, etc. En raison de la nature de ce texte, nous travaillerons dans un premier temps sur la notion de sujet en sémiotique ; ensuite, nous transposerons ce concept au droit et, enfin, nous analyserons la qualité du sujet de droit existant dans le discours juridique et attribuée ultérieurement à la Nature. Toutefois, même en réduisant notre cadre théorique et conceptuel à la sémiotique, nous ne trouvons pas de terrain à parcourir sans rencontrer certaines difficultés.

En sémiotique, la définition du sujet est marquée par différentes nuances et par le positionnement respectif du sujet en tant que sujet de faire ou sujet d’état d'un texte donné. Greimas et Courtés (1993 : 369-371) expliquent que le sujet peut être compris sous deux perspectives :

On parle fréquemment du sujet comme de ce qui est « soumis » (étymologiquement) à la réflexion ou à l’observation, comme ce dont il s’agit, par opposition à ce que l’on en dit (prédicat). Telle est l’acception usuelle en logique classique : le sujet y est situé à l’intérieur d’un énoncé objectivé et traité comme une grandeur observable, susceptible de recevoir les déterminations que le discours lui attribue. [...]
Pour une autre tradition, plus philosophique, le terme de sujet renvoie à un « être », à un « principe actif » susceptible non seulement de posséder des qualités, mais aussi d’effectuer des actes. C’est le sens qui lui est conféré en psychologie ou en sociologie, et auquel on peut rattacher les notions de sujet parlant en linguistique, et de sujet connaissant (ou épistémique) en épistémologie. En excluant toutefois les particularités individuelles, capables de caractériser le sujet dans le hic et nunc, l’épistémologie cherche à le définir comme un lieu abstrait où se trouvent réunis les conditions nécessaires garantissant l’unité de l’objet qu’il est susceptible de constituer. Une telle conception est à la base de l’idée que la linguistique se fait du sujet de l’énonciation (ou de son simulacre, installé dans le discours) (ibid. : 369-370).

Toutefois, telles définitions, en tant que concepts, semblent peu compatibles entre elles et conduisent certains linguistes, comme Tesnière (apud Greimas, A. J. ; Courtés, J., 1993 : 370), à dépasser cette notion de sujet. De cette façon, la définition du sujet passe d’un statut substantiel à une respective inversion du point de vue, où le sujet est défini à partir de l’action qu’il exerce, comme si le « verbe » construisait le sujet.

De la perspective sémiotique, soulevé par Greimas et Courtés, cette solution proposée par Tesnière établit une grammaire actancielle qui évoque le sujet phrasé sans toutefois envisager l'existence du sujet discursif. En raison de cette incompatibilité, la sémiotique a cherché « […] à se donner une représentation logico-sémantique du fonctionnement du discours, capable de rendre compte […] des phénomènes à la fois phrastiques et discursifs » (ibid. : 370).

Cela étant, en sémiotique, nous parlons de sujets d'état qui, régis par la logique de la jonction, peuvent se présenter dans un état de conjonction (euphorique) ou de disjonction (dysphorique) avec un certain objet de valeur, et des sujets de faire, qui sont responsables par l'action de transformation d'un état à l’autre, que ce soit d'un état conjoint ou disjoint. Ainsi, le sujet d’état se rapprocherait de la définition trouvée dans « a » et le sujet de faire serait, à son tour, plus proche de ce qui était présenté dans « b » (id.).

Note de bas de page 6 :

« A relação com o objeto dá uma existência semiótica ao actante; a natureza do objeto dá a ele uma existência semântica ». Traduit par nous du portugais.

De plus, Fiorin (2007 : 26) explique que « la relation avec l'objet donne une existence sémiotique à l'actant, la nature de l'objet lui donne une existence sémantique »6. Ces idées seront donc fondamentales pour établir l'existence sémiotique de la Nature en tant que sujet de droit et puis pour justifier ainsi une telle position juridique.

En partant, donc, de la définition de sujet et de sujet du droit dans le discours juridique, nous sommes à nouveau confrontés à plusieurs positions théoriques qui, soit par l'évolution même de la société, soit par les différents courants philosophiques suivis par les juristes, présentent des définitions multiples, pas toujours compatibles les unes avec les autres. Dans ce cas, il faut revenir à la notion complexe de personne, en tenant compte des nuances entre la personne physique et la personne juridique.

Kelsen explique que :

« [..] la notion de sujet de droit ou de personne [est] une construction artificielle, un concept anthropomorphique créé par la science juridique en vue de présenter le droit de façon suggestive. En fait la « personne » ne désigne qu’un faisceau d’obligations, de responsabilités et de droits subjectifs, donc un ensemble de normes » (1953 : 104)

Nous avons trois idées principales que nous devons reprendre pour avancer de manière cohérente dans cet article : 1) Le discours juridique, en traitant d’une personne ou d’un sujet de droit fait référence au même actant de la norme juridique ; 2) Le concept de sujet de droit est une notion englobante au regard de sa compétence anthropomorphisante ; 3) Le sujet de droit est celui auquel un ensemble de règles se réfère, qu’elles soient des obligations, des responsabilités ou des droits.

Avant de poursuivre, il convient de souligner que Kelsen (ibid. : 105-106), en apportant une telle définition du sujet du droit, précise que lorsque nous parlons d’une personne physique dans le discours juridique, nous ne faisons pas référence à l’homme comme être biologique et qu’il est nécessaire de maintenir une distinction claire entre « homme » et « personne ». Le premier est considéré comme une entité biologique, le second comme un actant inséré dans le discours juridique. De la même manière la notion de personne juridique, selon la théorie traditionnelle, est attribuée à autre chose qu’un homme, mais en étant aussi un sujet de droit. Toutefois, l'auteur précise que :

« Pour la Théorie pure du droit, au contraire, la personne physique et la personne juridique sont toutes deux la personnification d’un ordre juridique, de telle sorte qu’il n’y’a pas de différence essentielle entre ces deux sortes de personnes, la personne physique étant elle aussi une véritable personne juridique (ibid. :107).

Nous ne prolongerons pas le débat sur les différences entre la personne physique et la personne juridique, car ce n’est pas l’objectif principal de ce texte, mais nous avons choisi d'entrer dans ces questions seulement pour assurer à notre lecteur que les rapports et les conceptions que nous avons l'intention d'établir ici prennent en considération tout type de sujet, qu'il soit une personne physique ou juridique.

La Nature en tant que sujet

Or, il nous semble très clair que, une fois que nous parlons de sujet de droit, nous pourrions bien faire référence aussi à un sujet d’obligation ou à un sujet de devoir, car « la relation avec l'objet donne une existence sémiotique à l'actant, la nature de l'objet lui donne une existence sémantique » (Fiorin J.L., 2007 : 26). Cette constatation révèle à son tour la nature perverse du discours, contraire à la prise en compte de la Nature, en tant que sujet de droit.

Ainsi nous sommes autorisés, à travers la notion axiologique, à déconsidérer l’idée « de droit » du sujet car, dans ce cas, il ne s’agit que d’une formalité rhétorique et qualificative qui finit par nous détourner de la problématique du changement du statut sémiotique de l'objet au sujet, ce qui nous amène à notre tour à une réflexion d’ordre éthique et qui pose de nombreux problèmes aux juristes.

Note de bas de page 7 :

«La naturaleza será sujeto de aquellos derechos que le reconozca la Constitución». Traduit par nous de l’espagnol.

La Constitution de l'Équateur (Ecuador, 2008 :11) tout en précisant que « la nature sera soumise aux droits reconnus par la Constitution »7, transforme le statut existentiel de « la chose », qui cesse d'être quelque chose d'extérieur au discours juridique, et donc un non-sujet, pour « s’élever » au statut de sujet.

Note de bas de page 8 :

« [...] reduzida à condição única de objeto, posta à disposição de todos, passível de apropriação, de manejo [...], até de destruição irreversível, pura e simples ». Traduit par nous du portugais.

Benjamin (2011 : 93) souligne l'existence de deux paradigmes dans le domaine juridique, l'anthropocentrique et le non-anthropocentrique, qui, dans leurs respectifs modes de traitement de la nature, la considéreraient soit comme un objet, soit comme un sujet. Dans le paradigme anthropocentrique, il n'est pas difficile de percevoir le rôle joué par la Nature dans la narrative sociale, en étant « réduite à la seule condition d'objet, à la disposition de tous, susceptible d'appropriation, de manipulation et […] même de destruction irréversible, pure et simple »8. Ainsi, dans ce paradigme, l’existence sémantique de la Nature n'acquiert qu'une valeur utilitaire, en visant un autre objet de valeur, probablement lié à la valeur économique.

Note de bas de page 9 :

Benjamin, A.H. (2011 : 94) nous rappelle que ce ne sont pas tous les courants non-anthropocentriques qui considèrent la Nature comme détentrice des droits.

En revanche, lorsque nous observons le paradigme non-anthropocentrique9, dans lequel la Nature est traitée légalement en tant que sujet, elle transcende la position de « moyen pour atteindre un but », pour accéder au statut de sujet.

Du point de vue du parcours narratif de la sémiotique, nous dirions que dans le cas de la Nature « objet », il jouerait un rôle essentiellement utilitaire, correspondant à ce que nous appelons adjuvant. Par là nous comprenons que c’est « l’auxiliant positif quand ce rôle est assumé par un acteur autre que le sujet du faire […] qui, sous forme d’acteur, apporte son aide à la réalisation du programme narratif du sujet » (Greimas, A. J. ; Courtés, J.,1993 : 10). Ainsi, nous observons en effet que la Nature en tant qu'adjuvant ne serait présente dans le discours juridique et, par conséquent, dans son existence sociale – car comme nous l'avons vu dans le rapport du discours référentiel et du discours législatif, l'un influence l'autre – que pour aider le sujet de faire, en soulignant ainsi son statut utilitaire.

Cependant, lorsque nous considérons la Nature comme sujet, nous devons faire attention à son existence sémiotique. Le premier point que nous devons reprendre est l’idée présentée par Kelsen selon laquelle la notion de sujet de droit est « une construction artificielle, un concept anthropomorphique » (1953 : 104), utilisée pour désigner à la fois les hommes et les choses. Il suffit de revenir à leurs définitions déjà présentées de la personne « physique » et de la personne « juridique ». Une telle observation permettrait ainsi à la Nature d'avoir une existence sémiotique initiale dans le statut d'actant, car :

« L’actant peut être conçu comme celui qui accomplit ou qui subit l’acte, indépendamment de toute autre détermination. [..] « les actants sont les êtres ou les choses qui, à un titre quelconque et de quelque façon que ce soit, même au titre de simples figurants et de la façon la plus passive, participent au procès » (Greimas, A. J. ; Courtés, J., 1993 : 3).

Il convient de rappeler que le terme actant lui-même n’insère pas l’être ou la chose dans le statut du sujet, mais autorise son inclusion dans la syntaxe responsable pour articuler l’énoncé en fonctions, comme par exemple dans les fonctions de sujet, d’objet ou de prédicat. Ainsi, nous sommes encore plus près de dévoiler l’existence sémiotique de la Nature en tant que sujet dans le discours juridique et de corroborer ce positionnement.

Par conséquent, pour comprendre comment la Nature peut être considérée comme un actant sujet, il suffit de reprendre l'idée que son existence avec un tel statut est validée à partir du moment où la Nature se situe dans un énoncé, objectivé et traité « comme une grandeur observable, susceptible de recevoir les déterminations que le discours lui attribue » (ibid. : 369). De cette manière, en étant « comme […] ce qui est “soumis” (étymologiquement) à la réflexion ou à l’observation, comme ce dont il s’agit » (id.) et par conséquent insérée dans le discours juridique, nous pouvons déjà considérer la Nature elle-même comme un sujet d’état en conjonction avec leurs droits.

À ce point, nous pourrions être interrogé par les sémioticiens pour attribuer la notion de sujet à la Nature en nous fondant exclusivement sur la notion de sujet d'état. D'une certaine manière, nous sommes d'accord avec cette critique, où Greimas et Courtés (ibid. : 16) postulent que « les concepts de compétence modale et de performance [..] n’ont de sens que s’ils se réfèrent à des sujets humains ». Mais, seulement en partie, car dans ce questionnement, il nous faut souligner que lorsque nous parlons de compétence modale et de performance, nous nous référons à la syntaxe narrative qui correspond au cours d'un sujet de faire et non d'un sujet d'état.

Note de bas de page 10 :

« La naturaleza o Pacha Mama, donde se reproduce y realiza la vida, tiene derecho a que se respete integralmente su existencia y el mantenimiento y regeneración de sus ciclos vitales, estructura, funciones y procesos evolutivos ». Traduit par nous de l’espagnol.

Note de bas de page 11 :

« La naturaleza tiene derecho a la restauración ». Traduit par nous de l’espagnol.

Cependant, la Constitution de l'Équateur dans la perspective sémiotique qualifie parfois la Nature comme un sujet capable d'effectuer des actions. Par exemple, l'art. 71 déclare que « La Nature ou Pacha Mama, où la vie est reproduite et réalisée, a le droit de voir son existence pleinement respectée ainsi que le maintien et la régénération de ses cycles vitaux, de sa structure, de ses fonctions et de ses processus évolutifs »10 (Ecuador, 2008 : 33), ou encore l’art. 72 qui énonce que « La Nature a droit à la restauration »11 (id.). Dans ce cas, la Nature présente dans son ensemble un sens qui, en sémiotique, extrapole la notion de sujet de la syntaxe narrative, en nous obligeant à observer la notion d’acteur figuratif sans pour autant perdre ses caractéristiques de sujet. Au contraire, le revêtement signifiant promu par le niveau discursif amplifie la complexité de notre objet, tout en permettant de rendre compte d'autres significations, inhérentes à son existence sémiotique.

De cette façon, le discours juridique – en s’agissant de la Nature – la rend déjà le sujet d’un prédicat, et une fois lié à son objet, dans ce cas ses droits, anthropomorphise la Nature en ce qu’on pourrait appeler au niveau discursif de l’acteur figuratif, puisqu’ « il est le lieu de convergence et d’investissement de deux composants syntaxique et sémantique. » (Greimas, A. J. ; Courtés, J., 1993 : 7-8).

Ainsi, la manifestation discursive de la Nature en tant qu'acteur figuratif fait converger non seulement les composantes syntaxiques et sémantiques, mais aussi symboliques et culturelles, puisque la Nature est considérée, à la fois dans sa totalité biologique, c'est-à-dire ses différents écosystèmes, sa faune et sa flore, ainsi que dans sa valeur culturelle pour la société en étant également appelé Pacha Mama (Ecuador, 2008 : 33). De plus, dans le texte juridique du chapitre sept de la Constitution de l’Équateur, nous lisons que le maintien de la Nature est nécessaire pour atteindre le Buen Vivir qui consiste en « une nouvelle forme de coexistence citoyenne, dans la diversité et l'harmonie avec la nature » (ibid. : 8). Ce sont ces arguments qui confirment l’existence sémiotique de la Nature en tant qu’acteur figuratif.

Conclusion

La complexité de l'objet lui-même, ainsi que certaines questions théoriques propres à la sémiotique, rendent l’exercice que nous venons d'effectuer complexe . Un tel développement présente, cependant, deux étapes qui doivent être observées plus clairement selon la structure épistémologique de la théorie sémiotique. La première étape, ou niveau, que nous allons aborder est « une suite hypotaxique de programmes narratifs (abrégés en PN), simples ou complexes, c’est-à-dire un enchaînement logique, où chaque PN est présupposé par un autre » (Greimas, A. J. ; Courtés, J., 1993 : 242). En d'autres termes, le parcours narratif du discours juridique à l'égard de la Nature tel qu'il a été présenté jusqu'ici.

Cela dit, nous avons vu principalement l'existence de deux types d'approches concernant l'existence sémiotique dans les discours juridiques. La première , que l'on pourrait appeler l'approche classique pour des raisons de durabilité historique, considère la nature comme un « objet » dont l'utilisation est nécessaire pour atteindre un objectif particulier. Dans la sémiotique, en traitant de cette approche classique, la Nature serait donc considérée comme un actant-adjuvant, c’est-à-dire qu’elle fournit une sorte de compétence pour que le sujet réalise son parcours. Dans le cas d'une industrie d'exploration, par exemple, sans une certaine matière première d'origine animale, végétale ou minérale, il ne serait pas possible de produire son produit et, par conséquent, il deviendrait impossible d'atteindre son objet de valeur, qui consiste en l'augmentation de la richesse.

La deuxième approche, que, provisoirement et à titre de différenciation, nous pourrions qualifiée d’holistique, inclut la Nature en tant que sujet de droit, en la reconnaissant comme entité autonome et en présentant des caractéristiques interactionnelles avec son environnement. Le terme holistique utilisé ici n’est pas aussi naïf qu’il y paraît, car en plus des caractéristiques susmentionnées, l’inclusion de la Nature dans le discours juridique tient compte de la notion culturelle de Pacha Mama, en considérant son existence dans plusieurs systèmes interdépendants et nécessaires à l'établissement et au maintien du Buen Vivir.

De même, en procédant à une analyse sémiotique du texte juridique visé, au vu de ce qui a été dit précédemment il nous semble plus facile de constater que, dans l’approche holistique, la Nature joue un rôle actif, de sorte que lorsqu’elle se trouve en conjonction avec ses droits - accordés par quelqu’un d’autre -, elle est autorisée à mener son parcours, sa narrative.

Par ailleurs, l'existence de leurs droits affecte directement la relation entre l'industrie d'exploitation et la Nature, en modifiant radicalement le contrat établit, jusque-là, entre les actants sujet et adjuvant, en changeant le statut actantiel et en établissant une structure polémique dans laquelle la Nature devient le sujet et l'industrie de l'exploration assume le rôle d'anti-sujet ou « d'opposant ». Ainsi, la Nature en tant que sujet de droit appartiendrait à un programme narratif qui, en présupposant un autre programme narratif (Greimas, A. J. ; Courtés, J., 1993 : 242), deviendrait nécessaire pour atteindre l’objet de valeur appelé le Buen Vivir.

Cela étant, la Nature au niveau discursif du texte juridique assume le rôle d'un acteur figuratif qui, non seulement rend compte de son parcours spécifique au niveau narratif, mais reconnaît dans son existence une série d'autres « parcours biologiques », comme la faune, la flore, ses écosystèmes, ainsi que sa référence culturelle lors de l'établissement du lien avec le concept de Pacha Mama.

Note de bas de page 12 :

Terme souvent utilisé en sémiotique pour distinguer le discours du statu quo et d’autres discours. Note de l’auteur.

Or, lorsque nous regardons ce déploiement de l'existence sémiotique de la Nature en tant que sujet de droit dans le discours juridique, nous remarquons que la perversité12 de la problématique ne se trouve pas dans le plan sémantique, et encore moins dans le statut actantiel du sujet concédé à la Nature, mais plutôt dans la mise en place d'une structure polémique dont, d'une part, nous avons la Nature comme sujet d'un certain parcours narratif et, d'autre part, l'industrie de l'exploitation qui assume le rôle d'anti-sujet.

Ainsi, évidemment, nous trouvons également un conflit avec les objets de valeur, car assurer la Nature en tant que sujet de droit rend difficile le fait d’atteindre l’objet de valeur de l’industrie d’exploitation, la richesse ; mais en revanche, cela contribue à atteindre l’objet de valeur appelé de Buen Vivir.

De ce fait, à travers la sémiotique et l’analyse du discours juridique, qui était l’objet de cet article, il a été possible de dévoiler que dans un scénario antérieur à 2008 la problématique de la question ne tourne pas autour du statut de sujet lui-même, mais plutôt du réflexe économique qu’un tel statut actantiel apporterait aux industries d’exploitation. La perversité de ce discours visant à l’accumulation de richesses consiste justement dans la tentative de dissimuler la quête d'un objet de valeur économique au détriment de l'exploitation effrénée des ressources naturelles. La Constitution de l’Équateur (2008) est donc une étape importante dans la lutte contre ce système économique archaïque et non englobant, dans lequel la sémiotique nous aide ainsi à révéler l'intentionnalité d'un discours de pouvoir qui cherche à maintenir son statu quo, basé sur la quête respective de son objet de valeur.