La fin des diasporas collectives ? The end of collective diasporas?

Alfonso VÁZQUEZ ATOCHERO 
e Mélanie CHITA 

https://doi.org/10.25965/trahs.4667

À travers cet essai, nous entendons réfléchir sur le pouvoir culturant de la délocalisation. Le fait de quitter le lieu d'origine peut avoir différentes causes (politiques, sociales, culturelles, professionnelles, personnelles) et générera sans doute des effets différents dans la société d'accueil, dans la société d’appartenance et dans la personne elle-même. Le migrant devient un étranger dans le pays d'où il est parti et le sera toujours où qu'il aille. Et cette étiquette vous hantera, ainsi que votre progéniture. Le migrant génère une sphère culturelle avec un poids spécifique dans la société d'accueil. Mais c'est aussi un élément de changement, par son absence ou son influence, dans la communauté d'où il est parti. Il est un ambassadeur de sa culture de naissance dans le lieu d'accueil. Mais cela apporte aussi des airs nouveaux au pays dont le migrant est issu. Dans cette dynamique, cela génère des liens d'interdépendance entre la société de naissance et la société d'accueil.

A través de este ensayo pretendemos reflexionar sobre el poder enculturador de la deslocalización. El hecho de abandonar el lugar de origen puede tener diferentes causas (políticas, sociales, culturales, laborales, personales) y sin duda generará diversos efectos en la sociedad de acogida, en la de pertenencia y en la propia persona. El migrante se convierte en un extraño en el país del que salió y nunca será uno más, cualquiera que sea el lugar donde esté. Y esta etiqueta le perseguirá, al igual que a su descendencia. El migrante genera una esfera cultural con un peso específico en la sociedad de acogida. Pero también es elemento de cambio, en su ausencia o influencia, en la comunidad de la que partió. Es embajador de su cultura de nacimiento en el lugar de acogida. Pero también lleva nuevos aires al país del que salió. En esta dinámica genera lazos de interdependencia entre la sociedad de nacimiento y la de acogida.

Com este ensaio pretendemos refletir sobre o poder inculturador da realocação. O fato de deixar o local de origem pode ter diversas causas (políticas, sociais, culturais, laborais, pessoais) e, sem dúvida, gerará efeitos diversos na sociedade de acolhimento, naquela a que pertencem e na própria pessoa. O migrante torna-se um estranho no país de onde partiu e nunca será um estranho onde quer que vá. E esse rótulo irá assombrá-lo, assim como sua prole. O migrante gera uma esfera cultural com um peso específico na sociedade de acolhimento. Mas é também um elemento de mudança, na sua ausência ou influência, na comunidade de onde partiu. Ele é um embaixador de sua cultura de nascimento no local de acolhimento. Mas também traz novos ares ao país de origem. Nessa dinâmica, gera laços de interdependência entre a sociedade de origem e a sociedade de acolhimento.

Through this essay we intend to reflect on the enculturating power of relocation. The fact of leaving the place of origin can have different causes (political, social, cultural, work, personal) and will undoubtedly generate different effects in the host society, in the one to which they belong and in the person himself. The migrant becomes a stranger in the country from which he left and will never be a stranger wherever he goes. And this label will haunt you, as well as your offspring. The migrant generates a cultural sphere with a specific weight in the host society. But it is also an element of change, in its absence or influence, in the community from which it started. He is an ambassador of his culture of birth in the host place. But it also brings new airs to the country from which it came. In this dynamic, it generates bonds of interdependence between the society of birth and the host society.

Índice

Texto integral

Introduction

Le monde n'admet pas d'explications simples. Mais peut-être ce postulat est-il plus sévère pour les sciences humaines, où il n'est pas possible de prendre suffisamment de recul sur l'objet d'étude, puisque le chercheur fait partie du phénomène étudié. C'est ce qu'exprimait Carrithers lorsqu'il déclarait que l'étude de la culture dans le monde d'aujourd'hui équivaut à étudier la neige au milieu d'une avalanche (Carrithers, 1992). Analyser une actualité est désespérément compliqué, puisqu'en plus d'en faire partie, d'être en plein mouvement, on n'en connaît pas la perspective historique, l'ampleur ; pas même les ramifications et les innombrables actions subsidiaires et sous-jacentes. Nous ne pouvons qu'observer, interpréter et recourir à l'herméneutique. Les migrations, les implications et les transformations qu'elles entraînent, s'adaptent à ce schéma d'événements sociaux compliqués et complexes. C'est pourquoi, de manière courageuse et modeste, nous essayons de l'aborder, sachant qu’a priori il n'y a pas de réponse définitive et absolue, mais des interprétations discutables et intermédiaires, toujours améliorables, soumises au déterminisme et conditionnées par la culture, l'expérience personnelle et du terrain.

Note de bas de page 1 :

Lex parsimoniae ou "principe de simplicité" : Le principe du rasoir d'Ockham consiste à ne pas utiliser de nouvelles hypothèses tant que celles déjà énoncées suffisent, à utiliser autant que possible les hypothèses déjà faites, avant d'en introduire de nouvelles

Note de bas de page 2 :

Erwin Rudolf Josef Alexander Schrödinger (1887-1961) est un physicien, philosophe et théoricien scientifique autrichien. Il a recu le prix Nobel de physique de 1933 par l'équation de Schrödinger (développement du formalisme théorique de la mécanique quantique). Aussi connu pour avoir soumis l'étonnante expérience de pensée du Chat de Schrödinger.

Note de bas de page 3 :

Georges Balandier (1920-2016) a été un ethnologue et sociologue français. Il a été directeur d'études à l’École pratique des hautes études, professeur à la Sorbonne, où il inaugure la première chaire de sociologie et d’ethnologie de l’Afrique noire. Fondateur du Centre d'études africaines et des Cahiers d'études africaines. Directeur des Cahiers internationaux de sociologie avec Michel Wieviorka.

La lex parsimoniae d'Ockham1 soutient que "toutes choses étant égales par ailleurs, l'explication la plus simple est généralement la plus probable". Cela ne veut pas dire que l'explication d'un événement doit être simple, mais plutôt la plus simple parmi les probables, ce qui n'est pas la même chose. Et les migrations sont un événement qui reflète précisément ce principe de départ. Nous n'avons pas de réponse simple pour expliquer sa cause, ni pour s'entendre sur ses effets. Le déplacement est une constante dans la nature, et pas seulement sur le plan social humain ou biologique, puisque la planète elle-même, le système solaire ou encore l'univers répondent à cette logique où l'augmentation de l'entropie, en l'entendant comme le déplacement de certains ordres établis à un moment précis permettent d’arriver à un moment ultérieur. Schrödinger2 nous met précisément en garde contre la tendance naturelle des choses au désordre. Balandier3 nous prévient que "les sociétés ne sont plus ce qu'elles étaient", du fait de leur propre mouvement, de leurs mutations et de leurs désordres.

Si nous pouvions ajuster un moment de faible entropie dans notre histoire (ce qui n'existe pas) dans laquelle l'être humain serait dans sa "position correcte", juste après un big bang, chaque personne se disperserait de manière imprévisible, par pure entropie. Second principe de la thermodynamique appliqué à un événement humain, où on ne peut ignorer la notion d'irréversibilité. En d'autres termes, ce qui a été fait ne peut être réparé et conditionnera les moments suivants, comme l'effet papillon, tiré d'un proverbe chinois qui dit : "le battement d'ailes d'un papillon peut être ressenti à l'autre bout du monde". Après l'action d'un événement déclencheur, de proportions infimes, une chaîne successive d'actions se développe conduisant à une situation aux proportions imprévisibles. Cependant, si nous avions la baguette magique qui nous permettait de revenir au point d'origine établi, toute nouvelle origine connaîtrait de nouvelles évolutions et dispersions également incontrôlables et imprévisibles. Même ainsi, avec la perspective historique et épistémologique que nous avons, il n'est possible d'établir qu'un seul point de faible entropie et qui explique ce que nous sommes : le big bang, puisqu'il est le point de départ de tout ce que nous savons. Tout le reste est subsidiaire. C'est notre monde et c'est ainsi que cela fonctionne.

Migration et diaspora

La frontière conventionnelle, politique et historique, est encore une ligne plus ou moins artificielle. Un élément spontané qui rassemble les gens et les associe ou les exclut. Élément administratif et politique qui délimite et contraint des espaces culturels, religieux ou économiques forgés au fil des siècles. Cependant, la frontière elle-même, ainsi que son concept, peuvent être réinterprétés à travers l'histoire et selon les différents points de la planète où nous nous trouvons. Sa concrétude et sa rigidité fluctuent selon les intérêts de l'époque et des groupes dominants.

Il n’est pas aisé de donner une définition de la migration et nous ne serons pas plus proches de la réponse après avoir lu ce texte. Piché (2013) a essayé de s’approcher de l'origine et de la cause du problème à partir d’approches micro-individuelles pour arriver à une approche macro-structurelle en passant par une approche de genre. Mais le déplacement humain a été, est et sera une constante dans l'humanité. Il n'y a pas de moment de basse entropie applicable à l'histoire de l'humanité, puisque notre évolution est précisément conditionnée par ses relocalisations, les réadaptations et transformations qu'elles ont entraînées. Quel pourrait être notre moment zéro, notre point de départ ? Commencer à marcher debout ? Le premier mot ? La maîtrise du feu ? Eve mitochondriale ? L'origine des premiers peuplements et des premières cultures ? Tout cela à la fois et rien de tout cela, bien au contraire.

Nous sommes le produit d'un long processus sommatif et d'une série d'événements à différents moments et parties de la planète qui ont été intégrés dans un système complexe et composant le difficile puzzle de notre existence. Nous pourrions expliquer ce que nous sommes à partir de chacun des jalons exposés sous forme de questions, mais il y aurait toujours un tournant plus tôt et plus tard qui pourrait remplacer ou compléter notre processus déductif.

Note de bas de page 4 :

Herbert Marshall McLuhan (1911-1980) est un intellectuel canadien. Professeur de littérature anglaise et théoricien de la communication, il est un des fondateurs des études contemporaines sur les médias (il a inventé la phrase Le média est le message). S'intéresse à l'effet de la radio et tente de prévoir les bouleversements qu'entraînera la télévision.

L'être humain du XXIe siècle se trouve actuellement dans la dernière phase de son processus évolutif. Mais, maintenant, le village global décrit par McLuhan4 rend plus visibles les dimensions toujours plus englobantes de la planète. Que ce soit par un mouvement physique rapide ou un traitement instantané de l'information, le monde est plus petit. Pour cette raison, dans cette nouvelle civilisation (Barbolla, 2011) que nous forgeons, essayer de classer une personne à un endroit est contre nature et tout à fait impossible. Malgré les frontières physiques, culturelles ou politiques, nous devons inévitablement nous habituer à une société multi-composite, avec un ensemble de points de vue en interaction mutuelle, continue et changeante. Nous nous trouvons face à la diasporisation de la société (Stein, 2020).

La diaspora est un terme qui a été utilisé pour définir la population appartenant à un pays qui vit en dehors du territoire d'origine. Cependant, bien qu'Ockham nous ait montré que parmi toutes les définitions correctes, la plus simple était la plus probable, lorsque nous essayons d'expliquer des causes complexes par des processus simples, nous avons souvent tendance à tomber dans le populisme et, par conséquent, dans l'erreur. La diaspora, comme le phénomène migratoire lui-même, est un processus très complexe dans lequel une multitude, aussi indéfinie qu'indéfinissable, de variables sociales, culturelles, économiques ou sentimentales entrent en jeu. Par conséquent, il n'y a pas de place pour des solutions simples à un phénomène complexe qui est profondément imbriqué dans la condition humaine elle-même. Et donc il n'y a pas de réponse unique, mais une série de constructions sociales qui tentent, à un moment et dans un espace donné, de répondre à une situation qui dépasse les limites sociales et culturelles établies.

Par conséquent, continuez avec cet avertissement : nous n'avons pas l'intention ni ne voulons établir des vérités ou des dogmes absolus. Rien ne pourrait être plus éloigné de la réalité et de l'objectif global attendu lors de la présentation de cette thèse. Nos objectifs et notre portée sont beaucoup plus modestes. Nous entendons réfléchir au phénomène de la diaspora, en essayant de comprendre comment certains processus mentaux conditionnent la manière de construire la réalité sociale, les besoins ou impulsions nous invitant, à un moment ou à un autre à prendre la décision d'abandonner l'espace géopolitique d'origine, pour nous enraciner dans des espaces tiers.

La diaspora dans l'histoire

Un bref rappel historique peut nous aider à mieux comprendre la portée du terme et peut-être parvenir, sinon à un consensus, du moins à une approche sémantique et conceptuelle, ce qui n'est pas rien. Diaspora vient du grec classique (διασπορά, « dispersion ») et a été interprété comme la dispersion de groupes ethniques et religieux qui quittent leur lieu d'origine pour s'étendre à travers le monde. Prenons l’exemple de la diaspora juive. Si l'on se limite à une interprétation sémantique, dépourvue d'autres idées et constructions, la dispersion des Juifs exilés de leur pays serait alors la dispersion des groupes humains qui quittent leur lieu d'origine. Dans le contexte actuel, il semble que la diaspora soit fondée sur le principe de la migration collective. Et, à partir de là, d'autres perceptions pourraient se construire en approfondissant les raisons de la migration et les formes d'interrelation avec les sociétés d'accueil.

Pour comprendre un peu mieux la diaspora juive, il nous faut remonter à son exode du VIe siècle av. J.-C., lorsque Nabuchodonosor II, roi des Babyloniens, conquit le royaume de Juda. Sand (2012) interprète cette « première » diaspora comme un processus déterministe accepté avec résilience et devant lequel il n'y a pas d'autre alternative. Historiquement, le peuple juif a été le plus lié au concept de diaspora, puisque diverses étapes de déplacement forcé se sont répétées dans le temps, ce qui correspond symboliquement à l'idée d'un peuple errant à la recherche d'une Terre promise. On se retrouve avec la première diaspora documentée en tant que telle, sur laquelle se fonde la conception actuelle.

Cependant, il existe d'autres phénomènes de migration massive, nécessairement déterminés par d'autres causes différentes. De Carvalho étudie le cas de la diaspora africaine en Amérique latine. L'origine de cette diaspora répond à des mouvements historiques tristement connus, qui ont aujourd'hui généré un mouvement culturel qui rassemble les descendants d'esclaves africains amenés sur le continent américain par les puissances coloniales européennes. Les États nationaux créés au XIXe siècle se sont constitués sur l’idée de supériorité ethnique et raciale (De Carvalho, 2006) qui persiste encore, bien que diluée sur d'autres construits sociaux plus intégrateurs.

La diaspora afro-américaine en Amérique du Nord présente des différences. Il y règne des tensions raciales constantes dues à l'ostentation omniprésente du pouvoir blanc et à la présence d'importantes diasporas dans le pays, comme les colonies asiatiques ou européennes (bien que ces dernières aient tendance à se dissoudre dans la majorité anglo-saxonne). La chose se complique si l'on inclut la diaspora latino aux États-Unis (EU) dans la dynamique. Avec cette diaspora, l’EU amoindrit parfois son image de creuset de cultures et, d'autres fois, établit des fermetures de frontières forcées et des quotas migratoires qui favorisent une sous-culture économique, le quart monde-ou le monde des plus pauvres dans le pays le plus riche (Calvo Bueza, 1981).

Vers une conception du terme

Note de bas de page 5 :

William Safran (1930) est professeur émérite de sciences politiques à l'Université du Colorado.Il a contribué à l'ensemble des connaissances sur la politique ethnique, le nationalisme et les sujets connexes, tels que le pluralisme institutionnel et culturel, la citoyenneté, l'immigration, la diaspora, l'identité nationale et la politique de la langue et de la religion". C'est un spécialiste de la France, et une grande partie de ses recherches concerne la politique ethnique française. https://cutt.ly/6J8ymxd

Nous utilisons généralement le mot diaspora lorsque les membres d'une communauté migrent d'un espace à un autre. Il a donc été conceptualisé historiquement. Cependant, Mancera Cota précise davantage et, tout en citant Wiliam Safran5, reconnaît une série de conditions qui en font un processus plus complexe que la simple migration, puisque le concept de diaspora se construit sur la pluralité des territoires d'accueil, sur un contact régulier les uns avec les autres, sur la construction d'une image commune et idéalisée de la culture d'origine et d'une méfiance à l'égard de la culture d'accueil, dans laquelle ils ne finiront jamais par s'intégrer.

La diaspora maintiendra le désir de retourner au lieu d'origine, même s'il s'agit d'une migration transgénérationnelle et que le retour est effectué par les descendants (Mancera Cota). Nous pouvons également parler de diasporas multiples lorsque le migrant a plusieurs lieux d’origine et un ou plusieurs points d'accueil. Les points d'origine ou les points d'accueil présentent une série de caractéristiques d'identification communes (Oonk. 2017). Ainsi, la migration de l'Asie du Sud-Est vers les États-Unis, ou des pays d'Afrique du Nord vers divers pays de l'Union européenne, pour illustrer les deux options, suppose une diaspora basée sur des éléments culturels (Est-Ouest, Maghreb-Europe) et pas seulement géopolitiques ou frontaliers.

Certains auteurs mettent en avant le sentiment de non appartenance, et parfois de déracinement, tant dans la société sortante que dans la société d'accueil. Pour Moreras (2017 : 77) la diaspora est bien plus qu'une condition. C'est une contingence qui découle de leur propre déplacement territorial tout au long du parcours migratoire. Ce serait une construction élaborée du contexte où les groupes émigrés peuvent penser leur condition (étranger à la société d'accueil et étranger à la société d'origine), leur continuité (sous la forme d'identités qui surmontent cette condition de transit perpétuel, c'est-à-dire les identités post-migratoires), ainsi que leur rapport à une origine idéalisée.

Moreras réfléchit aux vicissitudes en analysant les confluences et les synergies de la population marocaine en Catalogne, et dérive vers le conflit identitaire lorsqu'il se demande s'il faut parler de Marocains de Catalogne, de Catalans d'origine marocaine, de Musulmans marocains, de Musulmans d'Europe ou de Musulmans européens (Mûrier, 2014 : 77). Par conséquent, ce sentiment de n'appartenir à aucun espace ou territoire s'installe chez le migrant, même si paradoxalement le processus peut être inversé, et c'est positif, établissant des ponts de contact entre la culture d'origine et la culture d'accueil, générant de manière improvisée une sorte d'action diplomatique à profil horizontal, dans des relations d'égal à égal et loin de tout cadre institutionnel. L'espace diasporique peut alors se définir comme un lieu où l'interaction entre ceux qui sont conceptualisés comme nouveaux arrivants et les autochtones suppose que ces catégories soient reconsidérées et reformulées (Brah, 1996).

Dans cette lignée, Ceschi valorise le rôle du migrant, moteur de la génération des diasporas et du transnationalisme, et lui assigne le rôle de générateur de dynamiques économiques et sociales tant dans le lieu d'accueil que dans le lieu d'origine. Cependant, Sánchez Ayala (2013) rappelle que la construction d'une diaspora est bien plus que la construction d'un discours identitaire qui délimite leurs espaces et ceux des autochtones, et que l'idée de ne pas être pleinement accepté est toujours entretenue, de sorte que la maison ancestrale reste une référence et un horizon (même s'il est né dans le pays d'accueil).

Développement à l'origine, développement à destination

L'immigré vit dans une certaine tension entre deux mondes, deux cultures. Parfois, une ischémie symbolique se produit dans laquelle les valeurs prédominantes dans l'espace sortant et dans l'espace récepteur entrent en conflit. Cette tension se maintient non seulement chez le migrant en premier lieu, mais aussi chez les générations futures. Comme nous l'avons commenté précédemment, bien qu'ils soient nés dans le lieu d'arrivée, ils continuent de voir la maison familiale comme un point de destination. Cependant, parfois cette relation reste idéalisée et n'est ni possible ni réelle. Un retour transgénérationnel fait que la personne se sent aussi étrangère dans le lieu d'origine de ses parents ou grands-parents. Delano Alonso (2016) analyse le retour des migrants qui reviennent au Mexique avec la fausse idée qu'ils rentrent chez eux, qu'ils arrivent enfin dans un endroit où ils seraient intégrés. Pour la plupart il s’agit d’une illusion, puisqu'ils sont tout aussi étrangers au Mexique qu'aux États-Unis.

Dans cette situation, Delano parle de la génération 1.5, qui n'appartient pas à un lieu ou à un autre, étrangers dans les deux mondes avec une identité et un cadre culturel intermédiaires. Sanz (2016) parle ainsi de concepts tels que la diaspora, l'hybridation, la transculturation, la déterritorialisation/reterritorialisation, les communautés transnationales et les réseaux migratoires. Mais la diaspora est un terme à double sens qui combine les particularités des deux rives et génère une réalité différente. Car la diasporique est une forme spécifique, liée notamment à ce que l'on appelle « sentiment d'appartenance » ou « identification » (Grimson, 2011).

Pour comprendre encore un peu plus la signification du concept de diaspora, le développement du numérique tient une place prépondérante. L'enrichissement des scénarios numériques montre que la présence sur les réseaux devient fondamentale lorsqu'il s'agit de constituer et de reconstituer des identités. Natal (2021) souligne l'importance de la manière dont l'avènement de l'intelligence artificielle contribue à reconfigurer le rapport des humains aux technologies et la manière dont elles contribuent à constituer la pensée. La diaspora, avec son besoin d'appartenir, finalement, aux deux mondes (Grimson nous parle aussi des migrants sans diaspora) se nourrit de participation et d'action. Être présent dans le réseau permet d'agir et de participer ici et là, de s'inscrire dans la dynamique culturelle des lieux d'origine et de destination. La diaspora numérique nous permet une communication multi-située (Rivoir et Morales). D'une certaine manière, c'est une façon d'adoucir les tensions que nous avons précédemment mises en exergue.

Reconceptualisation du terme

Partons du postulat selon lequel nous pouvons définir la migration et la diaspora avec des nuances différentes selon le contexte géopolitique dans lequel nous nous trouvons. Trandafoiu (2022) se concentre sur les changements sociaux générés par les processus migratoires en Europe de l'Est et évoque la nécessité de reconceptualiser le terme. Nous sommes d'accord avec la nécessaire transformation sémantique et réinterprétation culturelle du phénomène : après tout, il ne s'agit que d'une construction sociale et, à ce titre, les sociétés ont le droit et le devoir d'actualiser leurs dynamiques humaines.

Mais, si ce que nous voulons, c'est reconceptualiser et repenser le terme dans le contexte d'une civilisation globale dans laquelle les mouvements humains sont aussi nombreux que rapides, nous devons réfléchir aux approches et complexes culturels dans la mesure où les nouveaux entrants intègrent un système de règles - établies, mais non immuables. Au fur et à mesure que de nouvelles composantes continuent d'entrer dans cette société, les migrants déjà installés deviennent la population d'accueil pour les nouveaux arrivants. Ainsi, la diaspora est changeante et cosmopolite, se reconfigurant en fonction de certains apports. La diaspora s'entremêle de plus en plus et les arrivants participent à la culture, à la société et à la politique établies, mais offrent les leurs, donnant lieu à un nouveau cadre.

Note de bas de page 6 :

Rachida Dati est Maire du 7e arrondissement de Paris (depuis 2008). Députée européenne (2009-2019). Garde des Sceaux, ministre de la Justice (2007-2009)

Note de bas de page 7 :

Najat Vallaud est Conseillère régionale d'Auvergne-Rhône-Alpes (depuis 2021). Ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche (2014-2017). Ministre des Droits des femmes, de la Ville, de la Jeunesse et des Sports (2012-2014).

Note de bas de page 8 :

Ahmed Aboutaleb, né au Maroc, est Bourgmestre de Rotterdam (depuis 2009). Secrétaire d'État aux Affaires sociales et à l'Emploi (2007-2008).

Note de bas de page 9 :

Sadiq Khan est Maire de Londres (depuis 2016). Ministre d'État aux Transports (2009-2010). Ministre d'État aux Communautés (2008-2009).

C'est précisément l'existence de ces interconnexions qui fait que la Nouvelle Civilisation dont nous avons parlé plus haut offre un mirage de changement vers une société plus ouverte ; n'oublions pas non plus qu'il existe le phénomène inverse, promu par les secteurs conservateurs, qui favorise un retour au puritanisme ethnique. Pourtant, le fait que Rachida Dati6, Najat Vallaud7, Ahmed Aboutaleb8 ou Sadiq Khan9 occupent des postes à responsabilité politique donne de l'espoir. En plus d'une participation active à la vie politique, il permet également à une diaspora dynamique d'être présente et visible dans les domaines sportifs, culturels et intellectuels.

Les déplacements ne sont pas aussi unidirectionnels ou définitifs qu'ils pouvaient l'être il y a des décennies. Il se produisent désormais de manière incontrôlée d'un endroit à un autre sans logique prédéfinie. Leur traçabilité reste soumise à une absence de règles et au gré des marchés et des intérêts personnels. Si nous reprenons le village global de McLuhan, les dimensions de la planète Terre deviennent un espace géographique et géopolitique accessible qui génère d'innombrables flux migratoires et déplacements vers des destinations multiples et dispersées. Les intérêts qui les animent ne sont pas toujours compréhensibles, car ils répondent aux desseins de la personne qui décide où s'installer.

Sans aucun doute, dans un monde où les marchés et les marchandises peuvent circuler librement, où le capital va à la recherche de la main-d'œuvre la moins chère pour rechercher ensuite les économies les plus saines pour effectuer des transactions commerciales avantageuses, les êtres humains ont ouvert la voie à une série de déplacements qui répondent exclusivement aux intérêts de chacun. C'est bon pour l'humanité et c'est bon pour l'individu, car une fois de plus nous sommes confrontés à une dynamique humaniste dans laquelle la personne prévaut en tant que personne, même si cette dynamique est toujours un processus dérivé de ces synergies mercantiles qui ont fait que la Terre est devenue plus petite.

Ainsi, la diaspora postmoderne s'installe et se développe sur des rails qui cherchent à donner de la mobilité à une série de patrons et d'agents économiques, mais qui, à leur tour, de manière subsidiaire et peut-être non prévue par ceux qui les ont conçus et financés, permettent et facilitent le transit des personnes humaines, à contre-courant des capitaux, des matières premières, des produits manufacturés et des personnes.

Vers une vision quantique des sociétés

Nous vivons en changement constant et le monde que nous connaissons répond aux coordonnées de l'ici et maintenant. Lorsque nous nous efforçons d'interpréter les événements passés avec les critères éthiques et moraux du XXIe siècle, il nous est difficile de le faire sans nous indigner de certaines situations. Mais cette même indignation peut être extrapolée non seulement à d'autres maintenant, mais à d'autres ici ou là-bas. Même une société idéale hypothétique à notre époque serait entièrement discutable sous d'autres perspectives actuelles, futures ou passées. Nous pouvons sûrement trouver une série de valeurs universelles clairement acceptables n'importe où sur la planète, mais nous pourrions heurter de plein fouet l'opinion de notre entourage le plus proche face à une hypothèse spécifique, incontestable pour nous, mais inconcevable pour les autres. Et, précisément, ces confrontations dialectiques sont un puissant moteur de changement social.

Note de bas de page 10 :

Anaximandre de Milet (vers 610 av. J.-C. – vers 546) est un philosophe et savant grec présocratique. Il est le premier Grec connu à avoir tenté de décrire et expliquer l'origine et l'organisation de tous les aspects du monde d'un point de vue que l'on qualifie rétrospectivement de scientifique.

Inévitablement, le passage du temps conduit à une reconfiguration permanente du présent et d'une réalité en constante évolution. Anaximandre10 a déclaré que "les choses se transforment selon la nécessité et se rendent justice selon l'ordre du temps." Les sociétés contemporaines vivent dans un état de haute entropie, en tant que produit d'un chemin historique spécifique qui est sur le point de toucher à sa fin, un effondrement du système tel que nous le connaissons. Un effondrement conceptuel, épistémologique si vous voulez, pas de l'humanité tout entière. Parce que nous ne pouvons pas ignorer le fait que nous sommes face à une confrontation constante et permanente, à une multitude de stimuli et de situations qui nous amènent à prendre des décisions rapides, qui ne satisferont jamais tous les éléments en jeu, qu'il s'agisse de comprendre et d'appréhender le monde, nos pairs, nos décisions concernant les mécanismes de changement ou notre rapport à l’autre.

Rovelli dans son essai Et si le temps n'existait pas ? Un peu de science subversive pose, sur un axe articulé construit à partir des fondements de la physique quantique, une série de situations et de dynamiques extrapolables à l'échelle humaine. A partir de ce point de départ, hypothétique, nous pouvons défendre l'existence d'une dynamique quantique à différentes échelles, y compris celle de l'homme. Au bout du compte, comme le rappelle le physicien théoricien, tout est une question de perspective et d'ordre construit pour interpréter le monde autour de nous. Et la perspective varie selon la distance à partir de laquelle on regarde l'événement. Si nous regardons les anneaux de Saturne, ils seront constitués d'un tissu lisse et uniforme. Mais si on pouvait s'en approcher, on constaterait qu'ils sont constitués de petits corps qui tournent rapidement dans un certain espace et ordre. La clé pour interpréter un phénomène est de focaliser notre approche. La granulométrie, ou la recherche du plus petit élément qui donne consistance à un ensemble. Et ici, cela vaudrait la peine d'examiner, si nous nous en tenons à la proposition quelle est la plus petite unité de mesure ayant un sens.

Si l'on descend à l'échelle humaine, les sociétés se présentent comme une métaphore de ces anneaux saturniens. Les médias, les blocs idéologiques ou les agents qui détiennent le pouvoir à tout moment ont intérêt à en montrer une image homogène : le christianisme, l'islam, la patrie, un citoyen espagnol ou européen... Des identités collectives se construisent qui tentent de dominer les identités individuelles, renforçant les critères d'appartenance à un groupe ou d'exclusion de celui-ci. Ce critère d'ordre rend les masses gérables et les messages polarisés. Cependant, si nous regardons la dynamique quantique et l'appliquons aux événements sociaux, nous voyons comment la granulométrie positionnera l'être humain comme le plus petit élément interprétable et protagoniste, dans une certaine mesure, du changement qui l'entoure.

C'est ce paradigme de la dynamique quantique dans les phénomènes humains et la recherche granulométrique du plus petit élément cohérent qui a inspiré cette réinterprétation de la diaspora.

Conclusion

Migrer n’est pas facile. Cela demande un grand effort personnel qui parfois consume la personne. Ahmed Aboutaleb a publiquement avoué que « La migration c'est sans pitié, terriblement difficile ; cela exige un prix incroyablement élevé ». Lorsque nous quittons notre terre d'origine, nous érigeons en patrie l'endroit où nous nous déplaçons. Nous laissons derrière nous espoirs et mélancolie. Et ce sac à dos émotionnel nous fait regarder un passé qui n'existe plus. Cette ancre nous empêche de naviguer vers de nouveaux océans. Et face à la lutte interne entre ce que nous sommes et ce que nous recherchons, le migrant se retrouve rejeté parce qu'il est différent. Mais lorsque la lutte quotidienne l'amène à surmonter les barrières de la contradiction raciste, l'effet magique du multiculturalisme se produit. On ne peut pas verser du vieux vin dans des outres neuves. Et nous ne pouvons pas expliquer un nouveau monde avec de vieilles règles. Le présent est pluriel et il le sera de plus en plus. Le monde devient petit et les décisions locales se répercutent dans la globalité. La glocalité c’est la nouvelle réalité.

Julio Cortázar, interviewé par Joaquín Soler Serrano dans « A Fondo » a déclaré :

Je continue à croire que l'une des voies positives de l'humanité est le métissage. Plus il grandit, plus la fusion des races est ancienne, plus nous pourrons éliminer les chauvinismes, les jingoïsmes, les nationalismes frontaliers absurdes et insensés (RTVE Espagne, 1977).

Ces mots sont idéaux pour mettre la touche finale aux idées que nous avons exposées, tout au long de ces pages. Ainsi, nous terminons comme nous avons commencé : le monde n'admet pas d'explications faciles.