Vers une gouvernance régionale du Bien-vieillir ? Des « gerontopôles » en quête de légitimité Towards a regional governance of successful ageing? French "gerontopôles" and their legitimacy

Raphaël ROGAY 

https://doi.org/10.25965/trahs.4113

Face au vieillissement de leur territoire et à l’augmentation de leurs capacités d’action, des acteurs locaux et régionaux se sont fédérés, à partir de 2007, afin de constituer plusieurs gérontopôles susceptibles de contribuer à la recherche clinique et à l’innovation en gérontologie. Dans cette contribution, je montre que ces organisations, peu étudiées, se sont développées autour de deux modèles aux degrés différents de légitimation : un modèle hospitalo-centré et un modèle holiste. J’analyse les ressorts de la légitimation régionale des gérontopôles holistes, tout en montrant que ces ressorts déterminent leurs contenus d’intervention. A l’échelle nationale, il apparaît finalement que si la diversité des gérontopôles gêne leur légitimation, ces difficultés sont autant le fruit de contradictions émanant du pouvoir central lui-même. En effet, l’État régulateur, enclin à encourager les territoires à développer des réponses localisées aux défis qu’ils rencontrent, peine à accorder une reconnaissance à des organisations polymorphes qui sont précisément le fruit de contextes locaux et régionaux. La recherche d’une légitimation nationale risque dès lors de conduire les gérontopôles à une homogénéisation qui fragiliserait le maintien d’une légitimité régionale durement acquise. Cette contribution s’appuie sur l’étude transversale de huit gérontopôles et sur l’étude longitudinale du gérontopôle Nouvelle-Aquitaine dont je fus un observateur participant autant qu’un participant observateur. L’enquête se fonde sur l’analyse d’un corpus de presse, d’un ensemble de documents de littérature grise, d’une dizaine d’observations participantes et de vingt-deux entretiens semi-directifs conduits dans le cadre d’une thèse de doctorat cifre.

With the aging of their population and the increase of their capabilities, local and regional partners have worked, since 2007, to build several “gérontopôles” in order to stimulate clinical research and innovation in gerontology. In this contribution, I demonstrate that these understudied organizations were built around two models with different degrees of legitimacy : a hospital-centered model and a holistic model. I analyze the mechanisms of regional legitimization of holistic “gérontopôles” and show that these mechanisms determine the content of their interventions. At the national level, it finally appears that if the diversity of the “gérontopôles” makes their legitimization difficult, these difficulties are also the result of contradictions emanating from the central authorities themselves. Indeed, the regulatory State stimulates local authorities to develop local-based responses to the challenges they face on the one hand. But it is unable to give recognition to diversified organizations that are precisely the result of local-based policies on the other hand. Therefore, the search for national legitimacy can lead “gérontopôles” to a homogenization that could compromise the continuation of their hard-earned regional legitimacy. This contribution is based on a cross-sectional study of eight “gérontopôles” and on a longitudinal study of the Nouvelle-Aquitaine gerontopole, of which I was both a participant and an observer. The investigation is based on the analysis of a press corpus, a set of grey literature documents, a dozen participant observations and twenty-two semi-structured interviews conducted during a PhD research.

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Introduction

Face au vieillissement de leur territoire et à l’augmentation de leurs capacités d’action, des acteurs locaux et régionaux se sont fédérés, à partir de 2007, afin de constituer des gérontopôles susceptibles de contribuer à la recherche clinique et à l’innovation en gérontologie (Gonthier et al., 2015). Peu, voire pas étudiées, ces organisations sont très diversifiées dans leur fonctionnement, leurs finalités, les acteurs à leur origine et leurs parties-prenantes, et connaissent un développement inégal en termes de budgets, de financements et d’équipes opérationnelles. Il est par conséquent difficile de formuler une définition unique propre à caractériser l’ensemble de ces organismes.

Carte 1. Les gérontopôles en France

Carte 1. Les gérontopôles en France

Source : carte établie par nos soins

La création des gérontopôles intervient dans un contexte politico-institutionnel fragmenté. D’une part, les lois de décentralisation ont déplacé le centre de gravité des politiques vieillesses de l’État vers les départements. Cependant, seul le volet social a été décentralisé, laissant place à une mosaïque de politiques départementales (Argoud, 1998, 2007), quand le volet sanitaire est resté une compétence de l’État, déployée par les agences régionales de santé (ARS). D’autre part, depuis 2013, un nouveau contenu de politiques publiques, la silver économie, vient perturber ce paysage institutionnel déjà morcelé (Rogay, à paraître) en donnant un rôle majeur aux régions et aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dans la gouvernance de cette « filière » visant à élaborer des solutions économiques et sociales innovantes pour répondre aux besoins des ainés (Ministère du redressement productif, 2013).

A l’intersection de ces deux trajectoires d’action publique (une plus ancienne, relevant de la demande ; une plus récente, relevant de l’offre), les années 2000 et 2010 voient l’apparition de nouvelles organisations visant à répondre aux besoins des personnes âgées. Au niveau local, des clusters, des livings labs (Berthou, 2018) ou encore des agences de développement économique deviennent des acteurs de plus en plus légitimes à proposer des solutions relatives au bien-être des seniors. Ces organisations s’appuient sur des expertises très différentes pour asseoir leur légitimité : connaissances d’un réseau (cluster), d’une clientèle (entreprises), ou d’usages (living labs).

Les gérontopôles constituent à ce titre un exemple emblématique d’organisations nouvelles intervenant dans le champ mal délimité du « bien-vieillir » (Ministère de la santé et des solidarités, 2007) et venant bousculer le paysage institutionnel traditionnel de l’intervention à destination de la vieillesse. Revendiquant une approche réticulaire, une connaissance fine des différents acteurs de la gérontologie et une compétence scientifique pointue, les gérontopôles relèvent de ce que P. Lascoumes et L. Simard appellent un « recyclage d’instrument d’action publique » (2011 : 7). En effet, ils sont indirectement inspirés d’instruments issus de la géographie économique : les milieux innovateurs (Crevoisier, 2001), les technopôles (Benko, 1991) ou encore les clusters (Porter, 1998) sont autant d’instruments faisant de l’innovation et de la recherche une composante majeure du développement endogène des territoires mais aussi le résultat de configurations d’acteurs en interaction.

Plus directement, les gérontopôles sont inspirés des cancéropôles nés sous l’impulsion du plan cancer 2003-2007 (Gonthier et al., 2015 : 72-73), bien que leurs problématiques soient différentes (Vellas, Hammou Kaddour, 2011 : 266). L’enjeu de l’ancrage territorial et de la légitimation régionale et nationale des gérontopôles, malgré leur grande diversité, est dès lors important. En effet, dans les objectifs qu’ils affichent, les gérontopôles sont susceptibles de répondre au moins en partie à l’augmentation quantitative et qualitative des demandes (inputs) politiques relatives aux besoins liés à la transition démographique qui affecte inégalement les territoires. Pour cela, les gérontopôles devront faire de leur diversité un atout, à la différence des cancéropôles qui affichent un bilan nuancé quant à leur capacité à remplir leurs objectifs initiaux (Vézian, 2014). 

Note de bas de page 1 :

Pour comprendre les nuances importantes entre néo-institutionnalisme historique, des choix rationnels et sociologique, je renvoie à Hall, P.A., Taylor, R. (1997). « La science politique et les trois néo-institutionnalismes ». Revue française de science politique, 47. N°3-4. p. 469-496.

Cet article ne restitue pas un travail d’évaluation des gérontopôles. Cela reviendrait à postuler que l’efficacité d’une organisation serait le principal déterminant de sa légitimité. Dans une perspective plus proche des néo-institutionnalistes en sociologie1 je postule plutôt que les institutions n’existent pas seulement parce que leurs fonctions sont nécessaires, mais parce des pratiques de légitimation conduisent à les faire accepter comme telles (Dubois, 2001). La question fondamentale est donc de savoir si, parmi la diversité des gérontopôles, il en émerge qui soient « légitimes » et de déterminer les ressorts leur conférant cette légitimité, c’est-à-dire une reconnaissance, une acceptation, par leur environnement externe (Deephouse, 1996, Di Maggio, Powell, 1983).

Les néo-institutionnalistes insistent sur la conformité aux normes et valeurs dominantes, comme déterminant de la légitimité des organisations d’un même champ (Deephouse, 1996) mais aussi sur le fait que l'expansion du rôle régulateur de l'État moderne imposerait de nombreuses pratiques aux organisations (Hall, Taylor, 1997). Le développement des appels à projets et des labels conduit même Renaud Epstein à présenter ces « trophées » comme une redéfinition, par le centre, des finalités des politiques territoriales en « promouvant les bonnes pratiques développées dans les territoires modèles » (Epstein, 2013 : 16).

Des travaux plus anciens traitaient déjà de « l'isomorphisme coercitif » (Di Maggio, Powell, 1983), en analysant la légitimation comme une forme de pression exercée par l'État et pouvant imposer une homogénéisation aux organisations d’un même champ. En s’insérant au sein d’une gouvernance régionale fragmentée, les gérontopôles perturbent un ensemble d’arrangements institutionnels. Dans ce contexte, sur quels ressorts de légitimation s’appuient ces organisations hétérogènes et dans quelle mesure ces ressorts déterminent-ils leurs contenus d’intervention ?

Pour répondre à ces questions, je m’appuie sur l’étude transversale de huit gérontopôles (Normandie, Toulouse, Île-de-France, Pays de la Loire, Auvergne-Rhône-Alpes (AURA), Bourgogne-Franche-Comté, Sud, Bretagne) et sur l’étude longitudinale du gérontopôle Nouvelle-Aquitaine, dont je fus un observateur participant autant qu’un participant observateur (Gold, 1958). L’enquête a été conduite entre 2019 et 2021 dans le cadre d’une thèse de doctorat cifre en science politique au sein d’Autonom’lab, GIP préfigurateur du gérontopôle Nouvelle-Aquitaine, et du laboratoire Triangle (UMR 5206). J’ai constitué et analysé pour les besoins de l’article un corpus de 75 articles de presse consacrés aux gérontopôles ainsi qu’un ensemble de documents de littérature grise (documents institutionnels, documents internes, plaquettes de présentation, présentation lors de colloques etc.). J’ai enfin conduit une dizaine d’observations participantes et vingt-deux entretiens semi-directifs auprès d’acteurs des gérontopôles.

I. Naissance et développement des gérontopôles autour de deux modèles inégalement légitimés

I.A. La naissance d’un modèle hospitalo-centré (2006-2007)

Note de bas de page 2 :

Sud-Ouest, « Philippe Most répond au comité de soutien », Philippe Belhache, 30 décembre 2005

Note de bas de page 3 :

L’idée d’un gérontopôle nait dans l’esprit de P. Pfitzenmeyer à la suite de la canicule de 2003 et de son lourd impact sur la mortalité de la population âgée. Cf. interview de P. Pfitzenmeyer dans L’Expansion, « Les 10 chercheurs qui dopent l’industrie », 1 septembre 2006.

Note de bas de page 4 :

Le Bien Public, « Le gérontopôle de Dijon se dessine », Cyrill Bignault, 22 mars 2007.

La première occurrence du terme « gérontopôle » remonte à 2005 lorsque Philippe Most, maire UMP de Royan, souhaite créer un rapprochement entre les services gériatriques des centres hospitaliers de sa commune et de celle de Rochefort. Le terme désigne alors un simple projet de « mise en commun des moyens des deux agglomérations »2 et n’a pas grand-chose à voir avec son acception future. En 2006, le terme est utilisé par le Pr. Pierre Pfitzenmeyer, gériatre au CHU de Dijon, pour désigner un projet3 ayant pour but de regrouper tous les partenaires pour développer « la formation et la recherche tout en offrant une dimension de soins »4.

Note de bas de page 5 :

Le Bien Public, « Un gérontopôle sur le site du collège d’Epirey ? », Xavier Grizot, 13 mai 2006.

Note de bas de page 6 :

Le Bien Public, « Le gérontopôle de Dijon se dessine », Cyrill Bignault, 22 mars 2007.

Note de bas de page 7 :

Bulletin Officiel de la propriété intellectuelle, Gérontopôle, n° national 06 3 453 935, dépôt du 29 septembre 2006, 06/45, vol I, p. 116. https://data.inpi.fr/bopi/export/brands/FR3453934

Soutenu par François Rebsamen, maire de Dijon, Michel Ballereau, directeur de l’Agence Régionale de l’Hospitalisation (ARH) et Didier Marie, directeur du CHU5, ce projet débouche sur la création d’une association loi 1901financée par le CHU (à hauteur de 650 000 €) et diverses réponses à des appels à projets de recherche6. L’association implique d’autres parties-prenantes, telles que le conseil régional, le Département de la Côte d’Or et la Ville de Dijon. En mars 2007, Michel Ballereau accompagne Louis de Broissia (Président du Département de la Côte d’Or) auprès des ministres Xavier Bertrand et Philippe Bas pour réclamer un soutien ministériel et une reconnaissance nationale de ce gérontopôle. Pourtant, c’est à Toulouse que quelques jours plus tard, Philippe Bas annonce la création du premier gérontopôle français officiellement « labellisé », alors même que le terme « gérontopôle » est déposé auprès de l’INPI par le Pr. Pfitzenmeyer depuis septembre 20067. La décision est justifiée à l’époque par la présence au sein du CHU Toulousain d’une filière gériatrique d’excellence, créée par le Pr. Albarède et dirigée ensuite par le Pr. Bruno Vellas. D’autres déterminants ont pu conduire le ministère à préférer Toulouse à Dijon. La reconnaissance scientifique et sociale (Hassenteufel, 2011 : 117) du Pr. Vellas a ainsi pu lui permettre de trouver différents soutiens au Ministère de la Santé.

Les gérontopôles de Toulouse et de Dijon constituent un premier modèle de gérontopôle : le modèle hospitalo-centré. Plus proche d’un « gériatropôle », ce modèle est porté par les CHU et accorde l’essentiel des ressources (humaines, économiques, stratégiques) à la recherche clinique et la prévention. Il n’est pas à proprement parler régional : à la différence des gérontopôles, il porte le nom de la Ville où siège le CHU auquel il est rattaché.

Le décès prématuré du Pr. Pfitzenmeyer en 2011 marque l’arrêt du gérontopôle dijonnais, dans un contexte où la structure était partie-prenante, à partir de 2010, de la préfiguration d’un gérontopôle interrégional. A partir de cette date, Toulouse devint donc la seule incarnation de gérontopôle hospitalo-centré, acquérant une légitimité si rapide et si importante qu’elle découragea la plupart des futurs gérontopôles à s’orienter vers ce modèle.

Cette situation de quasi-monopole est confortée par une reconnaissance nationale sans cesse renouvelée. A titre d’exemple, le gérontopôle de Toulouse est le seul à être spécifiquement cité par le rapport de concertation rendu par Dominique Libault dans le cadre de l’élaboration de la loi grand âge et autonomie (Libault, 2019).

Note de bas de page 8 :

Présentation du Gérontopôle de Toulouse, Workshop Gérontopôles, Congrès Fragilité, 11 juin 2021.

Note de bas de page 9 :

Gérontopôle de Toulouse, « Le Gérontopôle. Permettre l’accès à l’innovation et à la recherche thérapeutique », Plaquette de présentation, 2018, p. 5.

La légitimité du gérontopôle hospitalo-centré repose sur deux ressorts principaux. D’une part, la question de sa légitimité à l’échelle régionale n’est pas posée dans les mêmes termes que pour les gérontopôles suivants : choix des statuts, recherche de financements, sélection de la nature des activités, acteurs à impliquer dans la gouvernance… qui sont autant de questions qui trouvent des réponses dans la continuité des routines de travail caractéristiques du fonctionnement de l’institution hospitalo-universitaire. Sa création ne perturbe pas les arrangements institutionnels régionaux dans la mesure où l’essentiel de ses parties prenantes sont des acteurs issus des champs du médical et de la recherche, deux champs d’acteurs déjà habitués à coopérer au sein des CHU. D’autre part, la légitimité du gérontopôle hospitalo-centré repose sur une spécialisation et une excellence scientifique qui se traduisent par une production prolifique (470 publications depuis sa création ; 48 articles dans des revues avec un facteur d’impact supérieur à 4 depuis 2020)8, et une insertion dans d’importants réseaux de recherche (en 2009, le gérontopôle est nommé pour assurer la présidence de l’International Association of Gerontology and Geriatrics durant 4 ans et en 2012, est créé l’International Association of Gerontology and Geriatrics – Global Aging Research Network, un réseau de 500 centres de recherche internationaux)9.

Le gérontopôle conduit de nombreux projets avec des financements diversifiés (cf. Encadré 1). Cette légitimité, fondée sur la spécialisation et l’excellence scientifique, devient mondiale en 2017 lorsque le gérontopôle est désigné Centre Collaborateur de l’OMS pour la fragilité, la recherche clinique et la formation en gériatrie.

Note de bas de page 10 :

Gérontopôle de Toulouse, « Bilan d’étape à deux ans », 2009, p. 83.

Note de bas de page 11 :

Gérontopôle, « Le Gérontopôle. Permettre l’accès à l’innovation et à la recherche », Plaquette de présentation, 2016, p. 15.

Note de bas de page 12 :

Gérontopôle de Toulouse, « Le Gérontopôle. Permettre l’accès à l’innovation et à la recherche thérapeutique », Plaquette de présentation, 2018, p. 29.

Note de bas de page 13 :

Ibidem.

Encadré 1. Le financement des projets de recherche du gérontopôle de Toulouse
Le gérontopôle de Toulouse a une capacité grandissante à capter des financements nationaux et européens, publics ou privés dans le cadre de la recherche. Les financements de projets de recherche représentaient 4,2 millions d’euros en 200810, plus de 15,5 millions d’euros en 201511 et 17,8 millions d’euros en 201712. En 2017, 40 % des financements de projets de recherche émanaient de fonds privés, 45 % de fonds européens et 15 % de fonds nationaux et régionaux13.

I.B. La naissance de contre-modèles de gérontopôles holistes (2010)

Note de bas de page 14 :

Paulette Guinchard-Kunstler était députée du Doubs et secrétaire d’État aux personnes âgées. Elle est notamment à l’origine du projet de loi relatif à l’instauration de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie.

Note de bas de page 15 :

Le PGI est d’ailleurs la seule organisation à ne pas utiliser le nom « gérontopôle » alors même que ce terme fut imaginé et déposé dans cette région.

En 2010, le gérontopôle de Dijon prend une dimension interrégionale en s’associant à d’autres acteurs de Bourgogne et de Franche-Comté (la Carsat Bourgogne-Franche-Comté, les CHU et les universités des deux régions) pour créer le Groupement d’intérêt économique (GIE) préfigurateur en charge de constituer un Pôle de Gérontologie et d’Innovation (PGI). La dernière organisation membre du GIE était l’Institut Régional des Vieillissements franc-comtois (IRV), créé en 2002 à l’initiative de Paulette Guinchard-Kunstler14. Le PGI marque ainsi la jonction de deux histoires régionales complémentaires : une approche franc-comtoise plutôt « sociétale » avec l’IRV et une approche bourguignonne plutôt sanitaire et hospitalière avec le gérontopôle. En 2012, le GIE préfigurateur se transforme en association loi 1901 marquant la naissance du PGI qui présente la double originalité d’être le seul gérontopôle15 interrégional (avant la loi NOTRe) d’une part, et de développer une approche holiste d’autre part. Le PGI s’affirme ainsi comme un contre-modèle au « gériatropôle » toulousain.

Le PGI oriente ses actions dans l’articulation de quatre axes d’intervention : études et recherches, silver économie, formation et prévention, et action territoriale. Association de 60 personnes morales réparties en 6 collèges (membres fondateurs, entreprises, acteurs de la prise en charge, institutionnels, collectivités et personnes qualifiées), le PGI développe une philosophie d’action fondée sur la subsidiarité, notamment en matière de développement économique (en s’appuyant sur les structures existantes).

Note de bas de page 16 :

AFP, « Les Pays de la Loire vont créer un gérontopôle », 10 décembre 2010.

Note de bas de page 17 :

Le Figaro.fr, « Pays de la Loire : projet de « gérontopôle » », 10 décembre 2010.

Note de bas de page 18 :

Entretien avec la directrice du gérontopôle Pays de la Loire, 25 octobre 2019.

Note de bas de page 19 :

Terme utilisé dans le cadre de nombreux entretiens.

Note de bas de page 20 :

Terme également utilisé lors de nombreux entretiens.

Note de bas de page 21 :

Entretien avec la directrice du gérontopôle de Normandie, 23 mars 2020.

Parallèlement, en 2010, un gérontopôle est créé dans la Région Pays de la Loire à l’initiative du Pr. Gilles Berrut qui imagine également ce projet à la suite de la structuration des cancéropôles. Le processus aboutit à la création d’une association en décembre. Les objectifs initiaux de l’association sont alors de « développer les synergies entre la recherche, la formation, le conseil et le développement économique régional appliqués au domaine du grand âge »16. Les membres fondateurs du gérontopôle Pays de la Loire sont le conseil régional, les CHU de Nantes et d’Angers et la CCI régionale, mais l’essentiel des financements provient du conseil régional qui prévoit une enveloppe de 300.000 euros en 2011 et de 3 millions d'euros en tout dans son programme prévisionnel d’investissement 2010-201617. La présence de la CCI est intéressante dans la mesure où il s’agit de la seule CCI de France à figurer parmi les fondateurs d’un gérontopôle. En 2014 est inaugurée la Maison Régionale de l’Autonomie et de la Longévité, lieu totem de la silver économie et siège du gérontopôle, et en 2015, une SAS (société par action simplifiée) est créée avec la CCI en marge de l’association, la SAS Gérontopôle Développement, pour assurer la gestion des contrats privés et gérer les activités lucratives de l’organisation18. La SAS est dissoute en 2018 par la nouvelle directrice, notamment pour simplifier son travail de gestion, mais surtout parce qu’elle n’a pas trouvé de modèle économique probant. L’implication de la CCI et la création de cette SAS ont donné une coloration économique assez « business »19 à ce gérontopôle alors que le développement d’une méthodologie de diagnostic territorial (DATEL) lui a conféré une identité davantage « territoriale »20. Cette double identité a conduit le gérontopôle des Pays de la Loire à devenir une « bonne pratique » à imiter : les régions souhaitant développer un gérontopôle à vocation plutôt économique le prenant autant pour exemple que celles souhaitant plutôt orienter l’activité vers le soutien aux collectivités territoriales. Le gérontopôle a même été amené à proposer une prestation d’accompagnement à la structuration du gérontopôle de Normandie21.

Note de bas de page 22 :

Entretien avec la directrice du gérontopôle Pays de la Loire, 25 octobre 2019.

À l’image du PGI, le gérontopôle Pays de la Loire articule ses actions autour de quatre axes d’intervention : la formation, la recherche, la silver économie et les territoires. Le gérontopôle a inégalement développé ces quatre axes au fil du temps, misant prioritairement sur certains axes au gré des possibilités de partenariats pouvant faciliter sa stabilisation dans un contexte incertain qui dura, selon la directrice, 7 ans (entre 2012 et 2019)22. Association de 220 adhérents répartis en 7 collèges (associations de personnes âgées, formation et recherche, grandes entreprises et ETI, institutions et collectivités, prévention et retraite, personnes qualifiées, TPE et PME), le gérontopôle a la particularité de s’inscrire dans une région relativement petite (5 départements), ce qui n’a pour autant pas facilité son intégration territoriale et sa légitimation.

Les gérontopôles de Bourgogne-Franche-Comté et de Pays de la Loire constituent un deuxième modèle de gérontopôle : le modèle holiste. Ils articulent leur action autour de quatre champs d’action (recherche, innovation, territoire et formation) afin d’envisager les enjeux du vieillissement dans une certaine globalité.

Le gérontopôle holiste est porteur d’enjeux de gouvernance et de légitimation spécifiques dans la mesure où il est créé à l’initiative d’acteurs traditionnellement absents des politiques vieillesses (par exemple la CCI en Pays de la Loire, les universités en Bourgogne-Franche-Comté et, dans les deux cas, le conseil régional). Les conseils régionaux justifient leur insertion dans ce champ d’action publique sur la base de leurs compétences en matière d’aménagement, d’innovation, de formation et plus récemment comme « chefs de file » de la silver économie. Le gérontopôle holiste perturbe ainsi le jeu d’acteurs régional traditionnel gravitant précédemment autour des départements. Par ailleurs, ce modèle ne peut souvent pas compter sur la présence d’une institution sur laquelle se reposer ce qui entraine des hésitations dans sa structuration et le choix de ses statuts (GIE, SAS, association). Enfin, l’engagement des services déconcentrés de l’État est inégal dans les deux gérontopôles : les fondateurs du PGI sont missionnés par les deux ARH de Bourgogne et de Franche-Comté alors que l’ARH est absente lors de la création du gérontopôle Pays de la Loire.

La légitimité des « gérontopôles holistes » repose sur un ressort unique qui me semble être un processus de « légitimation par la preuve ». Ils bénéficient de financements publics incertains et irréguliers et sont sans cesse renvoyés à leur capacité à trouver un modèle économique. Par exemple, après 10 ans d’existence, le PGI demeure relativement instable étant donné la faible part de son budget alloué au fonctionnement (environ 10 %), l’essentiel des budgets étant accordés sur des projets spécifiques.

Cette instabilité pousse les gérontopôles holistes à développer un certain opportunisme dans la conduite de leurs missions : plutôt que de conduire paritairement leurs quatre axes d’intervention, selon une feuille de route réaliste et équilibrée, ces organisations ont tendance à prioriser, en fonction d’opportunités de contexte (développer un partenariat, trouver une nouvelle source de financement etc.), certains axes plutôt que d’autres en fonction des années. Cela explique pourquoi, malgré des objectifs stratégiques et des axes d’intervention quasiment identiques, ces deux gérontopôles holistes demeurent malgré tout relativement hétérogènes.

Cet opportunisme demande à ces organisations une grande flexibilité. Surtout qu’il intervient dans un cadre où, bien souvent, les conseils régionaux et les parties-prenantes de ces organisations font peser un ensemble de contraintes et d’injonctions à ces structures nouvelles dans la conduite de leurs activités. Il leur est par exemple souvent demandé de respecter un principe strict de subsidiarité, c’est-à-dire de ne se positionner que sur des missions qui ne sont pas déjà couvertes par d’autres acteurs du territoire.

Leur réussite dans la mise en place d’une telle philosophie d’action minimaliste s’avère être souvent une condition nécessaire à l’implication d’acteurs cruciaux au sein de leur gouvernance, notamment les conseils départementaux. Cela facilite donc leur intégration territoriale, la puissance de leur réseau, et, par voie de conséquence, cela nourrit davantage encore leur légitimation. Il leur est également demandé de veiller à l’équilibre territorial de leurs actions en région, des actions devant couvrir l’ensemble du territoire en Pays de la Loire et devant veiller à l’équilibre entre les deux ex-régions en Bourgogne-Franche-Comté. Si les deux gérontopôles holistes étudiés présentent des sources de financement, des membres fondateurs et un historique d’activité très différents, ils constituent toutefois un modèle plutôt unifié sur le plan de leurs missions et de leur philosophie d’action. Ce modèle holiste est celui qui influencera le plus largement les futurs projets de gérontopôle en France.

I.C. La généralisation du modèle holiste (2014 – 2020)

Note de bas de page 23 :

Considérant la date de l’origine du projet et non la date d’entrée effective en exercice des organisations.

Entre 2014 et 2020, six projets de gérontopôles émergent en France ; chronologiquement23 en AURA, en Bretagne, en Île-de-France, en Normandie, en PACA et en Nouvelle-Aquitaine. A l’exception du gérontopôle d’Île-de-France, plus hybride, ces projets sont tous d’inspiration holiste. Toutefois, ils sont très hétérogènes dans leur capacité à s’intégrer dans leurs réseaux régionaux respectifs et sont porteurs d’enjeux de légitimation qui leur sont propres. Pour comprendre ces enjeux, les exemples d’Île-de-France et d’AURA sont à ce titre particulièrement parlants : le premier est l’incarnation d’une légitimation rapide et facilitée ; le second, à l’inverse, connait un processus de légitimation plus long et plus difficile.

Les origines de la constitution du Gérond’If (gérontopôle d’Île-de-France) remontent au colloque organisé par la Mutualité Française et l’équipe de recherche Santé, Individu et Société de l’Université de Lyon, le 4 septembre 2013, à Paris. Ce colloque fut l’occasion d’une présentation enthousiaste des différents gérontopôles déjà constitués. A l’occasion des échanges engendrés par ces présentations, Michèle Delaunay, alors ministre déléguée aux personnes âgées et à l’autonomie, interpelle le directeur de l’ARS Île-de-France et le directeur général de l’APHP (Assistance Publique - Hôpitaux de Paris) sur l’absence de gérontopôle en Île-de-France. Ces derniers prennent alors l’engagement de constituer un gérontopôle dans la région.

Note de bas de page 24 :

NewsPress, « Création du gérontopôle d’Île-de-France (Gérond’If) », 21 juillet 2016.

Note de bas de page 25 :

Assemblée de l’APHP où siègent les représentants élus des médecins, pharmaciens, dentistes et sages-femmes.

D’emblée, l’ARS se positionne en soutien du projet et en délègue le leadership à l’APHP pour limiter le processus descendant de cette démarche. Une équipe préfiguratrice d’une dizaine de personnes est constituée, équipe initialement très médicale (surtout issue de l’APHP), et incluant notamment un professeur de gériatrie (Olivier Hanon, président actuel du Gérond’If), un professeur de biologie du vieillissement, un médecin de la FEHAP et un médecin de la FHF24. Un représentant désigné par le président de la CME25 (commission médicale d’établissement) ainsi qu’un représentant du directeur général de l’APHP furent également intégrés à l’équipe. Des groupes de travail furent constitués durant l’année 2014, selon plusieurs axes qui ont été plus ou moins conservés par la suite : recherche, innovation organisationnelle et parcours, silver économie et innovation, formation et enseignement, éthique et enfin gouvernance (ce dernier groupe ayant logiquement disparu depuis).

Note de bas de page 26 :

Entretien avec la déléguée générale du gérontopôle Île-de-France, le 25 mars 2020.

Ces différents groupes ont rendu un rapport de préfiguration (Gérond’If, 2014) en octobre 2014. Jusqu’à ce rapport, les acteurs privés à but lucratif ont, dans un premier temps, été écartés afin de prioriser « une entente commune entre acteurs du public non lucratif »26. Le gérontopôle embauche du personnel dès le début de l’année 2015, par l’intermédiaire de l’APHP. Selon la directrice, la lourdeur des règles de recrutement public et des procédures de marché public ont très vite convaincu l’ensemble des partenaires de la nécessité de constituer une association loi 1901, présentant plus de souplesse. L'assemblée constitutive de l'association eut lieu en juillet 2016 avec une publication au journal officiel en septembre. Cependant, la vie associative du Gérond’If n’a véritablement commencé, selon la directrice, qu’à partir de janvier 2017.

Note de bas de page 27 :

Conseil Régional Île-de-France, Rapport pour la commission permanente du conseil régional, Novembre 2018, Exposé des motifs, p. 3.

Note de bas de page 28 :

Présentation du Gérond’If, Workshop Gérontopôles, Congrès Fragilité, 11 juin 2021.

Le Gérond’If connait un tournant important en novembre 2018 en étant labellisé « domaine d’intérêt majeur » (DIM) par la commission permanente du conseil régional. Ce dispositif a pour objectif « d’accroitre le rayonnement scientifique des laboratoires franciliens et leur attractivité (…) aux fins de développement économique »27 notamment dans des domaines à fort impact sociétal. Cette labellisation permet à l’organisation d’obtenir des fonds conséquents (600 000 € annuels en fonctionnement, 600 000 € annuels en investissement). Cette labellisation encourage une montée en puissance considérable de la structure : de 4,5 ETP en janvier 2017, le gérontopôle est passé à 25 ETP en juin 2021, avec un budget passant de 200 000 € à 2,5M€28.

L’originalité du Gérond’If réside dans sa relative légitimation « par le haut » c’est-à-dire en provenance d’acteurs institutionnels. Là encore, cette légitimation particulière a profondément conditionné les activités de ce gérontopôle. Ses membres fondateurs comprennent, d’une part, la plus grande représentation de fédérations hospitalières au sein d’un gérontopôle, et d’autre part, l’AP-HP, un mastodonte hospitalo-universitaire. Ces acteurs clés lui confèrent une légitimité et une croissance rapides, tout en contraignant son activité au domaine hospitalier et à la recherche clinique. Sa deuxième source de légitimation est sa labellisation « domaine d’intérêt majeur » par le conseil régional : là encore, cette reconnaissance assortie de nombreux moyens accroit la légitimité et la visibilité de l’organisation tout en renforçant sa spécialisation dans la recherche.

Aujourd’hui, le Gérontopôle ressemble, par les profils de ses équipes et son organisation, à une unité de recherche clinique, ce qui est susceptible de gêner le développement de ses autres domaines d’activités (notamment l’appui aux politiques publiques, le développement territorial et le développement économique), des objectifs pourtant affichés par le gérontopôle. Ainsi, si le gérontopôle d’Île-de-France relève du modèle holiste dans l’affichage (de jure) de ses objectifs et de ses axes d’intervention, sa très forte spécialisation en recherche clinique et ses liens étroits avec l’APHP tendent davantage à le faire ressembler au modèle hospitalo-centré (de facto).

Un deuxième projet de gérontopôle illustre bien l’hétérogénéité de ces organisations dans leur capacité à s’intégrer dans leurs réseaux régionaux respectifs, il s’agit du gérontopôle AURA. Ce gérontopôle s’est constitué en 2015 en association loi 1901 (la phase de préfiguration s’achevant au mois de juin) (Gérontopôle AURA, 2017) avec l’originalité de n’impliquer dans le projet que des acteurs stéphanois et ligériens.

En effet, les membres fondateurs de ce gérontopôle sont la Ville de Saint-Etienne, le CHU de Saint-Etienne, la Mutualité française de la Loire, la Caisse Nationale de la Sécurité Sociale dans les Mines et l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne. Cette présence exclusive d’acteurs stéphanois a posé de nombreuses difficultés au gérontopôle qui, depuis 2015, peine à trouver une légitimité régionale. En ayant revendiqué la dimension régionale d’un gérontopôle créé unilatéralement par des acteurs locaux, les membres fondateurs se sont assurés de l’implantation de cette organisation à Saint-Etienne (et non pas, comme dans la plupart des autres cas, dans la capitale régionale).

Toutefois, la montée en échelle de l’organisation s’en est vue ralentie dans la mesure où les autres acteurs (lyonnais, grenoblois, clermontois) n’ont pas été intégrés initialement dans une démarche partenariale et territoriale. Illustration de cette construction locale du gérontopôle : l’absence de portage politique et de financement de la part du conseil régional à l’origine et dans l’évolution du gérontopôle. Les financeurs actuels du fonctionnement du gérontopôle sont en effet l’ARS (intégrée tardivement), les membres fondateurs et Saint-Etienne Métropole. Pour toutes ces raisons, le gérontopôle a rencontré de nombreuses difficultés à assurer sa légitimité face à des acteurs régionaux importants et historiques (notamment : les hospices civils de Lyon, l’institut du vieillissement, le TASDA etc.) et plus globalement à irriguer l’ensemble de la région avec des équipes longtemps réduites. Ces difficultés de légitimation ont conduit le gérontopôle à focaliser principalement son action, durant plusieurs années, sur les compétences recherche de ses collaborateurs. Aujourd’hui, le gérontopôle déclare toutefois 11 ETP (stagiaires compris), signe d’une montée en puissance importante de ses équipes dans la mesure où il n’employait que 2,5 ETP au début de l’année 2020 (cf. tableau 1).

Gérontopôle

Équipes (ETP)

Budget (milliers €/an)

2013

2019

2021

2013

2019

2021

Toulouse

nc

nc

nc

nc

nc

nc

Bourgogne-Franche-Comté

5

10

10

300

800

800

Pays de la Loire

7

9,6

11

300

850

950

Île-de-France

18

25

1 800

2 500

AURA

2,5

11

250

500

Normandie

1

3,4

200

314

Sud

4

4

nc

270

Bretagne

nc

nc

nc

nc

Nouvelle-Aquitaine

12

1 000

Note de bas de page 29 :

Sources : Pour les données 2013 : Gonthier et al., 2015, p. 73. Pour les données 2019 : données transmises dans le cadre des entretiens conduits auprès des personnels des gérontopôles. Données 2021 : données présentées par les gérontopôles dans le cadre du « Workshop Gérontopôles » durant le Congrès Fragilité du 11 juin 2021.

Tableau1. Évolution des équipes et budgets des gérontopôles de 2013 à 202129

II. Une illustration des freins et des leviers de légitimation : le gérontopôle Nouvelle-Aquitaine

Note de bas de page 30 :

Conseil Régional Nouvelle-Aquitaine, « Feuille de route silver économie 2018-2021 », 2018, p. 7.

L’idée d’un gérontopôle en Nouvelle-Aquitaine naît en 2017 à l’initiative d’un gériatre du CHU de Bordeaux. Investi dans le projet Chronicity Valley, un programme transfrontalier (porté au sein de l’Euro-région rassemblant la Nouvelle-Aquitaine, l’Euskadi et la Navarre) relatif au vieillissement et aux maladies chroniques, ce gériatre se rapproche de l’élue régionale en charge de la santé et de la silver économie pour lui proposer un projet de gérontopôle euro-régional permettant de capitaliser sur les premières collaborations initiées avec les acteurs espagnols. L’élue se montre intéressée et le professeur se rapproche dès lors des autres services de gériatrie de la région (au sein des CHU de Poitiers et Limoges) pour leur soumettre le projet. Face à leur enthousiasme, il rédige un pré-projet proche du modèle hospitalo-centré, présenté au conseil régional qui réaffirme alors son intérêt : « la constitution d’un gérontopôle à l’échelle de la Nouvelle-Aquitaine-Euskadi-Navarre » est même la première mesure citée dans la « Feuille de route silver économie 2018-2021 » de la Région en 201830 et une première réunion de chercheurs des trois régions est organisée à l’été 2018. Le projet connait alors une réorientation importante durant l’année 2019 principalement pour deux raisons. D’une part, l’ARS refuse de s’engager dans un projet euro-régional, étant donné que son périmètre d’action est limité au territoire national. D’autre part, le conseil régional diminue progressivement son appui à ce modèle hospitalo-centré pour s’assurer de la participation de l’ARS au projet, et pour s’orienter davantage vers un modèle holiste plus en phase avec ses orientations stratégiques. La Région décide finalement de confier la préfiguration opérationnelle du futur gérontopôle à Autonom'Lab, living lab en santé et autonomie créé en ex-Limousin en 2009. Ce choix est justifié par la forte légitimité progressivement acquise par Autonom'Lab au niveau national (premier Living Lab en santé et autonomie de France) et à l’échelle européenne (via la conduite de nombreux projets européens), par sa très bonne connaissance de l’écosystème d’acteurs relevant du champ du vieillissement et enfin par la présence du conseil régional et de l’ARS dans la gouvernance de la structure. La Région réoriente alors les objectifs internes qu’elle associe à la création de ce gérontopôle. En effet, les acteurs du conseil régional voient dans la création d’un gérontopôle préfiguré par Autonom'Lab une opportunité de réconcilier deux trajectoires d’action publique, relevant de la silver économie, que la fusion des régions avaient complexifiées.

Note de bas de page 31 :

Entretiens avec le directeur de la filière silver économie, le 15/01/2021 et le 19/01/2021, entretiens avec le directeur d’Autonom'Lab, le 14/05/2019 et le 05/09/2020.

L’agence de développement économique et d’innovation de Nouvelle-Aquitaine (ADI) s’était ainsi emparée de la silver économie en ex-Aquitaine et avait entrepris un travail de structuration et d’accompagnement des acteurs de la filière. Or, dès 2009, un travail plus ambitieux encore (dans les objectifs, le temps, les moyens et la diversité des acteurs concernés) avait été entrepris en ex-Limousin avec la création d’Autonom'Lab. Avec la fusion des régions, ces deux organisations ont vu leur périmètre d’action se conjuguer en devenant compétentes sur l’ensemble de la Nouvelle-Aquitaine. Financeur des deux organisations, le conseil régional n’a pas immédiatement clarifié leur distinction en termes d’orientations stratégiques. Face à l’émergence de certaines logiques de concurrence entre les deux organismes31, le projet de gérontopôle fut rapidement perçu par les acteurs du conseil régional comme une opportunité de centralisation des objectifs stratégiques de la feuille de route silver économie au sein d’une même organisation. En septembre 2019, une directrice chargée de préfigurer le futur gérontopôle est embauchée au sein d’Autonom'Lab. Elle débute sa mission par une multiplication d’entretiens individuels auprès d’acteurs clés du territoire et engage, dès le mois de novembre une étude des différents gérontopôles en France, ce qui lui permet de rencontrer les autres directions de ces organisations. Elle capitalise les éléments récoltés dans un rapport qui lui permet d’opérer une sélection entre « bonnes pratiques » et pratiques à écarter. Les éléments principaux de la préfiguration seront ensuite : un recueil des besoins et attentes des acteurs de l’écosystème via la transmission d’un questionnaire et l’organisation de séminaires (innovation, recherche, collectivités, usagers, sanitaire et médico-social).

L’analyse de ces données permet la rédaction des statuts et un lancement politique du gérontopôle a lieu en décembre 2020, par le président de Région et le directeur de l’ARS, marquant un portage politique fort des deux institutions. Déposés au printemps 2021, les statuts doivent être entérinés à l’autonome 2021. En allouant un budget de fonctionnement d’environ 800 000 €/an, répartis équitablement, le conseil régional et l’ARS soutiennent largement, et à part égale, le projet.

Note de bas de page 32 :

Documents budgétaires internes et entretien avec une chargée de mission du service santé et silver économie du Conseil Régional, le 07/09/2020.

Envisagé très vite comme un instrument de gouvernance régionale à même de résoudre des problématiques de fragmentation héritées de la fusion des régions, le gérontopôle Nouvelle-Aquitaine est l’incarnation d’un processus de « centralisation pour l’influence ». Il permet la concentration de la quasi-totalité des objectifs stratégiques et des moyens déployés par le conseil régional en matière de silver économie au sein de cette organisation. Ainsi, le service santé et silver économie du conseil régional compte 1 ETP associé à la silver économie sur les 6,5 ETP sous la hiérarchie de la cheffe de service. Le budget du service alloué spécifiquement à la silver économie représente entre 600 et 650 000 € par an (en fonction des années) dont 400 000 € en 2021 sont alloués à un gérontopôle dont les équipes représentent 12 ETP32. Le gérontopôle permet au conseil régional de se positionner comme un acteur clé et entreprenant de la politique régionale du vieillissement et de l’innovation.

Le gérontopôle Nouvelle-Aquitaine a fait le choix du modèle « holiste » sans réelle hésitation. Surtout, face aux enseignements de l’étude des autres gérontopôles, la directrice fait le choix, courant 2020, de transformer Autonom'Lab en gérontopôle Nouvelle-Aquitaine et de conserver les équipes et donc les compétences et les réseaux du living lab. Organisé en « pôles », son action s’articule autour de cinq domaines stratégiques d’intervention : la recherche, l’innovation, l’appui aux politiques publiques et aux territoires, la valorisation des métiers et la formation et, de façon plus transversale, l’Europe.

L’étude de la genèse du gérontopôle Nouvelle-Aquitaine permet d’illustrer avec force les freins à la légitimation que peuvent connaître ces organisations. Le portage initial, proche du modèle hospitalo-centré de Toulouse, fut progressivement écarté par l’ARS (pour sa dimension euro-régionale) et par le conseil régional (davantage intéressé par le modèle holiste). L’étude des développements ultérieurs du projet permet quant à elle d’appréhender des aspects originaux de la légitimation rapide dont a bénéficié ce gérontopôle avant même sa création juridique officielle. Les ressorts de sa légitimité reposent essentiellement sur un processus de « légitimation par le bas » incarné par la décision de faire bâtir ce projet à partir d’Autonom'Lab, une organisation ayant acquis progressivement une reconnaisse régionale, nationale et européenne dans les champs du vieillissement et de l’innovation.

Le gérontopôle démarre ainsi son activité avec un historique de 10 ans de projets conduits par le living lab et un ensemble de compétences et de réseaux en interne déjà constitués. Cette « légitimation par le bas », antérieure à sa création, est réaffirmée au moment de son lancement par un fort portage politique régional, caractéristique d’une « légitimation par le haut » proche de celle observée dans l’exemple du Gérond’If. Tout l’enjeu pour le gérontopôle sera la constitution de son pôle recherche et de la stratégie qui y sera adossée dans la mesure où l’ensemble de ses autres activités demeurent presque inchangées.

III. En quête d’une légitimation nationale : vers une coopération inter-gérontopôle ?

Le political resclaling (Jouve, 2007) consécutif à la crise de l’État keynésien-fordiste dans les années 1970 et l’avènement d’un Schumpeterian Workfare State (Jessop, 1993) qui encourage l’innovation et la flexibilité ont entrainé la multiplication de politiques relevant de l’offre mettant les territoires en compétition pour l’attribution des ressources centrales. Face à la décentralisation politique et la diminution des ressources étatiques allouées aux territoires, les acteurs locaux doivent depuis trouver des réponses aux disparités territoriales jadis régulées par les États-Providence. Dans un tel contexte, marqué par une concurrence territoriale importante, les coopérations inter-gérontopôles ne vont pas de soi.

Le 4 septembre 2013, un colloque est organisé par la Mutualité française et l’équipe de recherche Santé, Individu et Société de l’université de Lyon durant lequel les différents gérontopôles alors constitués sont présentés. Il s’agit alors de discuter les pertinences, les points communs et les différences (Gonthier et al., 2015 : 72-73) des gérontopôle de Toulouse, des Pays de la Loire, de Bourgogne-Franche-Comté et du pôle interrégional de gérontologie Nord-Ouest. Ce dernier, rassemblant des acteurs de Picardie, du Nord, du Pas-de-Calais et de Basse-Normandie à partir de 2009 n’a finalement pas évolué vers un gérontopôle. Mais cet événement ne souligne pas encore la nécessité ni même les enjeux d’une coopération inter-structure, bien au contraire. En 2017, le gérontopôle AURA tente de conduire un benchmark des gérontopôles en France : cette étude souffre alors d’une absence de collaborations des autres gérontopôles, parfois peu enclins à partager leurs pratiques, leurs stratégies, ou même des informations concernant leur fonctionnement ou leur budget ce qui conduit une directrice à reconnaitre en 2020 que « parfois on a l'impression qu'il y a de la rétention d'information et que c'est un peu obscur ». Une autre directrice avoue :

Note de bas de page 33 :

Entretien avec une directrice de gérontopôle souhaitant garder l’anonymat de ce propos.

Notre collègue d'Auvergne Rhône-Alpes nous avait proposé de remplir un tableau avec des choses assez précises. J'en avais parlé au sein de mon bureau, et on m'avait clairement dit qu'il y a certains éléments sur lesquels il ne fallait pas que l'on communique33.

Ponctuellement, au gré des affinités entre personnels dirigeants, des échanges informels peuvent tout de même se mettre en place donnant lieu à des conseils pratiques :

Note de bas de page 34 :

Entretien avec la directrice du gérontopôle des Pays-de-la-Loire, 25 octobre 2019.

On a fait une réunion une fois, entre directrices. Il y avait le Gérond’If, et la directrice me dit « moi, mes plus gros sponsors, ce sont les conseils régionaux et l’ARS ». Du coup ça m’a donné énormément d’idées, ça m’a donné des billes de négociation et c’est grâce à elle que je suis allée voir l’ARS. Et j’ai récupéré les 200k€ qui me manquaient34.

Note de bas de page 35 :

A noter que jusqu’en 2019, toutes les directrices de gérontopôle étaient des femmes et tous les présidents étaient des hommes.

Mais globalement, même si ces affinités peuvent faire naître des désirs d’approfondir les collaborations au niveau des équipes dirigeantes, les échanges sont gênés par des présidents35 souvent réticents : à un contexte de concurrence territoriale s’ajoute des enjeux, non moins importants, de concurrences scientifiques, sur lesquelles les directions sont unanimes :

Note de bas de page 36 :

Entretien avec la directrice du gérontopôle A (souhaitant garder l’anonymat de ce propos).

Note de bas de page 37 :

Entretien avec la directrice du gérontopôle B (souhaitant garder l’anonymat de ce propos).

Note de bas de page 38 :

Entretien avec la directrice du gérontopôle C (souhaitant garder l’anonymat de ce propos).

On crève d’envie de faire des trucs ensemble, pour montrer que les gérontopôles peuvent bosser ensemble et arrêter ces idées de concurrence. Les directrices arrivent à se parler mais ça ne va pas plus loin que ça car il y a des distorsions entre présidents36.
 
Au niveau des présidences il n'y a pas de volonté de travailler ensemble, au contraire parfois. Notamment parce qu'il y a une espèce de concurrence entre les présidents pour savoir qui sera le leader… Et puis nous, directrices, avec ce contexte de présidents qui ne s'entendent pas, tant que ce problème-là n’est pas résolu cela demeure compliqué de partager des choses37.
 
Il nous a donc été demandé de faire notre déjeuner entre directrices et d'échanger sur nos modes de fonctionnement mais pas sur nos stratégies. Ce sont nos présidents qui ont demandé que cela soit officieux. Clairement, ils ne veulent pas d'une structuration inter-gérontopôle38.

Tous ces propos ont été recueillis entre les mois d’octobre 2019 et avril 2020. Depuis, la situation semble évoluer au contraire vers un développement des rapprochements entre gérontopôles. Le 4 septembre 2020, une réunion en visioconférence rassemble toutes les directions des gérontopôles à l’exception de Toulouse et du gérontopôle de Bretagne. L’objectif premier de cet échange est de déterminer comment, en s’unissant, les gérontopôles peuvent espérer une reconnaissance dans le contexte de l’élaboration de la loi Grand Âge et Autonomie. En effet, le rapport Libault (2019) de concertation préalable à la loi préconise de « développer un réseau national d’expertise et de ressources, constitué notamment des gérontopôles » (proposition 85 du rapport). Les gérontopôles tentent donc de saisir cette opportunité législative pour se positionner comme des acteurs centraux notamment sur le déploiement du programme ICOPE et sur la constitution d’un centre national de preuves, figurant dans les rapports Libault et Aquino et Bourquin (2019).

Durant cette réunion, si les volontés de collaborations sont rappelées par les dirigeants, les présidences réticentes sont à nouveau soulignées comme un frein à ces rapprochements. Pourtant cette structuration inter-gérontopôle pourrait être à même de favoriser la reconnaissance de ces organisations en quête d’une légitimation nationale. En effet, à ce stade, au niveau national, les gérontopôles ne sont pas porteurs d’une commande publique claire émanant de l’État central comme cela a pu être le cas pour les cancéropôles dans le cadre du Plan cancer. L’engagement des différentes ARS au sein de ces organisations est inégal d’une région à l’autre, alors même qu’aucun document du Ministère de la santé ne semble préciser les ressorts nécessaires à l’harmonisation de cet engagement. Par ailleurs, si le gérontopôle hospitalo-centré de Toulouse est le seul officiellement « labellisé » par le Ministère, la seule définition réglementaire des gérontopôles semble plus proche du modèle holiste. Elle figure dans les annexes de la loi ASV :

Note de bas de page 39 :

LOI n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement, Annexe à l’article 2, volet 1.

La mission des gérontopôles est de rapprocher et de dynamiser autour du vieillissement les acteurs de la recherche, du soin (à l'hôpital, en ville, en établissement médico-social), de la formation et de l'entreprise39.

Les enjeux d’une coopération inter-gérontopôles portent donc tout d’abord sur l’élaboration d’une définition minimale commune à ces structures malgré les deux grands modèles qui ont historiquement émergé. Ils portent ensuite sur la recherche d’une légitimation et d’une reconnaissance nationale propre à pérenniser leur institutionnalisation. Enfin, ils sont particulièrement d’actualité dans le contexte de l’élaboration de la loi grand âge et autonomie qui peut être une occasion d’apporter à ces organisations une reconnaissance plus grande que ne l’avait fait la loi ASV de 2015. Ces enjeux sont résumés par une directrice dans le cadre de la réunion informelle inter-gérontopôle qui s’est tenue le 4 septembre 2020 :

Au niveau du ministère, on doit donner des signes de coopération ou de vision commune pour faire poids ensemble, pour avoir une reconnaissance, des financements, une pérennité… On est tous sous les mêmes contraintes, rechercher des financements, ne pas savoir si nos CDD seront renouvelés ou pas… Alors ça dépendra aussi des orientations et du cadre a minima que l’on se donne. Comment faire pour travailler ensemble (…) et pour trouver une colonne vertébrale commune.

Cependant, ces rapprochements, comme l’harmonisation des gérontopôles derrière une définition commune, pourraient ne pas suffire à leur reconnaissance nationale et ce, en raison de contradictions émanant du pouvoir central lui-même. En effet, si l’État est très enclin à favoriser l’émergence de politiques locales territorialisées, l’exemple des gérontopôles semble réduire cette inclination à un affichage relevant de la pétition de principe. L’État a labellisé le modèle hospitalo-centré du gérontopôle de Toulouse en 2007 via le Ministère de la santé, quand la loi ASV a défini ces organisations selon le modèle holiste en 2015. Perturbées par cette dualité, les organisations centrales, à l’image de cette citation révélatrice du directeur adjoint de la CNSA, portent des discours incarnant les injonctions contradictoires qui pèsent sur les gérontopôles, entre harmonisation (« visibilité », « socle commun ») et spécialisation :

Note de bas de page 40 :

Entretien avec le directeur adjoint de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie, 1er février 2021.

Moi je porte un regard intéressé sur les gérontopôles, notamment pour leur approche territoriale assez marquée. Mais le problème c’est qu’à l’échelle nationale, on ne sait pas exactement ce que c’est qu’un gérontopôle parce qu’entre celui de Toulouse, celui de Limoges et celui de Nantes, les trois ne font pas du tout la même chose. Et donc on a un vrai problème de visibilité. Je pense que ça mérite qu’il y ait une réévaluation de la part des gérontopôles, quitte à ce qu’il y ait des spécialisations qui s’opèrent. Mais il faut surement qu’il y ait un socle commun beaucoup plus fort40.

Conclusion

Les gérontopôles se sont progressivement constitués en France autour de deux modèles aux degrés et aux échelles hétérogènes de légitimation : un modèle hospitalo-centré et un modèle holiste. Si la légitimité des premiers gérontopôles holistes a reposé sur un processus de « légitimation par la preuve », l’étude de gérontopôles créés ultérieurement permet de souligner d’autres formes de légitimation, « par le haut » lorsque la légitimité est conférée par des institutions ou « par le bas » lorsqu’elle est conférée par la capitalisation d’organisations antérieures déjà légitimées par leurs parties-prenantes. Surtout, les ressorts de légitimation des gérontopôles sont à même de déterminer la nature de leurs activités, et ainsi être à l’origine des disparités entre ces structures qui demeurent pourtant, sur le papier, très similaires.

Il apparaît finalement que si la diversité des gérontopôles gêne leur légitimation à l’échelle nationale, ces difficultés sont autant le fruit de contradictions émanant du pouvoir central lui-même. En effet, l’État régulateur, prompt à encourager les territoires à développer des réponses localisées et contextualisées aux défis qu’ils rencontrent, peine à accorder sa reconnaissance à des organisations polymorphes qui sont précisément le fruit de contextes locaux et régionaux.

Pour les gérontopôles holistes, la recherche d’une légitimation nationale fait donc face à des injonctions contradictoires d’harmonisation et de spécialisation. Ainsi, la quête d’une légitimation centrale n’est pas sans risque pour les gérontopôles holistes. Car, à bien y songer, elle est susceptible de les conduire à une homogénéisation qui fragiliserait le maintien d’une légitimité régionale durement acquise.