Brèves de solitude. Les petites fictions coronaviriennes de Sylvie Germain Brèves de solitude. Sylvie Germain’s little coronavirian fictions

Sandrine Marcillaud-Authier 

https://doi.org/10.25965/trahs.3615

L’exceptionnelle pandémie de covid 19 fait son entrée en littérature en devenant un objet problématique de représentation verbale. À tous égards elle questionne notre rapport au monde, aux autres corps ─ le nôtre, mais aussi ce corps social sur lequel elle fait peser une violence inédite. Il revient ainsi à la création artistique de s’en emparer afin de la rendre sinon intelligible du moins dicible. Telle est l’entreprise romanesque de Sylvie Germain. Son dernier opus, Brèves de solitude, compose ce que le virus décompose et risque de dissoudre : le lien déjà fragile entre les êtres. Le texte mime, en une architecture savamment musicale et contrapuntique, cette partition d’existences disjointes qui se croisent et parfois se rencontrent, égrenées par une narration à la fois réaliste et poétique. Les mots organisent un vaste poème en prose où le tragique des temps se donne à voir et à penser, mais aussi à espérer et à rêver. Mosaïque de vies immobiles, le récit dénude ses figures de confinement, explore et ouvre leurs cases et leurs cages. Il n’est en effet de plus belle exaltation de la liberté qu’au fond des fers invisibles de l’ordinaire.

La excepcional pandemia de Covid-19 sale al escenario en la literatura convirtiéndose en objeto de reflexión acerca de la representación verbal. En todos los aspectos, pone en tela de juicio nuestra relación con el mundo, con el cuerpo de los demás – el nuestro, pero también este cuerpo social para el cual representa un peso de una violencia inaudita. Así es como le corresponde a la creación artística abordar el asunto para que se haga, si no inteligible por lo menos decible. Tal es el propósito novelesco de Sylvie Germain. Su último opus, Breves escenas de soledad, compone lo que el virus descompone y amenaza con romper: el vínculo ya frágil entre los seres humanos. El texto imita, en una arquitectura hábilmente musical y contrapuntística, esa partitura de existencias disjuntas que se entrecruzan y a veces se encuentran, desgranadas en una narración a la vez realista y poética. Las palabras construyen un gran poema en prosa en que lo trágico de nuestros tiempos se convierte en materia de representación, en motor de esperanza y ensueño. Como un mosaico de vidas inmóviles, el relato desnuda sus figuras de confinamiento, explora y abre sus celdas y jaulas. En efecto, no existe más bella exaltación de la libertad que la que se encuentra en el fondo de los invisibles hierros de lo cotidiano.

A excecional pandemia do covid 19 entrou na literatura ao tornar-se um objeto problemático de representação verbal. Em todos os aspetos, esta pandemia questiona a nossa relação com o mundo, com outros corpos ─ o nosso, mas também este corpo social sobre o qual ela exerce uma violência sem precedentes. Cabe assim à criação artística apoderar-se dela para a tornar num fenómeno, ao melhor inteligível, pelo menos dizível. Tal é a empresa novelista de Sylvie Germain. A sua última obra, Brèves de solitude, compõe o que o vírus decompõe e ameaça de dissolver : a já frágil ligação entre os seres. O texto mima, numa arquitetura inteligentemente musical e contrapontística, esta partitura de existências desarticuladas que se cruzam e por vezes se encontram, destilada por uma narrativa tanto realista como poética. As palavras organizam um vasto poema em prosa no qual a tragédia dos tempos se dá para ser vista e pensada, mas também para ser esperada e sonhada. Um mosaico de vidas imóveis, a história desnuda as suas figuras de confinamento, explora e abre as suas caixas e jaulas. Afinal, não há mais bela exaltação da liberdade do que nas prisões invisíveis do ordinário.

The exceptional Covid-19 pandemic has made an entrance into literature by becoming a problematic topic of verbal representation. In every respect, it questions our relationship to the world and to other bodies – our own but also the social body that it has been impacting with unprecedented violence. It is therefore the responsibility of artistic creation to get hold of it and make it speakable if not intelligible. Such is Sylvie Germain’s novelistic undertaking. Her latest opus, Brèves de solitude, reorganizes what the virus has been disorganizing and even threatening to dissolve: that already fragile bond between people. Following a clever musical and contrapuntal architecture, the text mimes the score of disjointed lives which run into one another and sometimes even meet, step by step along a narration that is both realist and poetic. The words shape into a vast prose poem where today’s tragic is awaiting to be seen and grasped but can also beget hopes and dreams. Like a mosaic of still lives, the story unveils its characters under lockdown, exploring their boxes and cages. Indeed, there is no better exaltation of freedom than that which lies at the bottom of the invisible shackles of ordinary life.

Texto integral

Le visage ne ment jamais : c’est l’unique carte qui
enregistre tous les territoires que nous avons habités.
(Sepulveda, 1998 : 10)

Sur la couverture, le mot « roman » incrusté dans une loggia à la lumière bleu nuit. Un immeuble, des balcons, des couleurs chaudes et froides qui se regardent et se répondent. Délimitées, isolées, encagées dans une même palette chromatique. On distingue une seule ombre humaine accoudée à la rambarde, celle de l’autrice, peut-être. Un de ces marionnettistes omnipotents et omniscients tirant les ficelles d’un scénario bien huilé avec des personnages hauts en couleurs ? Plane plutôt en ombre chinoise la silhouette d’une observatrice méticuleuse du monde et des êtres qui le peuplent. Par petites touches, en peintre attentive et attentionnée, l’artiste crée cette toile contemporaine, où se donnent à voir et à lire les « vies minuscules » de personnages qui se croisent et de destins qui s’entrecroisent. Elle compose cette œuvre du confinement d’une humanité enfermée malgré elle. Là où tout est double parce que rien n’est simple. Ni blanc ni noir. Ni bien ni mal. Un texte en deux parties, comme les deux profils d’un même visage, les deux faces d’une pièce.

C’est « Autour d’un silence » assourdissant que s’ouvre la première partie du livre. Huit personnages dont le lecteur connaît les prénoms alternent avec huit anonymes caractérisés génériquement (« Le bizarre », « L’égaré », etc.), comme un contrepoint à la ligne narrative qui autorise prolongements et échos jusque dans une deuxième partie au titre mystérieusement évocateur « Lune solitudes ». Huit individus et un « Lui » final. Des mini-portraits se juxtaposent, des micro-récits s’enchâssent. Rien n’est manichéen, tout est simplement humain. La sidération qui envahit la société lors du premier confinement au printemps 2020 se manifesta d’abord au travers d’une kyrielle d’images qui passent en boucle dans les médias et n’en finissent pas de montrer rues vides, places inoccupées, bords de mer abandonnés ou campagnes oubliées. Un monde déserté. Une absence de vie. Apparente. Brèves de solitude dessine une constellation de poche, organise les micro-révolutions astrales de personnages paradoxalement mis en relation, alors que la nouvelle peste confine les êtres. Les femmes en constituent les foyers privilégiés. Gravite autour d’elles une humanité contrainte. Pour la romancière, la fiction qui sans cesse déplace et replace ses créatures actionne un jeu de miroirs qui questionne leurs surfaces et leurs vies profondes, composant une mosaïque réaliste de fragments oniriques.

Note de bas de page 1 :

Toutes les citations de l’œuvre renvoient à cette édition.

Sans crier gare, une pandémie d’un genre inconnu se répand sur terre. Quand la science-fiction le dispute au réel, il n’est plus besoin d’imaginer des scénarios improbables. Il suffirait de regarder et de relater. Au fil des pages, maintes mentions de ce que Roland Barthes qualifie d’« effets de réel » (Barthes, 2002 : 31) ancrent les histoires narrées dans la contemporanéité. L’on trouve ainsi l’évocation de ce « détail concret » qui « est constitué par la collusion directe d’un référent et d’un signifiant ». Innombrables, ces marqueurs qui caractérisèrent, parfois outrancièrement, ces semaines de réclusion, apparaissent discrètement disséminés au cœur des lignes. Pour lutter contre le virus, on encourage le recours au télétravail. Merlin s’en accommode : « Travailler à domicile ne lui pose pas de difficultés, depuis qu’il a quitté l’enseignement il pratique le télétravail en alternance. Il n’alterne plus, voilà tout » (Germain, 2021 : 103)1.

La situation semble plus compliquée, en revanche, pour le père d’Emir « qui s’improvise brièvement instituteur avant de retourner à son télétravail » (Germain, 2021 : 98). Il faut dire que la fermeture des établissements scolaires a considérablement modifié les habitudes familiales autant que l’idée que chacun pouvait avoir de l’école. Pas si simple de faire la classe. Enseigner est soudainement devenu un « vrai » métier. Quand les personnages ne peuvent poursuivre leur activité professionnelle, à la crainte de la maladie s’ajoute alors l’angoisse des fins de mois difficiles. C’est le cas du voisin de Xavier : « chaque jour qui passe lui coûte cher, toujours plus cher, son métier ne relève pas du télétravail, il est restaurateur et ne sait pas comment il pourra payer ses trois employés à la fin du mois, et le loyer de son magasin, et si ça continue, celui de son appartement. » (Germain, 2021 : 110).

Insidieuse, la misère grouille cachée, à l’instar de cet « Indéfini » qui « est là, couché à même le sol, tout ruisselant de pluie, de fièvre, les deux mélangées. » (Germain, 2021 : 90). Qui est-il ? Tout le monde et un peu de chacun d’entre nous ? Celui dont on évitait de croiser le regard, comme si la misère était contagieuse. D’ailleurs, lorsque Joséphine « aperçoit un individu à moitié couché sur un banc » (Germain, 2021 : 17), elle ne peut retenir une interrogation suspecte et tendancieuse : « C’est quoi, ça encore ? se demande-t-elle suspicieuse, le bonbon en suspens devant sa bouche entrouverte. » (Germain, 2021 : 18). L’utilisation du pronom démonstratif tend à disqualifier plus qu’à qualifier l’être évoqué. Le pas est vite franchi par la vieille femme et voici le pauvre hère affublé d’une litanie de prédicats tous plus stéréotypés les uns que les autres :

C’est quoi ce jean-foutre qui roupille en plein après-midi, affalé sur un banc public, au lieu de travailler ? Peut-être est-il en train de cuver – bière, vin, drogue, bamboche… un peu de tout ? À moins que ce ne soit un clandestin qui se planque au hasard de sa cavale ? Sans-papiers, sans-pays, sans-domicile, sans-travail, sans-argent, sans-personne, sans rien de rien. Donc prêt à tout, qui sait, pour sauver sa peau ? (Germain, 2021 : 18).

L’ignorance et une sensation d’insécurité conduisent à des discours extravagants qui peuvent devenir des plus dangereux. L’énumération asyndétique déroule les manques constitutifs d’une vie humaine somme toute élémentaire : avoir une identité, une patrie, un logement, une profession rémunérée, un entourage, un petit quelque chose. Avoir tout cela pour… être… quelqu’un et en abyme un personnage.

Et pendant ce temps, l’irrationnelle peur conduit à adopter des comportements aux antipodes les uns des autres. Les messages martelés à longueur de temps n’y sont sans doute pas pour rien :

à la radio, à la télévision, on ne parle que de cette foutue pandémie, égrenant le nombre croissant des infectés et surtout des morts comme une horloge égrène les heures en tictaquant fielleusement à chaque seconde (Germain, 2021 : 130).

Pas un jour sans cette antienne comptable tel un index pointé et accusateur enclin à culpabiliser la population. Le temps nous est compté :

Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit : « Souviens-toi ! » (Baudelaire, 1972 : 206).

Sont-ce les mêmes qui dans cette étrange époque ont amassé des dizaines de rouleaux de papier toilette ? Merlin, lui aussi,

a fait provision de quelques paquets dans l’idée d’illustrer cette grande guerre du P.Q., qui, à défaut d’atteindre une gloire homérique, a battu un record honorable dans l’ordinaire compétition de la bêtise et de la mesquinerie (Germain, 2021 : 104).

Peur du manque et angoisse viscérale de la saleté, comme si ne pouvoir nettoyer ses propres excréments ravalerait à l’animalité. Confiné, l’être humain est un animal enfermé qui doit, ironie des choses, s’autoriser lui-même à sortir. Parfois, comme le rappelle Garou quand il sort promener son chien, « il pourrait cocher deux fois la case figurant dans son ʺattestation de déplacement dérogatoireʺ » (Germain, 2021 : 135) puisqu’il cumule la permission d’une heure d’oxygénation quotidienne et la nécessaire sortie pour subvenir aux besoins de son animal de compagnie.

La réclusion obligatoire pousse à son paroxysme des comportements violents, décuple des souffrances tues et multiplie des horreurs à peine masquées. Que se passe-t-il de l’autre côté du balcon ? Prenons ce voisin

plutôt sympathique, souriant. Un banal salaud dès qu’on l’encage, qui sort de ses gonds pour un rien et qui hurle contre sa femme, leurs deux enfants, lesquels crient à leur tour, ou pleurent (Germain, 2021 : 105).

On entend des portes qui claquent, des bris de vaisselle. Des soupçons de violence conjugale, de maltraitance viennent à l’esprit, mais la tentation est forte de fermer les yeux et les fenêtres. Silence. Le confinement étouffe les bruits de la ville, des voitures, des usines, des transports. Tous les bruits. Y compris ceux que l’on ferait en dénonçant, en disant. L’être est cerné, en état de siège. Même quand les gens se croisent dans le square, ils sont enserrés dans un périmètre clôturé. Une barrière contre l’extérieur. Au dehors, c’est le monde du dedans qui prend le dessus. Les personnages ne parlent pas mais ils pensent.

Le narrateur nous entrouvre la porte de leur for intérieur. Jetons un œil pudique. Ici tout est question de regard. Un personnage en regarde un autre, un regardant et un regardé, et inversement. Sur un banc,

l’individu vient de sursauter à cause du cri strident d’un enfant : « Il est épuisé. Il y a si longtemps qu’il est en marche, si longtemps qu’il ne dort plus que par à-coups, à l’arraché, là où il peut (Germain, 2021 : 22).

Ligne descriptive de l’intranquillité totale de celui qui ne peut à aucun moment goûter un repos salvateur. Dans la rue aussi, il convient de se donner une contenance en prenant un journal par exemple, et même si on « ne comprend rien à ce qui est écrit », il importe de préserver les apparences pour ne pas éveiller les soupçons ni trop effrayer les bonnes gens. Faire semblant dans cette société où règne le culte du paraître, où le peuple se repaît des beaux corps, des plastiques fines ou des silhouettes charnelles, et aujourd’hui dans une société propre et saine qui ambitionne de protéger envers et contre tout la santé de ses concitoyens. Guillaume, qui a bien « envie d’allumer une cigarette » (Germain, 2021 : 24), constate cet hygiénisme de bonne conscience qui prône l’interdiction de fumer dans un square et en souligne l’ironique paradoxe : « depuis peu, un nouvel ennemi des poumons, beaucoup plus virulent que le tabac, a fait son entrée dans le pays. Mais il est invisible et inodore, celui-là, et on a du mal à le pister » (Germain, 2021 : 24).

Il faut protéger à tout prix, quelles qu’en soient les conséquences. Au plus fort du confinement, au cœur de la crise, c’est la détresse silencieuse et criante des personnes âgées qui résonne et ébranle, ces emmurées vivantes qui deviennent les empêchées d’être visitées. Serge en fait l’amère expérience lorsqu’il doit rester dehors, « l’entrée de la résidence lui ayant été interdite. Plus aucune visite n’est permise par mesure de sécurité sanitaire, et ce, pour une durée indéterminée » (Germain, 2021 : 76-77). Désormais, on peut mourir de chagrin mais pas de ce mal difficilement nommable : « Mais c’est quoi, ce Coronagugusse » (Germain, 2021 : 83). Nul ne le sait vraiment.

Un « ça » impalpable et satanique qui empêche de sortir, de circuler librement, d’être ensemble. Des couples sont séparés, Sybil n’a pu rejoindre son compagnon. La géographie renoue avec les frontières. Des barrières renaissent entre les êtres. Un fils ne peut plus voir sa mère. Serge ne lui offrira pas les pâtisseries qu’elle aimait tant, il ne les gardera pas pour lui mais les laissera « au milieu du banc avant de s’en aller » (Germain, 2021 : 85) ce qui ravira « le quelconque » (Germain, 2021 : 86) qui passait par là. L’adulte s’en retourne, l’Ehpad conserve égoïstement les siens. Le jeune Émir, quant à lui, ne peut comprendre que sa maman qu’on applaudit tous les soirs à 20 heures doive rester loin de lui pour son bien :

Sa mère a quitté la maison. C’est pour les protéger lui et son père, lui a-t-on expliqué. Les protéger de quoi ? C’est idiot, c’est quand elle est avec lui qu’elle le protège, pas quand elle est absente (Germain, 2021 : 100).

L’explication rationnelle ne convainc pas et n’atténue pas la souffrance de l’enfant qui pleure en entendant la voix de sa mère, en regardant son visage sur un écran. De l’autre côté, quand Mme Georges apprend qu’elle ne verra pas son fils, « elle a beau en comprendre la cause, elle ressent cet empêchement comme une défection, un abandon » (Germain, 2021 : 115). Description déchirante de ces aïeux compagnons d’établissement de la mère de Serge et dont l’esprit parfois s’égare :

Un enfermement gigogne : dans leur corps impotent, dans les douleurs dont elles sont percluses, dans leur solitude, voire leur abandon, dans le fatras de leurs souvenirs rongés par les mites de l’oubli… (Germain, 2021 : 83-84).

Tragédies d’histoires. Tout est joué d’avance et on connaît l’issue fatale. Le chagrin dévaste et emporte jusque dans la tombe. Là où l’obscurité règne. Inexorablement. Amour maternel et amour filial se voient séparés, déchirés, enfermés mais à part.

Pour autant, tout n’est pas totalement sombre dans l’œuvre de Sylvie Germain. Comme une voix dans la nuit, d’un chapitre l’autre, d’une partie à la suivante, en écho parfois inversé, les personnages se (re)trouvent. Magali passe devant « le jeune homme noir engoncé dans sa parka et son bonnet » (Germain, 2021 : 47), ce « pathétique » qui se demande à la page suivante : « Pourquoi l’enfant lui a-t-il tiré la langue d’un air hargneux ? Parce qu’il est noir ? » (Germain, 2021 : 48). Les êtres reviennent. On les reverra, à l’instar de Magali dans « Ehtnaca », Joséphine dans « Véronique », on croise Émile Émir, Stella Yllka, et l’on pourrait multiplier les exemples.

Au cœur de l’œuvre, chaque ligne met en mots son envers possible, redessine les contours d’une intériorité nouvelle, métamorphose le quotidien avec de petites touches colorées. La pandémie fut, sans conteste, terrifiante, mais elle donna également lieu à de belles choses. Outre les applaudissements des soignants, les balcons devinrent des adjuvants insolites. Une passerelle d’un appartement à l’autre. Un lien entre voisins, parfois au sein de la famille elle-même. Le soir, Émir écoute son père qui « lui parle de l’espace céleste, des planètes et des cycles des astres » (Germain, 2021 : 101) ; Joséphine se voit invitée par la gardienne à partager un balcon « histoire de prendre l’air » (Germain, 2021 : 197) ; Merlin découvre les habitants d’à-côté « avec lesquels il échange dorénavant salutations courtoises, papotages et parfois des apéritifs cloisonnés » (Germain, 2021 : 104-105). Cette situation virale lui a même permis de reprendre son premier métier. Il enseigne à la petite Lola « le dessin, l’art des couleurs, il lui montre des reproductions de tableaux, les lui commente, chacun dans sa cage à quelques mètres de distance. » (Germain, 2021 : 107). La fillette prend plaisir à écouter et à créer. Elle tient les fils d’une tapisserie artisanale et mythologique qu’elle autorise par sa seule présence. Merlin retrouve sous ses yeux et dans son imaginaire le fabuleux Enchanteur :

Cette légende l’émerveille car le magicien a le don de se métamorphoser en oiseau, de parler avec les arbres, les éléments, les animaux, de voyager dans le temps, de se rendre invisible dans un pommier, et il vit en union avec la forêt (Germain, 2021 : 107).

Un éveil à la sensualité.

Ces Brèves de solitude sont autant de « métamorphoses », micro-récits fictionnels et profondément réels à la fois. Tout est inventé et tout est vrai. Chaque chant met en scène et en texte de petites histoires prisonnières de cette grande Histoire qui se joue là, en ce moment-même, dans le double mouvement centrifuge et centripète d’une double temporalité où se confondent temps de la création et temps de la lecture. Souvenons-nous des premiers vers d’Ovide :

Mon intention est de parler de formes métamorphosées
En corps nouveaux ; dieux, qui avez pris part à ces transformations,
Inspirez mon entreprise et accompagnez ce poème
Qui, des origines du monde jusqu’à nos jours, est éternel (Ovide, 2001 : 31). 

À Sylviane Coyault qui l’interroge sur son recours aux mythes, l’écrivaine insiste sur le caractère extra-ordinaire de ces contes qui ne cessent de défier le temps :

Les grands mythes ont une dimension intemporelle – et cela leur donne une force toujours neuve, actuelle. Ils peuvent en effet très bien « illustrer », éclairer l’actualité, siècle après siècle. Parce qu’en vérité l’Histoire se répète sans cesse sous des dehors de nouveautés ; une guerre éclate sitôt une autre achevée, ou plutôt les guerres n’en finissent pas de s’enchaîner, elles se génèrent les unes les autres. La violence humaine, sa folie, ses fureurs, ses passions, ne changent que d’aspect, elles renouvellent leur mise en scène, leurs moyens de destruction, mais au fond, la dynamique et le processus sont toujours les mêmes. Les grands mythes sont perpétuellement contemporains (Coyault, 2020).

« Chanter les êtres et les corps », « la violence humaine, sa folie, ses fureurs, ses passions », le roman conte tout cela. Le corps, ou plutôt le regard porté sur celui-ci, occupe une place prépondérante dans l’œuvre : corps jeune ou vieillissant, admiré ou violé, malade, épuisé. Sans omettre ces corps, source de tous les fantasmes, objets convoités dans les films X. L’homme, qui « frôle la crise de nerfs à force de frustration » (Germain, 2021 : 130) jette son dévolu sur ce type de productions :

 Il regarde des baises en série, les corps sont jeunes, d’une plastique formatée par la musculation, la chirurgie, les prothèses, l’épilation intégrale ; de beaux morceaux de viande lisse et luisante qui s’entrechoquent, s’entre-pénètrent en ahanant d’un air morne (Germain, 2021 : 131).

Description sordide de ce qui n’est plus du domaine du corps mais des amoncellements de chair, trivialité des individus qui se livrent à « des scènes où rivalisent l’obscène, l’humiliation et la cruauté, sadiques et maso. » (Germain, 2021 : 131). S’ensuit une longue énumération paratactique qui mêle attitudes, tenues vestimentaires et autres attirails, de toutes les pratiques sexuelles possibles. Guillaume se rappelle même les jeux essayés avec sa compagne, souvenir encore plus prégnant quand il remet la main sur son masque Garou.

Le roman dans son ensemble évoque les obsessions, préoccupations et autres tourments que peuvent éprouver les personnages que ce soit dans la relation aux corps des autres ou dans le rapport qu’un individu peut entretenir avec le sien. Maintenant que les « soins sont finis » (Germain, 2021 : 41) et que « ses cheveux repoussent », Magali prend conscience de ce qui lui a tant manqué : « Le goût du dehors, et des autres. Le goût des corps. » (Germain, 2021 : 42). Elle regarde Anaïs, une fille « assise à califourchon sur le banc » (Germain, 2021 : 49) : « sa main retombe sur sa tête, ses doigts jouent avec ses cheveux bariolés ». Attribut de la féminité et de la séduction par excellence, la chevelure rassemble ces femmes dans une semblable posture contemplative. À l’opposé des physionomies juvéniles, celle de Joséphine qui s’appuie sur sa canne, ou celles de toutes ces vieilles personnes engoncées « dans leur corps impotent, dans les douleurs dont elles sont percluses » (Germain, 2021 : 83).

Lorsque l’œuvre convoque le corps souffrant ou ayant souffert, celui-ci porte inévitablement les stigmates des sévices reçus qu’ils proviennent du temps qui passe ou qu’ils aient été provoqués par la main de l’homme. Quand Stella fait les vitres, la posture adoptée dévoile une partie du corps en même temps qu’elle révèle les traumatismes endurés :

son tee-shirt remonte, dénudant le bas de ses reins, tandis que les manches glissent, découvrant ses avant-bras. Reins et bras sont zébrés de cicatrices qui semblent provenir de lacérations et de brûlures (Germain, 2021 : 118).

Cette vision traumatique va avoir des répercussions inattendues. Métamorphose des rapports humains. Madame Georges réussit à se lever entendant un cri perçant. Stella, « la tête penchée sur la cuvette, les épaules secouées de convulsions » (Germain, 2021 : 120) découvre une face insoupçonnée de la vieille femme qui lui porte aide et réconfort en lui préparant un bain avec de « l’huile aux fleurs des champs » (Germain, 2021 : 121) à laquelle elle adjoint quelques gouttes « d’huile essentielle de menthe poivrée ». Les contours de la pièce s’estompent à mesure que l’atmosphère vaporeuse envahit l’espace. Les barrières murales du présent deviennent poreuses aux souvenirs qui s’engouffrent dans la brèche : « la violation continue de son corps, de son esprit, avec la profanation de sa chair, de sa vie » (Germain, 2021 : 124). Elle laisse tout ce passé, toute cette violence, toute cette inhumanité à Yllka, « désormais elle s’appelle Stella » (Germain, 2021 : 124). Oublie-t-on jamais ? Deux prénoms dérivés du mot « étoile », mais deux siamoises dans un même corps.

Quand le monde du dehors pénètre le dedans, la métamorphose de l’espace s’accompagne d’un envahissement de l’intériorité, y compris chez les personnages les plus jeunes. Le petit Émir « s’est construit une hutte dans un angle de sa chambre » (Germain, 2021 : 97). C’est son cocon protecteur depuis le départ de sa mère, son antre utérin. Lové contre sa peluche, il ferme les yeux et se laisse porter à rêver : il « voit défiler des images sous ses paupières, toutes en gros plan, comme si les lentilles des jumelles s’étaient collées à ses yeux. Le visage de sa mère a la brillance de la lune » (Germain, 2021 : 101). L’écrivain, quant à lui, déambule dans son appartement « comme dans les salles d’un musée, d’un château, et quand ça lui chante, entièrement nu » (Germain, 2021 : 129). Il est l’heure de quitter ses oripeaux. La nudité, qui est à la fois le fait d’être nu et celui de se mettre à nu, marque le passage vers un nouveau monde, transmué et métamorphosé, toujours empreint de sensualité.

L’œuvre met en lumière cette quête des sens au cœur de ce temps où le sens fait défaut, dans ce confinement insensé où l’on s’évertue à chercher un sens. En filigrane peut-être ce besoin vital de cette culture dont les espaces « d’exposition », musées, théâtres, cinémas, librairies ont fermé, inaccessibles désormais. L’art sous toutes ses formes ouvre les portes de cet autre monde dans une pulsion de vie et un battement de cœur. Tous les arts, - littérature, musique, peinture -, tous les sens, vue, ouïe, odorat, toucher, goût. Chacun peut puiser à l’envi dans des croisements suggérés. Sans oublier qui on est, d’où on vient. Se rêver est une chose, être en est une autre.

Anaïs, c’est Alice au pays des parfums. Celle qui ambitionne de devenir « nez » « est tombée dans le puits du texte comme Alice dans le terrier du Lapin blanc » (Germain, 2021 : 51). Elle a beau avoir « un odorat aiguisé, une passion pour les odeurs doublée d’une fine mémoire olfactive » (Germain, 2021 : 49), cela ne suffit pas « pour entrer dans une université ou un institut spécialisé » (Germain, 2021 : 50). Xavier, le sculpteur de papier toilette puise son inspiration dans cette razzia hygiéniste qui s’est emparée des gens en quelques jours :

 Il a découpé de longues bandes du précieux papier, les a collées sur des lanières de toile taillées dans un drap et a dessiné sur chacun de ces rouleaux une forêt en continu pour rappeler que chaque année plus de dix millions d’arbres sont abattus afin de fabriquer cette douce torchette pour troufignons conchiés (Germain, 2021 : 104).

Dérision de cette entreprise ambitieuse qui se trouve vite ridiculisée dans les titres donnés à sa création : « Procession d’arbres pénitents au crépuscule » devient une fois que les rouleaux fixés au balcon connurent leurs premières averses « Chant de la pisse verte après la pluie » (Germain, 2021 : 104). N’est pas artiste qui veut. Peut-être eût-il mieux valu qu’il restât enseignant. La palette chromatique offerte par le pseudo-artiste Xaxier est une source d’émerveillement bien moindre au regard des sortilèges merveilleux que l’ex-professeur Merlin parvient à faire naître dans l’imaginaire de la petite Lola. L’écrivain, qui brandit l’Apocalypse de Jean et « note les pensées qui lui viennent dans la foulée de sa lecture » (Germain, 2021 : 24) croira un moment qu’avoir du temps suffit à bâtir une œuvre mais

à part l’ambition de créer un grand roman, il n’a aucun projet précis, pas de sujet, pas d’histoire qui se profile, pas de personnages un tant soit peu consistants qui s’imposent, rien qu’un bric-à-brac d’idées mollassonnes et d’images éculées sous leur lustre aguicheur (Germain, 2021 : 130).

Difficile de rivaliser avec le cortège des œuvres qui accompagnent presque chaque page, chaque personnage comme autant de mises en abyme intertextuelles. Chaque chapitre est une huître qui renferme sa perle. Magali « fait partie des personnes à risque, ce qui lui vaut une double peine » (Germain, 2021 : 159). Tout juste sortie d’un mal, voilà qu’un autre s’abat. Réclusion totale. Le monde industriel et bruyant s’est tu. La nature reprend ses droits. Place aux chants des oiseaux, du moins à la campagne. Magali habite en ville, alors « elle écoute de la musique, vocale, instrumentale, ancienne autant que contemporaine » (Germain, 2021 : 162). Elle s’offre avec le « quintette de Schumann pour piano et quatuor à cordes » un voyage en terre romantique. Les mouvements épousent ses rêveries, les accents avivent ses émotions, ce morceau lui fait songer à sa fille, l’aide à mettre du sens. À la musique, d’autres vont préférer le cinéma, ou la peinture. Il est tentant de voir dans l’évocation de certaines toiles une métaphore de cette soif d’évasion contenue dans un intérieur retenu.

Ce n’est pas la « fenêtre » traditionnellement perçue comme ouverture vers l’extérieur, échappée, légèreté, qui intéresse notre personnage, c’est l’objet en lui-même, comme dans les tableaux de Vilhem Hammershøi, Edward Hopper ou Albert Marquet : « Rectangles où filtre la lumière à travers les fentes d’un volet, la blancheur d’un voilage, ou simplement la nudité des vitres. » (Germain, 2021 : 112-113). La lumière filtre à travers les vitres ou par l’entrebâillement des persiennes. L’imagination peut alors s’aventurer par-delà comme celle de la petite fille du Pain noir de Georges-Emmanuel Clancier qui rêve en s’engouffrant dans la minuscule ouverture : « La petite regardait les cœurs de lumière percés dans les volets massifs. Était-ce beau ! […] un regard sur la chambre encore envahie par la moiteur de la nuit mais où le jour de juin, sa franchise et sa fraîcheur pénétraient de plus en plus par les cœurs rayonnants » (Clancier, 1992 : 11). Fénia, elle, malgré sa mémoire défaillante, récite des poèmes, une strophe de Du Bellay qu’on trouve dans « Serge » (Germain, 2021 : 81) comme dans « Quelqu’un » :

Si onques de pitié ton âme fut atteinte,
Voyant indignement ton ami tourmenté,
Et si onques tes yeux ont expérimenté
Les poignants aiguillons d’une douleur non feinte… (Germain, 2021 : 174) 

Les vers des poètes, les mots des chanteurs. Réciter et écouter, parler et entendre. Quand virus et confinement réduisent le monde au silence, la voix est trace de vie. Le fils rappelle avec émotion les histoires que sa mère lui lisait enfant, elle qui avait la « voix chaude et légèrement voilée » (Germain, 2021 : 81). Puis un jour, tout déraille. Et la voix se tait. Définitivement. Beaucoup disparaissent avec cette nouvelle maladie et connaissent le sort abominable des bannis de la fosse commune version moderne, comme Fernande « décédée, contaminée et tuée presto par le virus, elle. Au moins aura-t-elle eu l’enterrement qu’elle voulait, bâclé et sans personne » (Germain, 2021 : 177). Ce n’est pas la maladie qui a tué Fénia, c’est un mal plus insidieux encore, « ce n’est pas au virus qu’elle a succombé, juste à la disparition de son fils hors de son champ de vision. » (Germain, 2021 : 177). Comment nommer l’innommable ? Tout s’entremêle. Tout cela n’a pas de sens. Alors s’entretissent dans un requiem filial les tentatives de nomination du mal, les prières de la cérémonie funèbre, les souvenirs des paroles proférées par la maman :

Si onques de pitié… ploc, Coronavalgus ! ton âme fut atteinte… ploc ploc, Coronabrutus ! Coronavénus ! Voyant indignement ton ami… ploup, Coronagibus !, puis se sont les paroles de la chanson Trois petites notes de musique qui se démantibulent : Trois petites notes Coronarébus ! de musique plop plop ! Coronacrésus !... ont plié boutique… Coronacrocus ! Coronanégus… au creux cloc Coronasinus ! du souvenir… plic, Coronaphallus !, ou Sous le ciel de Paris s’envole une chanson… (Germain, 2021 : 177).

Que reste-t-il au fils à la fin ? Les poèmes de Verlaine « composés de mots si simples qu’ils glissent comme des feuilles au fil de l’eau, du vent, luisant entre lumière et ombre. » (Germain, 2021 : 181). Un clair-obscur qui estompe les lignes, atténue les sons, dissimule les silhouettes, favorise les imaginaires comme le rayon de lune jette un voile laiteux sur un monde à peine révélé. La dernière page se tourne dans une semi-pénombre. Il est délicat de déchiffrer quand le sens s’échappe. Il suffit parfois de changer d’angle ou de posture. Magali, interdite devant le mot « Ehtnaca » inscrit sur son t-shirt, ne parvient à décrypter « acanthe » que face au miroir : « le mot à l’envers s’augmente d’une syllabe, et il perd de sa douceur en claquant sur la fin comme un drap dans le vent. Et voilà, se dit-elle, c’est pareil avec mon reflet, il est brouillé et il m’embrouille, c’est un ehtnaca qui flotte dans le vide. » (Germain, 2021 : 170).

L’œuvre devient ce miroir tendu qui peut se lire à l’envers. La noirceur du temps, même des êtres, se colore doucement. Magali en fait l’étonnante expérience : « elle hume l’air de la rue. La lumière, les arbres en fleurs, l’air frais et léger, les chants d’oiseaux, cela aussi est un appel, mais un appel tout en simplicité et en sensualité ; une si douce apostrophe » (Germain, 2021 : 171). Chacun peut renverser les choses. Lola, la fillette à qui Merlin a enseigné le dessin, « aimerait devenir à son tour un oiseau, ou un nuage, ou un arbre marcheur pour quitter l’appartement, retrouver ses camarades, revoir ses grands-parents, aller à la campagne, à la mer. » (Germain, 2021 : 107). En somme, vivre. Librement. Même l’écrivain en manque de verve compose une œuvre scintillante et éphémère :

Quand il est pris d’insomnie, il se poste à une fenêtre et il fait des bulles de savon multicolores […] Il souffle de grosses grappes irisées dont les grains se détachent en frissonnant, volettent, éclatent sans bruit, se dispersent en gouttelettes. Ce sont les mots qu’il ne sait pas trouver, les histoires qu’il n’arrive pas à écrire, il les sème dans l’obscurité, dans le vide, tels de fugitifs poèmes aux vers agglutinés (Germain, 2021 : 142).

S’il n’a pu devenir romancier, peut-être sera-t-il poète. Pour l’heure du moins et comme tous ces autres compagnons d’aventure, il est ici devenu personnage de roman, un de ces êtres sans qui l’œuvre n’eût jamais vu le jour. La traversée s’achève. Il reste une série de visages qui finissent par se fondre en un seul. On finit par ne plus distinguer vraiment « les différences des tons, s’ils sont ternes ou brillants, chauds ou froids » à l’instar de Joséphine qui ouvre et ferme ce roman :

Le noir, le brun, le gris et la blancheur se confondent, elle ne saurait dire de quelle couleur est ce visage qui transparaît à la surface de la croûte lunaire, ni même s’il est d’homme, de femme, s’il est jeune ou très vieux. Il est hors spectre des couleurs, de l’âge, des races et des genres. Il est simplement, immensément humain (Germain, 2021 : 207).

Brèves de solitude, c’est un miroir tendu au lecteur. Chacun peut y trouver une histoire qui rappelle la sienne, y croiser un individu qui ressemble à « quelqu’un », y butiner un souvenir livresque ou y fait une découverte artistique. Des petits récits de vie qui parlent, amusent, bouleversent, touchent au plus profond. Une écriture qui passe au scalpel cette expérience d’enfermement inédite, qui en dit les réalités, qui en retrace les horreurs, qui en imagine les possibles. Des petits récits poétiques et une sensualité à vif. Voici quelques années, Sylvie Germain évoquait ce moteur extraordinaire, cette tension permanente qui anime la plume :

Note de bas de page 2 :

Entretien avec Sylvie Germain, in Roman 20-50 2005/1 (n° 39), (p.105 à 114), mis en ligne sur Cairn.info le 01/09/2016 : https://doi.org/10.3917/r2050.039.0105

Il y a des écrivains qui travaillent entre la prose et la poésie, ou à la lisière de l’essai, d’autres qui ont besoin de se lancer dans de grands cycles romanesques. Il y a toutes les possibilités. Tout simplement on continue à écrire parce qu’on est toujours insatisfait, parce que le désir se relève, il se déplace. Tout en étant dans l’essoufflement, dans le doute, le désir quand même perdure, il résiste. Nous mourrons avant d’atteindre son accomplissement, et heureusement il y a toujours d’autres écrivains qui prennent le relais…2

Brèves de solitude, c’est aussi tout cela. Prose et poésie à la fois, essoufflement et doute, désir toujours. Comme un acte de résistance au coronavirus, à la noirceur des temps, aux vices et aux gouffres, comme un appel au réveil, à l’écoute des sens, de la nature, des autres, de soi. Comme un souffle de vie, une soif de vivre.

Liberté, j’écris ton nom…