Projet Col&Mon (Collégiales et Monastères)

Projet Col&Mon (Collégiales et Monastères)

Interview avec les géomaticiens de Col&Mon

Projet Col&Mon (Collégiales et Monastères)Le Centre de recherche interdisciplinaire en histoire, histoire de l’art et musicologie (CRIHAM – EA 4270) a obtenu une ANR pour son projet Col&Mon (Collégiales et monastères de la réforme carolingienne au Concile de Trente).

L’objectif de Col&Mon est de comprendre les raisons de l’implantation des établissements religieux sur un lieu à un moment donné, mais aussi leurs interactions.

Outre l’enjeu historique, ce projet a aussi un enjeu méthodologique. Il repose sur les compétences des géomaticiens et du data architect qui travaillent sur le développement d’un logiciel d’exploration spatio-temporelle capable de faire toutes les interrogations, tous les tris et tous les croisements possibles entre toutes les données d’un corpus numérique.

Interview : Rémi Crouzevialle, Fabien Cerbelaud et Juliette Morel, géomaticiens ; Georges-Xavier Blary : data architect / digital humanities


Vous êtes géomaticien pour le projet Col&Mon, en quoi consiste votre métier ? Pourquoi allier géographie et informatique documentaire ?

Géomaticien c’est un métier à la croisée de la géographie et de l’informatique, il consiste à acquérir, représenter, analyser et intégrer des données à référence spatiale. L’intérêt c’est de pouvoir accumuler de l’information pour la représenter de façon inédite et la confronter à d’autres informations. Dans Col&Mon le travail consiste à fusionner deux bases de données existantes, une sur les collégiales, l’autre sur les monastères et mettre en place un outil de consultation et d’analyse de ces données. L’intérêt pour les chercheurs d’avoir des géomaticiens dans ce projet, c’est d’avoir une vision nouvelle de leurs données, spatiale, temporelle et spatio-temporelle, de pouvoir se poser de nouvelles questions en observant la répartition des établissements et de répondre à certaines grâce au croisement des données et à la représentation de celles-ci.

 Comment allez-vous procéder pour créer une cartographie numérique interactive ?

La toute première étape est de rendre les données digitales.

Conformément à l’idée qu’on s’en fait, les historiens du Moyen âge travaillent bien à partir de vieux manuscrits dans les archives. Mais certains d’entre eux ont compris il y a bien longtemps (depuis la fin des années 1960), l’intérêt d’utiliser les ordinateurs pour traiter leurs données. Toutefois, il faudra attendre le milieu des années 2000 et le développement des Digital Humanities (Humanités Numériques) pour que les initiatives numériques de tous les horizons des sciences humaines se structurent à nouveau et gagnent en visibilité.

Le projet Col&Mon découle tout à fait de ces mouvements. Numérique par essence, il est issu de la fusion de deux projets de bases de données : « Collégiales » et « Monastères » qui traitent de deux formes différentes de la vie religieuse en commun au Moyen âge. Le fait que les données soient numériques à l’origine ne signifie pas pour autant qu’elles sont immédiatement utilisables. En effet, il faut les harmoniser et les intégrer dans une architecture qui permette de les interroger ensemble. Notre projet rencontre donc les mêmes enjeux que la plupart des projets actuels dans le domaine de la data et notamment celui de l’interopérabilité car les historiens produisent des données depuis très longtemps, mais ces données n’étaient pas toujours conçues pour travailler ensemble à l’origine. Ce n’est pas spécifique aux historiens, les défis actuels de l’open data le montrent bien. Le premier travail de Col&Mon a donc été de rendre les données des collégiales et des monastères interopérables et de les intégrer dans un corpus numérique pour les interroger ensemble et surtout pour que les résultats fassent sens.

Une fois que les données sont interrogeables de manière fiable, nous pouvons passer à la deuxième étape : celle de la visualisation car rares sont les personnes qui arrivent à lire des colonnes de chiffres comme des romans. Les historiens ont besoin de cartes et de graphiques pour vérifier et affiner leurs hypothèses et illustrer leurs publications. C’est là qu’intervient SPaTe, le logiciel d’exploration spatio-temporelle que nous sommes en train de développer à l’Université de Limoges sous forme d’un portail sur internet. Il permet de faire toutes les interrogations, tous les tris et tous les croisements possibles entre toutes les données du corpus numérique. Ensuite, il les affiche de manière interactive sous forme graphique (datavisualisations) et cartographique (webmapping) et tout se met à jour à chaque fois qu’un paramètre est modifié pour que les utilisateurs puissent bien comprendre leurs données et les relations entre elles.

Enfin, nous mettrons au point les analyses spatio-temporelles basées sur les statistiques, ce qui nous permettra de comprendre et de quantifier l’impact de la géographie et du temps sur l’évolution des phénomènes que SPaTe met en lumière, qu’ils concernent l’histoire médiévale ou tout autre type de données.

Comment collaborez-vous avec les partenaires impliqués dans le projet ?

Col&Mon fait intervenir des spécialistes du Moyen âge, de la géomatique, des statistiques, de la géographie et de la donnée. Chaque discipline a son propre vocabulaire, sa propre vision des choses et ses propres techniques. Pour collaborer, nous avons d’abord dû nous comprendre et donc définir un langage commun pour avancer vers notre but commun. Il s’agit parfois de faire un véritable effort de vulgarisation au sein même de l’équipe de recherche !

Ensuite, chaque spécialité apporte sa pierre à l’édifice. Les historiens connaissent bien les données qu’ils apportent au projet et comment ils souhaitent les interroger, les géographes donnent une perspective spatiale en soulignant les relations possibles entre la géographie et les phénomènes historiques, les statisticiens aident à comprendre dans quelle mesure les informations sont signifiantes, les géomaticiens en révèlent le sens sur les cartes et les spécialistes des données organisent la data pour qu’elle soit utilisable par tous.

Le projet Col&Mon étant national, nous utilisons bien évidemment les logiciels de travail collaboratifs en ligne. Mais nous nous réunissons aussi très régulièrement en visioconférence ou en présentiel. Ces réunions sont l’occasion de faire le point sur les avancées thématiques et techniques et d’en discuter.

En quoi Col&Mon est-il innovant dans ses enjeux méthodologiques et technologiques ?

Le projet Col&Mon est innovant dans le sens où nous avons mis au point une méthode qui permet de fusionner des bases de données quelles que soient leur architecture d’origine. Grâce à cette méthode, nous construisons la base de données la plus complète sur les collégiales et les monastères de la France et ses marges à ce jour, et nous pourrons y ajouter toutes les autres bases de données complémentaires.

L’ouverture au grand public est également un des enjeux forts du projet car les chercheurs ont souhaité mettre au cœur de leur production la mise en place d’un portail de consultation et de visualisation des informations ouvert à tous. L’amateur d’histoire comme le chercheur aura accès à l’information et pourra la récupérer pour l’utiliser comme bon lui semble. Par exemple, il sera possible de rechercher tous les établissements en lien avec Saint Martial de Limoges, ces établissements seront localisés sur une carte et les différents liens entre eux pourront être matérialisés. Les utilisateurs plus curieux pourront également effectuer un travail sur la distance entre ces établissements, élargir la recherche d’un point de vue géographique (par exemple dans toute la Haute-Vienne), ou de la contraindre selon un intervalle de temps (par exemple au quinzième siècle). Les spécialistes pourront également ajouter des critères de recherche très fins et observer les résultats grâce à un tableau récapitulant toutes les informations disponibles ainsi qu’à des représentations graphiques sur les états successifs de ces établissements ou sur les ordres religieux auxquels ils appartiennent. La liste des fonctionnalités du portail est ouverte et notre objectif est de le rendre le plus accessible possible pour qu’il serve le plus grand nombre.

L’open data est aujourd’hui mis en avant pour les données issues de la recherche, quel est l’intérêt du projet pour le grand public ?

L’intérêt du projet pour le grand public est tout autant dans la popularisation / vulgarisation de l’histoire médiévale que dans les outils et les méthodes que nous développons. Nos données seront disponibles en open data. Libre à quiconque de les réutiliser car elles seront accompagnées de métadonnées qui expliqueront exactement leur sens et comment les utiliser. Ainsi, quelqu’un pourrait combiner nos données avec des informations touristiques pour créer des circuits culturels basés sur les collégiales et les monastères.

Mais notre travail ne se limite pas aux données que nous produisons. Les méthodes et les outils que nous développons n’intéressent pas que les passionnés d’histoire. Par exemple, nos réflexions pour rendre les données interopérables s’approchent des concepts proches de la Business Intelligence et du Data Mining qui sont des enjeux tout à fait actuels. Explorer des jeux de données disparates, les interroger et faire des recoupements puis afficher les résultats de manière intelligible sur des cartes et des graphiques, tout le monde en a besoin à l’heure du big data.