Récits des TVL

NAVIDAD 2006-11-19

Il arrive que des gens me demandent à quoi je pense, mais de moins en moins. Alors forcément, je garde mes réflexions pour moi, le plus souvent. De temps en temps, pourtant, j’essaie de communiquer. Je sais ; C’est difficile. La vie. Tout ça. Les femmes. Et Dieu qui n’est toujours pas là.

Bref, c’était une belle après-midi d’automne et (vous n’allez pas le croire) un jour de grève SNCF. Je ne sais pas s’il est capital de le remarquer, mais je m’en tiens aux faits comme d’autres l’ont déjà fait avant moi.

J’étais moi-même disponible en ce jour par le plus grand des hasards et une étude approfondie de la météo. Nous décidâmes d’aller voler en parapente dans les petites montagnes. Je vous ai déjà raconté que je suis plutôt bouddhiste zen des plaines (et vous l’avez oublié….), mais en novembre, il faut aller chercher le courant d’air sur le relief. C’est comme cela, et je ne vais pas insister sur les explications techniques, car il y a des profanes parmi nous (et par minette)

Ah ! Le temps, les mœurs, et l’apprentissage. Toujours trop long, toujours trop court ; ne pas oublier de l’apprécier. Chacun fait ce qu’il peut pour développer son potentiel et aider ses amis en l’air (mis en l’air), pour éviter les incidents de pilotages et pour comprendre le monde.

Il faut poser le pied délicatement sur le nirvana de bruyères et de myrtilles, sinon ça fait tache ; grâce à une sensibilité recherchée au doigt et à l’œil vous ne faites plus qu’un avec la machine. Vos membres deviennent légers, votre foulée légère, vous regardez cette grosse perle nacrée dans le fond du ciel, et tournez lentement. Suivez mon doigt du regard. Vous vous sentez monter vers le bleu et la lumière, détendu, l’esprit libre, le vario beep…pant dans l’oreille.

C’est le meilleur moment. Arrivé en haut de la tour, il faudra savoir où aller. Nous n’en sommes qu’aux préliminaires, en quelque sorte. J’ai dû regarder « prison break » la veille au soir, et un peu d’évasion dans ma tête, ça fait toujours du bien pour échapper au quotidien. Mais là, je ne m’y attendais pas.

Michel a son bonnet de Mickey, son pantalon de Pirate, un grand sourire. Guy semble léviter derrière sa moustache en se grattant le dessus de la tête. Un autre a le doigt dans le nez, l’autre…non monsieur le cheminot, l’autre compte les moutons ; les uns parlent, les autres écoutent ; pas encore trop de sueur ni de relents d’alcool. Tout est normal jusque là.

Une très belle journée même, réchauffement de la planète oblige. Ça monte bien, confortablement, finement, pilote concentré, amis sereins, la fesse ferme juste comme il faut.


Philippe commence à accumuler les heures de vol. s’hydrate-il suffisamment ? Moi-même, je me suis reposé pour mettre ma combinaison 3D en prévision de nouvelles altitudes prolongées. Le contemplatif qui sommeille en moi n’aime pas être trop refroidi. Avec Bruno, nous prenons le temps d’en griller une, la dernière. On en a assez de voir passer des chameaux roses en l’air, et sur le dos.

Là, finalement, tout de suite je vois bien qu’en fait, c’étaient des grues, et pas roses ; normal à cette saison. JP, qui sortait de chez le volailler a cru voir des oies. Mais non. Enfin, on croit ce qu’on voit. Et Dieu toujours pas là. Petit à petit, plus on avance, plus on se rapproche. Chimère ! Le chemin ! Chimène, toujours le chemin, El Tao,.todo y siempre.

L’éclairage est doux comme le vent du Sud. Les caissons des voiles se voient en transparence. La lumière se fait plus rasante. Certains ont mis des guirlandes de parapente sur les sapins et des rubans de suspentes fluorescentes aux biches. Au fond, le Cantal semble être un Himalaya pas si lointain. Les rênes se préparent sur le plateau (calmez-vous, ce ne sont que des bêtes) ; que vont-il nous amener dans le traîneau ?

Je voie des vitraux. Je suis dans la cathédrale. St Michel terrasse le dragon. St Guy danse autour de moi. Nous mangeons des galettes, buvons un petit gorgeon avec Georgette. C’est la fête. Les aéronefs se transforment en boules de Noël. Nous décorons le paysage. Paix sur la terre.

Les jets civils tracent leurs lignes loin là-haut. Même les chalumeaux militaires nous font bonjour et coucou, sur la tranche et pas trop prêt. Un aquarium éclairé, avec bulles, paillettes, lucioles éphémères, phalènes pures et éthérées (alors qu’avant, c’était plutôt le mammifère marin cher à Bardot qui rodait. Mais ne nous égarons pas dans la politique). Vous voyez avec quelle facilité l’air vous transforme en poète sidéral, quasi baudelairien dans ses accents circonflexes.

Plein les yeux, je vous dis. Le cadran des instruments clignote. En rouler une autre pompe à l’eucalyptus ? Non, merci. Les colonnes se rejoignent en arches gothiques qui s’alignent en rues. Les ampoules des décorations traversent la rue en sautillant comme les 7 nains de Blanche-neige. Monseigneur Dupanloup fait coucou du coin de sa mitre. L’esprit de Noël flotte avant l’heure.

Au fond de l’horizon, il y a toujours la couche violette et pourpre de l’inversion. La mer peut-être,qui somnole là où le soleil descend. Espoir de découverte et de navigation. Christophe Colomb. Nous devenons des nefs aux voiles gonflées. Isabelle de Castille. Des wonder-bras qui battent des ailes. De vieux canons de cuivre astiqués tirent des feux d’artifices et des dragons chinois. Mon GPS est revenu sur la page « position » ; je sais parfaitement où je suis. C’est juste qu’ils sont tous devenus papillons multicolores. Ils volètent autour de moi. Symphonie, concerts, cornetto ? Ça repart pour un bœuf de jazz limousin ? De la viande rouge. Des cuivres et des reflets. Avec l’archange du Corcovado, je me suis posé en haut de la montagne. J’ai vu l’autre coté de la montagne. Un sourire presque illégal nous contracte les zygomatiques et fait disjoncter les panneaux de contrôle.

Oh, cimes et cités du ciel, Il faut pourtant malgré tous vos atours, que nous reprenions contact avec la tour. Envers et tout contre tout, je m’aligne et me réaligne en approche des concepts existants reconnus. J’arrête les vers, les sur-entendus, les croisements de routes en cul-de-sac, les croissants beurre des bars de campagne où je finis mes vols migrateurs.

Comme je vous dis c’était une belle journée d’automne et je n’ai pas rencontré Dieu. C’est comme ça. La fin est toujours un peu abrupte, c’est ce qu’on appelle une chute, alors que là, en fait, non, c’est posé en douceur.





Pascal Legrand

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