Récits des TVL

UN SOMME EN BULLES 2006-09-13

C’était un jour à ne pas se presser. Il ne fallait pas arriver trop vite sur le décollage. Ce n’est pas facile de nos jours, avec la culture de la vitesse et du rendement, de laisser passer les périodes de la journée les plus productives en énergie ; c’est pourtant ce qu’il convient de faire pour mieux apprécier les plaisirs du soir. Comme je suis courageux, j’ai fait un effort, aidé par une petite sieste.

J’ai rêvé d’une belle jeune fille de printemps. Vous savez, celles qui sont tout en fleur, ravissantes, épanouies et souriantes, sans souci de foyer et de maternité. Elle avait une robe verte et blanche, suffisamment décolletée, qui se finissait en flammèches de tissu volant sur ses cuisses fuselées, peau claire, les yeux un peu trop maquillés peut-être. Si elle n’avait pas eu ce regard un peu provocateur, j’aurai dit qu’il s’agissait de la fée Clochette de ma jeunesse. Je serais le Peter Pan de l’histoire, volant à toute allure.

Les promesses de folies du printemps sont parfois tenues par la fin de l’été, ou pour l’automne. Vendanges. Châteaux. Ripailles.

Je voyais ensuite ma belle fée en fou du roi, robe rouge-orange, grelots tintant et tintinnabulant au son des musiques insouciantes. La fluidité de ses mouvements et son absence de fausse pudeur entrouvraient les portes de la maison des plaisirs.

A mon arrivée, les rafales sont encore un peu fortes. Les cimes s’agitent. J’ai mes repères. Je connais bien cet endroit. La frontière entre le vol un peu trop sportif et le vol plaisir est malgré tout facile à franchir. Le feuillage bouge dans les arbustes entourant les pierriers. Les hirondelles se promènent loin devant. Une buse passe. Les nuages vont dans le bon sens. Encore quelques minutes de réflexion à ne rien faire, à s’imprégner de sensations, de perceptions, d’aides à la décision. Prémices de l’envol.

Je vois ses cheveux dans le vent. Sa jeunesse n’est elle pas en train de m’attirer vers un précipice ? Est-ce que je doute de mon pouvoir de séduction ? Je vois bien l’éclat de la lumière de ses yeux enjôleurs. N’y a-t-il pas un risque ? Je ne veux pas tomber follement amoureux d’un rêve. D’ailleurs, ce n’est pas mon genre, je suis très terre à terre.

Je peux toujours me préparer. Sortir le harnais et les instruments. Ouvrir la housse. Mettre la barre de contrôle. Tout ce qui s’enchaîne avec un automatique acquis afin d’éviter les oublis. Les étapes obligatoires. Sécurité pour ne pas se planter. Inspection pré-vol. il va aussi falloir que je garde un œil sur ce surdéveloppement dans l’Est, un cumulus qui part un peu trop haut, pas encore menaçant néanmoins, mais éclairé avec trop de contraste. Vert l’Ouest, c’est ce même angle magique des rayons qui transforme l’eau du lac en argent ou en mercure. J’y voie passer les risées. Verres polarisants nécessaires face au soleil.

Est-ce être trop prudent que de prendre son temps ? La sagesse populaire dit bien « quand faut y aller, faut y aller ». Pour se jeter à l’eau, il faut savoir nager ; ça tombe bien, je sais. Quand le vin est tiré…. je suppose qu’aujourd’hui, on peut vous le mettre en paillettes. Ça ne fera peut-être pas un grand millésime, mais pour un soir, pour une fête champêtre, feu de la Saint-Jean, danses autour des braises, pourquoi pas.. ? Ou lors d’une soirée d’automne déjà fraîche, un verre de cognac qui chauffe dans la paume… Ivresse des cimes ou des profondeurs ? Le chaud et le froid (à la base du nuage)? Douleur ou plaisir, c’est selon… Je ne suis pas un grand fanatique du gros rouge à 12 degrés. Je n’aime pas me brûler les lèvres sur une tasse de café. Rien de tel que le climat tempéré pour quelqu’un qui a vécu sous les tropiques !

Jouissance subtile d’une variation de quelques degrés. Inclinaison progressive. Sensations affinées. Ni sport extrême, ni voltige. Du bout d’un doigt.

Plus tard, avec l’altitude, j’accélérerais à fond si l’envie m’en prend. Je ferais siffler l’air et vibrer la structure, juste quelques instants, pour sentir mes muscles en puissance. Ce qui compte, c’est le plan de vol que j’ai dans la tête. J’ai les moyens de mes ambitions. J’ai le doute nécessaire à la sécurité. Je ne me pose que les bonnes questions. Je ne tergiverse pas au mauvais moment. Je fonce.

C’est un vol facile. L’air porte partout. Restitution de chaleur. L’après-midi aurait été tout autre. J’en suis certain car j’ai déjà donné pour le rock and roll. Il faut bien que jeunesse se passe.

Endiablée, un peu sorcière en fin de soirée. Les yeux verts ? Je ne sais pas trop. J’ai vu plus l’expression que la couleur. L’amour de la vie. Moi aussi, mais pas tant que cela peut-être. Trop de lucidité. Non, ce n’est pas de la désillusion. Un manque de foi, selon les religieux. J’entends le silence des colonnes et des voûtes. Pas facile de saisir le sens des vieilles pierres. Je me méfie aussi des poitrines refaites. Quelle est la valeur de l’authenticité des traditions face à la modernité ?

Pour moi, ce sera d’abord le charme de l’instant. Je sais ce qui c’est passé avant. Je dormais. J’ai rêvé. J’ai croisé son regard. Il y a des variations de perception du temps. L’enchaînement des moments que tu revois, le film de ta vie que tu accélères ou qui ralentit petit à petit? Une énigme précaire qui passe, un visage amoureux dans l’histoire de l’aviation. Santos Dumont. Une femme des années 30 et son chapeau rond?

Ma fée Clochette est-elle aussi fiable que mon vol du soir ? Qui sait ? Une bonne fatigue et je vais bien dormir ce soir.

Bonsoir.


Pascal Legrand

imprimer le récit