Récits des TVL

CHIMERE 2003-11-21

Toujours le pèlerin raconte son voyage. Le voyageur, le marin est toujours un peu pèlerin, mais pas requin.
Moi, j'ai mes pantoufles et le plus petit voyage du monde, alors que mon copain Tuchminot les semelles qui se décollent tellement il a marché, et en train aussi il a fait du chemin. On dit " forment la jeunesse ". Je vois bien l'âge que j'ai. C'est plutôt que les voyages déforment la vieillesse. Certes sur le parcours, il y a des jeunes demoiselles bien formées, mais c'est souvent seulement comme dans les souks, " plaisir des yeux ". La séduction ne s'achète pas, il faut toujours aller voir plus loin, là où elle se donne. C'est très fatiguant quand ça monte. Vous suivez toujours ?

J'ai donc décidé de faire un petit voyage. Avec une branche aérienne pour piment d'aventure et de hasard. En fait, je ne savais pas du tout où j'allais. Mais je savais d'où je partais.

Devant la gare de St Sulpice, il y a 12 ginkgos bilobas. Les arbres comptent pour un parapentiste. Il convient de les éviter ; Pourquoi le prince du Japon a-t-il offert 12 (comme les cavaliers de l'apocalypse ?) ginkgos à la France ; à St Sulpice. Je n'en ai pas la moindre idée. Cet arbre considéré comme un fossile date d'il y a 200 millions d'années. Il peut vivre à l'état sauvage jusqu'à 2000 ans dans le sud-est de la Chine. Il est dioïque, exceptionnellement monoïque). Objet de culte, on le trouve près des monastères. Ses fleurs sont flabelliformes à nervation dichotome. Sa feuille ressemble à une aile.

Vous en savez autant que moi. Vous comprendrez que j'ai du respect pour ces arbres et que je m'en méfie un peu. J'ai donc préféré monter, porté par le thermique. J'ai mis le cap au sud pour suivre le vent, 1400 mères, et je tourne en rond en regardant un paysage que je connais, mais qui n'est jamais le même. Je comprends que je n'irais pas loin, mais qu'importe, je tenterais jusqu'au bout de remonter. Ce sont des sapins qui se rapprochent, néanmoins il y a des prairies pour se poser.

J'arrive à Sauvagnac. Je survole l'église et le monastère. Pas de moine en vue. Quelques tours de plus pour voir encore une fois du haut le puy rond (571m) au milieu de la tourbière où guettent les droséras carnivores, les sphaignes turficoles, les linaigrettes, les spirantes et les potamots. Je me pose bien et je plie la voile, pas frustré pour une fois ; allez savoir pourquoi ! J'étais peut-être content de m'arrêter là, pas trop loin de ma voiture.

Sauvagnac doit ses édifices religieux à une tempête de la deuxième croisade. Le Seigneur de Meyrignac avait promis. Je passe devant la croix des templiers et je marche vers St Léger-la-Montagne. Un peu moins de 3 Km, c'est dans mes moyens physiques. Il y a un charmant oratoire de la vierge après la sortie du village à gauche, les antennes paraboliques de l'armée à droite. Je vais tout droit, vers le bar des 3 clochers, chacun sa religion. Je me demande quand même pourquoi je vois de nombreuses canettes de bière en alu dans le fossé. Les restes d'un pèlerinage ?

Je dois dire qu'il n'y a pas grand monde. Personne. Ça me va bien ; je suis un ours sauvage, pas un ara flamboyant. Mais j'aime à contempler au passage le bleu bébé de la statue de la vierge. C'est le bleu des rêves d'enfants qui ouvre toutes les portes de toutes les mers et de tous les ciels prometteurs de cumulus. Vous voyez comme mon sentiment religieux est profondément amer. Je pourrais presque être ermite anachorète s'il y avait le chauffage ;

J'étais donc égaré dans le bleu mais les pieds sur terre quand même lorsque je la vis arriver. Pas du tout une apparition. Simplement une fermière bergère (polyvalence oblige). Alors que Marie était drapée d'étoffes, elle portait un jean un peu râpé par le rocher et non par l'eau de javel. Ce qui met en valeur les endroits où ça frotte.
" - Bonjour. Je vois que vous contempler. Vous allez loin avec votre gros sac ?
- Je vais à St Léger. Il n'est pas trop lourd. Vous avez ramassé des champignons ?
- Oui, quelques-uns, mais je me méfie, car aujourd'hui avec tout ce qu'il y a dans l'air, je ne sais plus quoi manger, sans compter le problème des importations si douloureux pour le fisc.
- Vous avez certainement raison " répondis-je poliment. Dans les montagnes de la campagne, les gens ont le caractère bien trempé terroir, et des opinions qu'il ne faut pas attaquer de front, pour éviter des confrontations sanglantes comme des chênes qu'on abat. Le premier pas d'une rencontre est toujours délicat, surtout avec des grosses chaussures.

J'expliquai ma situation. Je me sentais tiraillé ente la tentation du piège de l'esprit (la vierge) et du piège de la chair (la bergère). Comme elle allait vers le village, nous fîmes un bout de chemin ensemble. Elle me montra une vache qu'elle appelait Pasiphaé et son veau Ariane, en me rappelant que Pasiphaé, femme du roi Minos s'était fait engrossée par un taureau blanc, usant d'un subterfuge genre "Cheval de Troie", pour donner naissance au regrettable Minotaure, cause de bien des ennuis, tant et si bien qu'il fallut l'enfermer dans le labyrinthe, dont personnellement, lointain descendant d'Icare, je ne pouvais ignorer l'existence, et le rôle joué par Dédale dans mon aventure, sans compter celui de la cire d'abeille. Elle était bavarde : " D'ailleurs, nous avons des ruches et je peux vous vendre du miel. "

Nous nous rapprochâmes (âmes - ahmes) du pays du lait et du miel, même si je ne comprenais pas tout à la mythologie. Vaches sacrées, égyptiennes, limousines, je n'ai rien contre les divinités diverses tant qu'elles ne sont pas en travers de la route à écorner la peinture métallisée.

Dans sa chambre d'hôte, il n'y avait ni embûche ni angoisse d'être martyrisé par un avenir moral incertain. Tel Ulysse ensorcelé un moment par Circée je dus pourtant repartir, mon pot de miel à la main et mon sac sur le dos, comme dans l'histoire et la légende.

Elle pensait qu'avec mes idées de vol je poursuivais une chimère. Ce n'est pas le cas, car la chimère étant un mélange de lion et de chèvre avec une queue de dragon, je ne me sens pas d'attirance, même si j'aime nos amies les bêtes, et surtout celle qui est en moi. Il me restait bien 1,5 Km pour méditer au rythme de mes pas.

Petite rivière et pont romain moussu de dalles de granit. Ça m'étonnerait qu'il ait vu passer les armées de César. La marche, c'est quand même plus lent que le vol ; on ne voit pas les mêmes choses. J'ai une petite pensée pour ceux qui ont traversé les Alpes, volant et marchant le long des autoroutes. Le bar est fermé. L'église est ouverte, et presque un peu humide, déserte. Je pose mon sac et je rentre. Au fond à droite, je découvre la statue de St Roch, patron des causes perdues, avec quelques feuillets photocopiés indiquant le rituel à accomplir pour que nos vœux se réalisent. Je crois bien qu'il faut faire 3 fois le tour de l'église avec un grigri derrière l'oreille. Il faut répéter l'opération le deuxième mardi après la pleine lune. C'est quelque chose dans ce genre-là. Compliqué. J'ai le papier quelque part. Evidement, je me suis demandé si j'étais une cause perdue.

J'ai préféré me dire que St Roch était là par hasard. L'église était ouverte pour l'aération. Tout était normal. 5 Km en vol. J'ai le record du plus petit voyage, avec un minimum de stress et de fatigue. Je pense que je n'aurais pas de séquelles. Sauf si la tête commence à me tourner à attendre au soleil du soir. Peu probable. Je vais m'asseoir sur le banc, à l'ombre du tilleul, un arbre à boisson, c'est sympathique.

C'est mon ami Tuchminot qui va me prendre au passage, vous le connaissez, il passe souvent avec son train à la gare de St Sulpice. Forcément, il ramasse des graines. Mais attention ! Si les graines de l'araucaria sont comestibles, (il ne faut pas en abuser) celles du ginkgo ne le sont peut-être pas. Le pédoncule ovulifère présente des mésoblastes. Quand je vous dis que le vol c'est une expérience de vie qui enrichit le caractère, vous ne pouvez pas dire le contraire.


Pascal Legrand

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