Récits des TVL

DIPTERE 2004-01-17

La ligne droite est le plus court chemin d’un point à un autre. C’est géométrique et mathématique. Mais la sagesse populaire dit aussi qu’il y a loin de la coupe aux lèvres. Je vais vous montrer comment j’ai découvert cette ligne fétiche. C’est une histoire digne d’un roman (Mauve Haviland -Alexis Saltko -Seuil). Pour moi, c’est différent. Je souhaite coller plus à la réalité, mais il faut reconnaître l’existence de la tentation des déviations. A quoi bon céder pourtant puisque la réalité dépasse ou égale la fiction ?

Qui croirait que c’est en volant de mes propres ailes de A à B que j’ai fait le rapprochement ? Bientôt ce vol ne sera plus possible car la zone contrôlée de l’aéroport va être étendue. Il faudra un transpondeur, et tout le monde n’en a pas un dans la poche.

Je décolle du coté nord-est des monts et c’est la dérive du vent qui me fait survoler le monastère de Sauvagnac, les étangs des sauvages et les ruines de l’abbaye de Grandmont ; c’est-à-dire une nature qui garde un parfum de pèlerinage moyenâgeux, dans lequel je ne me sens pas si mal, car je le domine grâce à la technologie du XXIème siècle.

Je dois vous dire que je voyage dans le temps et dans l’espace à la fois. C’est comme cela que je me suis retrouvé au début du siècle précédent, à la grande époque de la porcelaine. De Laurière, je suis passé à l’or blanc, d’une certaine manière.

Du côté sud des monts se trouve le château de Mont Méry, style gothique New Yorkais, tourelles un peu rococo, vérandas et escaliers. Pas du tout pont-levis et mâchicoulis. J’aime les châteaux forts de mon enfance, l’esprit chevaleresque, et je suis un peu moins attiré par les constructions des capitaines d’industrie à l’ego enflé comme leur estomac en barrique. Mais bon, c’est de l’architecture quand même. Comment vous dire ? Il y avait comme une attraction involontaire, le vent redescendait de l’autre côté des monts, et moi avec. Je me retrouvais à chercher un courant ascendant, tournant de droite et de gauche au gré des champs labourés et des prairies à moutons. Il m’est arrivé quelques fois de me poser aux alentours du château, mais le plus souvent j’ai fini par reprendre de l’altitude. Etait-ce la chaleur des écuries, qui sait ?
Au fur et à mesure que le sol s’éloignait, les détails des pignons se fondaient dans la verdure ; la végétation reprenait le dessus, le château disparaissait pour ainsi dire dans son arboretum, parc splendide ouvragé absorbé dans les châtaigneraies et les plantations d’épicéas. Quand verrais-je la belle au bois dormant ? N’allais-je pas l’effrayer avec mes cercles de rapace à l’œil vorace ? Allait-elle tomber amoureuse de l’élégance de mes arabesques aériennes ?

Je respirais un peu de vapeur d’éther, gaz délétère ; il est temps de redescendre sur terre. Cap. Distance
Ce n’est peut-être pas si simple que cela. Dans les airs et sans moteur la perspective est autre. Lao Tseu dit

« Quand le sage sait son heure venue
Il s’élève dans les airs
Si son temps n’est pas accompli
Il ne forme pas de racines ».

Il peut y avoir différentes interprétations à ces pensées. La ligne droite est une abstraction bien souvent. Je surfe en zig-zag sur mon matelas d’air à la recherche des neurones de la sérénité. Le château de Théodore Haviland s’évanouit dans l’histoire de la porcelaine. Avec Jacques Chardonne (son descendant) et ses « destinées sentimentales », c’est un autre pan du passé que je laisse derrière moi. Je traverse la rivière. En laissant la grande ville à ma gauche, j’arrive au nord de la vallée de la Briance, au-dessus d’un autre château, Le Reynou, ex propriété de Charles Haviland, Charlie, composite et baroque, 27 pièces, 24 domestiques, granit, acier et chêne d’amérique. Plus allongé que le château de Mont Méry. Une histoire de la même époque, mais ce n’est pas le même chose. Le parc romantique accueille un zoo.

Mon vol est un trait d’union entre deux frères qui ne s’entendaient pas, dans une famille quaker mélangeant rigueur austère et dépenses somptuaires, collections d’estampes japonaises (6000) et colonies de vacances pour ouvriers, fortune et caisse de solidarité. L’Europe et l’Amérique. Je ne vois pas de Landaulette De Dion dans la cour, mais plutôt un bâtiment qui aurait besoin d’entretien et de réparations. Charles appréciait Hokusaï et Hiroshigé, possédait une bible de Dürer, des tableaux de Delacroix, Degas et Manet, des aquarelles, des dessins, des pastels, quelques sculptures de Rodin. Il apparaît comme un personnage autoritaire, novateur, intéressant. Voudrait-on de lui comme ami intime ? Etait-il satisfait de sa vie ? On peut sans doute répondre pas toujours. Les ombres familiales l’ont-elles jamais laissé réellement libre ? Enigmes ? L’époque des grandes familles est-elle révolue ? Il y a toujours des banquiers, des riches, des pauvres, une mosaïque sociale.
J’ai du mal à penser que je dois redescendre, qu’il va falloir que je retrouve mon chemin dans le tissu social. Que reste-t-il de cette histoire assez récente ? Deux châteaux isolés, quelques usines, des collections dispersées, quelques livres de Chardonne, une maison d’édition (Stock), quelques peintures de Burty à Céret, les tombes et caveaux au cimetière de Louyat (Charles à coté de sa maîtresse), des images d’interviews qui racontent des destins entrecroisés ( Autant en emporte..-Francois Gillery FR3). Au milieu de l’espace je cherche le présent. Il y a d’autres châteaux alentour, d’autres histoires.

Je me demande si je suis attiré par ce flou du passé, ces bornes qui marquent le temps et les vies. J’aimerais connaître et comprendre, mais je dois aussi me préoccuper de mon pilotage, de mon prochain nuage. Je suis également fréquemment passé bas à cet endroit. L’abbaye de Solignac va-t-elle me sauver de l’atterrissage ? Déjà vu ? Il me semble avoir déjà bu au calice miraculeux. Je vais continuer l’aventure, l’aventure du récit, de l’imagination dans toutes les directions. Tant pis si ce n’est pas la ligne droite à vitesse maximum. Peut-être même qu’un jour j’arriverais à dessiner un triangle à l’intérieur d’un cercle. Quadrature ? Je vois dans le lointain s’ouvrir la porte d’un château. La princesse attend. Combien de temps, encore ?


Pascal Legrand

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