Irène Jonas, Mort de la photo de famille ? De l’argentique au numérique, L’Harmattan, 2011

María Barredo Escribano 

Texte intégral

Le présent ouvrage de la sociologue indépendante Irène Jonas aborde la pratique amateur de la photographie de famille dans une approche diachronique qui commence avec les différents usages de ce genre photographique à la fin du XIXe siècle, en passant par les changements majeurs qui ont lieu pendant les années soixante‐dix, pour finalement arriver jusqu’à la nouvelle dimension numérique qui caractérise la société actuelle. Les deux axes fondamentaux traitent de la thématique familiale d’une part, des aspects amateurs de la pratique qui l’englobe d’autre part.

À la fin du XIXe siècle et pendant toute la première moitié du XXe, les photographies étaient étroitement liées aux évènements propres aux âges de la vie. D’abord la mort et les photos funéraires, ensuite les baptêmes, et enfin les photographies de groupe témoignant de la constitution d’une famille. Jonas décrit les points communs de tous ces objets qui construisent la mémoire individuelle et collective, comme par exemple le regard qui est toujours dirigé vers la caméra, établissant un dialogue avec la personne qui regarde la photographie ; « le regard appelle le regard » affirmait Roland Barthes.

Cette dimension émotionnelle est présente dans l’analyse que Jonas accomplit tout au long de son ouvrage. Une fois que la photo posée a été dépassée, les scènes de vie du quotidien, et même intime, prennent toute leur ampleur : le naturel est bienvenu et invite le récit quand la photo‐témoin rencontre un interlocuteur connaisseur des protagonistes photographiés. La présence de ce médiateur marque la différence entre le témoignage identifiant une histoire familiale individuelle et les photographies‐preuves et révélatrices d’une époque particulière que l’on trouverait dans une brocante. En effet, ces photographies sont très significatives d’un point de vue sociologique mais dépourvues du récit qui permettrait de les identifier et de les individualiser. Autrement dit, à l’opposé de ces photos‐preuves, et selon les paroles de Roger Odin, « à travers une image tout à fait banale, c’est tout un moment de vie qui ressurgit quand on est membre de la famille ».

La photographie de famille en tant que pratique amateur constitue également un pilier dans les recherches de Jonas. Elle réfléchit sur la division sexuée des tâches à l’intérieur de cette pratique. Dans un premier temps, la prise de photos, son développement et la composition de l’album étaient des tâches signées au masculin. Il faut attendre les années soixante et l’arrivée de l’appareil photo instantané, comme le Polaroïd, pour découvrir des femmes derrière l’objectif.

L’auteur décrit également d’autres inégalités de genre, autant techniques que sociales dans cette pratique amateur, avant d’arriver à l’état actuel de ce domaine qui a été bouleversé par les technologies numériques. Les conséquences directes de cette implantation digitale dans les mœurs seront la multiplication quantitative de la photographie de famille et la problématique du support papier. Ce sont deux questions qui transforment le processus d’élaboration de la mémoire au sein d’une structure sociale telle que celle de la famille. Dans cette dernière partie l’auteur s’interroge à propos des rôles que l’enfant investit, les enjeux de cette nouvelle position, et par conséquent l’avenir de la photo de famille.

Aujourd’hui nous sommes face à deux mécanismes diamétralement opposés dans ce remaniement de la construction de la mémoire familiale. Il s’agit du passage d’une sélection de moments particuliers qu’on immortalise sur le papier à la multiplication débridée de ces moments que permettent les technologies numériques. Par conséquent, les résultats inférés sont bien distincts : d’une part, la mémoire des événements, propre à l’ère de l’argentique, et d’autre part, une sauvegarde indiscriminée qui est rendue possible par la pratique digitale.

Il faudrait attendre une nouvelle publication pour observer comment Jonas développe cette dernière partie : le défi que le numérique pose à cette pratique amateur concentrée sur un objet thématique bien délimité qui n’est autre que celui de la famille. Un défi traité par le présent ouvrage de manière brève, mais qui ouvre simultanément des pistes non négligeables.

Cet ouvrage est disponible dans toutes les librairies spécialisées et en vente sur le site www.editions‐harmattan.fr