Martyn DadeRobertson, The Architecture of Information, Routledge, 2011

Benoît DROUILLAT 

Texte intégral

L’ouvrage de Martyn Dade‐Robertson est un objet théorique singulier, naviguant entre réflexion sur une pratique professionnelle — l’architecture de l’information — et étude philosophique des représentations de l’information numérique. Dans cette synthèse des deux univers de références, The Architecture of Information offre une fascinante exploration du rapport spatial et de la représentation de la connaissance, dans des termes parfois complexes. Son postulat de départ repose sur le recours aux métaphores de l’espace construit dans l’appréhension de l’information et plus particulièrement sa mise en scène dans les interfaces graphiques. L’auteur l’affirme, en rappelant la prééminence de l’écran comme support d’interaction numérique, son ouvrage souhaite se cantonner aux interfaces‐écrans et à l’hypertexte sur le web. Il cherchera ainsi à éviter de ramener l’espace d’information numérique aux environnements de simulation virtuelle. Enfin, dernière limitation du corpus, il se bornera à envisager les interfaces où l’usager est seul dans l’interaction avec l’interface, excluant une multiplicité d’usagers. Bien que recentré, l’ouvrage envisage la problématique sous un angle inédit et multidisciplinaire, émaillé de références théoriques qui demandent un important effort d’abstraction avant d’être reliées au concept central d’architecture de l’information.

La 5e partie de l’introduction, dédiée à la réflexion transdisciplinaire, fait appel à une variété d’approches théoriques et pratiques : l’interaction homme‐ machine, l’intelligence artificielle, la visualisation de données, la navigation, les types de représentation à l’écran, la psychologie cognitive. Difficile, dans cette perspective, d’établir toutes les relations abstraites qui s’incarnent ici dans un discours par moments confus. L’auteur se perd parfois dans un cheminement intellectuel complexe, teinté d’érudition, même si ces notions sont confrontées à des propositions concrètes de projets.

Tout comme une construction physique organise l’espace, l’organisation du savoir est guidée par une isotopie de l’architecture. Si la figure de la Tour de Babel et l’utopie du Théâtre de la mémoire sont convoquées par l’auteur, c’est qu’elles évoquent les lointaines origines de la science documentaire. C’est du sein de cette même discipline que l’architecture de l’information émergea, avant d’être appliquée à la fin des années 1990 au web et plus largement aux espaces d’information numérique.

Martyn Dade‐Robertson souligne à plusieurs reprises l’impact évident des technologies numériques sur l’accès et la diffusion de l’information. Comment se traduit cette dématérialisation ? Il envisage le concept de cyberespace, dont se sont saisis les auteurs de science fiction, et plus tardivement, les architectes. Parallèlement, la notion d’architecture de l’information est introduite dans une perspective historique, qui permet d’en articuler les fondements.

La représentation figurée de l’espace physique fournit à l’auteur un cadre conceptuel reliant l’information, son organisation, sa mise en scène et sa navigation dans les espaces numériques. Ainsi, loin d’être totalement innovante, cette approche adapte certains des concepts de l’architecture, tout en introduisant de nouvelles notions, pour finalement rejeter les métaphores et énoncer de nouvelles propositions. Ces propositions s’incarnent dans trois « composantes » : l’espace sémantique, l’espace de l’écran et l’espace visuel, toutes trois articulées par des métaphores spatiales distinctes.

L’auteur s’interroge : où est l’architecture dans l’architecture de l’information ? Comment peut‐on mobiliser une connaissance de l’architecture qui permette de comprendre les relations entre l’information et sa représentation à l’ère « post‐numérique » ? L’espace et sa représentation continuent en effet de disposer d’un rôle important dans les schémas qui structurent les environnements d’information numérique.

Martyn Dade‐Robertson questionne les processus et les produits issus des technologies numériques qui ont « révolutionné la façon dont nous vivons et travaillons et la façon dont l’information est distribuée et interfacée ». Si l’information numérique semble échapper en apparence à la matérialité, ce nouveau statut reconfigure en profondeur la façon dont nous pouvons l’appréhender et la faire circuler. Qu’en est‐il par exemple dans la pratique de l’architecture ? De nombreuses réflexions ont émergé autour de la notion de cyberespace, que l’auteur examine sous le prisme de la littérature de science fiction et de la culture cyberpunk. Il envisage son influence, comme produit du discours architectural, sur la pratique professionnelle de l’informatique, mais démontre aussi l’aporie à laquelle se confronte le concept pour redéfinir l’espace : ses métaphores ne semblent pas opérantes.

Autre schéma de représentation envisagé par l’auteur, l’architecture de l’information appliquée à la conception de sites web viendrait du besoin suscité par la complexité et le besoin d’orientation des espaces d’information sur le World Wide Web. C’est selon lui non seulement un nouveau champ du design, mais aussi un défi adressé à la profession dans son ensemble.

Différents croisements théoriques se présentent : architecture et technologies numériques, technologies de l’information et de la communication et environnements urbains, architecture et design d’interaction. À travers eux, la difficulté de trouver un langage commun se fait jour.

L’ouvrage se concentre ainsi sur l’espace comme moyen de communication et sur la façon dont l’architecture « encode » la signification. Trois critères d’analyse y participent : le critère formel, le critère fonctionnel et l’articulation de l’espace. Dade‐Robertson tentera de dégager la « syntaxe » de ce langage.

L’une des contributions originales de l’ouvrage repose aussi sur son analyse poussée de l’information dans l’ère de l’informatique ubiquitaire, où les mondes matériel et numérique fusionnent. En se saisissant des technologies émergentes comme objet d’étude, l’auteur montre comment l’espace peut ainsi être « augmenté » et devenir lui‐même support de communication sur deux plans, le physique et le virtuel.