Entretien

avec Joséphine Rémon ,
Christelle Combe 
et Morgane Domanchin 

Texte intégral

Pouvez-vous nous retracer les éléments de votre parcours, de vos sensibilités et domaines actuels de recherche qui vous ont amenés à porter votre intérêt sur les présences numériques ?

Joséphine Rémon : J’ai rencontré Internet aux débuts du web, lors d’un séjour au Canada. J’ai également rencontré à cette occasion mon directeur de thèse qui m’a proposé de travailler sur Internet et l’enseignement. J’ai beaucoup plus tard rencontré Christine Develotte autour de thématiques en lien avec le multimédia. J’ai tardé à rejoindre son séminaire, car j’étais prise par d’autres projets. Heureusement que, finalement, je ne suis pas passée à côté de cette aventure scientifique. Le numérique n’est pourtant pas au cœur de mes préoccupations, mais le dispositif mis en place par Christine Develotte et l’équipe nous permet de nous interroger sur les méthodologies de recherche et nous oblige à une grande richesse conceptuelle pour appréhender l’étrangeté des interactions. La qualité d’expérience « live » et les structures visibles ou invisibles qui la porte me permet en ce moment dans mes réflexions de faire le lien entre didactique des langues et présences numériques. En effet, les aspects de performance en direct m’apparaissent comme communs aux deux contextes.

Christelle Combe : Dès mon entrée dans le monde professionnel, je me suis intéressée au numérique, il y a 25 ans maintenant. D’abord en tant qu’enseignante de français puis en tant que chercheure. a thèse de doctorat traite de la formation en ligne et plus particulièrement d’interactions en mode asynchrone (de type forums de discussions). C’est à cette occasion que j’ai rencontré Christine Develotte qui a été co-directrice de mon travail (avec François Mangenot). Je me suis ensuite intéressée aux interactions par visioconférence, puis aux échanges sur des plateformes interactives multimodales, notamment en contexte pédagogique. C’est donc naturellement que j’ai porté mon intérêt sur les présences numériques. La complexité des échanges au sein d’un séminaire doctoral suivi en présence et à distance via différents artefacts (plateforme interactive multimodale, Kubi et robot de téléprésence) m’a fortement motivée. Par ailleurs, j’étais aussi directement concernée. En effet, la première année, pour suivre ce séminaire, je me suis déplacée à Lyon depuis Aix-en-Provence plusieurs fois, mais je souhaitais aussi pouvoir y assister à distance. Avec la mise en place de présences numériques, cela a été possible : j’ai pu assister au séminaire depuis Aix-en-Provence et en expérimentant chacun des artefacts. L’expérience a donc été très riche de mon point de vue personnel sur tous les plans.

Morgane Domanchin : Dès mon travail de Master, je me suis intéressée à la présence en ligne sur visioconférence poste à poste appliquée à l’apprentissage du Français Langue Étrangère. À présent doctorante, je continue d’étudier ce même type de contexte à travers la présence en ligne d’apprenants lorsqu’ils sont amenés à consulter différentes ressources (de types Wikipédia, Google Image) pour étayer leur apprentissage. Dans le cadre du projet « Présences Numériques », mes intérêts ont davantage été orientés de par les rôles qui m’ont été attribués en tant qu’assistante technique dans la mise en place du projet, et en tant qu’assistante ingénieure dans la récolte et l’analyse des données.

Vous travaillez actuellement sur le projet de recherche « Présences Numériques » au Laboratoire ICAR de Lyon, pourriez-vous nous expliquer en quelques mots les origines du projet ?

Joséphine Rémon : Le projet s’est construit autour du séminaire doctoral animé par Christine Develotte en lien avec le colloque IMPEC (Interactions Multimodales Par Écran). Le groupe a essayé d’introduire, au fil des séances, plus de confort pour les participants à distance. Ensuite est née l’idée d’un recueil de données dans ce contexte spécifique, combinant participants sur Adobe Connect, participants sur Robot de téléprésence et parfois dispositif de téléprésence Kubi (tablette orientable à distance).

Note de bas de page 1 :

Le SLDR (Speech and Language Data Repository, http://sldr.org), un service numérique de qualité certifiée permettant aux laboratoires et aux chercheurs indépendants de partager librement leurs données orales tout en assurant leur archivage pérenne selon le modèle OAIS (Open Archival Information System), et qui constitue aujourd'hui l'un des trois centres de compétence thématique de l'Équipex ORTOLANG.

Christelle Combe : C’est Christine Develotte qui m’a invitée à me joindre à l’équipe du séminaire I PEC dès sa création mais personnellement je suis membre du Laboratoire Parole et Langage à Aix-Marseille Université. Mon laboratoire est engagé depuis les années 2000 dans la constitution d’un dépôt de données linguistiques orales et multimodales (SLDR Speech and Language Data Repository1). Il poursuit désormais son action de collecte et de partage des données linguistiques dans la construction de la nouvelle plateforme nationale RT LANG. J’ai donc profité de cette expertise pour aider à la constitution et au dépôt du corpus Présences numériques sur ORTOLANG.

Quelles problématiques cherchez-vous à explorer au travers de cette recherche ? Et quels objectifs ?

Joséphine Rémon : Nos problématiques tournent autour de la qualité de présence et de procuration en fonction des affordances de chaque outil. Les objectifs sont notamment une meilleure connaissance des interactions en contexte de téléprésence hybride. Je m’intéressenotamment à l’empathie revisitée et à l’effort collaboratif vers un rétablissement de la réciprocité des points de vue.

Morgane Domanchin : Trois axes ont été déterminés par les membres du groupe de recherche « Présences Numériques » :

  • La gestion de l’attention, la polyfocalisation et la gestion des pouvoirs ;

  • La corporéité, la spatialité et l’agentivité des sujets et de la tekhnê ;

  • La politesse et la protection des faces, la dimension affective et émotionnelle de la présence par écran.

En ce qui me concerne, je m’intéresse particulièrement à l’utilisation des différents outils (Adobe Connect, Kubi, Robot Beam) proposés aux participants, en situations critiques. on intérêt porte d’une part sur la mise en place de stratégies collectives ou individuelles dans le but de résoudre des pannes techniques. D’autre part, je m’intéresse également aux effets de présence que cette technicité produit sur les interactions. L’objectif étant de mieux comprendre l’impact de ces outils dans un contexte hybride.

Note de bas de page 2 :

Face Threatening Acts (Brown et Levinson, 1987).

Note de bas de page 3 :

Face Flattering Acts (Brown et Levinson, 1987)

Christelle Combe : Je souhaite interroger la notion de politesse et d’impolitesse linguistique dans le contexte éminemment complexe d’un séminaire doctoral polylocalisé et polyinstrumenté : Qu’est-ce qu’un FTA2 dans une communication instrumentée ? Qu’est-ce qu’un FFA3 dans une communication instrumentée ? Nous cherchons aussi à redéfinir des règles de « conversation polie » dans tel contexte et à documenter à travers une approche longitudinale l’évolution et l’apprentissage du groupe de la première à la dernière séance des règles de « conversation polie ».

Quels sont les principaux enjeux de ce type de recherche en termes de méthodologie ? Et quelles sont les plus grandes difficultés que vous avez rencontrées jusqu’alors ou que vous redoutez pour la suite ?

Note de bas de page 4 :

La Cellule Corpus Complexes est une structure transversale de soutien à la recherche qui s’inscrit dans les axes porteurs du laboratoire ICAR (U R 5191, CNRS, Université Lyon 2, ENS de Lyon), voir http://www.icar.cnrs.fr/ccc/

Morgane Domanchin : Du point de vue méthodologique, ce projet est l’aboutissement d’une collaboration étroite entre l’équipe de chercheurs interdisciplinaires du projet « Présences Numériques » et des possibilités techniques offertes par la Cellule Corpus Complexes4 (désormais CCC), coordonnée par Daniel Valero. Le défi méthodologique pendant la récolte des données a été de s’approprier cet « arsenal technique » en contexte « quasi » écologique. L’idée initiale étant de récolter un maximum de données vidéo, tout en bénéficiant des possibilités matérielles offertes par la CCC (utilisation de caméra 360, GoPro, montages multiscopes) afin de rendre ces données les plus exploitables possibles pour les chercheurs. Notre prochain défi méthodologique concerne la constitution d’un « livre augmenté », qui permettra à ses lecteurs une lecture « multimodale » et innovante, à l’image du projet.

Joséphine Rémon : Les enjeux méthodologiques concernent notamment les aspects techniques du recueil des données. La Cellule Corpus Complexes du laboratoire ICAR en lien avec Morgane Domanchin a trouvé les solutions les plus adaptées. Les plus grandes difficultés rencontrées, de mon point de vue, concernent le son. Nous avons souvent eu du mal à inclure les participants à distance du point de vue sonore. Pour la suite, la difficulté va être de faire honneur au corpus qui est de grande qualité. Il faut à la fois que nous arrivions à le valoriser par nos analyses et à le valoriser ensuite par le partage avec la communauté.

Christelle Combe : Tout est à construire. L’élaboration du corpus a été une première étape et le travail fourni d’une part par les ingénieurs du laboratoire ICAR, mais aussi grâce à tous les participants, a permis de mettre à disposition des chercheurs un corpus particulièrement riche.

Quel type de rôle jouez-vous chacune dans ce projet ainsi que chacun des artefacts utilisés et chacun des participants impliqués ?

Morgane Domanchin : on rôle en tant qu’assistante technique a été de m’occuper de toute la partie technique. Lors de la mise en place du projet, j’ai été la médiatrice entre l’équipe de chercheurs et celle de la Nous avons cherché à construire ensemble un dispositif technique qui puisse proposer aux participants à distance trois types de dispositifs (Adobe Connect, Kubi, Robot Beam) tout en récoltant l’ensemble de ces données en salle à Lyon, ainsi que les vidéos et captures d’écran réalisées par chacun des participants à distance chez eux. Par la suite, grâce au soutien de Justine Lascar (CCC), nous avons procédé à la numérisation des données et de son archivage sur la plateforme rtolang. Enfin, mon rôle d’assistante-ingénieure m’a permis cette année de contribuer aux réflexions quant à la méthodologie d’analyse et des choix de transcription adoptés.

Joséphine Rémon : Je n’ai eu aucun rôle au niveau technique, car j’arrivais en général lorsque tout était installé et je suivais la plupart du temps le séminaire sur papier. Cette extériorité technique m’a peut-être donné un regard un peu différent, davantage que si j’étais au cœur du dispositif. Je n’ai pas moi-même utilisé les artefacts pendant le séminaire. J’aborde donc le corpus avec une posture extérieure, tout en me sentant totalement impliquée dans le projet. J’ai suivi une fois le séminaire à distance, avant le début des enregistrements, et j’ai eu un problème technique avec le son, donc les collègues en présentiel ne pouvait pas m’entendre. Je n’ai pas souhaité renouveler cette expérience désagréable.

Christelle Combe : J’ai tout d’abord pu fournir l’accès à Adobe Connect puisque mon département via mon université dispose d’une licence. J’ai ainsi aidé les collègues à s’y familiariser, c’est aussi moi, de fait, qui aie fourni l’accès initial à la plateforme ainsi que les enregistrements. J’ai par ailleurs pu assister physiquement au séminaire mais aussi expérimenter chacun des artefacts. Cela m’a permis d’avoir une vue d’ensemble et de vivre une expérience assez globale du séminaire. J’ai également été à l’initiative du dépôt du corpus sur Ortolang.

De quelle manière les participants au projet de cette auto-ethnographie parviennent-ils à collaborer tout en étant issus de champs disciplinaires différents ?

Christelle Combe : Cela ne se ressent pas tant que cela, car on vient des sciences du langage, de la didactique des langues et des sciences de l’éducation. n s’enrichit les uns les autres, c’est ce qui rend aussi ce séminaire si stimulant. Chacun apporte avec lui ses références, les intervenants viennent aussi de champs très différents (sociologie, philosophie, sciences du langage, sciences de l’éducation, etc.). Tout le monde accepte spontanément de faire des lectures hors de son champ.

Joséphine Rémon : C’est justement cette richesse de champs disciplinaires qui rend possible l’appréhension de l’étrangeté des interactions dans ce contexte hybride. L’hybridation des cadres théoriques permet un ancrage évolutif de notre appréhension de la situation. Cette auto-ethnographie ou co-auto-ethnographie, selon les termes de Jean-François Grassin, repose justement sur cette complexité à la fois des objets, des cadres et des processus de mise en sens ».

Par vos usages des technologies au sein du séminaire IMPEC, comment appréhendez-vous les apports et les limites de l’hybridation corps-machine ? Pouvez-vous l’illustrer par des exemples représentatifs ?

Christelle Combe : En ce qui me concerne, le premier apport a été de pouvoir participer à distance au séminaire. La possibilité de m’orienter vers mes interlocuteurs avec le Kubi m’a été d’une grande aide pour suivre le séminaire et interagir avec les différents participants. Adobe Connect m’a permis aussi d’interagir avec les autres participants à distance présents dans la plateforme. J’ai aimé découvrir le robot mais il était relativement coupé des autres (sur Adobe notamment) même si la qualité du son était très grande et qu’il était intéressant et original de manipuler un tel artefact.

Joséphine Rémon : La participante par robot de téléprésence semble avoir adopté ce mode de présence, et nous l’avons acceptée également comme membre à part entière. Ainsi, cette hybridation enparticulier semble fonctionner. Si on lit ce que cette participante déclare en entretien, on peut ensuite nuancer les choses. Elle mentionne par exemple l’envie de se joindre au présentiel pendant les pauses café ou déjeuner. Ainsi, ces moments-là restent interdits pour elle. D’un autre côté, pour moi qui n’utilisait pas d’ordinateur connecté à Adobe Connect en présentiel, l’accès au chat de cette plate-forme reste hors de portée, et l’envie d’y participer reste insatisfaite. Je me le représente comme le privilège des participants éloignés.

Je ne lis pas la situation en termes d’hybridation corps-machine, mais peut-être plutôt en termes d’hybridation des espaces d’interaction.

Morgane Domanchin : Lors de la mise en place du projet Présences Numériques », l’hybridation corps-machine a été pensée de façon à faciliter les échanges et le suivi du séminaire pour les participants à distance. À titre d’exemple, j’étais parfois chargée de l’orientation de la webcam télécommandée qui me permettait de contrôler le champ de vision des participants sur Adobe Connect. L’idée étant d’orienter la webcam en direction de toute personne prenant la parole en salle, afin que les participants sur Adobe puissent l’identifier. Les premières limites observées ont été la difficulté à gérer cette webcam due à l’abondance des interactions d’une part, et d’autre part la gestion du multitâche au cours du séminaire rendait la prise en main de cet outil particulièrement compliquée. Ainsi en écoutant les entretiens, certains participants sur Adobe ont été frustrés en plus des problèmes de son rencontrés, d’être orientés face à un mur vide. Ces limites se sont au fur et à mesure résolues, à travers l’habituation de cette pratique, la rotation de la webcam est ainsi devenue un automatisme.

Jusqu’où vous semble-t-il éthiquement possible de faire intervenir la technologie dans les interactions professionnelles ?

Christelle Combe : Je ne vois pas spécialement de limite dans la mesure où l’individu resterait totalement libre de ses choix : de plateforme, de lieu, de temps, de gestion de sa plateforme (couper/activer le son, la vidéo, etc.).

Joséphine Rémon : Nous sommes dans un contexte où nous sommes libres du choix de nos outils. Il en serait tout autrement dans un contexte avec des enjeux de dominations, où les individus n’auraient pas le choix et se verraient imposer telle forme de participation par exemple. Si notre participante par robot de téléprésence avait été contrainte d’utiliser cet artefact, elle aurait sans doute vécu l’expérience différemment. C’est pourquoi l’étude que nous menons paraît avoir une réelle utilité sociale dans la mesure où nous pouvons éventuellement pointer, par la suite, les violences interactionnelles potentielles qui pourraient émerger de ce contexte : absence de procuration de parole ou au contraire mise en danger de singularisation par une demande de parole non désirée.

Morgane Domanchin : L’éthique est une question primordiale lorsque l’on décide d’intégrer la technologie dans un contexte d’interactions professionnelles. Il est nécessaire au préalable de s’accorder sur le type de données que l’on souhaite enregistrer, d’obtenir les autorisations des participants qui acceptent d’être filmés. La mise en place du dispositif technique va ainsi dépendre des réponses obtenues. Pour ma part, je pense que la technologie en contexte professionnel peut être d’une grande utilité du moment qu’elle ne perturbe pas complètement le contexte écologique. C’est ainsi qu’une aide technique et une bonne connaissance du dispositif est fondamentale au bon déroulement de tout projet de ce type.

Quelles premières pistes de résultat pouvez-vous dégager de l’étude des présences numériques et des métamorphoses du rapport au corps, à autrui et à l’environnement ?

Joséphine Rémon : Il est difficile, à ce stade, de livrer des résultats. Ce qu’on voit s’ébaucher, ce sont surtout des dynamiques en lien avec la temporalité. Nous développons des accoutumances et des compétences nouvelles d’ajustement à la fois aux incidents techniques et aux incidents interactionnels.

Morgane Domanchin : Je me suis pour le moment focalisée sur la constitution du corpus et la méthodologie d’analyse, je n’ai pas encore pris le temps d’analyser le corpus.

Christelle Combe : Il est encore trop prématuré pour parler de résultats. La constitution et le dépôt du corpus ainsi que les lectures théoriques ont mobilisé tous nos efforts. L’expérimentation laisse cependant présager de nouvelles « règles » à redéfinir notamment en termes de politesse.

Quelles implications dégagez-vous de cette étude pour la recherche sur les interactions sociales ?

Joséphine Rémon : Ce contexte hybride exacerbe peut-être plus qu’un autre les enjeux de pouvoir liés aux interactions en téléprésence. L’effort collectif mis en œuvre pour la réussite de la communication est comme révélé par le dispositif et ses artefacts, dans lesquels il s’incarne.

Morgane Domanchin : Ce projet offre diverses implications pour la recherche sur les interactions sociales, notamment à travers la mise à disposition de ce corpus sur la plateforme Ortolang. Cette mise en ligne des données permettra à tout chercheur d’étudier les interactions hommes – machines, en contexte hybride.

Christelle Combe : Outre ce que Joséphine Rémon et Morgane Domanchin ont déjà mentionné, j’ajouterai que les implications de cette étude pour la recherche sur les interactions sociales seront aussi certainement au niveau de l’interdisciplinarité, des choix méthodologiques effectués et de l’annotation de données multimodales éminemment complexes.

Vous projetez de publier un « objet numérique ». Pouvez-vous nous en dire plus sur l’édition de ce concept de recherche ?

Christelle Combe : En ce qui me concerne, je dessine des sites web depuis vingt ans maintenant et je pense depuis longtemps que l’édition papier n’est plus véritablement adaptée aux objets que nous étudions. Je conçois donc cet objet numérique un peu à la manière d’un site web, un objet polymorphe et multimodal, avec une version allégée et une augmentée.

Joséphine Rémon : À la complexité des objets et des cadres théoriques, répond la modularité des supports éditoriaux qui doivent désormais rendre justice à la non linéarité de la pensée de l’hybridité. En retour, cette non linéarité potentielle peut elle-même influencer nos propres analyses du corpus.

Morgane Domanchin : Nos réflexions autour de la publication d’un objet numérique découle d’une part de notre envie de valoriser les différents types de données récoltées (vidéos, entretiens, etc.). D’autre part, elle cherche à mettre en évidence les différentes approches issues des trois axes de recherche (corporéité, politesse et attention), selon des parcours de lecture qui seront proposés.

Quelles préconisations pouvez-vous formuler à partir de cette expérience tant pour les usagers que pour les chercheurs souhaitant investir ce type de terrain ?

Christelle Combe : Pour les usagers, les artefacts me semblent assez simples à prendre en main, mais il faut un peu d’accoutumance. Ce temps d’accoutumance est à prendre en compte. Une petite formation préalable fait gagner un temps certain. Par ailleurs, sans doute est-il bon de laisser chacun utiliser l’artefact qui lui convient le mieux. Si l’un préfère le robot et l’autre la plateforme interactive multimodale, alors que chacun prenne ce qui lui convient. En ce qui concerne les chercheurs, se lancer dans un tel projet est exaltant, en revanche, un esprit d’équipe, une bonne cohésion voire une répartition des rôles en fonction des compétences de chacun me semble indispensable.

Joséphine Rémon : Du point de vue de la recherche, un tel projet ne peut fonctionner que sur la bonne entente des participants, tous ayant à cœur de mener à bien le projet, et les interactions elles-mêmes. Nous avons eu la chance de pouvoir compter sur l’équipe de la Cellule Corpus Complexes, ainsi que sur la vision de Christine Develotte, qui a toujours gardé confiance dans la réussite de cette prise de données, tout en insufflant le rythme adéquat pour cette recherche. C’est peut-être ces aspects de temporalité de la recherche qui ressortent tout particulièrement à ce stade, les enjeux autour du maintien de l’équipe au complet sur la durée, avec des étapes intermédiaires suffisamment stimulantes, en fonction des possibilités d’investissement de chacun à un moment donné.

Morgane Domanchin : Je préconiserais à tout groupe de chercheurs souhaitant s’investir dans un corpus hybride de se mettre dans un premier temps en contact avec une cellule telle que la CCC afin de déterminer ensemble d’un dispositif adapté, et de faire en sorte que la récolte de données puisse correspondre aux attentes des chercheurs. Les technologies étant en constante évolution, il est nécessaire que le matériel de captation soit adapté au terrain. La mise en place du dispositif et la numérisation étant chronophage, il serait souhaitable qu’un membre de l’équipe soit chargé de la partie technique (installation du dispositif, numérisation, etc.)

Du côté des usagers, je conseillerais en amont de la captation de s’assurer du bon fonctionnement technique de chaque outil. Chaque outil ayant ses propres règles de fonctionnement (installation en amont d’un logiciel, réglages audio et visuel, etc.).