L’expérience communicationnelle immersive dans WoW, entre présence et engagement
Dynamiques d’équilibre entre espaces physique et numérique.

Jacques Ghoul Samson 
et Philippe Bonfils 

https://doi.org/10.25965/interfaces-numeriques.3304

Cet article a pour objectif de discuter d’un point de vue communicationnel la notion d’équilibre dans les environnements immersifs. Il s’agit de tenter de cerner un des aspects complexes des expériences vécues par les utilisateurs de ce type d’environnements dans des situations plutôt ludiques typiques des jeux vidéo. Les auteurs questionnent cette notion en articulant leur réflexion autour des couples théoriques engagement-distanciation et présence-attention (voire hyper-attention). Ils s’appuient pour cela sur des travaux antérieurs qui ont tenté de saisir et de conceptualiser la complexité de ces expériences communicationnelles particulières (Bonfils, 2014 ; 2015), et dans le même temps de relire ces questionnements à l’épreuve d’un terrain (World of Warcraft) investigué actuellement par l’un des deux auteurs. Le constat de départ porte sur le fait que les expériences vécues par les utilisateurs en immersion nécessitent de leur part de produire des efforts cognitifs importants pour vivre pleinement ces situations. En effet, les environnements immersifs conçus aujourd’hui par les designers et les développeurs sont de plus en plus riches visuellement et proposent de plus en plus d’interactions sophistiquées qui permettent aux utilisateurs d’utiliser de manière croissante leur corps ou sa projection (en l’occurrence son avatar) entre espaces physique et numérique. L’idée avancée alors par les auteurs consiste à faire l’hypothèse que ces utilisateurs en quête de flow (Csikszentmihalyi, 2008) et de plaisirs sensibles sont en proie à des conflits récurrents entre les activités de perception et les modes d’actions possibles liés aux activités de production. Il en résulte de fait une quête constante et souvent inconsciente pour les utilisateurs d’équilibre, d’engagement, de distanciation et d’auto-régulation au sein de plusieurs sphères, à l’articulation de différents espaces.

This article aims to discuss the notion of “balance” in immersive environments. It tries to define one of the complex aspects of the experiences lived by the users of this type of environments in situations rather playful typical of the video games. The authors question this notion by articulating their reflection around theoretical aspects like commitment-distanciations and presenceattention (even hyper-attention). These are based on previous work that attempted to capture and conceptualize the complexity of these communicational experiences (Bonfils 2014 ; 2015), and at the same time to reread these questions in the test of a field, World of Warcraft, which is currently being investigated by one of the two authors. The initial observation states that using those digital worlds require to produce significant cognitive efforts to fully live these situations. Indeed, immersive environments designed today by designers and developers are increasingly visually rich and offer more and more sophisticated interactions that allow users to increasingly use their body or projection (in the occurrence its avatar) between physical and digital spaces. The idea then put forward by the authors consists in making the hypothesis that these users in search of flow (Csikszentmihalyi, 2008) and of sensible pleasures are plagued by recurring conflicts between the activities of perception and the modes of possible actions related production activities. This results in a constant and often unconscious quest for the users of balance, commitment, distancing and self-regulation within several spheres between different spaces.

Sommaire
Texte intégral

1. Introduction

Depuis leur création, certains environnements numériques se sont développés constamment de sorte à produire aujourd’hui des expériences immersives enrichies aux utilisateurs, tant sur le plan physiologique que psychologique. C’est le cas notamment des univers de jeux vidéo et de réalité virtuelle. Ces expériences numériques sont caractérisées par des effets de simulation très réalistes, que ce soit au niveau des actants (avatars, personnages virtuels), des configurations spatiales (espaces, décors, textures, lumières, mouvements), temporelles (temps réel, temps différé) et des différents modes d’interactions possibles (périphériques divers et maintenant utilisation accrue du corps grâce aux technologies haptiques). À cela s’ajoute des moyens de communication de plus en plus élaborés dans ce qui relève de la communication entre l’utilisateur et la machine, mais aussi des utilisateurs entre eux.

Pour autant, selon les contextes, ces expériences ne sont pas toujours pleinement vécues par les utilisateurs, et ce, pour diverses raisons : complexité et évolutivité rapide des environnements et des interfaces, difficile acculturation technique et numérique de certains utilisateurs face aux multiples interactions et canaux de communication possibles, contextes d’utilisation contraints par les sphères privées et publiques en dehors de celle du jeu. La réflexion menée ici tente donc de déconstruire des présupposés parfois trop rapides sur l’attractivité naturelle de ces environnements et leurs capacités intrinsèques à générer de l’engagement, de l’attention et du plaisir pour les utilisateurs. Elle s’appuie pour cela sur une approche privilégiant l’analyse des contextes et favorisant la notion d’équilibre pour définir sur le plan théorique ces expériences, dont l’immersion sera dès lors qualifiée de fragile et partagée entre engagements et distanciations.

Ainsi, après avoir présenté les ancrages théoriques de cette contribution, nous détaillerons les éléments relatifs au terrain (partie 3) duquel découlent les données nous ayant permis d’établir une distinction entre trois sphères interactionnelles (partie 4). Finalement, nous conclurons cet article en présentant des cas d’interactions ne pouvant être appréhendés dans leur globalité qu’en mobilisant l’intégralité des sphères, nous permettant ainsi d’observer l’équilibre se formant entre elles.

2. Ancrages théoriques et postulats de recherche

L’un des premiers aspects qui caractérisent les environnements immersifs porte sur le fait que ceux-ci proposent plusieurs espaces d’interactions où le corps physique occupe, notamment grâce aux technologies haptiques, une place de plus en plus prépondérante donnant lieu à des médiations sensori-motrices multiples y compris sur le plan de la communication non verbale. L’autre aspect majeur réside dans la variété et la richesse des représentations y compris métaphoriques possibles dans ces environnements numériques. Les conséquences sont multiples pour les utilisateurs, tant sur le plan cognitif que psychique. Elles permettent d’imaginer des situations où les utilisateurs, dans un couplage de plus en plus complexe avec leur environnement numérique, peuvent dépasser leurs limites physiques pour explorer et agir (Auray et Vetel, 2013) en immersion et être transporté dans d’autres dimensions du réel ou de la fiction. Et c’est sans doute ce dernier aspect qui rend si attractif ces environnements.

Différentes recherches s’intéressent par exemple à l’une des caractéristiques importantes de ces expériences qui porte sur les effets de présence ressentis par les utilisateurs au cours de l’immersion. Pour Bob G. Witmer et Michael J. Singer (1998), le sens de la présence est caractérisé par l’impression pour l’utilisateur d’être inclus dans l’environnement tout en recevant un flot continu de stimulations. Pour Olivier Nannipieri (2013), la présence au sein d’un environnement de réalité virtuelle peut reve tir deux formes : la pre sence environnementale non-mixte et la pre sence personnelle mixte. Dans le premier cas, le sujet s’enferme dans son environnement, dans son espace des possibles, c’est-a -dire, en restant isole a part de tout autre milieu et de tout autre sujet. Dans le deuxième cas, le corps du sujet actualise différentes formes de présences distribuées et incarnées dans l’espace de l’action. Il est ce qui lie les choses entre elles. Ces deux approches plutôt centrées sur le rapport de l’utilisateur dans sa communication avec la machine accordent une part importante à l’espace et aux interactions. D’un point de vue interactionniste (Goffman, 1973), la présence ressentie peut aussi être celle des autres ou de soimême dans son rapport a autrui, sous la forme par exemple de sa projection par l’interme diaire de son avatar cyberme diatique, qui est une cre ature iconique comportementale a part entie re (Amato et Perény, 2008). Elizabeth Behm-Morawitz (2013) a par exemple montré que cette projection « self » pouvait avoir un impact sur les relations sociales et les interactions communicationnelles des utilisateurs dans un monde virtuel de type MMORPG. Mais la dimension éminemment sociale des MMORPG produit son propre faisceau de contraintes, notamment culturelles, à travers un « habitus ludique » (Berry, 2012) qui détermine une certaine appétence pour ce type d’univers. Ainsi, une fois la dynamique d’engagement embrayée, un ensemble de contraintes (sociales, communicationnelles et matérielles) se met en place autour de l’avatar qui devra composer avec ces dernières pour poursuivre sa participation à cet univers.

Note de bas de page 1 :

Le flow peut être traduit par le terme d’écoulement ou de flux, signifiant que le déroulement de l’activité se réalise de manière fluide et satisfaisante

Saniye Tugba Bulu (2012) a de son côté montré que de multiples formes de présence étaient possibles et qu’elles concouraient à générer de la satisfaction dans des contextes sociaux au sein de ces mondes virtuels. Cette sensation de présence est aussi un facteur d’adhésion et d’engagement des utilisateurs dans leur couplage avec l’environnement numérique immersif, car elle participe de la construction de sens et de liberté d’une expérience vécue particulière. Louise Poissant, qui investigue les effets de la technologie dans les arts de la scène et le monde du spectacle, développe de ce point de vue-là une analyse intéressante sur les questions d’adhésion : « Il semblerait que les spectateurs et les usagers de réalités virtuelles comblent aisément les vides et les hiatus afin de trouver un sens et une unité à une expérience lorsqu’ils y adhèrent. Ils postulent plus ou moins inconsciemment que l’une des conditions de la présence physique consiste à partager un même espacetemps » (Poissant, 2013, p. 41). En quête d’une expérience de flow1 « optimale » (Csikszentmihalyi, 2008) agréable et satisfaisante, les utilisateurs s’impliquent alors totalement dans une logique d’hyperattention au point de se détacher du monde et d’oublier tout autre activité, si ce n’est celle de vivre « une nouvelle manière de se-sentir-aumonde » (Vial, 2013, p. 184). On peut alors se demander, comme Yannick Bressan (2013), si cette « adhésion au représenté de la simulation interactive peut conduire ces utilisateurs à une sorte d’oubli de l’espace et du temps physique, s’opérant pour mieux entrer dans ceux de la représentation ou, plus précisément, pour étroitement imbriquer ces deux spatio-temporalités, celle de l’actualité et celle de la fiction, pour en créer une troisième, mitoyenne. » Bressan, 2013, p. 309). Ces environnements seraient dès lors en quelque sorte les nouveaux espaces communicationnels de « l’expe rience illusoire » de crite par Donald Winnicott (1975), ou les temporalite s s’entreme lent, et ou la liberte y est conside re e comme un e le ment moteur qui favorise l’engagement : « cinquante années de recherche ont montré que le contexte de liberté est un puissant facteur d’engagement des gens dans leurs actes, certainement le facteur d’engagement le plus puissant » (Joule et Beauvois, 1998, p. 71). Cela est d’autant plus possible que l’utilisateur a aujourd’hui à sa disposition différents supports d’instanciations (Amato, 2012) et peut faire l’expérience numérique de son corps au monde sous la forme de différentes corporéités possibles avant de pouvoir l’objectiver, à travers l’appropriation de nouvelles affordances (Gibson, 1977), en communiquant de manière performative avec la machine et les autres. Ces contextes de liberté et les nouveaux types d’interactions possibles « règlent » alors la production de sens (Odin, 2011) dans les différents espaces de production et de réception (espaces physique et numérique) qui relèvent de la sphère du jeu.

Ces postulats étant énoncés, l’une des hypothèses de cette recherche porte sur le fait que beaucoup de joueurs gèrent ces situations ludiques en maintenant (sans doute inconsciemment) un « équilibre interactionnel » au cours de rapports multiples qui s’opèrent dans d’autres sphères que celle du jeu. Ceux-ci pourraient, selon nous, jouer un rôle dans les conditions d’engagement et de présence des joueurs impliqués dans ces situations.

3. Description du terrain

La recherche présentée dans cet article prend la forme d’une étude de ces interactions et de ces éventuels effets de présence au sein de trois groupes d’utilisateurs (guildes) du jeu de rôle en ligne (MMORPG) World of Warcraft. Ce MMORPG plonge le joueur, à travers différentes corporéités construites par l’utilisation de son avatar, dans un monde numérique en 3D d’inspiration médiéval-fantastique. Bien que l’utilisateur puisse accéder seul à une partie du contenu de cet univers, il doit être accompagné en son sein par d’autres joueurs pour explorer la majeure partie des possibilités offertes par ce dispositif. C’est donc à travers la prédominance de la dimension sociale de cet univers que se comprend la place centrale qu’occupent les guildes, ces groupes organisés de personnages joués. Dans ce contexte, nous avons opté pour une récolte de données principalement qualitative en déployant un ensemble d’outils fournis par une ethnographie (observations, observations participantes, entretiens formels et informels). Au cours de l’année et demie passée sur le terrain, nous cumulons près de deux mille heures d’observations auprès de ces groupes, formés à l’initiative des joueurs, pouvant être classés en différentes catégories en fonction des objectifs qu’ils se fixent, des règles qu’ils statuent et du temps de connexion moyen de leurs membres (Williams et al., 2006). Nous avons mené nos observations au sein de trois guildes de taille moyenne (comptant entre 50 et 120 utilisateurs différents et plus de 300 avatars) ayant pour objectif d’accomplir des raids. Il s’agit de combats ayant lieu dans des zones abritant des créatures contrôlées par l’ordinateur (« boss ») et nécessitant l’alliance de 10 à 30 avatars pour être vaincues. Ces raids rythment la vie et l’organisation des guildes qui proposent à leurs membres de se retrouver trois soirs par semaine (de 21h à minuit) pour tenter de battre un maximum de boss, petit nom générique des ennemis les plus puissants. Compte tenu de la centralité de ces évènements, nous avons choisi d’ajouter la captation vidéo et l’enregistrement de données-système à notre palette d’ethnographe. Cette méthode de récolte de données nous permet d’analyser et de décomposer les processus communicationnels et interactionnels en jeu lors de ces raids. De plus, ces combats demandent une manipulation si fine des avatars que certains utilisateurs de World of Warcraft ont développé des outils permettant d’analyser en détail les combats ayant eu lieu. Nous avons utilisé ces outils en extrayant les données qui y sont contenues pour disposer d’une vision d’ensemble de la participation à ces événements. Il est ainsi possible de synthétiser une partie de ces informations dans le tableau suivant :

Tableau 1. Données générales concernant les guildes suivies.

Guilde 1

Guilde 2

Guilde 3

Soirs de raid

Jeudi, Dimanche et Mardi

Mercredi, Jeudi et Dimanche

Mercredi, Jeudi et Dimanche

Nombres d’heures d’enregistrement

153

75

105

Nombre de participations du chercheur / part de cette participation par rapport au nombre total de raids ayant eu lieu

62 / 53.45 %

41 / 74.55 %

40 / 57.14 %

Nombre d’avatars permettant de réaliser 75 % des participations aux raids

27

18

19

Part que représentent les avatars réalisant 75 % des participations aux raids

21.09 %

28.7 %

29.69 %

Note de bas de page 2 :

En effet, pour avoir accès aux données concernant la participation aux raids, il faut qu’un des avatars y ayant participé et disposant d’une autorisation les dépose sur un site dédié. Par conséquent, si aucune personne autorisée n’est présente un soir, aucune information concernant cette soirée n’apparaîtra. Ainsi, suite au départ de l’avatar disposant des autorisations, la 3ème guilde ne présente aucune donnée pendant plusieurs semaines

Il est important de remarquer que ces données, tout en ayant fait l’objet de multiples traitements, restent lacunaires dans la mesure où tous les raids n’ont pas été enregistrés (en raison de défauts techniques ou du temps nécessaire à la mise en place du dispositif de captation) et où nous n’avons pas pu récupérer les données concernant tous les soirs de raids2. Cependant, il apparaît que les trois guildes que nous avons rejointes partagent une structure assez similaire dans leur forme, puisque la majorité des participations sont effectuées par un nombre restreint d’utilisateurs (75 % des raids étant réalisés par, respectivement, 21,09 %, 28,7 % et 29,69 % du nombre total des membres de ces guildes ayant participé à au moins un raid). En tant qu’observateur participant, nous avons participé respectivement, à 53,45 %, 74,55 % et 57,14 % des événements. De ce fait, nous faisons partie, pour les trois guildes, des dix utilisateurs les plus présents (occupant, respectivement, la 8ème, 5ème et 9ème place).

L’objectif, en intégrant ces guildes, était d’étudier avec une approche interactionniste la manière dont elles prenaient forme et s’organisaient alors que leurs membres n’interagissaient et ne communiquaient qu’au travers de leurs avatars insérés dans le dispositif de jeu. Il était aussi question de prendre en charge les modalités d’interactions non verbales, le corps permettant de se mouvoir dans l’espace physique, tout en étant un vecteur de représentation sociale, ce que, Bourdieu (1980) appelle l’hexis corporel, constituant aussi un élément de communication non verbale (Hall, 1978 ; Winkin, 2001 ; 2014). Afin d’embrasser la complexité de ces phénomènes, des modèles d’analyse des communications médiatisées par ordinateur (CMC) – et donc, a priori, privées de communication non verbale – comme le Social Identity Deindividuation Effects ou le Social Information Processing (Walther et al., 2015), ont déjà tenté de dépasser le point de vue traditionnel de Goffman, selon lequel les interactions sont intiment liées au corps qui sert de véhicule à la personne (Goffman, 1973, p. 21-33). Cependant, l’utilisation que font beaucoup de chercheurs de ces théories repose sur le fait qu’ils s’intéressent essentiellement aux effets que peut avoir la communication médiatisée par l’avatar sur la force des relations interindividuelles, et non sur l’ensemble des contraintes auxquelles font face l’utilisateur et son avatar, et qui les astreignent à trouver un équilibre entre les différents espaces interactionnels.

4. Des espaces interactionnels et communicationnels variés et à l’intersection d’espaces physiques et numériques

4.1. Des espaces interactionnels et communicationnels à l’intersection de plusieurs sphères poreuses

Pour articuler notre analyse, nous proposons de partir de l’idée que l’utilisateur de World of Warcraft doit se construire une relation particulière à son avatar avant de pouvoir interagir avec les autres avatars, et partant de là avec les autres utilisateurs dans la sphère du jeu. C’est en suivant la lignée théorique tracée, entre autres, par Edward Castronova ((Castronova,) (2005 ; 2007) que nous considérons dans cette logique que les avatars évoluant dans des environnements immersifs dépassent une fonction de masque pour l’utilisateur (Georges, 2013).

Du point de vue de l’analyse des interactions, ils deviennent alors des entités à part entière progressant au sein d’un espace numérique, se distinguant ainsi des utilisateurs se trouvant dans l’espace physique. Par conséquent, en se connectant à un environnement immersif, l’utilisateur n’est plus l’interactant, mais bien l’avatar qui interagit avec d’autres avatars. En reprenant le cadre théorique forgé par Roger Odin ((Odin,) (2011) et ayant participé à l’élaboration du modèle théorique proposé par Bonfils (2014), nous avons été amenés à recomposer les schématisations de l’expérience immersive et des interactions ayant lieu dans un MMORPG au sein d’un système communicationnel divisé en trois sphères. Dans l'espace physique, le spectateur confronté au jeu vidéo mobilise son corps percevant, alors que le joueur qui pratique engage en outre son corps agissant au profit de l'avatar, qui vaut en tant que corps incarné dans l'environnement immersif, lequel devient corps perçu par une tierce personne dans le jeu et sur l'écran. Selon les finalités ludiques ou extra-ludiques, les pratiquants prennent appui sur la matérialité et l'affordance de l'environnement, tout en se positionnant entre ces sphères actives et passives, internes et externes, dans une dialectique entre implication/engagement et recul/distanciation.

Figure 1 : Représentation théorique de l'expérience immersive communicationnelle (Bonfils, 2014).

Figure 1 : Représentation théorique de l'expérience immersive communicationnelle (Bonfils, 2014).

Ainsi, d’une part se trouvent les sphères privée et professionnelle qui renvoient à l’ensemble des interactions menées par l’utilisateur avec d’autres utilisateurs. Par souci de lisibilité, nous utilisons ce terme d’utilisateurs de manière générique pour faire référence à l’ensemble des sujets physiques utilisant une sphère, sans distinctions entre ceux étant bel et bien des utilisateurs de World of Warcraft et les autres. Ces sphères ont pour énonciateur et destinataire un utilisateur qui peut s’engager dans l’espace des possibles, par la perception et l’imaginaire (spectateur) ou en plus par l’action (acteur).

D'autre part existe la sphère du jeu au sein de laquelle se déroule l’ensemble des interactions menées par les avatars, en tant qu’énonciateur et destinataire, qui peuvent aussi s’engager dans l’espace des possibles ou de l’action.

Note de bas de page 3 :

Par exemple, il arrive qu’un message énoncé par un membre de la communauté d’avatars et à destination d’un autre membre de sa communauté d’avatars transite par la communauté numérique. C’est le cas des groupes Facebook propres aux guildes ou dédiés à World of Warcraft

Il serait ainsi limitatif de prétendre que les interactions menées au sein de la sphère du jeu n’engagent que les avatars, ou uniquement les utilisateurs pour celles qui relèvent de la sphère privée et/ou professionnelle. Les frontières séparant les sphères sont alors caractérisées par leur porosité dans la mesure où les messages transitent souvent par un espace tiers3, à travers une autre sphère (Ghoul Samson et Bonfils, 2017).

Ainsi, les données récoltées dans la recherche doctorale nous ont permis d’observer que les interactions entre avatars se poursuivent audelà de l’environnement immersif, en dehors du strict cadre de la sphère du jeu. Ainsi, les membres d’une des guildes que nous suivons ont instauré un groupe Facebook leur permettant de communiquer dans la sphère du jeu sans être directement connectés à World of Warcraft. Or, tout en rejoignant ce groupe avec leur compte issu de la sphère privée, c’est bien sous l’identité de leurs avatars qu’ils y interagissent, négligeant ainsi les éléments de leur identité propres à la sphère privée pourtant explicitement affichés.

Si le fait que le canal de communication emprunté par un message appartienne à une sphère différente de celui de l’émission et de la réception démontre bel et bien la porosité des frontières, cela ne permet pas d’affirmer que cette porosité soit une variable explicative des interactions. Ainsi, nous pourrions être amenés à penser – et donc à formuler l’hypothèse – que la position d’un avatar au sein de sa guilde ne serait corrélative qu’à son degré de participation, à la force de sa présence au sein de cette dernière. Ce qui reviendrait à dire que la place occupée par un avatar dans la sphère du jeu ne dépend que d’éléments propres à celle-ci (temps de présence, capacité à communiquer avec les autres membres, à tisser des liens, à s’investir, à réussir des actions de jeu, etc.) et que d’un point de vue interactionnel, il ne serait pas pertinent de mobiliser les autres sphères, hormis lorsqu’elles servent de canal pour transmettre un message.

4.2 Taux de participation, effets de présence et capital sympathie

Pour investiguer de manière exploratoire ces dimensions, nous avons fait passer à la guilde 2 un questionnaire cherchant à évaluer, pour les avatars les plus actifs de la guilde :

  • la fréquence de communication avec les autres avatars

  • la volonté et le désir de mieux les connaître

  • le ressenti général envers chacun des autres avatars.

En somme, ces éléments constituent ce que nous pourrions appeler le capital sympathie de l’avatar, puisqu'un score élevé indique une bienveillance des autres membres de la sphère du jeu.

Ce questionnaire constitué de cinq questions proposait des réponses selon une échelle de Lickert (en 5 points). Il a été mis à disposition en ligne et s’adressait avant tout aux membres participant le plus régulièrement aux raids (mais tous les avatars de la guilde étaient conviés à y répondre). Sur ce public ciblé, nous avons obtenu un taux de réponse de 75 %, en moins d’une semaine (15 répondants).

Pour mettre à l’épreuve notre hypothèse selon laquelle la position d’un avatar au sein de sa guilde ne serait corrélative qu’à la force de sa présence, nous avons couplé les résultats de ce questionnaire avec le taux de participation aux raids et le rang hiérarchique de l’avatar, ce qui nous permet de proposer le tableau suivant :

Note de bas de page 4 :

Les identités des utilisateurs et avatars étant anonymisées, il sera fait référence à eux comme Avatar 1, Avatar 2, etc… Sachant qu’Avatar 1 fera référence au même couple utilisateur/avatar tout au long du texte.

Tableau 2. Croisement des données issues des réponses au questionnaire et du taux de participation aux raids.4

Note de bas de page 5 :

. Les identités des utilisateurs et avatars étant anonymisées, il sera fait référence à eux comme Avatar 1, Avatar 2, etc… Sachant qu’Avatar 1 fera référence au même couple utilisateur/avatar tout au long du texte.

Score au questionnaire (sur 23)

Taux de participation total, en % (rang)

Taux de participation depuis entrée Avatar 1, en % (rang)

Avatar 15

17,93

65,45 (13)

87,80 (6)

Avatar 2

17,92

87,27 (4)

95,12 (2)

Avatar 3

17,41

98,18 (1)

100,00 (1)

Avatar 4 (O)

16,55

67,27 (11)

65,85 (13)

Avatar 5

15,99

87,27 (3)

92,68 (4)

Avatar 6

15,58

45,45 (18)

60,98 (16)

Avatar 7 (O)

15,56

65,45 (12)

56,10 (19)

Avatar 8 (GM)

15,42

92,73 (2)

95,12 (3)

Avatar 9

15,22

70,91 (8)

92,68 (5)

Avatar 10

14,92

58,18 (15)

65,85 (15)

Avatar 11

14,89

67,27 (10)

75,61 (10)

Avatar 12

14,58

60,00 (14)

65,85 (12)

Avatar 13

14,17

74,55 (5)

75,61 (9)

Avatar 14

12,50

70,91 (7)

75,61 (11)

Avatar 15 (Co-GM)

12,10

56,36 (16)

56,10 (17)

Avatar 16

9,98

70,91 (6)

78,05 (8)

Avatar 17

9,74

10,91 (28)

14,63 (27)

Avatar 18

9,58

16,36 (27)

21,95 (25)

Avatar 19

9,17

50,91 (17)

65,85 (14)

Avatar 20

8,25

70,91 (9)

82,93 (7)

Note de bas de page 6 :

La donnée entre parenthèses et en gras indique le classement, décroissant, de ce taux de participation aux raids. Par exemple, Avatar 4 est le 11ème avatar ayant le plus participé à ces événements

Avant toute chose, nous tenons à rappeler que ces données sont à prendre avec précaution et il faut garder à l’esprit qu’il s’agit là d’éléments exploratoires. Pour lire ces données, il est nécessaire de savoir que la colonne « Score au questionnaire » classe les avatars selon le score total (théorique de 23 points) obtenu au questionnaire, par ordre décroissant. Avatar 1 est donc l’avatar ayant le capital sympathie le plus élevé, car le plus apprécié par les autres membres de la guilde selon les critères que nous avions fixés. La colonne suivante indique le taux de participation total aux raids de chaque avatar6. De la sorte, Avatar 1 est premier pour le questionnaire, mais il n’est que le 13ème avatar ayant le plus participé aux raids, contrairement à Avatar 3 qui est 3ème au classement du questionnaire, alors qu’il est l’avatar ayant la meilleure assiduité aux raids.

De manière générale, il ressort de ces premières informations, une grande disparité entre le capital sympathie des avatars et leur présence dans les raids, événements rythmant pourtant la vie de la guilde. Mais, dans la mesure où la composition de la guilde évolue et que les données établissant le taux de participation sont recueillies à partir du jour de notre admission en son sein, nous pourrions penser que cette disparité est uniquement due au fait qu’Avatar 1 – par exemple – ait rejoint la guilde plus tardivement (ce qui est bel et bien le cas), ce qui rend ce taux non représentatif de sa participation effective. C’est pourquoi nous proposons un second classement des participations partant de l’entrée dans la guilde d’Avatar 1 (dernière colonne du tableau). Il en résulte que tout en tendant à diminuer, les écarts restent fortement présents. Par souci de lisibilité, nous n’avons reproduit ce type de données que pour l’exemple d’Avatar 1, mais ce résultat est valable avec l’ensemble des avatars. L’idée selon laquelle le temps de présence de l’avatar serait la variable explicative de la place au sein du groupe est donc à nuancer.

Cet élément tend à se renforcer quand nous prenons aussi en compte la position officielle au sein de la guilde. Il convient, en effet, de préciser que si l’organisation interne des guildes est laissée au choix de ses membres, les concepteurs du dispositif ludique ont imposé une hiérarchie comportant au moins deux rangs : le chef de guilde (GM, Guild Master) et les autres. Dans les faits, nos observations montrent que les guildes s’organisent autour d’un corps d’officiers (souvent appelé Team off) et de divers grades de membres. Dans le cas que nous détaillons, la Team off est composée de quatre avatars (leurs noms sont suivis d’un (GM), (Co-GM) ou (O) dans le tableau précédent). Si l’on met cette donnée en relation avec le taux de participation, il apparaît que parmi les dix membres les plus actifs, un seul fait partie du corps d’officiers, alors que cette frange de la guilde est loin d’être négligeable, rassemblant près de la moitié (47,39 %) du nombre total de participations.

Note de bas de page 7 :

Données issues d’entretiens informels réalisés entre avril 2016 et novembre 2017. Par souci de transparence scientifique et de lisibilité, toutes les données issues d’entretiens formels et informels seront indiquées par un astérisque. Ces informations ayant été récoltées tout au long de l’étude et au cours de plusieurs conversations, au cours de la période allant d’avril 2016 à novembre 2017.

Si ni le taux de participation ni le rang au sein du groupe ne suffisent à expliquer la place affectivo-communicationnelle (mesurée par le capital sympathie) d’un avatar au sein du groupe, cela démontre l’insuffisance de ne raisonner qu’à l’intérieur d’une sphère. Il est donc nécessaire de prendre en compte l’intégralité du système, formé par les trois sphères interactionnelles, pour saisir les interactions en jeu. Ainsi, en adoptant ce résultat, il devient possible de comprendre et d’expliquer le fait que l’avatar de Avatar 15 (occupant seulement la 15ème place du questionnaire et la 16ème en termes de participation) soit le seul à avoir le rang de « Co-GM » (soit, co-chef de la guilde), puisque l’utilisateur de cet avatar est l’épouse du GM *7.

5. Des situations complexes et en équilibre fragile

5.1. Tensions et déséquilibre

Note de bas de page 8 :

Chaque joueur pouvant avoir créé et recourir à plusieurs avatars.

La discussion suivante s’intéresse aux tensions issues de la codépendance entre les utilisateurs et leur(s) avatar(s)8. Pour commencer, nous postulons que le niveau d’engagement de l’un contraint les champs d’action de l’autre. Ainsi la régularité et le temps de présence de l’avatar au sein de la sphère du jeu sont contraints par la disponibilité de l’utilisateur induite par ses obligations au sein de la sphère privée/professionnelle. Par exemple, il est fréquent de voir les avatars des utilisateurs militaires disparaître pendant plusieurs semaines quand ils sont en opération, ou de ne rencontrer certains avatars que durant la nuit car l’utilisateur se trouve au Québec et travaille la nuit.

Note de bas de page 9 :

Le détail de ces temps de jeu totaux sont disponibles sur une vidéo issue de Youtube et disponible à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/watch?v=nr2EDJPaXQ8 (consulté le 10 janvier 2018).

D’une manière similaire, l’intégration de l’avatar au sein d’une guilde crée un ensemble d’obligations sociales l’amenant à se connecter régulièrement pour y répondre et éviter la stigmatisation ou l’exclusion du groupe au sein duquel il a tissé des liens sociaux. Comme nous l’avons vu lors de la description du terrain, les guildes que nous avons suivies organisent trois soirs de raids par semaine. Pour être membre (et bénéficier de tous les avantages liés à ce grade), il est demandé de participer, au moins, à deux de ces soirées, voire davantage pour les avatars les plus investis. Ainsi, on observe au sein de la plus importante guilde que les dix membres ayant le plus joué cumulent un total compris entre 765 et 1 178 jours de jeu étalés sur une dizaine d’années9. Cette moyenne quotidienne de présence dans la sphère du jeu comprise entre cinq et six heures et demie laisse supposer un certain nombre de contraintes et arrangements pour mener à bien des interactions au sein des sphères privée/professionnelle.

Pour certains utilisateurs, ce sur-engagement « tient en équilibre ». Pour d’autres, il créé au contraire un déséquilibre qui peut entraîner la disparition pure et simple de l’avatar. C’est, par exemple, le cas d’Avatar 3 qui, bien qu’ayant été le plus assidu aux raids de la Guilde 2, a obtenu un très bon score au questionnaire et occupé une fonction d’officier pendant plusieurs mois – disparut du jour au lendemain. Cette décision peut s’expliquer par le fait que l’utilisateur de cet avatar avait entamé, au sein de la sphère privée, une nouvelle étape dans sa relation avec sa compagne et ne souhaitait donc plus avoir à s’absenter trois soirs par semaine pour rejoindre la sphère du jeu et assister aux raids*.

À l’inverse, lorsque c’est la sphère du jeu qui prédomine sur les espaces liés à l’utilisateur, il est possible d’observer des situations contraires, comme des couples se séparant, des environnements familiaux s’inquiétant pour la capacité de leurs enfants à entretenir des liens sociaux, etc. En somme, ce déséquilibre peut modifier la perception que les membres des sphères privée/professionnelle auront de l’utilisateur en le qualifiant de no-life, un joueur pathologique souffrant d’une addiction aux jeux vidéo (pathologie faisant débat mais à l’agenda de l’OMS pour sa reconnaissance courant 2018).

5.2. Compensations et équilibre

Cependant, dans la mesure où tous les utilisateurs ne suppriment pas leurs avatars après quelques mois de jeu et que les avatars présents n’émanent pas d’utilisateurs pathologiques, nous observons que la plupart du temps se met en place un système de compensation entre les sphères interactionnelles menant à une situation d’équilibre où utilisateur et avatars peuvent « co-vivre ».

Il apparaît ainsi que la sphère professionnelle, tout en contraignant le temps de présence potentiel de l’avatar, peut le faire bénéficier de compétences ou d’attributs spécifiques. Par exemple, le rôle de Raid Leader (organisateur des raids) au sein de la Guilde 2 avait été confié à un avatar dont le GM savait que l’utilisateur était sous-officier dans l’armée de terre*. Il a donc déduit de l’activité professionnelle de cet utilisateur qu’il serait apte à diriger les raids de la même manière qu’il devait le faire quotidiennement avec ses subalternes*. De manière similaire, le taux de présence aux raids très important (97,41 %) de l’un des avatars de la Guilde 1 n’est pas la traduction d’une prédominance de la sphère du jeu sur la vie privée, mais le reflet d’un éloignement géographique. En effet, habitant au Québec et travaillant depuis son domicile, les raids ont lieu pour lui au cours de l’après-midi, c’est-à-dire, quand sa fille et son épouse sont absentes du domicile familial*.

Note de bas de page 10 :

L’éditeur de WoW, Blizzard, organise depuis la Blizzcon de 2008 un championnat du monde « d’Arène » (PvP, Joueur contre Joueur) et depuis 2017, un championnat de « Donjons Mythiques » (PvE, joueur contre l’environnement contrôlé par l’ordinateur). De plus, une frange des streameurs (joueurs se filmant en live pendant qu’ils jouent) peut être qualifiée de joueurs professionnels, dans la mesure où ils ne vivent que de cette pratique qui leur demande investissement et organisation

Symétriquement, l’investissement très important de certains avatars peut permettre à leurs utilisateurs d’entreprendre une carrière en tant que joueur professionnel (pro-gamer)10. Bien qu’une infime partie des utilisateurs soit concernée par ce type de carrière, elle propose de plus en plus de débouchés et de reconnaissance sociale (aussi bien au sein de la sphère du jeu que de la sphère privée). Dans un autre registre, la Guilde 1 organise tous les ans une IRL (In Real Life, une rencontre dans la vraie vie) où les identités des avatars et les utilisateurs

« s’entrechoquent » le temps d’un weekend*. Tout en renforçant les liens entre les avatars du groupe, ces moments ouvrent la voie d’une transposition des liens formés dans la sphère du jeu à la sphère privée, voire professionnelle. Cela peut produire des liens d’amitié/amoureux/professionnels inter-utilisateurs qui alimentent, voire dépassent, ceux entre avatars*.

Nous voyons donc que la résolution de la complexité de la tension induite par les contraintes respectives de l’utilisateur et de l’avatar peut se faire à travers un procédé de vases communicants entre les sphères interactionnelles, dans la mesure où l’une des sphères va permettre de compenser la faiblesse ou la prédominance d’une autre. Il nous semble que ces observations renforcent la nécessité de prendre en compte l’intégralité du système, et donc sa complexité, pour saisir des interactions qui, sinon, ne resteraient que partiellement compréhensibles (comme l’illustre la forte présence de l’avatar québécois ou la soudaine suppression d’un avatar pourtant bien inséré au sein de la sphère du jeu).

6. Conclusion

À travers cette étude d’une expérience immersive dans un contexte ludique, il apparaît que l’engagement dans cet environnement n’est, contrairement à certains présupposés, ni automatique, ni aisé. Car ce dispositif met en jeu un ensemble de sphères distinguant les espaces au sein desquels les sujets (utilisateurs ou avatars) interagissent. Pour s’immerger, il est donc nécessaire de fournir un effort d’engagement, ce qui implique, d’un point de vue analytique, de délaisser son corps physique – donc le vecteur de communication non verbale et de représentation sociale qu’il est – pour prendre possession sur le plan sensori-moteur et symbolique du corps numérique de l’avatar, lui-même doté de capacités non verbales (gestes, postures, déplacements…).

L’ensemble de ces considérations nous incitent à tenter de comprendre l’articulation entre ces sphères et les corps qui les habitent. Il apparaît que les utilisateurs et les avatars font face à un complexe et multiple jeu de contraintes ne pouvant être conceptualisé qu’en considérant l’ensemble des sphères.

Cette prise en compte de la complexité a permis de montrer que les sujets (utilisateurs et avatars) d’une expérience immersive sont en quête d’une situation d’équilibre à l’intersection des sphères dans lesquelles ils interagissent. Cet équilibre se produit par un jeu de compensation, de telle sorte qu’un (ou plusieurs) élément(s) d’une sphère puisse contrebalancer une sphère en déséquilibre.