Nasreddine Bouhaï et Imad Saleh, Supports et pratiques d’écriture en réseau, Revue Document numérique, vol. 14 – n° 3. Hermes-Lavoisier, 2011

Aude Seurrat 

Texte intégral

Le numéro 3/2011 de la revue Document numérique est consacré aux « Supports et pratiques d’écriture en réseau ». Ce numéro pourra intéresser les lecteurs d’Interfaces numériques à maints égards.

Issues de la 11e édition de la conférence H2PTM qui s’est déroulée du 12 au 14 octobre 2011 à Metz, les contributions de ce numéro sont un bon exemple de la pluralité des approches – socio-économiques, sémantiques, sémiotiques, communicationnelles, socio-politiques, etc. – qui nourrissent les travaux sur les médias informatisés. L’un des intérêts principaux de ce numéro est qu’il prend en compte les spécificités des écritures numériques tout en les inscrivant dans une optique de temps long, comme en témoigne le sous-titre du numéro « Entre mutations et convergences ».

Ce numéro articule propositions théoriques et études de cas concrets et se situe à la croisée des enjeux scientifiques et opérationnels (notons que deux des contributions sont issues d’expériences de recherche et développement). Les études de cas proposées nous semblent offrir un beau panorama des problématiques que soulèvent les écritures numériques.

Note de bas de page 1 :

Stéphane Crozat, Bruno Bachimont, Isabelle Cailleau, Serge Bouchardon, Ludovic Gaillard.

Le premier article, « Eléments pour une théorie opérationnelle de l’écriture numérique »1, propose un modèle théorique pour analyser et concevoir des systèmes d’écriture numérique. S’inscrivant dans la suite des travaux de Jack Goody, les auteurs insistent sur le fait que les mutations permises par les écritures en réseau agissent sur la nature même des connaissances qui sont médiées. Pour les auteurs, les trois niveaux du numérique vont « du plus abstrait, sa forme binaire en machine, au plus concret, sa forme sémiotique interprétable par l’humain. » (p. 10). Différents exemples sont mobilisés pour illustrer cette théorie opérationnelle tels que la webarchive, le webdocumentaire ou encore le blog personnel. L’intérêt de cette approche est qu’elle permet de décomposer les étapes de la conception d’un système numérique. L’un des prolongements pourrait être d’expliciter plus précisément les rapports entre ces différents niveaux. En conclusion, les auteurs insistent sur l’importance d’une approche socio-politique des médias informatisés pour penser ces enjeux de « savoirs » et de « pouvoirs ». Cette perspective nous semble en effet centrale pour les recherches actuelles sur ces questions.

Le deuxième article, écrit par Eleni Mitropoulou, traite de « la communication écrite par téléphone » et montre « la complexité sémiotique de la communication interpersonnelle » (p. 54). L’auteur propose un dialogue entre sciences du langage et sciences de l’information et de la communication afin d’appréhender les spécificités du langage SMS. L’un des intérêts de cette contribution est que l’auteur envisage ces formes d’écriture non pas comme des corpus figés mais en tant qu’actions créatrices de « sens » et de « transformations ». L’article questionne la dimension fragmentaire du Langage SMS et fait une distinction très heuristique entre « écriture fragmentaire » et « écriture fragmentée ». En se penchant sur les spécificités visuelles et scripturales du langage SMS, l’auteur envisage les dimensions inventives de ces pratiques et montre comment de multiples signifiants sont élaborés pour un même signifié. Le langage SMS est ainsi envisagé comme « un vivier de formes d’expression en construction permanente » (p. 44)

Le texte de Bernard Jacquemin, « Autorégulation de rapports sociaux et dispositif dans Wikipedia », porte sur la mise en place des modalités de gouvernance dans un dispositif collaboratif tel que Wikipedia. Un historique du dispositif permet à l’auteur de montrer que la collaboration est peu structurée par les principes qui fondent le fonctionnement de Wikipedia. L’article questionne ensuite la manière dont le dispositif influence l’organisation de la communauté et, inversement, la manière dont la communauté aménage, voire transforme le dispositif afin de réguler son fonctionnement. L’article, parfois un peu descriptif, a le mérite de montrer comment le dispositif évolue, est négocié par ses usagers. L’exemple de la création des comités d’arbitrages est très révélateur des écarts entre l’égalité entre membres prévue à l’origine et le fonctionnement réel du dispositif.

Le quatrième article, « La presse écrite sur le web et ses lecteurs comme limites aux techniques de personnalisation de l’information » offre une approche sur les usages des newsletters et sur les stratégies économiques mises en place par les acteurs marchands. Laurent Collet se fonde pour cela sur une recherche appliquée menée pour un éditeur de contenu et régie publicitaire sur le web. Cette recherche a notamment permis d’analyser un corpus de newsletters et de faire une typologie des réactions d’un panel d’usagers. L’auteur conclut sur des recommandations pour les éditeurs de newsletters. Il serait peut-être néanmoins intéressant d’expliciter ce que l’auteur entend par la nécessaire construction d’un « cadre commun ».

Enfin dans le dernier article, « Structures et contenus des sites d’information français », Nathalie Pignard-Cheynel et Florence Reynier analysent l’architecture de douze sites d’information français. Cette analyse, d’une grande rigueur méthodologique, se penche à la fois sur les contenus de ces pages et sur les formats mobilisés. Elle montre comment le texte y tient toujours une position hégémonique. Il nous apparaît que la notion d’architexte développée par Yves Jeanneret et Emmanuël Souchier pourrait enrichir les approches des deux dernières contributions. En effet, elle permet de penser ces cadres qui préfigurent, en partie, les écritures numériques.

Ce numéro est ainsi riche en approches complémentaires sur les médias informatisés et propose des études de cas concrets qui peuvent être un appui méthodologique pour des études ultérieures. On pourrait néanmoins juste regretter l’usage du terme « dématérialisation » qui ne nous semble pas correspondre au souci des pratiques matérielles d’inscription dans les espaces numériques.

Les perspectives de recherche ouvertes par ce numéro sont nombreuses, nous insistons sur celle qui concerne une socio-politique des médias informatisés. En effet, il nous apparaît que les supports et pratiques d’écriture en réseau sont pris dans des enjeux de pouvoir qui transforment notre relation au savoir.