Pierre Musso, L’Imaginaire industriel, Éditions Manucius, 2014

Benoît DROUILLAT 

Texte intégral

Pierre Musso, instigateur en 2010 de la chaire « modélisations des imaginaires, innovation et création », dirige la petite collection éponyme dont la vocation est de rendre disponible les conférences présentées lors des rencontres des « Jeudis de l’imaginaire ». L’objet de cette chaire de recherche fondamentale et appliquée est « l’expérimentation et la formation sur les imaginaires des acteurs engagés dans les processus interdisciplinaires d’innovation et de création et sur les nouvelles formes industrielles ».

Dans cet ouvrage, Pierre Musso introduit la notion d’imaginaire industriel et en retrace la généalogie depuis ses sources, à la moitié du XVIIe siècle, jusqu’à ses développements actuels, qui s’incarnent dans les industries du numérique. L’auteur examine tout d’abord l’association de deux notions a priori sans articulation, l’imaginaire et l’industrie. Pour lui, l’imaginaire se définit surtout comme un « langage fait de narrations, de récits et d’univers de formes et d’images dynamiques ayant une certaine cohérence ». L’industrie, quant à elle, désigne étymologiquement l’ingéniosité attachée à un savoir-faire, puis les « opérations qui concourent à la production et à la circulation des richesses ».

Pierre Musso met ici en lumière les relations étroites qui se construisent, au fil des siècles, entre les imaginaires des techniques industrielles et les imaginaires culturels.

Pour aborder l’émergence de l’imaginaire industriel et l’institutionnalisation progressive de l’industrie au cours du XIXe siècle, il retrace l’influence des philosophes qui en ont permis la réalisation. C’est en particulier chez ces deux théoriciens importants, Saint-Simon et Auguste Comte, qu’il puise ses références. Pour Saint-Simon, l’industrie revêt de nombreuses vertus, garantes de prospérité et d’équilibre de la société. Il est également le premier à associer science et industrie, en les présentant comme complémentaires. Auguste Comte et Michel Chevalier, disciples de Saint-Simon, célèbrent l’industrie. Les cérémonies industrielles traversent le XIXe siècle avec des expositions, des musées, des événements.

Musso met en évidence que l’imaginaire industriel est réversible, tantôt paradisiaque, tantôt infernal. Cette dualité se développe encore au XXe siècle, articulant d’une part l’imagerie de l’usine polluante et aliénante et d’autre part l’industrie du luxe et du loisir. Elle s’incarne dans de nombreux discours idéologiques et littéraires.

Les « industries de l’imaginaire » issues de l’imaginaire de l’industrie se déploient dès la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ce sont elles qui « mettent en récit » l’industrie. Elles reposent selon Pierre Musso sur trois articulations : l’industrialisme de Saint-Simon, le « hollywoodisme » associé à la rationalisation fordiste et taylorienne de la production industrielle (les « industries culturelles ») et le « siliconisme » associé aux technologies du numérique. Par-là, Musso parvient à créer un cheminement historique et théorique crédible pour sa thèse. Il conclut sur trois idées majeures, qui montrent les transformations possibles de l’industrie. La première est la dialectique entre l’industrie et la nature, une idée qu’il avait déjà développée plus tôt à propos de la formation de l’esprit industriel. Cette dialectique aboutit à la désindustrialisation et à la mort progressive de l’industrie ou à son alternative, l’évolution vers l’écologie industrielle, qui fait cohabiter la maîtrise de la nature aux besoins de production.

La seconde est la décentralisation industrielle, qui s’incarne dans les mouvements de la fabrication personnelle et numérique, par exemple celui des makers. Enfin, Musso entrevoit le scénario de la réinvention continue de l’industrialisation, à travers la troisième révolution industrielle, prophétisée par l’économiste Jeremy Rifkin. De ce tryptique, l’auteur retient surtout qu’il aboutit à « du naturel et du numérique collés sur du machinique », sans livrer sa conviction sur les contours précis du scénario qu’il privilégie.