Au péril de l’humain : les promesses suicidaires des transhumanistes, Agnès Rousseaux, Jacques Testart, Seuil, 2018

Estelle LUÇON 

Texte intégral

L’ouvrage Au péril de l’humain : les promesses suicidaires des transhumanistes, édité en mars 2018 par les éditions du Seuil a été co-écrit par Agnès Rousseaux, journaliste spécialiste des technosciences et des finances dans le média indépendant « Basta » et Jacques Testart, médecin et chercheur à l’origine du premier bébé éprouvette. La connaissance fine que ce dernier a des limites et les dérives des biotechnologies motive l’écriture de ce livre.

L’humain augmenté, les mutations rendues possibles grâce aux technosciences et au marketing constituent la thématique principale de ce travail. Y-a-t-il nécessité et/ou désirs fantasmatiques à vouloir augmenter l’humain ? De prime abord, les changements pratiqués sur l’homme induisent un questionnement quant à la condition de l’humain modifié/augmenté : Est-il encore un humain ? De nombreuses exemples de déploiement technoscientifique sont exposés. Parmi eux, des implants cérébraux pour booster nos capacités intellectuelles, des organes de rechange pour accroître notre durée de vie ou encore des bébés à la carte.

La cible de ces « innovations » reste un paramètre encore à définir. Seront-elles réservées uniquement aux personnes malades et handicapées ou également accessibles aux personnes bien portantes et/ ou ayant des moyens financiers importants ? De même, quel coût cela représentera-t-il et surtout qui détiendra le pouvoir de décision et d’attribution de telles pratiques ? De la même manière, quel statut auront chaque entité – humains, non-humains et presque-humains ? Les auteurs adoptent un regard sceptique sur ce monde dessiné par le mythe du progrès techno-scientifique particulièrement marqué par un abandon des diversités et des valeurs culturelles.

Ces humains augmentés seront-ils assujettis à des intérêts éthiques ou plutôt à des intérêts financiers ? En somme, les promesses des transhumanistes, celles de de fabriquer, designer le vivant, se fondent sur une conception mécaniste du vivant, opposée à ceux qu’ils nomment « bioconservateurs ». Souhaitons-nous employer « dans ce sens nos nouvelles connaissances scientifiques et technologies » (p.13) ?

Nous retenons de cet écrit trois grandes problématiques. Qui rêverait de pouvoir changer ses jambes comme bon lui semble à l’instar de l’athlète et mannequin Aimee Mullins, d’injecter du collagène dans ses talons pour faire disparaître la douleur ou encore d’avoir accès à un cœur artificiel pour pallier au manque d’organes disponibles pour les greffes ? A. Rousseaux et J. Testart expliquent que certaines mutations répondent désormais à des demandes plus fonctionnelles qu’esthétiques, ou encore, à des enjeux de santé publique. Seulement, lorsque la barrière du corps est franchie, des questions éthiques surviennent.

De même, qu’en sera-t-il de la brevetabilité du vivant ou de l’hybridation homme-animal ? Le philosophe Thierry Hoquet propose, quant à lui, une typologie de l’hybride et du « presque-humain » sous 6 formes : le Mutant, le Cyborg, l’Organorg, le Robot, le Bétail et le Zombie. Il y superpose le problème d’intégration de ces espèces dans l’espace des humains et une réduction d’eux-mêmes à leur fonction de « superpouvoir ».

En premier lieu, il est question de la médecine réparatrice qui « […] ne prétend qu’au bon fonctionnement du corps […] » (p.18). Or, le puçage de l’humain créerait deux espèces distinctes : les humains et les non-humains, et c’est dans cette situation que la barrière du corps est symbolique. Soigner, innover ou aider l’homme ne pose, a priori, aucun danger si les technologies le permettant ne sont pas intégrées ou reliées au cerveau. L’human enhancement, c’est un certain nombre de questions encore sans réponses : à partir de combien de prothèses un homme ne sera-t-il plus « naturel » ? L’homme, une fois en pièces détachées, le sera pour quelles parties du corps ? Ses muscles ? Pourront-elles se régénérer in vivo, c’est-à-dire automatiquement dans l’organisme ? Les techniques d’augmentation cognitive qui ont plusieurs usages interrogent les relations interhumaines.

Les transhumanistes, dont font partie les dirigeants de la Silicon Valley, ont pour volonté de « tuer la mort ». Ray Kurzweil, le pape des transhumanistes est de ceux-là. Fondateur de l’Université de la Singularité, il a proclamé qu’en 2045 les IA seront capables d’auto-évolution. Alors, la distinction entre les termes immortel et amortel est faite, le second étant préféré, car les humains pourront mourir, non plus par vieillesse, mais par accident ou suicide. Un « surplus de vie » qui renforcera les inégalités et l’injustice entre les hommes. En outre, fabriquer la vie est l’ambition de la biologie de synthèse et son objectif est de créer de toutes pièces des organismes vivants. Au-delà de l’acceptabilité et de l’utilité, il faut se poser la question : a-t-on vraiment demandé tout cela ?

En seconde partie, les auteurs explorent l’idéologie transhumaniste. Ce terme, utilisé pour la première fois en 1957, revient au biologiste anglais Julian Huxley. Mais son développement s’est généralisé dès les années 1940 avec le pathos d’une génération qui croyait à la fin du monde – apparition de la bombe atomique. Deux principaux courants transhumanistes s’opposent. Les Technoprog prônent un « hyperhumanisme », considéré comme très dangereux puisqu’il est justifié au nom du progrès social. Le cyberlibertarianisme, quant à lui, valorise, au travers des discours, les libertés individuelles au détriment des collectives. Leur point commun : une technologie salvatrice sans limites, celle d’un « technocorps » qui consiste à refaire l’homme pour refaire la société, la science et le monde. L’humain transformé n’est plus considéré comme un être vivant mais bien comme une machine. L’eugénisme, partie prenante du transhumanisme, permet un constat : dans un environnement artificiel, l’humain ne sera plus de la nature si l’« […] équilibre sensible et intellectuel ne se nourrit [que] d’algorithmes, de mécanismes automatiques et de télécommandes. » (p.169). Les auteurs voient dans le transhumanisme une forme de terrorisme intellectuel et émotionnel par le désir sacrificiel. Et si une telle idéologie suivait une réelle organisation et avait de précises cibles d’attaques ?

Pourquoi, comment s’échapper du transhumanisme ? Est-ce encore possible ? Telles sont les questions posées en troisième et dernière partie. Selon les transhumanistes, la possibilité d’un retour en arrière ou d’un arrêt est révolue. L’utilisation quotidienne des technologies donne l’impression de donner naissance non pas à des êtres humains améliorés mais plutôt diminués ou assistés. Cependant, les hommes ont la capacité, si ce n’est la responsabilité, de pouvoir façonner le monde dans lequel ils vivent, à l’inverse des machines, réduites à des conséquences d’actes intentionnels ou non. L’éducation permet à ce titre la transmission du passé à ne pas reproduire mais aussi la possibilité d’un futur élaboré dans lequel l’acceptabilité des technologies ne subordonne nullement l’éthique. La nature, après avoir été la cible d’agressions, retrouverait alors ses droits.

En somme, quels sont réellement les intérêts, apports de ces révolutions qui concernent de nombreuses disciplines ? Prenons de la distance par rapport à ces mondes envisagés et saisissons dans ce livre l’occasion d’en débattre.