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Le négationniste Vincent Reynouard relaxé pour des propos concernant le massacre d’Oradour-sur-Glane

Le négationniste Vincent Reynouard  relaxé pour des propos concernant le massacre d’Oradour-sur-Glane, commentaire sur le jugement du Tribunal judiciaire de Paris du 25 novembre 2020

Daniel KURI, Maître de Conférences de Droit Privé, Université de Limoges OMIJ (EA 3177)

Une fois de plus les habitants d’Oradour-sur-Glane seront déçus par une décision de justice. Selon le Tribunal de Paris, le 25 novembre 2020,  « la contestation [d’un crime de guerre], à la différence de son apologie, n’est pas susceptible de qualification pénale ».En conséquence, Vincent Reynouard a été relaxé des poursuites engagées à son encontre. Qui plus est, les médias ont surtout retenu que, dans le même jugement V.  Reynouard était condamné  à 4 mois de prison pour contestation de crime contre l’humanité  à la suite de la publication, le 3 mai 2017, d’une vidéo dans laquelle il niait l’existence de l’Holocauste[1].

Il est vrai qu’il était au cœur de cette infraction pour avoir nié l’existence de l’Holocauste (« prétendue holocauste »), minimisé grossièrement les exactions commises par les nazis durant la Seconde guerre mondiale en contestant le caractère massif de l’extermination des populations juives (« jamais les allemands n’ont planifié, ni perpétré une extermination de masse ») et remis en cause l’existence des chambres à gaz ayant permis ce crime de masse (« Ces gigantesques abattoirs chimiques, ceux qui sont vaguement décrits par les témoins sont une impossibilité physique et chimique »).

Selon le Tribunal, « Ces réductions outrancières du nombre effectif des victimes de la Shoah comme la minoration de leurs souffrances et la banalisation des crimes nazis caractérisent en l’espèce le délit de contestation de crime contre l’humanité ». Nous n’insisterons pas sur cette condamnation qui se situe dans le droit fil de la jurisprudence en la matière. Nous sommes, d’ailleurs, revenus récemment sur cette question, malheureusement toujours d’actualité[2].

Pour revenir aux propos de V.  Reynouard concernant le massacre d’Oradour-sur-Glane, qui avait motivé le déclenchement de l’action publique à son encontre, on peut les rappeler  très brièvement tant ils sont ineptes, méprisables et honteux, notamment à l’égard des descendants des familles des martyrs.

Dans deux vidéos, des 13 et 14 mai 2017, intitulées « Mon défi au président Macron qui prostitue les morts », V.  Reynouard, comme il l’a déjà fait plusieurs fois[3], avait contesté les crimes commis par la division SS Das Reich lors du massacre d’Oradour-sur-Glane, le 10 juin 1944. La LICRA et le MRAP avaient alors saisi la justice en considérant que les faits étaient prévus  et réprimés par les articles 23 et 24 bis de la loi du 29 juillet 1881.

Avant de se prononcer sur les faits de l’espèce, le Tribunal va tout d’abord rappeler les définitions des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre et souligner que la loi du juillet 1881 réprime l’apologie de crime de guerre[4].

« Constituent des crimes imprescriptibles contre l’humanité, au sens de l’article 6 (c) du statut du Tribunal militaire international de Nuremberg annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, les actes inhumains et les persécutions qui au nom d’un Etat pratiquant une politique d’hégémonie idéologique, ont été commis de façon systématique, non seulement contre les personnes en raison de leur appartenance à une collectivité raciale ou religieuse, mais aussi contre les adversaires de cette politique, quelle que soit la forme de cette opposition.

 Les crimes  de guerre sont définis par l’article 6 (b) du statut du Tribunal militaire international de Nuremberg  annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945. Ils se distinguent des crimes contre l’humanité en visant plus largement les violations des lois et coutumes de la guerre et notamment l’assassinat des populations civiles dans les territoires occupés en violation des dites lois.

La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, en son article 24 alinéa 5, en réprime l’apologie, étant précisé que celle-ci suppose que les propos incriminés constituent une justification des dits crimes ».

 

A l’aune des définitions de ces divers crimes et de l’évocation de la répression de l’apologie de ceux-ci,  le Tribunal, avec une formule sobre et ciselée, va relaxer V. Reynouard des faits reprochés concernant le massacre d’Oradour.

En effet, selon les juges, « ce crime s’analyse non en crime contre l’humanité au sens de l’article 6 du statut du Tribunal militaire international de Nuremberg  annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, mais en un crime de guerre selon ce texte. La contestation d’un tel crime, à la différence de son apologie, n’est pas susceptible de qualification pénale ».

Dans ces conditions, la poursuite engagée contre Vincent  Reynouard […], du chef de contestation de l’existence d’un crime contre l’humanité tels que définis par l’article 6 du statut du Tribunal militaire international de Nuremberg  annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 ne peut aboutir ».

A l’annonce de la relaxe de V.  Reynouard, différents points de vue ont été exprimés.
Du côté de l’Association Nationale des Familles des Martyrs d’Oradour-sur-Glane, c’est la lassitude qui l’emporte. « Nous sommes déçus mais nous ne sommes pas surpris de cette décision de justice. Reynouard s’engouffre dans cette brèche car il connaît parfaitement la réglementation », explique Claude Milord, président de l’association des familles des martyrs  d’Oradour-sur-Glane.
Si l’on peut légitimement comprendre l’indignation des Limousins, le juge pénal n’avait pas vraiment la possibilité de faire un autre choix, sauf à ne pas respecter les principes du droit pénal, notamment le principe de l’interprétation stricte de la loi pénale.

Comme nous l’avions déjà suggéré, il faut réfléchir à une modification de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 et  sans doute prévoir, dans certains cas, la répression de la contestation de crime de guerre.

Comme le rappelait l’historien Michel Kiener, « […]. En fait, les rédacteurs de la loi Gayssot ont oublié de stipuler la notion de crime de guerre dans les textes. Il faut que les associations, les législateurs s’emparent de cet oubli. Personne ne peut défendre la contestation de crime de guerre ». 

Cette modification de l’article 24 bis est d’autant plus nécessaire que la Cour de cassation défend une lecture stricte de l’apologie de crimes de guerre. Ainsi, alors que la Cour d’appel de Limoges, le 4 juin  2004, avait condamné V.  Reynouard à 24 mois d’emprisonnement dont six ferme, pour apologie de crimes de guerre dans une vidéo consacré au massacre d’Oradour,  la chambre criminelle de la Cour de cassation, le 12 avril 2005[5], avait cassé l’arrêt en estimant, que V. Reynouard ne se livrait, dans cette vidéo, à aucune glorification des crimes commis à Oradour et que cela ne constituait donc pas une apologie.

 

Cela étant, il faut à l’occasion d’une éventuelle modification de l’article 24 bis prendre en compte la liberté de recherche en histoire et ne pas empêcher ou fragiliser le travail des historiens et des chercheurs authentiques.

A cet égard, un texte modifiant l’article 24 bis devrait à la fois respecter cette liberté de recherche et considérer, comme la Commission européenne des droits de l’Homme (aujourd’hui supprimée), que cette liberté de recherche n’est pas absolue. On peut rappeler, à ce sujet, la décision de la Commission Marais c/ France  du 24 juin 1996.

Pierre Marais, ingénieur retraité, avait, à propos des crimes commis au camp de concentration de Struthof, tenté de démontrer l’invraisemblance de l’asphyxie rapide, et simultanée, de 30 personnes, du fait de l’énorme quantité d’eau qui aurait été nécessaire pour réaliser une telle opération. Après sa condamnation par les juridictions françaises, il avait saisi la justice européenne.

La Commission européenne des droits de l’homme, dans sa décision du 24 juin 1996, avait déclaré irrecevable la requête de ce sinistre requérant, qui ne revendiquait, d’ailleurs,  aucune compétence scientifique particulière[6]. Pour rejeter sa requête, la Commission avait néanmoins réfuté son argument suivant lequel la recherche scientifique ne serait pas exposée aux restrictions au droit à la liberté d’expression admise à l’article 10 paragraphe 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Cette affirmation, qui depuis n’a jamais été démentie par la Cour elle même, marquait ainsi la fin des espoirs que de véritables chercheurs pourraient nourrir de faire du droit à la liberté de la recherche un droit absolu. En outre, la Commission avait estimé que les écrits de M. Marais allaient à l’encontre des valeurs fondamentales telles que l’exprime le préambule de la Convention, à savoir la justice et la paix, et qu’il avait tenté de détourner l’article 10 de la Convention en utilisant son droit à la liberté d’expression à des fins contraires à l’esprit de la Convention. En conséquence la Commission avait estimé que sa condamnation au titre de la loi « Gayssot » avait constitué une ingérence nécessaire dans une société démocratique au sens de l’article 10 paragraphe 2 de la Convention[7].

 

L’article 24 bis modifié pourrait ainsi prévoir que la contestation d’un crime de guerre, si elle demeure toujours possible, suppose que la personne contestant le crime de guerre soit de bonne foi et  respecte la  méthodologie historique.

On pourrait d’ailleurs partir du postulat selon lequel « […] la bonne foi, chez l’historien procède de la légitimité du but poursuivi et se révèle dans le sérieux de la méthode observée »[8].                                                                                                                                        Le délit de contestation de crime de guerre viserait, en conséquence, les personnes de mauvaise foi en raison du caractère illégitime du but qu’elles poursuivent et qui ne respecteraient pas la méthodologie historique. Celles-ci s’exposeraient, alors, à des sanctions pénales.

 

De façon moins générale, il serait, sinon, possible d’ajouter, dans l’article 24 bis, que la contestation du crime de guerre d’OradoursurGlane est,  en soi même,  un délit.

Personne n’oserait  soutenir que le législateur réécrit l’Histoire dans la mesure où le massacre et ses conditions (ses préparatifs, son déroulement) sont une vérité historique et judiciaire incontestable, et partagée sur le plan international.

 

En tout état de cause, si on préfère ne pas modifier l’article 24 bis, et si celui-ci est maintenu dans sa rédaction actuelle, il faut que la Cour de cassation donne un plus large pouvoir d’appréciation aux juges du fond –  quitte à porter atteinte au principe de l’interprétation stricte de la loi pénale – en cas de mauvaise foi manifeste de celui qui conteste un crime de guerre[9]. La mauvaise foi, comme nous l’avons souligné plus haut, se déduisant de l’absence de légitimité du but poursuivi et du non respect de la méthodologie historique par la personne contestant le crime de guerre.

 

Cependant, cette demi-victoire de V. Reynouard devant le Tribunal judiciaire de Paris le  25 novembre 2020 a été de courte durée. En effet, le même V. Reynouard a été à nouveau condamné, le 22 janvier 2021, par la même juridiction, pour contestation de crime contre l’humanité, à six mois de prison ferme, pour une vidéo publiée le 7 octobre 2019 dans laquelle il nie la réalité de la Shoah[10].

L’« histoire » falsifiée n’est, malheureusement, qu’un éternel recommencement…

 

 

[1] Comme le relevait l’historien M. Kiener  « Ce que retient la presse nationale, c’est la condamnation de Vincent Reynouard pour contestation de crime contre l’humanité, mais pas cette relaxe concernant un crime de guerre comme Oradour.»

[2] « Le négationnisme n’est pas mort en France », IiRCINFO 2020-36.pdf

[3] Cf. infra.

[4] Du point de vue technique, le jugement prend la forme parfaite du syllogisme judiciaire.

[5] Crim. 12 avril 2005, n° 04-84.288, Bulletin criminel 2005, n° 128.

[6] Selon P. Marais, « il s’était intéressé à cette question car les historiens ne s’y intéressaient pas ». Ce qui était également faux…

[7] Voir, pour plus de précisions sur cette question, notre article coécrit avec J.-P. Marguénaud, « Le droit à la liberté d’expression des universitaire », D. 2010, p. 2921.

[8] N. Mallet-Poujol, note sous Cour d’appel de Paris, 17 septembre 1997, D. 1998 p. 434.

[9] Voir en ce sens la Cour d’appel de Limoges, le 4 juin 2004, qui avait considéré que le délit d’apologie de crime de guerre était caractérisé en l’absence de répression possible de la contestation de l’existence de crimes de guerre. Cet arrêt fût cependant cassé par la chambre criminelle le 12 avril 2005, cf. note 5. Le Tribunal de Tulle, le 9 septembre 2008, s’était prononcé dans le même sens que la Cour d’appel  de Limoges dans l’affaire dite « des pendus de Tulle », mais le jugement fut infirmé par la Cour d’appel de Limoges le 23 janvier 2009 (arrêt inédit, n° 08/00915) car la prescription était acquise. La Cour de cassation confirma cet arrêt le 22 juin 2010 (Gaz. Pal. 2010 n° 272, p. 17, note F. Fourment, « Absurdus lex sed lex », qui critique à juste titre l’absurdité de l’article 65, alinéa 2 de la loi de 1881). On peut regarder sur cette affaire notre article, « Les séquelles de la Deuxième Guerre mondiale … », I. B.

[10] Dépêche AFP, 22 janvier 2021. Il s’agissait d’une vidéo diffusée sur son site internet et sur le réseau social russe VK, dans laquelle il faisait la promotion d’un de ses ouvrages…négationnistes. Par ailleurs, le 6 février 2021, H. Lalin dit « Ryssen » a été condamné par le Tribunal judiciaire de Paris « pour contestation de crime contre l’humanité […] », Le Monde, 7-8 février 2021, p. 11.


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