Introduction

Dominique Gay-Sylvestre

Texte intégral

En 1988, dans son ouvrage La parole et le sang, Alain Touraine adopte une

« … orientation qui est celle… des économistes et des sociologues latino-américains qui, reprenant… en les transformant, les grandes ambitions de la Commission économique pour l’Amérique latine, dans les années cinquante, s’efforcent d’unir à nouveau analyses économiques, sociales et politiques pour aider à la formation de ce que F.Fajnzylber a appelé noyaux endogènes de dynamisation économique, agents collectifs de développement qui ne peuvent pas être séparés de nouvelles formes de mobilisation politique et sociale » (p.21)

Connaisseur de l’Amérique latine, le sociologue français « par[t] de l’hypothèse qu’il existe un mode latino-américain de développement, c’est-à-dire une combinaison, propre à ce continent, de rationalisme économique et de mobilisation politique et sociale » (p. 13). Sans doute est-ce là, la juste expression d’un mécanisme d’action collective « d’un continent de la dualisation et des contrastes sociaux » (p.124) dont les acteurs, engagés, mesurent la construction, ralentie par la marginalisation et le difficile apprentissage de l’inclusion sociale.

Aussi faut-il

Note de bas de page 1 :

“Reflexionar sobre el propio aprendizaje, tomar conciencia de las estrategias y estilos cognitivos individuales, reconstruir los itinerarios seguidos, identificar las dificultades encontradas  así como los puntos de apoyo que permiten avanzar”.

« Réfléchir sur son propre apprentissage, prendre conscience des stratégies et styles cognitifs individuels, recontruire les itinéraires suivis, identifier les difficultés rencontrées ainsi que les points d’appui qui permettent d’avancer » (Rosa María Torres in Fairstein, G.A., Gyssels, S. 2003 : 66)1.

Nous sommes, là, au cœur des préoccupations des auteurs ibéro-américains, qui composent ce numéro de la revue DIRE du laboratoire FRancophonie Éducation Diversité (FRED). Si, pour eux, progrès et éducation sont étroitement liés, ils montrent, toutefois, à travers leurs écrits, les limites d’une Université souvent peu en phase avec le monde contemporain. Ils choisissent alors de dénoncer, sans préjugés ni tabous, les carences et les écarts grandissants entre les mondes politique, économique et éducatif.

Point de démagogie donc, mais une vision très nette et objective de ce que les universités latino-américaines, aujourd’hui, doivent apporter et représenter aux niveau local, régional, national et même international. La dimension citoyenne qu’elles sous-tendent doit éclairer et aider à la construction identitaire des acteurs universitaires ; elle est indissociable de la connaissance, connaissance appliquée, formatrice et se veut en adéquation avec les enjeux et les défis sociétaux du XXI°.

Les universités latino-américaines, ici celles du Mexique -du nord en particulier -, du Brésil et du Venezuela, doivent apporter des réponses et constituer le fondement d’une intégration sociale et nationale réussie.

Sortir des frontières posées par les discours traditionnels obsolètes, de l’observation simple pour définir les conditions qui détermineront le développement de nouveaux modèles éducatifs, tel est l’objectif affirmé des cinq auteurs de l’ouvrage intitulé : Les universités latino-américaines aujourd’hui : expressions locales.

C’est le sens de l’essai « Universidades autónomas, territorios educativos y agrociudades del norte de México/ Universités autonomes, territoires éducatifs et agro-villes du nord du Mexique » présenté par le sociologue Abel Leyva Castellanos. S’il se centre sur les régions du Sonora et du Sinaloa et plus particulièrement sur les actions attendues de l’institution à laquelle il appartient, l’Université Autonome du Sinaloa (UAS), prouvant combien la relation « dynamique » entre « Université » (Université autonome), « Territoire » et Environnement » sont indissociables, son analyse exigente, sans compromis, de l’enseignement supérieur, dans son expression locale, est parfaitement transférable à l’Amérique latine. L’orientation choisie est ambitieuse et mérite que l’on s’y attarde car des propositions pratiques, concrètes et pleines de bon sens sont énoncées pour que les connaissances dispensées au sein des universités, autonomes, soient en cohérence avec le développement personnel des jeunes et en accord avec le développement du territoire où ils vivent. L’Université, libre, doit s’engager sur la voie de l’inclusion, choisir les outils appropriés et pertinents à partir desquels les connaissances inculquées constitueront le fondement identitaire d’une nouvelle génération. En d’autres termes, une société tournée vers l’avenir, consciente de ses responsabilités, maître de son destin et de son environnement.

C’est aussi dans cette optique que se placent Lydia Esther Martínez Ortega, Ángel Alberto Valdés Cuervo et José Ánger Vera Noriega dans l’article intitulé « La sustentabilidad en las acciones de transferencia de conocimiento y tecnología en universidades públicas del noroeste de México/Développement durable dans les actions de transfert de connaissances et de technologie dans les universités publiques du nord-ouest du Mexique ». Les institutions d’Éducation Supérieure (IES) doivent être source de changements profonds, innovants, durables, qui ouvriront la voie, longtemps refusée, aux transferts de connaissances et de technologie vers « les secteurs productifs et sociaux ».

Mais il ne peut y avoir de partage de connaissances et de dialogues échangés, sans une connaissance appropriée de ceux qui en sont les bénéficiaires. C’est toute l’originalité du travail mené par des enseignants-chercheurs et des doctorants de deux institutions d’enseignement supérieur des états de Coahuila et du Sonora (Mexique), Rosario Román-Pérez, Elba Abril Valdez, María José Cubillas Rodríguez, Sandra Elvia Domínguez Ibáñez, Alicia Hernández Montaño « Formación de un grupo de investigación sobre identidades juveniles universitarias desde la interdisciplina y el feminismo/Formation d'un groupe de recherche universitaire sur l'identité de la jeunesse estudiantine à partir d’un point de vue interdisciplinaire et féministe ». Les rôles et stéréotypes de genre étudiés à partir d’une enquête qualitative et quantitative menée auprès de la jeunesse universitaire, au travers de thèmes bien spécifiques (relations amoureuses, usage de préservatifs, risques alimentaires…) sont révélateurs des différentes étapes, complexes, du processus de construction identitaire auquel elle est confrontée.

Plus politique, le texte des deux enseignants-chercheurs en sciences de l’éducation, Ramón Uzcategui et Luis Bravo Jaúregui « Educación universitaria en Venezuela : 1999-2015. Una aproximacion a la cultura pedagógica universitaria desde la línea de investigación Memoria Educativa Venezolana/L’enseignement universitaire au Venezuela : 1999-2015. La culture pédagogique universitaire se fonde sur le minutieux et pointilleux travail de recherche et de recopilation historico-éducatif mené à travers la Mémoire de l’Éducation au Venezuela ». La construction d’une démocratie libérale avec l’arrivée au pouvoir du président Hugo Chávez et la volonté déclarée d’une éducation populaire de masse (avec le soutien de Cuba) qui signalent une rupture en matière d’éducation ne peuvent occulter les carences, voire les échecs, de la gestion gouvernementale des politiques publiques et, partant, les frustrations de la population. Les relations, tendues, conflictuelles même, entre le Gouvernement et l’Université, en particulier l’Université Centrale du Venezuela (UCV) à Caracas, jalonnent toute cette période.

Enfin, l’article « A extensão universitária no brasil : processos de aprendizagem a partir da experiência e do sentido/L’extension universitaire au Brésil : processus éducatif à partir de l’expérience et du sens », de Luciane Pinho de Almeida, se fondant sur la pédagogie du Brésilien Paulo Freire, met en avant la nécessité d’un dialogue constant entre apprenants, enseignants et communauté, comme processus exemplaire de formation dans la « ...construction, déconstruction, reconstruction de connaissances ». A travers les différents processus d’apprentissage, elle réaffirme la « mission » de l’Université en tant que lien essentiel entre la connaissance et la vie.