Histoire de la cartographie


LES PREMIERES CARTES : UN INTERET FISCAL (2500 – 650 AVANT J.-C)

Si la carte est pour nous un usuel, c’est loin d’avoir toujours été le cas. Produit cher, demandant pour sa réalisation un gros investissement en temps et en moyens, elle est longtemps demeurée réservée à l’élite. Mais l’homme représente son espace depuis la protohistoire. En effet, même si peu de documents nous sont parvenus, quelques exemplaires attestent une production cartographique. C’est notamment le cas pour une gravure réalisée sur les parois de la grotte de Belinda (site de Val Camonina, en Italie du Nord) qui daterait de 2000 ans avant J.-C. et représenterait l’ancêtre d’un cadastre.

Cependant, la plus ancienne carte trouvée à ce jour est mésopotamienne. Représentant sans doute une partie de la vallée de l’Euphrate et gravée sur de la terre cuite, elle a été retrouvée à 300 km au nord du site de Babylone et daterait de 2500 avant J.-C. Si ces exemplaires ont pu nous parvenir, c’est grâce à leur support non périssable. Dans la quasi-totalité des autres cas, seules des copies du Moyen Âge ou des restitutions de l’époque moderne et du XIXe siècle nous sont parvenues dans le cas de quelques cartes grecques ou romaines. Néanmoins, leur existence est assurée. Par exemple en Egypte, Ramsès IV ordonnera en 1150 avant J.-C. une enquête de type cadastrale afin de calculer les impôts en fonction de la surface de la parcelle. Ceci impliquait donc un relevé précis des limites parcellaires, d’autant plus qu’une partie des terrains était recouverte annuellement par la crue du Nil. Malheureusement, aucune de ces cartes ne nous est parvenue, même s’il est permis de penser qu’Eratosthène s’appuya dessus pour ses travaux de cartographie. En Asie, les cartes les plus anciennes datent du Ve siècle avant J.-C. et illustrent des textes bouddhiques. Pour le reste de l’Antiquité, la majeure partie de cartes de cette région du monde est chinoise.

Qu’est censée représenter une carte ?

Une carte n’a que rarement pour objectif de représenter la réalité et ne doit pas être synonyme d’exactitude. Le cartographe utilise un fond de plan fait de lignes, de points, de polygones sur lequel il projette, aménage et parfois imagine « sa » réalité. Son but est de mettre en avant une information particulière ou de justifier un argumentaire notamment dans le cas de contestation foncière ou fiscale. A cette occasion, la réalité peut alors être déformée afin de correspondre aux désidératas du pétitionnaire. Ainsi des « faux » peuvent être créés. Afin de limiter ces dérives, les Etats ont souvent réalisé leurs propres cartes servant de référent en matière de propriétés foncières. Des cadastres sont ainsi attestés chez les Egyptiens, les Romains, les Aztèques ou les Chinois.

Cadastre de Belinda, BnF, Histoire de la cartographie
LES PREMIERES CARTES : UN INTERET FISCAL (2500 – 650 AVANT J.-C)

LES GRECS ET LA ROTONDITE DE LA TERRE

Alors que les cartes précédentes s’attachaient à une portion réduite de l’espace, les Grecs vont commencer à élaborer des systèmes de représentation du monde. On passe alors de l’arpentage au début de la projection cartographique. Si l’un mesure un terrain restreint et donc la représentation ne subit pas de déformation, l’autre a pour objectif de représenter l’intégralité du globe terrestre sur un support en deux dimensions et doit donc utiliser un « système » tenant compte de la rotondité de la Terre afin de transcrire sans déformation les distances et les angles en passant de la sphère à la feuille de papier. Cette évolution est tributaire des calculs de Thalès de Milet (624-547 avant J.-C.) qui pressent la notion de sphéricité de la terre. Quelques années plus tard, Anaximandre (610-546 avant J.-C.) réalisera une première carte du monde, centrée sur la Méditerranée, qu’Hécatée (550-480 avant J.-C.) complètera et affinera par la suite. Le monde connu ou Oekoumène est alors représenté comme un disque plat entouré par un océan. Il se compose de l'Europe, dont la partie nord est mal délimitée, de l'Asie qui s'arrête à l'Inde et à l'Oural méridional, et enfin de l'Afrique dont la partie sud est délimitée par le Sahara. La partie inconnue du monde est symbolisée par un continent incognita séparé de l’Oekoumène. Par ailleurs, Hécatée est l'auteur d'un traité Voyage autour du monde dont Hérodote (484-420 av. JC) s'est inspiré pour ses propres écrits. Ce sont les bases de la géographie qui sont alors posées.

Au IVe siècle avant J.-C., Aristote (384-322 avant J.-C) confirmera l’aspect sphérique de la Terre en observant que les bateaux disparaissent à l’horizon en commençant par la proue pour finir par le mât. Ceci étant fixé, Eratosthène (276-194 av JC), bibliothécaire d’Alexandrie pose les bases de la projection cartographique en calculant la circonférence de la terre. Son résultat n'est supérieur que de 150 km à celui obtenu aujourd’hui.

Le calcul de la circonférence terrestre.

Eratosthène s’appuie sur le calcul de la différence de l’ombre portée par le soleil sur un cadran solaire entre deux villes, le relevé étant réalisé au même moment. Le soleil étant au zénith dans la première ville (l’ombre se confond avec le bâton du cadran), cette différence correspond donc à l’angle entre le bâton et l’ombre dans la deuxième ville (soit 7,2° ou 1/50e de 360° et donc de la circonférence d’un cercle). La distance entre ces deux villes correspond alors à 1/50e de la circonférence terrestre. Il suffit donc de multiplier cette distance par 50 pour obtenir la circonférence de la terre.

Le monde d'Hécathée, P.F. Gosselin (Réinterprétation), Ve siècle avant J.-C.., BnF, cartes et plans, Ge.CC.1423, T1, © Bibliothèque nationale de France
Le monde d'Eratosthène, Atlas, P.F. Gosselin (Réinterprétation), 1814., BnF, Cartes et plans, Ge CC 1423, © Bibliothèque nationale de France
La carte de l'Œcoumène, Géographie, Livres I-VIII, Ptolémée, Constantinople (?), Début du XVe siècle., Manuscrit sur parchemin, BnF, Manuscrits, Grec 1401 fo 50v-51, © Bibliothèque nationale de France

Par la suite il imagine une carte schématique, fondée sur des points définis astronomiquement, où deux axes se coupent perpendiculairement à Rhodes : le parallèle (divisant la terre entre Nord et Sud) unissant les points où le jour le plus long a la même durée, et le méridien (passant par Syène, Alexandrie et l’île de Rhodes) reliant les points du globe où le soleil est à son apogée à la même heure. A ces axes, il ajoute une série de parallèles et de méridiens secondaires. Ce système « quadrille » donc la surface terrestre et permet un relevé par coordonnées de latitude et de longitude et projection orthogonale. La zone qu’il relève alors (centrée sur la Méditerranée et allant de l’Irlande au Sri Lanka et de l’Islande à la Somalie) correspond à la carte du monde connu à la fin de l'ère grecque. Sa faible étendue (par rapport à la surface totale de la Terre) limite la déformation de la carte, les contours de la Méditerranée étant bien établis.

Hipparque (190-125 av. J.-C.) reprendra et affinera ce système. Au IIe siècle après J.-C., Ptolémée (90-168 après J.-C.) compilera le savoir géographique grec. Sa Géographie présente une Terre ronde, centre de l’univers, dont un quart seulement est connu et habité : l’Oekoumène entouré par un océan. Ceci recouvre l’Europe (à l’exception de la partie Nord de la Germanie), l’Inde et la Chine. De plus, il admet des zones inconnues (à l’inverse des récits mythologiques) et suppose un autre continent au-delà de l’Atlantique. La Géographie contient également une description des lieux – villes, rivières, montagnes, etc. – du monde habité, ainsi qu’une carte générale du monde connu se fondant sur 8000 points dont les coordonnées étaient tirées d’itinéraires de voyage.

Ce travail est le fondement des travaux cartographiques ultérieurs. En effet, elle fut traduite en arabe dès le IXe siècle. Une copie en fut retrouvée au XIIIe siècle, à Constantinople par un moine. Bien que cette version ne contienne aucune carte, elle indiquait la méthode à suivre pour en réaliser une, ainsi que la position des 8000 points observés visuellement et des 350 points observés astronomiquement, tous ces points bénéficiant de coordonnées. Elle fut traduite en latin en 1405 ; en 1466, le moine Germanus réalisa des cartes selon la méthode de Ptolémée et l’offrit au duc de Ferrara. Cet exemplaire devint le modèle du premier atlas ptoléméen imprimé, publié à Bologne en 1477.

LES GRECS ET LA ROTONDITE DE LA TERRE

LES ROMAINS OU LA CARTE PRATIQUE (30 AVANT J.-C. – 400 APRES J.-C.)

La production cartographique romaine est en grande partie liée à l’extension de l’Empire romain (30 avant J.-C. – 400 après J.-C.). En effet, si l’approche grecque était éminemment scientifique, l’approche romaine répond à des besoins pratiques. Le premier est militaire. Des topographes, les agrimensores, suivent les armées de conquêtes et réalisent des guides dont l’objectif est d’être une aide au voyage. Ce qui prime est l’itinéraire, le réseau de villes et de voies. Totalement déformée, la carte privilégie la ligne à l’espace. L’exemple le plus fameux en est la Table de Peutinger. La version originale de cette carte daterait des premières décennies de notre ère, mais elle ne nous est connue que par une copie du XIIIe siècle. Toutes les terres connues sont censées être représentées puisqu'elles sont bordées par la mer, mais elles se présentent de façon distendue au profit de la représentation des routes, des distances et des villes principales de l'Empire romain qui constituaient le cursus publicus.

Par ailleurs, les romains développent la cartographie militaire : le pays à conquérir doit être connu et décrit afin de pouvoir élaborer l’avancée de l’armée, les plans de bataille, les frontières… Les cartes romaines étaient surtout faites pour informer sur l’empire. Enfin, l’acquisition de nouveaux espaces entraînent une redistribution des terres, divisées en lots, aux nouveaux colons et aux légionnaires. Ce découpage et cette attribution sont alors pérennisés par la réalisation d’un cadastre, gravé dans la pierre comme celui d’Orange.

Table de Peutinger, Marcus Velserus, éditeur ; Konrad Peutinger, cartographe, 1598., 4 feuilles, 40,5 x 51,5 cm, BnF, Cartes et Plans, GE DD 2987 (9702, 2), © Bibliothèque nationale de France
Cadastre d’Orange, © par JPS68 via photoshop (Scan book) [Public domain], via Wikimedia Commons

Les formes de la carte.

L’espace terrestre peut être décrits de diverses manières, que cela soit par le biais d’un texte, d’une vue aérienne (peinture, gravure ou photographie) ou d’une carte. Cette dernière peut elle-même utiliser différents types de représentation suivant l’information qu’elle cherche à mettre en avant. Ainsi, la carte peut se focaliser sur le réseau routier et donc être réduite à des traits et des points sans représentation des terres se trouvant entre les routes. Elle est symptomatique du voyage qui ne permet de connaître qu’une étroite bande de terre et donc n’apporte pas les informations nécessaires à décrire l’intérieur. La carte à deux dimensions intègre l’espace situé entre les routes. Elle le décrit lorsqu’il est connu ou le suppose lorsqu’il reste à découvrir. Dans ce dernier cas, le cartographe a le choix entre le laisser vierge (les fameux « blancs de la carte ») ou de le peupler suivant son imagination. Enfin, une carte peut intégrer les trois dimensions, soit sous la forme d’un globe terrestre à partir du XVe siècle, soit par la représentation du relief. Pendant tout le XVIIIe siècle et une bonne partie du XIXe siècle, cette représentation se fait par le biais de hachures. Il s’agit alors uniquement d’évoquer l’esprit du relief et d’indiquer vaguement le sens de la pente. Cependant, dès le début du XIXe siècle, les militaires savent cartographier des courbes de niveaux. Cette méthode finira par s’imposer en France après la guerre de 1870.

LES ROMAINS OU LA CARTE PRATIQUE (30 AVANT J.-C. – 400 APRES J.-C.)