L’installation de la grande distribution en Limousin (1955-1990)

En 1955 la Haute-Vienne faisait partie des 4 départements retenus par le ministère du Commerce pour y conduire des expériences en matière de modernisation du commerce. A cette date on y comptait un point de vente pour 45 habitants alors que la moyenne française s’établissait à un point pour 59,6 habitants. En septembre 2010, le dernier né des concepts commerciaux se matérialisait à l’entrée de la capitale régionale limousine avec l’ouverture du 4ème Family Village français, fruit d’un partenariat entre le puissant acteur national ALTAREA COGEDIM et la société SOLIG, dirigée par Jacques Dufourmont, l’un des principaux acteurs du commerce en Haute-Vienne depuis 1957.
Nombre de supermarchés alimentaires par ville en 1985 (Creuse et Haute-Vienne)
Nombre de supermarchés alimentaires par ville en 1985 (Creuse et Haute-Vienne)
Surface moyenne des supermarchés alimentaires par ville en 1985 (Creuse et Haute-Vienne)
Surface moyenne des supermarchés alimentaires par ville en 1985 (Creuse et Haute-Vienne)
Les enseignes alimentaires des supermarchés en 1985 (Creuse et Haute-Vienne)
Les enseignes alimentaires des supermarchés en 1985 (Creuse et Haute-Vienne)
Les grandes surfaces par domaines de spécialisation en 1985 (Creuse et Haute-Vienne)
Les grandes surfaces par domaines de spécialisation en 1985 (Creuse et Haute-Vienne)

En 1955 la Haute-Vienne faisait partie des 4 départements retenus par le ministère du Commerce pour y conduire des expériences en matière de modernisation du commerce. A cette date on y comptait un point de vente pour 45 habitants alors que la moyenne française s’établissait à un point pour 59,6 habitants. En septembre 2010, le dernier né des concepts commerciaux se matérialisait à l’entrée de la capitale régionale limousine avec l’ouverture du 4ème Family Village français, fruit d’un partenariat entre le puissant acteur national ALTAREA COGEDIM et la société SOLIG, dirigée par Jacques Dufourmont, l’un des principaux acteurs du commerce en Haute-Vienne depuis 1957.
En un demi-siècle le Limousin a cheminé avec ses spécificités au travers des grandes transformations économiques, sociales et culturelles du pays : plutôt de belles médiocres que des Trente Glorieuses, des soldes démographiques faiblement positifs voire négatifs qu’un baby-boom. En matière d’équipement commercial et de distribution, le retard dénoncé dans les années 1950 a suscité des initiatives rapides de la part des acteurs locaux.

Si la France est bien placée en matière de grands magasins, que l’on songe au Bon Marché ou aux Grands magasins du Louvre fondés au milieu du XIXe siècle, la grande distribution s’installe seulement un siècle plus tard. Le supermarché correspond à une surface de vente de grande dimension de 400 à 2500 m2, proposant un éventail complet de produits du quotidien (alimentaires, droguerie, quincaillerie etc) accessibles en libre-service. Au-delà de cette surface on entre dans la catégorie des hypermarchés. Le premier ouvre en 1963 en banlieue parisienne. La société française entre pleinement dans la consommation de masse et le Traité de Rome signé en 1957 favorise le libre-échange y compris à l’intérieur des pays adhérents. Le Circulaire dite Fontanet du 31 mars 1960 met fin aux pratiques commerciales restreignant la concurrence. Le texte interdit les prix imposés des fournisseurs aux commerçants ainsi que le refus de vente. Les grandes surfaces peuvent désormais appliquer les méthodes de vente à rabais, dite discount. Le rapport de force entre fournisseurs et commerçants entame son renversement historique. Après avoir favorisé la concurrence, les gouvernements prennent en considération la question du sous-équipement dans les nouvelles zones d’habitation en périphérie des villes. Les politiques d’aménagement du territoire et d’aménagement urbain favorisent l’essor de la grande distribution. La circulaire interministérielle n° 61-43 du 24 août 1961, première directive générale en matière d’équipement commercial, explicite la politique de l’État en la matière. Le Limousin n’échappe pas à ces évolutions.

Tout d’abord l’identification des acteurs dans la Région. Trois retiennent l’attention. En premier lieu la société d’alimentation générale le Disque Bleu, société familiale dirigée par Charles et Jean Valentin, fondée à Limoges en 1954. Ce grossiste intégrant des détaillants évolue vers une société à succursales avant de devenir en 1968 un des associés originels d’Euromarché. En 1989, le Groupe Disque Bleu se composait de 7 hypermarchés et de 60 supermarchés localisés dans le Centre – Sud-Ouest. Puis début 1970 l’Union des Coopérateurs du Périgord et du Limousin (aujourd’hui Coop Atlantique) se lance elle aussi dans la grande distribution, seule façon de ne pas disparaître. Le cadre coopératif, la gestion démocratique et le système des ristournes pour les coopérateurs étaient maintenus. A côté de ces deux sociétés, un troisième acteur se dégage en la personne de Jacques Dufourmont, Parisien venu s’installer à Limoges, il ouvre sa première enseigne en 1957 avant de fonder en 1958 la Société Limousine Immobilière et de Gestion. Sa caractéristique est de développer un puissant groupe régional de distribution en s’adossant à de grandes enseignes.

A l’instar des autres métropoles du pays, la municipalité de Limoges prévoit au début des années 1960 l’aménagement de plusieurs zones urbaines. La structure d’économie mixte, Société d’équipement de la Haute-Vienne et de la Creuse se créait, associant acteurs privés et publics, son objet est la maîtrise du foncier et la réalisation des infrastructures. Le premier quartier concerné est celui de Bellevue à l’ouest de Limoges. Le Disque Bleu entrait dans le projet. Le premier véritable supermarché de la Haute-Vienne, exploité par la société DB, est inauguré en avril 1968. Dans le cadre de l’aménagement du Val de l’Aurence, l’Union des coopérateurs du Limousin et du Périgord installe le premier Super-Coop puis le Coop 2000 inauguré en 1971. Forte de ses premiers succès, la société du Disque Bleu est à l’origine de la centrale d’achat régionale GARCO, elle-même rattachée à une centrale nationale la SOCADIP. Le développement du premier Carrefour en région parisienne pousse les affiliés de la Centrale à promouvoir une même enseigne, ce sera Euromarché. C’est sous ce nom que la société du Disque Bleu ouvre le premier hypermarché du Limousin sur un terrain de 30000 m2 au faubourg des Casseaux à Limoges. L’année suivante c’est l’enseigne Radar qui apparaît, installée dans la ZAC de Beaubreuil au nord de la ville (carte 1). Là encore il s’agit d’une initiative née en région, cette fois-ci dans le nord du pays. Radar est le fruit de l’évolution des Docks Rémois, société succursaliste née à la fin du XIXe siècle exploitant de nombreux points de vente sous l’enseigne « Familistère ».

L’essor fulgurant de la grande distribution en France a mis à mal une grande partie du monde des petits commerçants. Au milieu des années 1950, le mouvement emmené par Pierre Poujade (1920-2003), l’Union des commerçants et des artisans (UDCA) secouait le pays. A la fin des années 1960, une autre personnalité, Gérard Nicoud, (1947- ) fonde le Comité d’information et de défense (CID), s’associant au syndicat Unati (Union nationale d’action des travailleurs indépendants). Il cherche à protéger les commerçants et artisans en s’opposant à l’État et aux magasins de grandes surfaces. Le développement de la grande distribution est vivement dénoncé. En avril 1973, Jean Royer (1920-2011) maire de Tours, est nommé ministre de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat dans le second gouvernement de Pierre Messmer. C’est sous son nom qu’est présentée la loi votée le 27 décembre 1973, réglementant l’urbanisme commercial. Désormais les Commissions départementales d’urbanisme commercial (CDUC) créées en 1969 doivent se prononcer sur la construction, la rénovation ou l’extension de tous les projets commerciaux de plus de 1000 m2 pour les villes de plus de 40000 habitants. La mise en œuvre et l’efficacité des dispositifs Royer ont fait couler beaucoup d’encre.

A cette date la Région Limousin commence à être bien pourvue en grandes surfaces. Les nouveaux projets rencontrent la résistance des édiles du commerce local et de ceux qui sont déjà implantés. A peu de délai de la capitale limougeaude, Guéret s’équipait, le supermarché Super-Coop ouvrait en 1971. Au début des années 1980, la coopérative régionale demande son extension en hypermarché. Après de multiples recours, l’autorisation du ministre est donnée en 1986. D’autres projets rencontrent davantage de difficultés tels ceux présentés par le groupe Leclerc en Creuse et en Corrèze au milieu des années 1980, ou encore les projets de centres commerciaux au sud de Limoges. Autre menace vécue par les commerçants locaux, l’essor des grandes surfaces spécialisées en ameublement, bricolage, etc. Elles sont nombreuses à s’implanter sans passer par l’examen de la CDUC puisqu’exploitant des surfaces immédiatement inférieures aux seuils fixés par la loi. La loi Sapin du 29 janvier 1993, présentée comme une loi anti-corruption, a de nouveau transformé les règles et instances présidant à l’urbanisme commercial avant que la loi Raffarin du 5 juillet 1996, revienne sur certaines dispositions de la loi Royer, en particulier sur la réglementation liée aux seuils d’installation des commerces.

Au terme de ce panorama force est de constater la belle vitalité proprement régionale du Limousin en matière de grande distribution et la mise en œuvre de nouveaux concepts commerciaux pour y poursuivre son développement.

Bibliographie

CHATRIOT Alain, CHESSEL Marie-Emmanuel, HILTON Matthew, Au nom du consommateur, consommation et politique en Europe et aux États-Unis au XXe s., Paris, La Découverte, 2004
CHATRIOT Alain, CHESSEL Marie-Emmanuelle, « L’histoire de la distribution, un chantier inachevé. », in Histoire économie et société, époque moderne et contemporaine, n° 1, 2006
DAUMAS Jean-Claude, « Consommation de masse et grande distribution : une révolution permanente, 1957-2005. », in Vingtième Siècle, Revue d’Histoire, Juillet-Septembre 2006
DRUELLE Clotilde, PAS Pascal, 150 ans d’avenir, la Chambre de Commerce et d’Industrie de Limoges et de la Haute-Vienne., Clermont-Ferrand, Un, Deux, Quatre … Editions, 2009
LHERMIE Christian, Carrefour ou l’invention de l’hypermarché., Cahors, Vuibert, 2001
MOATI Philippe, L’avenir de la grande distribution., Paris, Odile Jacob, 2001.

Clotilde Druelle-Korn et Aurélie Boulesteix, 2015

L’installation de la grande distribution en Limousin (1955-1990) – cartes en PDF

L’installation de la grande distribution en Limousin (1955-1990) – notice en PDF

33 rue François Mitterrand
87032 Limoges - BP 23204
Tél. +33 (5) 05 55 14 91 00
université ouverte 
source de réussites