Inventaire pollinique de deux miels de Meymac (Corrèze) après traitement mélissopalynologique Pollen inventory of two honeys from Meymac (Corrèze) after melissopalynological treatment

Françoise BOUSSIOUD-CORBIERES 
Béatrice COMPERE 

https://doi.org/10.25965/asl.808

Deux échantillons de miels originaires de deux ruches de type « Warré », appartenant à un apiculteur local sont analysés afin d’identifier les pollens présents. L’un, présenté en pot du commerce, provient d’une ruche placée dans un environnement forestier, l’autre, dont la ruche est placée dans un milieu ouvert est obtenu par simple gravité à partir d’une portion complète, cire et miel intimement liés. L’inventaire pollinique effectué en microscopie photonique, met en évidence l’attrait des abeilles pour les Rosacées et, spécifiquement pour le miel de forêt, la présence importante des Rhamnacées dans l’alimentation des Hyménoptères.

Pollen inventory of two samples of honeys in Meymac (Correze) is carried out in photonic microscopy. Honey is taken from two “Warré” hives belonging to a local beekeeper. Two samples are analyzed to identify the pollen present. For one, presented in a commercial pot, the hive is placed in a forest environment, the other hive is placed in an open environment and honey is obtained by simple gravity from a complete portion with wax and honey intimately linked. Inventory qualitative carried out in light microscopy, highlights the attractiveness of bees for Rosaceae and, specifically for forest honey, the attractiveness for Rhamnaceae.

Sommaire
Texte intégral

Introduction

Sachant que les méthodes mélissopalynologiques permettent l’identification des pollens de tous types de miels, deux échantillons sont fournis par un apiculteur local de Meymac (Corrèze) intéressé à la connaissance du contenu pollinique. Ici le travail de l’apiculteur présente une originalité car il élève ses abeilles de race noire (Apis mellifera mellifera = Apis mellifera mellifica), dans un type particulier de ruches dites ruches « Warré » du nom de l’inventeur, Emile Warré (1867 - 1951), qui l’a décrite sous le nom de « ruche populaire » et l’a utilisée. Dans de telles ruches on ne met pas de cadre à la disposition des abeilles, lesquelles doivent construire elles-mêmes leurs propres rayons à partir de simples barrettes de bois disposées comme des cadres et amorcées de propolis et de cire. La ruche Warré est dite ruche écologique du fait qu’elle offre aux abeilles des conditions de vie proches de leur milieu naturel.

Matériel et méthodes

Le premier échantillon de miel, de 2016, présenté en pot du commerce, est issu d’une ruche placée dans un environnement forestier, avec un goût particulier inconnu de l’apiculteur.

L’autre, très récent, provient d’une ruche installée dans un milieu ouvert. Il s’agit d’un prélèvement brut du travail des abeilles où cire et miel sont intimement liés. Chez les abeilles élevées par cette méthode, le prélèvement du miel et de la cire n’a lieu qu’une fois l’an, en fin de saison de production. L’échantillon de miel utilisé pour l’analyse est obtenu par simple gravité à partir de cette portion hétérogène.

Les deux échantillons de quelques grammes de miel sont traités selon la méthode de Louveaux et al. (1978), qui consiste, dans un premier temps, à éliminer les matières solubles et solides par l’acide sulfurique à 10 %, suivi d’un triple rinçage avec H2O et recueillir les pollens ainsi isolés par centrifugation (3000T/mn durant10mn). Ensuite les culots polliniques subissent l’acétolyse d’Erdtman (1952), dite de « fossilisation artificielle », consistant à les traiter par le mélange acide sulfurique (9 ml), anhydride acétique (1 ml), porté à ébullition 3 mn au bain-marie.

Ils sont ensuite rincés à l’acide acétique pur puis dilué et enfin avec H2O. Entre chaque opération, la centrifugation (caractéristiques ci-dessus) isole le culot pollinique des différentes solutions de traitement.

Une solution glycérol/eau 50/50 permet de regonfler les pollens durant 10 mn afin de permettre une observation fine et rigoureuse, en microscopie photonique, des apertures et de la microsculpture de l’exine de chaque grain de pollen. Ces critères de reconnaissance, selon la méthode, utilisée au Laboratoire de Palynologie du Muséum national d’Histoire naturelle (M.N.H.N). de Paris, de comparaison avec des collections de lames de référence et des atlas, en particulier celui de Reille (1992), rendent possible la détermination du genre pour les pollens AP (Arborean Pollens) et de la famille pour les pollens NAP (Non Arborean Pollen). .

Les deux culots acétolysés sont montés en totalité entre lame et lamelle en milieu gélatiné-glycériné et chaque préparation est lue en totalité au grossissement x 1000 selon la méthode de l’Ecole belge de Palynologie (Munaut, 1967), ainsi tous les pollens présents sont identifiés.

Il n’est malheureusement pas possible ici d’affiner plus avant la systématique, ni d’obtenir un résultat quantitatif, dans le cadre d’un laboratoire voué à l’enseignement et non à la recherche mais nous avons tenté, subjectivement, d’évaluer les quantités relatives des pollens de familles de plantes (chacune par rapport aux autres).

Résultats

Inventaire palynologique des familles groupées en AP et NAP puis par ordre alphabétique au sein de chaque groupe :

1 – miel dit « de forêt »

AP

présence

Acer (érable)

très faible

Alnus (aulne)

très faible

Castanea (châtaignier)

moyenne

Quercus (chêne)

très faible

NAP

Brassicacées

abondant

Convolvulacées

très faible

Crassulacées

faible

Fabacées

très abondant

Graminées

faible

Labiées

abondante

Lythracées

très faible

Onagracées

peu abondant

Primulacées

peu abondant

Rhamnacées

abondant

Rosacées

dominant

Urticacées

très faible

A noter, présence de spores d’Asperisporium (Ascomycète parasite des plantes supérieures) en très faible quantité.

2 – miel extrait de prélèvement brut

AP

présence

Pinus (pin)

très faible

Salix (saule)

très faible

Castanea (châtaignier)

très abondant

Viburnum (viorne)

peu abondant

NAP

Caprifoliacées

très faible

Ericacées

très faible

Fabacées

peu abondant

Graminées

très faible

Rosacées

très dominant

Saxifragacées

abondant

Urticacées

très faible

A noter, présence d’une grande variété de spores de champignons des genres suivants :

Asperisporium,

Cladosporium (moisissures parasites sur plantes supérieures),

Coprinus (les plus abondants),

Nigrospora (pathogène foliaire),

Stachybotrys (hyphomycète pathogène des semences),

Torula (une levure) et des basidiospores.

Discussion

Ces résultats peuvent paraitre pauvres en variétés de plantes butinées :

  • d’une part, les abeilles font leur choix en fonction de critères qui ne nous sont pas connus parmi le grand nombre de plantes à leur disposition,

  • d’autre part nous ne pouvions analyser de grandes quantités de miel avec des tubes d’une capacité de 2 ml, chaque manipulation étant suivie d’une centrifugation durant 10 mn et le passage d’une solution réactive à la suivante nécessitant trois rinçages avec centrifugation entre chaque opération.

Nous avions peu de temps pour réaliser ce travail dont les étapes répétitives, très nombreuses, sont grandement mangeuses de temps.

Toutefois, cette petite quantité est suffisante pour donner une image assez fidèle qualitativement ; le miel « forestier » a fourni près d’une centaine de pollens, le miel « brut » est beaucoup plus pauvre en pollens et en variété de taxons.

Il est difficile d’émettre une hypothèse explicative du phénomène. Est-ce que des pollens se fixeraient préférentiellement sur la cire lors de l’extraction passive hors des alvéoles ? Ou bien les abeilles ainsi élevées consommeraient-elles plus de protéines pour leur couvain ? Impossible de répondre.

Ces listes font apparaitre des pollens de plantes anémophiles strictes comme Alnus, Quercus, les Graminées, les Urticacées et les pins mais la présence en est très faible (c’est-à-dire qu’il n’a été vu, que quelques pollens par préparation, de chacun de ces taxons). Il s’agit de ce que les spécialistes nomment des « pollutions ». Les abeilles ne butinent pas ces pollens anémophiles mais les emportent parce qu’englués dans le miellat qu’elles prélèvent. Ils y ont échoué portés par les courants atmosphériques.

Les pollens de plantes à floraison printanière comme les Salix et Brassicacées sont présentes mais les plantes à floraison estivales sont majoritaires. Comme il n’y a qu’une récolte par an, il n’est pas possible de suivre la succession des floraisons, comme dans l’apiculture traditionnelle.

Les pollens de Rosacées sont largement dominants dans les deux échantillons. Les abeilles semblent avoir une préférence particulière pour la famille et en avoir de nombreux taxons à leur disposition dans le milieu. Ces pollens sont représentés par de nombreux types de tailles variées correspondant à des genres différents que nous ne pouvons différencier, ne disposant pas d’oculaire micrométrique. La floraison des taxons de Rosacées étant très étalée du printemps à la fin de l’été, il est normal de trouver un nombre important de pollens de la famille.

Il en est de même pour les nombreux pollens de Labiées (très abondants dans le miel « forestier ») eux aussi de tailles très variables correspondant à de nombreux taxons fleurissant successivement du printemps à l’automne.

Les Fabacées sont aussi bien présentes, ce qui est assez remarquable car les taxons, généralement très mellifères, sont aussi autogames et même fréquemment cléistogames de sorte que l’abeille, les visitant pour leur abondant nectar, récolte rarement le pollen. Pesson et al. (1984), citant de nombreux travaux, notent que « les jeunes ouvrières… apprennent rapidement à visiter les corolles latéralement en raison de la meilleure accessibilité du nectar ». De ce fait, les pollens de Fabacées sont peu abondants et même absents des miels. Or nous avons remarqué une abondance inhabituelle dans le miel de « forêt ». Le nectar récolté sur un de ces taxons peut-il transmettre à ce miel, un gout particulier qui intrigue notre apiculteur ? Malheureusement il n’est pas de notre compétence palynologique de répondre à cette question.

Le miel forestier contient également des pollens de Rhamnacées dont Rhamnus (la bourdaine) est le représentant le plus probable.

Une autre caractéristique remarquable pour les pollens de Salix, des Brassicacées, des Rosacées et surtout de Castanea est la mixité de leur type de dispersion pour partie anémophile et pour partie entomophile, pollens que les abeilles butinent activement. Enfin il est curieux de ne pas avoir de pollen de Borraginacées, également recherché par ces insectes et très facilement identifié. Les petites quantités de miel utilisées limitent certainement la liste des taxons présents. Car dans un précédent travail (Boussioud-Corbières, 1990) l’analyse de 10g de miel par échantillon permet certes de répertorier plusieurs dizaines de taxons mais très nombreux sont ceux où un seul pollen est identifié.

La présence de spores de champignons, déterminés d’après les planches de référence de Grant Smith (1984), est habituelle dans les miels. Mais ces organismes, plus fragiles que les pollens, quoique leur paroi soit similaire, ne résistent que rarement à l’acétolyse et ne sont retrouvés qu’en très faible quantité à l’analyse. Ici il s’agit d’une population de plus d’une dizaine d’individus dans la préparation. La variété et le nombre de ces taxons posent question même si aucun n’est sanitairement dangereux.

Conclusion

L’analyse comparative de ces deux échantillons de miels fait apparaître une nette différence de composition pollinique consécutive aux différences de milieux où sont placées les deux ruches. Le milieu forestier semble le plus favorable, au vu de la variété pollinique, pour le butinage de l’abeille et par conséquent pour l’alimentation du couvain. Les deux ruches ont à leur disposition pléthore de pollens de Rosacées. Toutefois les limites techniques des préparations d’échantillon ne permettent pas d’obtenir un catalogue exhaustif de la composition pollinique des miels. Il faut retenir que les abeilles impliquées dans l’élaboration de ces deux miels ont, à leur disposition, une grande variété de plantes mellifères. La richesse de la flore limousine, à laquelle s’ajoutent de nombreuses plantes cultivées autour des ruches pour le second échantillon est un atout important dans la réussite de ce type d’apiculture originale et écologique.