Goûtons aux nudges : contre le gaspillage alimentaire
Réflexions Sémiotiques sur les pratiques d’influence de type « nudge » en milieu scolaire

Cécile McLAUGHLIN

Centre de Recherches Sémiotiques,
Université de Limoges

François BOBRIE

Centre de Recherches en Gestion,
Université de Poitiers

Anne KRUPICKA

Centre de Recherches en Gestion,
Université de Poitiers

https://doi.org/10.25965/as.6742

Index

Articles des auteurs de l'article parus dans les Actes Sémiotiques : Cécile McLAUGHLIN, François BOBRIE et Anne KRUPICKA.

Mots-clés : actant collectif, carré sémiotique, cours d’action, forme-sens, gaspillage alimentaire, nudge, pratiques, rôles actantiels, sémiotique narrative

Auteurs cités : Marc BONHOMME, Nicolas COUÉGNAS, Jean-Marie FLOCH, Jacques FONTANILLE, Henri MESCHONNIC, Éric SINGLER

Plan
Texte intégral

1. Introduction

1.1. Du gaspillage alimentaire en général et en milieu scolaire en particulier

Note de bas de page 1 :

http://www.fao.org/food-loss-and-food-waste/fr/

Dans le monde, un tiers des aliments destinés à la consommation humaine serait gaspillé, selon les études récurrentes menées par la Food and Agriculture Organization1, l’agence des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, divulguées chaque année le 16 octobre, lors de la « Journées mondiales de l’alimentation » de l’ONU. Selon ces études, 53 % des déchets alimentaires proviennent directement de la consommation des ménages, les 47 % restant étant imputables aux défauts des circuits économiques de production, de transformation et de commercialisation.

Note de bas de page 2 :

https://www.ademe.fr/expertises/dechets/passer-a-laction/eviter-production-dechets/dossier/reduire-gaspillage-alimentaire/enjeux

En France, l’ADEME2 estime à près de 10 millions de tonnes la quantité de nourriture jetée chaque année par les consommateurs. Devant cette situation intenable, la France s’est engagée, en 2013, au travers d’un « Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire », à réduire de 50 % le gaspillage sur l’ensemble de la chaîne alimentaire d’ici 2025.

Note de bas de page 3 :

https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/ademe-ra2016-faitsmarquants2016_printdemat-opti.pdf

Selon une étude de l’ADEME de 20163, 14 % du gaspillage provient de la restauration, collective et commerciale. Dans ce secteur, les cantines scolaires n’échappent pas au phénomène général.

Note de bas de page 4 :

http://www.agriculture.org

Selon le Ministère de l’Agriculture4, chaque usager des cantines scolaires (écoles, collèges et lycées) « produit » environ 20 kilogrammes de déchets alimentaires chaque année et, pour les seuls écoliers, 147 grammes par jour et par enfant. Compte tenu de l’objectif 2025, de nombreuses politiques publiques communales (écoles), départementales (collèges) et régionales (lycées) ont programmé de lutter contre ce gaspillage alimentaire dans les établissements scolaires, notamment en Région Nouvelle Aquitaine. Dans ce contexte, les acteurs de la restauration collective sont explicitement identifiés et incités à atteindre l’objectif fixé. De fait, de nombreux établissements ont pris conscience de ces enjeux et mettent en place des dispositifs pour réduire, facilement et rapidement, les gaspillages observés et évaluer les résultats obtenus.

Pour l’essentiel, les responsables de ces actions collectives ont privilégié une démarche préliminaire d’information rationnelle et objective qui décline à l’échelle du milieu scolaire les grandes thématiques des campagnes d’information nationales et internationales lancées par les institutions publiques et les organisations parapubliques impliquées dans ce mouvement. Ainsi l’action locale joue son rôle pour contribuer à son niveau à une démarche englobante présentée comme universelle et « allant de soi », puisque visant une situation idéale, ou simplement meilleure, pour toute la population de la planète.

Ces discours fondés sur un consensus supposément partagé par tous à propos des valeurs exposées, fournissent les contenus d’un dialogue possible entre les responsables des cantines et les usagers consommateurs. Ceux-ci sont alors sollicités pour donner leurs avis sur les moyens qui seraient les plus opportuns pour remédier à la situation de « gaspillage », sans qu’ils aient à renoncer à leurs attentes quotidiennes de satisfactions alimentaires, dans toutes les dimensions organoleptiques et hédoniques souhaitées au sens large (sensations de plaisir et de satiété, sentiments d’accéder à une alimentation saine et bonne pour la santé, source de bien-être et de vitalité). Sont alors évoqués et discutés les moyens de réduire les déchets par une meilleure « qualité » générique des prestations. Celles-ci peuvent être associées plus précisément à une meilleure traçabilité des produits et à certaines de leurs caractéristiques perçues, à une plus grande possibilité de choix entre plusieurs plats, et à une plus grande flexibilité des architectures de choix proposées dans la durée. En bref, en prenant le temps d’échanger avec les convives, il s’agit de les associer virtuellement à la conception des menus qui seront potentiellement offerts et qui devraient en conséquence être plus désirables et moins rejetés.

Note de bas de page 5 :

Fady, Renaudin et Vyt (2007).

Note de bas de page 6 :

On citera particulièrement les travaux de Franck Cochoy, notamment (2002) et (2011).

En parallèle, les responsables de ces démarches d’information et de dialogue peuvent aussi imaginer d’autres moyens d’influencer les comportements des usagers. Ils appliquent quelquefois à leurs activités les méthodes du merchandising développées par les entreprises du commerce, notamment celles en libre-service. Pour s’en tenir à la littérature francophone, celles-ci sont aujourd’hui bien décrites, tant dans le champ du marketing5 que dans celui de la sociologie6. Ces techniques consistent à modifier les formes d’un plan d’expression d’un objet visible par un consommateur, pour en suggérer la saillance d’une signification particulière pour un sujet qui le percevra dès lors comme désirable. Ces solutions sont a priori transposables dans le cadre du libre-service des cantines. Ainsi, on a pu réduire la taille des assiettes pour donner la représentation d’un plat plus copieux avec une quantité diminuée, technique de figuration bien connue des illustrateurs de nombreux packagings de produits alimentaires.

Certains responsables modifient également l’architecture du choix, en mettant visuellement en avant les aliments sains, en les changeant physiquement de place dans le dispositif du libre-service, sur le modèle des modulations des visualisations des produits sur les étagères et les mobiliers d’un magasin. Il s’agit de développer de nouveaux « influenceurs invisibles » selon l’expression d’Éric Singler (2015, p. 135), spécialiste reconnu du merchandising et des études de consommateurs sur les lieux de vente.

1.2. Objectifs et méthodologie suivis

En limitant son approche à l’univers des cantines scolaires, cette recherche a pour objectif de comprendre, dans une perspective sémiotique, les comportements et les attitudes qui favorisent le gaspillage alimentaire et d’autre part, d’identifier les dispositifs mis en œuvre pour réduire le gaspillage alimentaire des usagers. Une double méthodologie a été établie : tout d’abord, une exploration documentaire générale du thème de la recherche sur Internet et dans les documents de communication des collectivités territoriales de la Région « Nouvelle Aquitaine ». Il s’agissait d’inventorier les opérations existantes visant à réduire le gaspillage alimentaire en général et en milieu scolaire en particulier. Cette investigation a permis de constituer un corpus de quatre dispositifs de type « nudges » expérimentés par de grands groupes de la restauration collective (Sodexo, Mille et un repas) ainsi que par certains établissements scolaires.

Note de bas de page 7 :

https://www.1001repas.com/zero-gaspil/presentation-zero-gaspil/

Tout d’abord, « la cantine Zéro Gaspill » : la 8e entreprise nationale de restauration scolaire, Mille et un repas, promeut une nouvelle organisation des repas qui limite le gaspillage alimentaire. « Le self linéaire avec ses multitudes de choix et ses portions toutes faites et trop copieuses entraîne souvent du gâchis »7, constate l'enseigne. Leur remède : l'élève se sert d'abord une ou plusieurs entrées, à volonté, puis vient se servir un plat chaud, dont l'accompagnement est également à volonté. Le dessert et le fromage sont en revanche portionnés. L'intérêt affiché de ce système est clair : les élèves mangent à leur faim et chaud. En contrepartie, ils s'engagent à ne rien laisser dans leur assiette. Les restes ont ainsi pu être réduits de 167 grammes par repas – la moyenne nationale – à moins de 10 grammes.

Note de bas de page 8 :

https://lu.sodexo.com/files/live/sites/sdxcom-global/files/030_Translations_(French)/Building_Blocks/GLOBAL/Multimedia/PDF/Corporate_Citizenship/Case_studies_(Good_practices)/sodexo-france-moins-de-miettes.pdf

Le deuxième dispositif concerne précisément ce que l’on a appelé l’esthétisation de produits sains ; l’idée est d’inciter les plus jeunes à manger des aliments sains en esthétisant leur présentation dans l’assiette. Ainsi, plutôt que de présenter une assiette de crudités pêle-mêle, on rend celle-ci amusante, en créant un visage humain ou un personnage avec les aliments. Nous nous sommes également intéressés à la mise en avant de l’information-santé sur un produit ou dans son environnement direct et enfin, à l’opération « Moins de miettes, c’est plus d’assiettes ! »8 lancée par la Sodexo, acteur de la restauration collective. Deux semaines par an depuis 2012, le restaurateur récupère le pain jeté en fin de repas et l'expose dans des sacs transparents le lendemain. Des cartes sont distribuées aux élèves expliquant que le pain économisé les jours suivants sera « synonyme » de repas supplémentaires aux restos du cœur. La semaine suivante, l'opération des sacs transparents est renouvelée et les comptes sont faits : 1 sac économisé = deux repas offerts.

Note de bas de page 9 :

Cf. Annexes.

Parallèlement à cette recherche documentaire, une opération conduite au Lycée Camille Guérin de Poitiers au premier semestre 2019 a été étudiée plus en détail. Cet établissement accueille 1600 élèves au self chaque jour et génère 124 kg de déchets. L’objectif a été de tester des leviers d’action co-construits avec l’ensemble des acteurs pour passer de 124 kg à 100 kg. L’opération consistait dans un premier temps à la mise en place d’une étude qualitative sous forme d’entretiens en face à face semi-directifs d’environ quinze à trente minutes auprès des différents acteurs du self de cet établissement. Cette enquête a permis d’interviewer d’une part 10 personnels de restauration et administratifs et d’autre part 8 usagers dont 4 collégiens et 4 lycéens. Le guide d’entretien a mis l’accent sur la restitution des comportements des élèves en situation de prises des repas à la cantine, l’auto-évaluation de leurs comportements de gaspillage, ainsi que leur auto-analyse des raisons des pratiques négatives éventuelles, soit directement vécues, soit constatées chez leurs condisciples. Le guide incitait chaque répondant à imaginer des solutions pour diminuer le gaspillage alimentaire. Enfin, un challenge par affichage9 a été mis en place. Sur la première affiche, on informe les élèves des quantités de nourriture gaspillée sur une année, en proposant un système d’équivalence qu’on espère parlant ; sur l’affiche 2, on indique chaque jour le poids des aliments jetés et on indique, sous la forme métaphorique d’un bulletin météo, les résultats obtenus. Moins de quantité jetée équivaut à une récompense pour l’ensemble des participants.

Sur la base de l’ensemble de ces données, il s’agira de mieux comprendre le décalage perçu entre la condamnation générale du gaspillage alimentaire et la continuité des pratiques observées et jugées inéluctables et d’analyser les écarts différentiels des dispositifs existants ou envisagés.

2. Figures et rhétorique des nudges en restauration scolaire

2.1. Principe d’analyse du nudge en tant que « forme-sens » 

Nous aborderons le nudge en tant que « forme-sens » : cette figure d’analyse littéraire forgée par Henri Meschonnic (1970) définit la forme particulière de la langue d’un texte visant à faire partager au lecteur l’expérience idiosyncrasique du monde de l’auteur. Dans une perspective sémiotique, nous la reformulons dans notre enquête comme un ensemble signifiant figuratif hétérogène composé de plusieurs unités sensibles, non-verbales, essentiellement visuelles, accompagné quelquefois d’unités verbales, formant un discours homogène visant à orienter les comportements d’un sujet en fonction d’une « vision du monde » que l’énonciateur suppose partagée par l’énonciataire.

En contexte alimentaire et plus précisément sur la question du gaspillage alimentaire, les formes-sens que sont les nudges sont multiples et d’une grande variété. Il s’agit dès lors, au-delà de cette variété figurale d’en comprendre les principes d’organisation interne, permettant de réduire cette hétérogénéité, en identifiant des logiques communes d’articulation des éléments de la structure analysée. Pour comprendre ces logiques sous-jacentes qui structurent les nudges, nous commencerons par décrire et analyser leur système rhétorique. En effet, en tant que forme-sens, le nudge est avant tout une figure, au sens étymologique du terme. Skhéma en grec, qui signifie la figuralité, vient également signifier le mouvement du danseur et de l’athlète (Bonhomme, 2010) ; son équivalent latin, Figura, désigne usuellement une configuration verbale, « une figure de rhétorique », mais aussi une forme plastique ou plus généralement sensible, comme une figure musicale ou sonore. Ce rappel étymologique permet d’identifier une caractéristique du nudge : sa capacité à mettre en mouvement d’une part la matière sur laquelle son discours vient se manifester et d’autre part, l’agent auquel il s’adresse. Ce double mouvement est lié à la fois à la construction intrinsèque de cet objet langagier, celle qui nous intéresse tout particulièrement ici, et à l’intégration du nudge dans son environnement, dimension que nous n’aborderons que très peu, laissant cette voie d’exploration pour une réflexion future. Deuxième caractéristique éclairée par l’étymologie : la dimension créative du nudge, sa plasticité, qui tel un mouvement de danse ou un effort athlétique sollicite tous les sens et plus spécifiquement la vue. Ainsi, il s’agit, à travers le déploiement varié de ces figures en contexte alimentaire d’en identifier les agencements dynamiques, ou, pour reprendre la métaphore du danseur, la chorégraphie structurante. Sans souscrire à la tradition aristotélicienne qui de Vico à Peirce et même Eco, érige la rhétorique en théorie de l’efficacité pratique du langage (son pouvoir persuasif), nous nous proposons d’analyser ici sémiotiquement un de ces dispositifs qui prétend rendre le monde meilleur. On cherche à distinguer le composant rhétorique formel, à identifier l’expression de métalangages rhétoriques à l’œuvre dans les processus discursifs qui produisent les nudges. Ainsi, le nudge, en tant qu’objet d’analyse sera appréhendé dans son apparaître, détaché des réactions et interprétations qu’il suscite et des effets qu’il engendre effectivement.

Dans le domaine alimentaire, les nudges surviennent – on pourrait dire qu’ils surgissent – dans un flux de vécus quotidiens, de « cours d’action », bien souvent routiniers et contraints. Ils sont des points de saillances qui vont capter l’attention afin d’orienter vers des comportements supposés plus vertueux ou plus avantageux pour le sujet visé. Ils sont avant tout des dispositifs qui affectent, qui rompent la continuité, pour le bien-être des usagers et de leur environnement au sens large, en rompant la monotonie de la routine, en affectant celle-ci positivement et en s’appuyant sur sa substance expérientielle pour créer un effet, tout comme les figures de rhétorique sont, dans le continuum d’un texte, des points de saillance qui vont attirer l’attention en créant un effet sur le lecteur. Aborder le nudge sous l’angle de la rhétorique va nous permettre d’identifier les opérations systématiques mises en œuvre d’une part, les tensions en jeu dans ces opérations, et enfin d’en saisir la ou les figures particulières.

2.2. De la figure aux pratiques : un mode opératoire commun, créer l’écart 

La première constante commune à l’ensemble de ces dispositifs tient aux transformations de la relation Objet/Sujet par rapport aux pratiques habituelles. Tous s’intègrent dans des cours d’action particulièrement régulés que les usagers se sont appropriés comme routines. Dans le flux syntagmatique de ces routines, le nudge va agir comme un point de saillance qui va manifester un écart par rapport à la norme figurale habituelle. La force du nudge est somme toute relative : relative à un environnement déjà fortement codifié, relative à la compréhension et à l’acceptation de l’usager de cet environnement. Le nudge apporte, tout comme la figure de rhétorique, telle que la définit Quintillien, « un changement par rapport à la manière ordinaire et naturelle de parler » (ibid.). Nous ne retiendrons que l’adjectif « ordinaire » afin de caractériser l’ensemble des habitus en jeu dans le fait de se restaurer en milieu collectif.

Le parcours au self est appréhendé comme une mise en discours comportant des éléments figuratifs, des usagers, des objets, des espaces matériellement définis. Ces différents éléments ont chacun un rôle dans l’organisation syntagmatique du parcours comme cours d’action. En d’autres termes, ils s’agencent comme autant de parties du discours, pour former un tout cohérent (Fontanille, 2011).

Dans cette catégorie, on peut relever deux types de nudges : ceux qui déstructurent la syntaxe du discours en tant que tel, modifiant l’intégralité des parties du discours ; c’est le cas de l’opération Mille et un repas. Ceux qui ne modifient qu’un élément de ce tout, modification qui à elle seule est suffisante pour bouleverser l’ensemble du parcours : on modifie la taille des assiettes par exemple, créant ainsi une nouvelle norme et un écart par rapport à la norme communément admise.

Dans cette logique de l’écart, la figuralité du nudge va agir comme un élément de confrontation entre deux mondes mis en tension : celui ordinaire de la routine et celui supposé par le nudge. Ainsi une petite assiette devient une grandeur manipulée, une modification de la régulation préétablie par la taille des assiettes, assumée et imposée par l’instance d’énonciation – ambiguë – du nudge. L’élément de résolution de cette tension dépendra de la pratique interprétative de l’usager et de son vouloir-faire. Confrontation (deux figures d’assiettes possibles, la grande et la petite), manipulation, (imposition d’une nouvelle figure dominante, la petite pour un plat principal), résolution (alternative normalisée du choix entre petite et grande assiette) : le schéma canonique d’une rhétorique générale de confrontation-manipulation / médiation-résolution, élaboré par Fontanille (1999) vient nourrir notre lecture rhétorique du nudge et en signaler la dimension tensive et polémique.

Sur le plan formel, on retiendra donc que le nudge est une figure qui a pour fonction de créer un écart dans un cours d’action routinier ou ritualisé ou contraint. Sur le plan énonciatif, il s’agit d’une pratique énonciative non verbale, une figure de l’ellipse, qui vient dire sans dire. Sa négativité différentielle signifie « en creux », la lacune qu’elle prétend corriger. Entre écart et creux, resserrons à présent notre analyse pour identifier des processus de structuration plus précis, dans les cas observés.

2.3. Les processus de déstructuration des cours d’action : Mille et un repas

Ce dispositif vient bouleverser un parcours traditionnel et linéaire communément vécu et approprié par tous. Le parcours linéaire consiste en la répétition d’une même séquence : l’usager saisit par la vue, voire l’odorat, les plats proposés, l’usager en choisit l’un d’entre eux et le pose sur son plateau. Entre chaque séquence, un moment d’attente s’intercale, durant lequel on se tient debout, accroché à son plateau et on exerce un mouvement au tempo plus ou moins rapide selon le flux de la journée. Ces séquences routinières, ces habitus perceptifs et sensori-moteurs se déroulent dans un espace-couloir qui limite la liberté des corps et qui inscrit, par son architecture même, la programmation des actions à engager. Dans cette séquence linéaire, pas de rétroaction possible, tant le parcours est comme mis en tension vers son achèvement. Le cours d’action est régi par son moment (aspect) terminatif.

Cette programmation n’empêche pas l’intégration de séquences « parasites », sans lien direct avec le programme d’action à effectuer, mais qui permettent de « passer le temps », de se distraire. Ainsi, on consulte son téléphone portable, on discute avec son voisin de plateau, on rêve, on se laisse porter par l’environnement. Ces micro-récits contribuent à modifier la forme syntagmatique de la continuité du cours d’action, auquel ils ajoutent plusieurs dimensions affectives positives, qui viennent contrebalancer le caractère passionnel largement négatif de la séquence du self. Cette intégration permanente des micro-récits parasites réveille l’attention des usagers, qui, tout comme les somnambules du métro de Floch, sont comme endormis, soumis à une routine préétablie, qui contraint les corps, en les inscrivant dans un « état d’automatisme » (Floch, 2002, p. 33).

Le nudge mis en place par Mille et un repas s’appuie sur cette continuité automatique en la prenant justement comme point d’ancrage afin de la disloquer, d’y introduire des ruptures. Les mécaniques du nudge reposent en grande partie sur la tension de l’axe sémantique continuité vs discontinuité, l’une comme l’autre ne pouvant se lire qu’au miroir de son contraire.

Tout d’abord et ce qui semble le plus évident : la mise en œuvre de ruptures sensori-motrices, fondées sur une nouvelle configuration spatiale. On introduit dans la séquence linéaire un autre type de rythme et de tempo. Après avoir choisi son entrée, au pôle concerné, l’usager s’assoit afin de déguster le ou les plats choisis. Cette séquence permet d’activer un autre programme narratif, davantage contrôlé par l’actant : celui de la dégustation et éventuellement et fort probablement, celui de l’échange avec ses convives. Cette première bifurcation dans le programme narratif initial subi par le sujet, permet à celui-ci de reprendre le contrôle de l’action. En fonction de la satiété du sujet, il pourra poursuivre son parcours, en gardant la même assiette en se rendant au pôle du plat principal et en choisissant à volonté les accompagnements. La délinéarisation, par rupture syntaxique (par asyndète), a donc l’avantage d’engager plus de mobilité et permet la superposition de parcours narratifs qui ne sont plus de l’ordre du parasitage puisqu’ils s’inscrivent explicitement dans le parcours « nudgé ».

2.4. Les procédés déictiques ostentatoires : modifier la figuration objectale pour figurativiser une représentation subjectale

Ce type de nudge agit non pas sur l’ordre syntagmatique des actions, mais sur la figure conventionnelle d’un élément en tant que tel. Il s’agit par exemple de proposer une assiette de légumes présentés sous la forme d'un personnage ou encore de faire surgir une information-clé manifestant le côté sain d’un produit pour inciter l’usager à s’y intéresser et à le préférer. Il peut s’agir, par exemple, d’un émoticône ou d’une mise en valeur graphique de l’information. Deux nudges : deux types de construction ostentatoire. Dans le premier cas, on modifie le régime de la figuration en confrontant deux grandeurs : l’ordre du végétal/inanimé et l’ordre de l’humain/animé. Ces deux grandeurs sont mises en tension et toute l’efficacité du nudge résidera dans la résolution de cette tension, qui se jouera dans l’imaginaire du jeune enfant. Si la grandeur « humain / animé » prend le pas sur celle « végétal / inanimé », le nudge a de fortes chances de fonctionner. En effet, alors que l’ingestion de légumes est perçue chez beaucoup d’enfants comme une véritable contrainte imposée par leurs parents ou par les collectivités, le nudge qui figurativise un personnage virtuel construit un espace de liberté en parlant directement à l’imaginaire de l’enfant. La mise en tension de ces deux régimes figuratifs (végétal vs humain), fait surgir la possibilité d’un troisième champ de significations, qui émerge de leur confrontation : celle de la ludicité de l’alimentation enfantine, thème récurrent des aliments sucrés « de friandises » importés ici dans l’alimentation salée à fonction nutritionnelle. Cette troisième thématique figurativisée par la construction du nudge manifeste la résolution qui permet à l’instance interprétative de résoudre le conflit des interprétations possibles. En effet cette figurativisation est légitime pour figurer « l’objet » végétal lorsqu’il est destiné à un sujet enfant. C’est donc dans la superposition de ces deux grandeurs que naît en premier lieu une forme d’émotion ludique – qui va favoriser l’intentionnalité d’une action.

Dans le second cas, la métaphore fait place à la métonymie : on désigne dans le produit la partie intéressante pour le bien-être du consommateur, en faisant surgir là encore un régime de tension entre la gourmandise supposée de l’usager et son plaisir organoleptique et sa santé. La grandeur « santé » est assumée ici par le nudge, qui, à travers une opération de glissement/déplacement va modifier le centre de gravité de ce qui est dit du produit, en choisissant la propriété censée résumer la totalité des qualités, ou caractéristiques recherchées, du produit dans son entièreté.

2.5. Les processus de figurativisation d’une valeur abstraite

Ce nudge agit en deux temps. Un premier temps durant lequel on rend visible ce qui ne se voyait pas jusqu’alors, par effet de condensation. L’ensemble des pains est rassemblé dans des sacs, qui font figure de sanction tacite. Ce mode concret d’expression renvoie au concept même de gaspillage alimentaire par effet de symbolisation pourrait-on dire, jeter le pain incarnant à lui seul des pratiques contraires au développement durable, voire même aux principes du « vivre ensemble ». Si l’on en restait là, il s’agirait ni plus ni moins d’une mise en saillance figurative d’un processus de symbolisation du thème conceptuel et abstrait du gaspillage. Cette accentuation affichée des dysfonctionnements comportementaux serait d’ailleurs peut-être plus accablante qu’efficace. En effet, signaler la méconduite ne suffit pas toujours à l’annihiler et ce signalement ne ferait qu’ajouter une pesanteur à un parcours déjà fort contraint.

Les principes opératoires du nudge sont ici en réalité plus complexes. Sa syntaxe articule l’introduction de ces cartes informant les élèves d’un nouveau système d’équivalence. Alors que dans le premier système, les figures concrètes que sont les sacs plastiques remplis de pains figurativisaient la valeur abstraite négative de gaspillage alimentaire, après l’introduction de ces cartes, le pain jeté équivaut à des repas non offerts aux restos du cœur et le pain non jeté à des repas offerts. Les cartes agissent ici comme des agents transformateurs qui vont bouleverser le système de pensée des élèves. Le pain n’est plus ce qui est gaspillé. Il devient un potentiel d’action positive contrôlée par l’usager lui-même, en vue non plus de la seule négation d’une valeur négative (moins de pains jetés pour moins de gaspillage) mais de l’affirmation d’une valeur positive par la négation d’une action négative (plus de repas par moins de pain jeté), qui se manifestera par un résultat concret.

3. Évaluer l’efficience des nudges en restauration scolaire d’un point de vue sémiotique

Les dispositifs évoqués et décrits dans les deux premières parties supra répondent aux postulats de la théorie économique comportementale de l’individu « irrationnel » qui a besoin d’un « coup de pouce » (nudge) en vue de volontairement modifier certaines de ses pratiques socialisées, notamment lorsqu’une instance institutionnalisée les considère contraires à l’intérêt général d’un collectif.

Note de bas de page 10 :

Comme l’ont montré entre autres les travaux de Roman Frydman et Michael Golberg (2011).

L’observation attentive des situations des mises en place de « nudges » révèle pour le moins une efficience intermittente et généralement insuffisante pour modifier durablement les comportements des acteurs10. Le cas du Lycée Camille Guérin illustre, parmi bien d’autres, les limites des dispositifs adoptés et les illusions qu’ils suscitent parfois chez nombre de décideurs de politiques publiques et de responsables de stratégies commerciales. Ces derniers savent d’expérience que les « incitations douces » que constituent les techniques de « merchandising », ainsi que les politiques de « fidélisation » et de promotions sur les lieux de vente, qu’ils soient physiques ou numériques, doivent sans cesse être renouvelées et transformées, et que les résultats obtenus varient fortement d’une même opération à l’autre. Dans le monde marchand, toutes les études empiriques montrent les limites des méthodes d’influence non invasives (Meyer-Waarden, 2012, pp. 28-129).

Si l’orientation souhaitée par les effets de sens générés par des nudges paraît comprise par tous ceux à qui ils s’adressent, cette reconnaissance cognitive, généralement bien partagée, ne préjuge en rien des actions effectives qui s’en suivront.

En quelque sorte, il en va des nudges comme des messages de la publicité ou de la communication politique : chacun voit bien où ils veulent en venir mais pense ensuite pouvoir et vouloir agir selon d’autres systèmes de représentations axiologiques, qui incluront ou pas cette expérience cognitive antécédente, quelle que soit son degré de pertinence.

Sans doute, les outils théoriques de la sémiotique de la narrativité et des discours qui la manifestent dans les pratiques de relations sociales, peuvent-ils aider à expliciter cet écart entre la bonne compréhension des fonctions et des objectifs fixés par un dispositif quelconque et des pratiques subséquentes qui semblent ne pas en tenir compte, ou du moins de façon en apparence aléatoire.

Pour mieux comprendre pourquoi certains de ces dispositifs d’influence apparaissent fragiles et même souvent inopérants en situation de restauration scolaire, nous proposons une analyse sémiotique initiale de ce que les nudges disent du gaspillage alimentaire, et aussi de ce qu’ils ne disent pas, mais qu’ils présupposent. Nous nous appuierons sur quelques exemples cités dans les deux premières parties, tant pour analyser leurs modes d’énonciation que les contenus de significations qu’ils mettent en avant, selon différentes articulations et hiérarchisations discursives. En somme, il s’agit d’abord de comprendre ce qui est à la fois dit et occulté du gaspillage alimentaire et des moyens de le limiter par les instances collectives énonçantes lorsqu’elles se constituent comme sources de discours visant les publics scolaires usagers des cantines des écoles, des collèges et des lycées.

Il s’agira alors de saisir pourquoi les uns et les autres ne disent pas toujours ce qu’ils font et ne font pas ce qu’ils disent, pour reprendre une formule célèbre du sociologue-anthropologue Bruno Latour (1991).

3.1. Ce que disent les campagnes et les dispositifs « nudges » des institutions de la restauration scolaire et le problème de l’information collective

Pour l’essentiel, les responsables des actions collectives contre le gaspillage alimentaire s’érigent implicitement en source des discours énoncés sous formes textuelles verbales et non verbales (par affiches, documents divers, messages sur les sites internet, etc.) et par des pratiques « silencieuses » (Singler, op. cit.) qui visent à modifier les pratiques routinières du fonctionnement de la restauration collective scolaire.

Toutefois, ces actions ne changent jamais la finalité de la pratique de restauration attendue par leurs cibles : fournir des repas individuels en libre-service à tous les usagers ayant droit à les recevoir, selon une temporalité préétablie et dans l’espace dédié du restaurant.

On note que l’institution responsable de la restauration ne se désigne presque jamais comme énonciateur direct, explicite, de ces discours, qu’ils soient de nature textuelle ou s’actualisant par un dispositif « nudge ». Elle apparait au mieux comme la porte-parole et le relais d’une autre instance, de niveau supérieur, par exemple celle d’une campagne publique régionale (Nouvelle Aquitaine), nationale (PNLGA), voire internationale (FA0), contre le gaspillage alimentaire. À l’inverse, l’instance d’énonciation peut également faire apparaitre un énonciateur ponctuel qui prendra le masque d’un opérateur de communication impersonnel, comme dans le cas de l’opération « Zéro Gaspil » ou « Moins de miettes, plus d’assiettes » (cf. supra), et d’une multitude d’autres cas de même types.

Pour l’énonciataire, cette source discursive impersonnelle, anonyme ou masquée, ne pose pas de problème particulier. Pour tous, il semble « aller de soi » que l’instance d’énonciation de la restauration scolaire est en mesure de dire ou de faire dire ce qu’elle fait sans susciter de suspicion ni remise en cause de la légitimité de son action communicative au sens large, incluant la mise en place de nudges.

Cette véridiction a priori accordée aux énoncés découle du statut de l’instance. Les discours énoncés ne sont pas dissociables du lieu d’où ils s’énoncent : le restaurant scolaire, qui lui-même n’est pas dissociable du lycée ou de l’école, espace social de légitimité dans lequel les élèves ne peuvent pas ne pas faire ce qui est prescrit, pour acquérir des savoir-faire mais aussi des savoir-être. L’institution scolaire légitime les énonciateurs délégués de l’anti-gaspillage sous toutes leurs formes, comme elle légitime a priori la parole des enseignants.

Jamais, semble-t-il, on ne constate de remises en cause de ces actions anti-gaspillage ni contestations des discours par de jeunes acteurs qui peuvent en même temps, dans d’autres circonstances, manifester leur individualisme rebelle par des « vouloir et pouvoir faire » bien éloignés des normes et conventions sociales habituelles.

Mais une chose est de reconnaître le bien-fondé de l’énonciation et une autre de souscrire à ses contenus. Pour susciter cette adhésion, l’institution scolaire a choisi d’occulter sa présence « qui va de soi » pour faire apparaître des énonciateurs plus à même d’attirer l’attention et de solliciter l’intérêt pour ce qui se dit.

En s’effaçant par débrayage derrière des porte-paroles notoires ou plus attractifs, l’institution scolaire montre que l’attention aux discours devient « libre », indépendante du « ne pas pouvoir ne pas faire » qui caractérise l’essentiel des cours d’action, et même des cours d’existence, de ceux qui partagent les formes de vie scolaires. En organisant son invisibilité, l’institution énonçante instaure un espace de liberté où l’énonciataire peut exercer un vouloir savoir, un pouvoir faire, et même un vouloir pouvoir faire personnel, dans les lieux mêmes où d’habitude il ne peut pas faire autre chose que de prendre le repas qui lui est destiné au moment qu’on lui impose, et où il ne peut pas oublier que cette situation relève de son statut d’élève. Cet état socialement partagé règle les détails d’un comportement qui doit se conformer à des normes contraignantes, par ailleurs librement acceptées comme contrepartie inhérente d’une bonne scolarisation. La fréquentation de la cantine / restaurant scolaire génère des cours d’action d’une relation asymétrique entre l’usager et l’institution. Tout discours qui diminuerait l’importance des représentations potentiellement dysphoriques de cette asymétrie devrait être bien accepté par les élèves.

Encore faut-il que les contenus des énoncés textuels et des dispositifs de nudges puissent répondre aux attentes de libre pouvoir faire dont ils suscitent l’interprétation, comme on l’examinera plus loin. Mais déjà peut-on avancer qu’un dispositif nudge qui ne signifierait pas un nouveau degré de liberté pour l’usager de la restauration scolaire serait sémiotiquement disqualifié.

Note de bas de page 11 :

Jean-Marie Floch a introduit une méthode de description des « sémiotiques planaires » (photos, affiches, tableaux, etc ) dans Petite mythologies de l’œil et de l’esprit. Pour une sémiotique plastique (1985) ; puis la notion d’icono-texte et d’objet support (3D) sera développée par Jacques Fontanille, notamment dans Pratiques sémiotiques (2008).

En outre, les nudges se présentent le plus souvent comme des dispositifs matériels, donc des objets ou des réseaux d’objets constitutifs d’une « forme-sens », eux-mêmes corrélés à des formes icono-textuelles « planaires » verbales et non verbales11. Pour l’énonciataire, il s’agit d’un seul ensemble signifiant syncrétique, bien que les différentes parties qui constituent ce « tout de signification » puissent se découvrir progressivement dans le déroulement du cours d’action, avant, pendant et après la prise de repas. Nous n’entrerons pas ici dans l’analyse des techniques d’optimisation des agencements syntagmatiques de ces structures signifiantes.

Nous observerons plutôt que la plupart des dispositifs s’accompagnent d’une importante quantité de textes informatifs eux-mêmes syncrétiques (verbaux et iconiques) ; ils figurent en général l’importance du gaspillage alimentaire à l’échelle locale, nationale, internationale, mais beaucoup plus rarement à l’échelle micro-locale du restaurant. Puis, ils thématisent la nécessité de la lutte contre ce gaspillage.

Note de bas de page 12 :

Pour la théorie économique néo-classique « l’utilité » est une valeur entièrement signifiée par le prix accepté par l’acheteur comme un signe synthétique d’équivalence de cette valeur. Il n’est alors plus nécessaire de se poser la question de l’origine psychologique et/ou sociologique de cette « utilité ».

L’instance d’énonciation, ou ses délégués « débrayés », présupposent de la sorte que les élèves manquent d’information et que leurs comportements éventuellement déviants pourraient diminuer par une meilleure connaissance de la situation. Ce raisonnement est décalqué de celui des discours des économistes néo-classiques pour qui les comportements « irrationnels » des agents s’expliquent seulement par une « information imparfaite » qu’il convient de corriger. Cette explication est justement celle qui a été combattue comme une erreur par les économistes comportementalistes (Kahneman, Schiller, et finalement Thaler), ce qui a conduit Thaler et Sunstein à la conceptualisation des nudges. Le nudge se justifie uniquement par l’existence d’un mode d’interaction particulier de l’agent/sujet avec son environnement et de l’interprétation psychologique, non directement « utilitaire »12 qu’il en fait. De fait, les chercheurs de l’économie comportementale s’attaquent à l’illusion de la théorie néo-classique de penser la nécessité théorique d’une information « pure et parfaite » comme un préalable empirique à poser pour obtenir des comportements économiquement rationnels. Il est donc paradoxal de voir des opérateurs de nudges, certes dans un champ non directement marchand, reprendre à leur compte des recettes que le nudge est censé combattre et dépasser pour pallier leur inefficacité.

De plus, il semble bien que tous les élèves soient conscients de l’importance du gaspillage alimentaire et de son caractère hautement négatif pour la société dans laquelle ils vivent, et au-delà pour l’ensemble de la planète. Pour ceux qui l’ignoreraient encore, l’actualité médiatique ambiante se charge déjà de les informer. Ils n’attendent pas un supplément d’information pour modifier leurs comportements mais, comme on l’a vu plus haut, des ouvertures sur d’autres « pouvoir faire » plus euphoriques (au sens sémiotique du terme) quand ils fréquentent la cantine.

De même que la connaissance des conséquences négatives d’une addiction n’empêche pas de s’y adonner, la représentation largement acceptée du gaspillage alimentaire comme contre-valeur collective n’est pas forcément une raison suffisante pour changer ses comportements individuels.

De surcroît, le caractère inévitablement normatif de cette masse d’informations sur le gaspillage alimentaire énoncée dans le cadre contraint de la restauration scolaire peut apparaitre comme un nouveau « ne pas devoir faire » porteur d’un sentiment de culpabilité qui se surajoute au « ne pas pouvoir ne pas faire » du repas collectif préprogrammé.

Le cas du « challenge » du Lycée C.G fondé sur des processus cognitifs de mises en correspondance d’informations sur le gaspillage « local » avec des données générales d’équivalences abstraites (simulées) de gaspillage de biens marchands apparait maintenant inutile, car les élèves connaissent déjà, intuitivement ou précisément, la dimension économique négative du gaspillage alimentaire. Il apparait surtout sémiotiquement peu pertinent. En effet chacun est à nouveau confronté à des représentations dysphoriques de la restauration collective, sans propositions de solutions individuelles de modification de sa situation personnelle, qu’il partage nécessairement avec un collectif présenté essentiellement comme fautif.

Le « Challenge » récompense collectivement la diminution du gaspillage alimentaire dans ce Lycée, par quelques chocolats en prime. On notera que cette récompense qui peut sémantiquement se catégoriser comme un « petit cadeau » renforce la signification de la rigidité de la relation asymétrique élève-institution dans la mesure où ce « mini don » atteste que l’objectif de baisse des déchets doit être atteint sans modifier ni l’ordonnancement des repas ni les parcours programmés des usagers. Ce remerciement « pour solde de tout compte » exempte les responsables de la restauration de modifier leurs pratiques. Seuls le comportement des élèves devrait changer, position sans doute intenable à tenir dans la durée et source de fragilité immédiate pour le « Challenge ».

3.2. Les discours de renversement des rôles actantiels

Comme on vient de le voir, les discours syncrétiques où se déploient les incitations des nudges ne sont pas séparables des pratiques et des situations qui les intègrent. Ces pratiques sont avant tout des pratiques relationnelles entre l’institution scolaire et les élèves à l’occasion de la prise des repas. Elles mettent en scène l’Institution en tant que telle comme Destinateur, plus ou moins repérable sous les différents rôles actantiels évoqués avant. Celui-ci s’adresse à un Destinataire, le collectif des élèves, en lui fournissant un repas conventionnellement obligatoire grâce aux compétences et performances d’un Sujet opérateur, le service de restauration, qui peut lui-même s’actorialiser sous différentes figures. Ces relations ne relèvent pas de l’échange marchand ni même de l’échange non marchand entre acteurs tenus à la réciprocité. Les élèves ne payent pas directement leurs repas. Certes, ils doivent en retour des services rendus se conformer à des comportements préétablis et suivre leur scolarité. Mais ces obligations relèvent d’une autre relation contractuelle entre leurs familles et l’institution et le restaurant scolaire n’est qu’une des formes ponctuelles et limitées par lesquelles s’actualisent la relation supérieure qui régit la relation particulière de restauration. En suivant les typologies des schèmes des relations sociales de Descola (2005), reformulées selon une épistémologie sémiotique par Fontanille et Couégnas (2018), on qualifiera cette situation relationnelle comme une asymétrie positive de Don (au sens anthropologique du terme). Le Destinateur donne les repas sans contrepartie directe du Destinataire, d’où quelquefois son embarras et ses maladresses à lutter contre « le gaspillage alimentaire » par des demandes d’efforts « compensatoires », comme l’illustre le cas du Lycée Camille Guérin. Celles-ci peuvent apparaître pour ceux à qui elles s’adressent comme une remise en cause de la relation de don.

En revanche, certains exemples cités dans la seconde partie ouvrent la voie pour d’autres relations actantielles possibles. Dans le cas « Moins de Miettes, plus d’assiettes », le Destinateur institutionnel, dans un rôle inhabituel actorialisé par les figures d’une « opération » ponctuelle, ouvre la possibilité au Destinataire collectif de devenir à son tour Destinateur dans une nouvelle pratique de Don dont le nouveau Destinataire sera « les Restos du Cœur » par le truchement du Sujet opérateur commun aux deux schématisations relationnelles, le service de restauration de l’établissement, actorialisé selon des figurations appropriées. Dans cet exemple, l’Objet du don, les « assiettes » pour les Restos du Cœur, est bien constitué par le Sujet opérateur à partir d’une transformation de l’Objet initial (le repas scolaire) à l’initiative d’un nouveau Destinateur collectif : les usagers de la cantine, dont les rôles actantiels ne sont plus régis par les obligations du statut d’élève mais par la libre volonté d’un citoyen soumis à l’éthos de la responsabilité.

Une observation approfondie du corpus des « opérations » conduites en milieu scolaire permettrait de relever d’autres cas similaires d’encapsulage de nouvelles pratiques intégrées dans la pratique canonique (régissante) de la restauration à la cantine, conduisant au « renversement des rôles actantiels » (ibid.).

3.3. La manifestation de la valeur du gaspillage alimentaire dans les discours des acteurs

Tous les discours des acteurs, tant dans leurs rôles de destinateur que dans celui du destinataire collectif, définissent le gaspillage alimentaire selon sur une axiologie négative, que manifeste a priori sans ambiguïté la sémantique de ce syntagme. Il « va de soi » pour tous qu’il s’agit d’un phénomène dysphorique, quelle que soit l’échelle de son analyse, de la pratique d’une consommation individuelle jusqu’aux enjeux civilisationnels planétaires qu’il thématise. On ne reviendra pas ici sur l’universalité de cette figurativisation d’une dimension déviante, scandaleuse et par suite condamnable, dans le cadre des « vivre ensemble » des collectifs humains depuis l’aube de l’humanité. Néanmoins, on signalera, sans s’y attarder dans le cadre de cette communication, que cette représentation doxique occulte une autre valorisation positive du « gaspillage » des aliments. Celui-ci se présente dans certaines sociétés comme une forme d’affirmation d’un pouvoir sur la collectivité, comme l’a analysée l’anthropologie depuis les observations de Mauss sur les potlatchs des indiens du Nord-Ouest américain (1924), suivies par les analyses de Bataille (1949), puis par celles de très nombreux anthropologues, de Lévi-Strauss à Godelier (1997), attestant de l’universalité et de la pérennité du phénomène. Admettons par simplification méthodologique que ces occurrences ne concernent pas la restauration scolaire mais uniquement certains cercles restreints des élites dominantes, médiatisées dans quelques sociétés contemporaines.

Si nous revenons à la doxa, l’expression « gaspillage alimentaire » réalise deux catégories de valeurs :

a) des valeurs de différenciation ou systémiques qui permettent de définir ce phénomène par rapport à ce qu’il n’est pas, selon le principe saussurien de la négativité linguistique pour pouvoir déterminer de façon contrastive un signifié différentiel « en société », ici dans le cadre de la restauration scolaire

b) des valeurs modales qui permettent de décrire les finalités (Fontanille, 2015) des signifiés pour les locuteurs qui l’énoncent pour faire ou être, et pour devoir, pouvoir, croire, savoir, etc. s’identifier dans des formes de vie, ici la forme de vie scolaire française.

En premier lieu, le gaspillage alimentaire comme configuration de signifiés différentiels se distingue de tous les gaspillages « non-alimentaires » et du gaspillage comme catégorie sémantique générique. Cette restriction et cette spécificité, qui diminue son champ d’application et restreint son domaine de nuisance sociale à l’alimentation, à l’inverse augmente l’intensité émotionnelle de son rejet et de son « aversion ». On n’emploie pas les mêmes qualifiants pour décrire un gaspillage d’autres objets matériels ou immatériels. Il n’y a pas de programmes comparables à l’échelle nationale ou internationale au « Plan contre le gaspillage alimentaire » qui seraient associés avec autant de forces symboliques et de mobilisation collective à la lutte contre d’autres formes de gaspillages. Souvent on préfère alors plutôt évoquer des « plans d’économie », de l’énergie, de tel ou tel matériau, de tel ou tel intrant dans un processus de production, etc. Ici la spécification alimentaire du gaspillage désigne et signifie immédiatement une stigmatisation et l’indexalité d’une situation insupportable qui transparaissent tant dans les verbatim de l’enquête du Lycée C. Guérin que dans les descriptions de plusieurs études en milieu scolaire. Cette puissance émotionnelle sous-jacente est en correspondance directe avec les signifiés de l’alimentation comme premier principe de survie de l’espèce humaine. Gaspiller l’alimentation devient fréquemment dans nombres de discours culturels de toutes les civilisations la figurativisation d’une hostilité à l’humanité même, un acte d’une pratique « inhumaine ».

En second lieu, dans une perspective modale, gaspillage suppose un faire : gaspiller.

Gaspiller ne prend son sens que parce qu’il faut travailler pour produire les aliments et mesurer par extension les efforts nécessaires à leur obtention et à leur mise à disposition. Gaspiller ce n’est pas seulement soustraire un bien à la consommation, c’est « anéantir », renvoyer au néant les cours d’action qui avaient été nécessaires pour le réaliser en vue de sa consommation. Le pouvoir de gaspiller n’annihile pas seulement le pouvoir de consommer, il virtualise la réalité d’un faire productif antérieur.

Le sens de l’expression se génère sur un premier axe d’opposition de faire :

ANNIHILER ≠ CONSOMMER.

Ces deux faires opposés présupposent toujours un bien artefactuel déjà réalisé qui pourrait être manipulé de façon contradictoire : au lieu d’être gaspillé il aurait pu être conservé et au lieu d’être consommé il aurait pu être épargné (économisé).

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Ces carrés sémiotiques permettent de cartographier tous les discours des corpus rassemblés précédemment selon que leurs « parcours narratifs » mettent en avant ou au contraire occultent l’un des pôles des valeurs qui définissent la catégorie du gaspillage (alimentaire). Ils vont maintenant nous permettre d’évaluer les différents discours d’influence par des « nudges » selon l’analyse d’un même « algorithme » de production des significations.

3.4. Évaluation de l’efficience des nudges et méthodologie d’opérationnalisation des politiques sociales d’incitation à limiter le gaspillage alimentaire

L’étude des différents dispositifs de nudges comme éléments isolés d’un système figuratif et rhétorique nous conduit maintenant à les intégrer aux pratiques qui les manipulent et les déterminent. On vient de le voir, les significations de chacune de ces « figures-sens » sont inséparables d’une scène particulière : celle de la restauration scolaire collective, sur laquelle ils visent à modifier les relations entre plusieurs actants humains et non-humains.

  • Côté humain, on note l’institution scolaire en tant que telle et ses démultiplications fonctionnelles : les services de restauration ; les élèves en tant qu’actants individuels et que partie de l’actant collectif des « usagers » des cantines.

  • Côté dispositifs matériels : les éléments spatio-temporels par lesquels les interactions entre les actants humains s’effectuent, soit : 1. la matérialité du parcours du libre-service, 2. la temporalité des cours d’action et 3. la typologie des gestualités qui sont impliquées par le dispositif d’ensemble.

Dans cette situation, évaluer un nudge suppose de prendre en compte la totalité des pratiques d’interactions dans lesquelles son discours particulier est « encapsulé » (Fontanille et Couégnas, op. cit., p. 58). Adoptant le cadre conceptuel des pratiques sémiotiques (Fontanille, 2008) nous considérerons successivement le point de vue de « l’opérateur » de la pratique qui met en place le nudge, c’est-à-dire l’Institution scolaire, puis son « acte » discursif comme mise en rapport entre l’objectif qu’elle fixe au nudge et son utilité effective.

Par rapport à l’instance d’énonciation opératrice du nudge, il convient de considérer la façon dont elle se présente et le type de relation qu’elle établit avec les destinataires énonciataires, considérés tant d’un point de vue individuel que collectif. Sur ces deux points, on observe une structure similaire de la pratique énonciative dans les six exemples étudiés. Celle-ci se caractérise par deux traits principaux :

  1. L’institution opératrice est occultée ; elle se dissimule derrière de nombreux énonciateurs délégués par débrayage pour prendre en charge la relation avec les usagers.

  2. Il s’agit d’une relation asymétrique de don, au sens de Descola (Fontanille et Couégnas, op. cit., p. 51) c’est-à-dire sans obligation de réciprocité (cf. supra).

Ces deux caractéristiques de la situation énonciative : énonciateurs pluralisés masquant l’institution instanciée et don sans réciprocité masquant une obligation du faire de restauration déterminent les formes de l’acte de « nudging » : celui-ci devra apparaître comme un moyen de proposer un degré de liberté par rapport aux obligations, un vouloir-pouvoir faire de l’actant collectif et comme une modification thymique du parcours du self vers plus d’euphorie et moins de dysphorie de l’actant individuel.

Pourquoi l’Institution organise-t-elle son invisibilité alors que de l’opinion de tous elle est légitime pour limiter le gaspillage alimentaire et crédible dans les discours qu’elle tient sur ce sujet ? (cf. supra) Examinons les figures des énonciateurs débrayés pour décrire ce qu’ils construisent comme significations différentes et efficientes :

a) La mise en avant de rôles actantiels non humains saillants, de type « merchandising », introduit une signification de « libre choix » dans le système clos du parcours du self imposé par l’institution : le nudge est ici une « concession », « Bien que vous soyez obligé de prendre votre repas dans mon dispositif, il existe une alternative partielle pour tel ou tel plat ». Cette alternative est d’autant plus crédible et attractive qu’elle peut apparaître comme indépendante de l’institution responsable de l’organisation routinière du parcours ; toute indexation explicite à l’institution renverrait au contexte des contraintes et au paradoxe d’un don « gratuit », mais que l’on ne peut refuser. Dissocier ce nouveau « don », que l’on peut accepter ou non, du don sans réciprocité possible du repas normé est la condition de son efficacité.

b) La mise en avant de rôles actantiels impersonnels, sous formes d’opérations collectives à l’initiative de prestataires extérieurs (Zéro gaspil, Mille et un repas) accentuent la crédibilité d’un pouvoir faire indépendant des routines de l’institution scolaire, tout en offrant la possibilité d’une satisfaction hédonique effective lors du repas. L’institution scolaire montre que l’attention portée à ces discours devient « libre », indépendante du « ne pas pouvoir ne pas faire » qui caractérise l’essentiel des cours d’action, et même des cours d’existence, de ceux qui partagent les formes de vie scolaires.

c) La mise en avant de rôles actantiels syncrétiques par inversion et fusion des rôles de destinateurs et de destinataires dans une opération de communication de pratique anti-gaspillage est décrite plus haut. On note que le changement d’état, de celui d’élève soumis à une norme comportementale à celui d’acteur responsable de son action, renforce la cohérence des valeurs partagées par l’actant collectif. Chacun de ses membres individuels s’en trouve positivement affecté, quelle que soit sa participation effective à l’opération. Par opposition, le » challenge » du Lycée Camille Guérin, maintient chacun dans son statut d’élève « récompensé » par des « bons points » collectifs (des chocolats) quelle que soit son désir et son comportement effectif de diminution du gaspillage.

Du point de vue de l’opérateur énonciateur, l’objectif de limitation du gaspillage au restaurant pourrait conduire à un nudging qui privilégierait pour être efficace :

  • soit l’état thymique (passionnel) de l’actant visé en agissant sur la tension entre la dysphorie et l’euphorie du « moment vécu » du repas, considéré comme un cours d’action cohérent, tant dans son articulation syntagmatique que par sa manifestation paradigmatique ;

  • soit le faire pratique de ces actions en agissant sur la tension entre les contraintes et les libertés inhérentes à la pratique du repas en libre-service.

Bien évidemment ces deux axes d’opposition peuvent faire l’objet d’une recherche de solutions de résolution conjointes, comme le montre l’exemple de l’opération « moins de miettes, plus d’assiettes ». D'un point de vue sémiotique d’une manipulation du sens du repas « à la cantine » qui peut être proposé par l’opérateur énonciateur, il ne s’agit que de manifester deux figurations particulières mais complémentaires d’un même cours d’action régi par une même dynamique tensive de « concession », telle que décrite par Zilberberg (2006, pp. 203-205). Ici, cette manifestation de formes-sens de nudging sera éprouvée en tant que « survenir » (événement) qui viendra contredire « la doxa » partagée à la fois par l’utilisateur et l’institution. On peut la gloser sous la forme suivante : « bien que les repas à la cantine n’aient pas à être évalués en termes de plaisirs gustatifs ni de satisfactions d’un moment vécu, vous allez être (opérateur) / Je suis (utilisateur), surpris par la qualité de telle ou telle proposition de choix ».

Puis, « bien que vous deviez/je doive suivre la procédure routinière pour parvenir à un repas « gratuit » (don), vous pouvez/je peux transformer cette contrainte en évènement pour faire survenir un autre état de choses

Conclusion

En conclusion, chaque proposition de dispositif de nudges visant à réduire le gaspillage alimentaire dans la restauration scolaire, ou autre, devrait se soumettre ex ante à un examen critique de son discours, en correspondance avec ses objectifs pratiques d’incitation à modifier les comportements. Ce premier point consiste à analyser le ou les cours d’action des sujets visés, tels qu’ils sont observables dans la situation présente, avant toute introduction du nouveau dispositif d’incitation. Il s’agit avant tout de renoncer à qualifier « d’irrationnels » les comportements observés. À l’inverse, il convient de reconstituer les logiques et les enjeux individuels et collectifs des pratiques effectives, à la manière des ethnologues, voire des éthologues, et d’en comprendre les significations et le sens général pour tous les acteurs en interaction dans les pratiques soumises à examen. À partir de ce « terrain », une interprétation sémiotique (ou anthroposémiotique – Fontanille et Couégnas, op. cit.) permet ensuite d’élucider l’axiologie et les états affectifs et modaux, associés à ces cours d’action, encapsulés dans des formes d’existence sociales et des schèmes de pratiques relationnelles prédéfinies. À l’issue de ces analyses, une reformulation (une « présentation métasémiotique » dans les termes de Fontanille et Couégnas) devient possible pour « la forme sémiotique complexe socialement pertinente » (id. p. 243) qui était délimitée et identifiée comme sujette à transformation.

Cette « présentation » devrait ensuite être confrontée à la « forme-sens » du discours du ou des dispositifs envisagés en prenant en compte comment cette dernière modifierait, par hypothèses (ibid., pp. 244-245),

(i) la totalité de la forme complexe analysée (variations des relations des parties au tout ; modifications des clôtures, des ouvertures, vers d’autres plans ; variations des médiations entre les unités hétérogènes qui composent la forme totalisée...) ;

(ii) le flux (la dynamique) des cours d’action, voire des cours d’existence, des acteurs ;

(iii) le mode existentiel des collectifs qui s’instaure par leur participation à la forme complexe identifiée (variation des pratiques relationnelles entre acteurs, risques concernant le maintien, la dilution, voire la disparition des relations).

Finalement, c’est seulement au terme de cette ou de ces simulations que la décision d’opérationnaliser un dispositif de nudge avec une probabilité raisonnée d’efficience pourrait être prise.

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Pour citer ce document

McLAUGHLIN C., BOBRIE F. et KRUPICKA A., (2021). Goûtons aux nudges : contre le gaspillage alimentaire Réflexions Sémiotiques sur les pratiques d’influence de type « nudge » en milieu scolaire. Actes Sémiotiques, (124). https://doi.org/10.25965/as.6742

Auteurs
Cécile McLAUGHLIN
Centre de Recherches Sémiotiques,
Université de Limoges
François BOBRIE
Centre de Recherches en Gestion,
Université de Poitiers
Anne KRUPICKA
Centre de Recherches en Gestion,
Université de Poitiers
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