Pour une sémiotique de la propagation : invention et imitation sur les réseaux sociaux

Yvana Fechine

Recife, Université Fédérale de Pernambouc (Brésil)
Centre de Recherches Sociosémiotiques (CPS, PUC-São Paulo)

https://doi.org/10.25965/as.5953

Index

Articles du même auteur parus dans les Actes Sémiotiques

Mots-clés : imitation, invention, mème d’Internet, propagation, régimes d’interaction, réseaux sociaux

Auteurs cités : José Luiz FIORIN, Gérard GENETTE, Algirdas J. GREIMAS, Eric LANDOWSKI, Gabriele MARINO, Ana C. de OLIVEIRA, Ferdinand de SAUSSURE, Gabriel TARDE, Ugo VOLLI

Plan

Texte intégral

1. L’impératif de la propagation

L’émergence des plateformes numériques, à savoir l’apparition d’architectures informatiques proposant des interfaces conviviales et assurant des processus interactionnels et des activités sociales, a profondément influencé la production et la consommation de contenus. Ces plateformes ont donné lieu à de grands réseaux sociaux numériques, également appelés médias sociaux, qui s’appuient sur toute une gamme d’applications (software) pour la création et le partage de contenus sur Internet. De nos jours, une grande part de nos relations interpersonnelles transitent par les réseaux sociaux numériques. L’interaction sur ce marché mondial, actuellement dominé par des géants comme Google et Facebook, repose sur la création et l’échange de contenus générés par les utilisateurs. Les plateformes numériques se sont ainsi transformées en de grandes corporations médiatiques, dont le profit repose sur ces relations en réseau. Les utilisateurs, immergés dans une culture qui vend leur participation, constituent des agents effectifs pour la publication, le partage, la reconfiguration (le remixage, le sampling, le remake) et l’appréciation (les recommandations, les commentaires) des contenus véhiculés par ces médias. En tout ce vaste domaine, propagation est le maître mot.

Note de bas de page 1 :

 Cf. H. Jenkins, S. Ford, J. Green, Cultura da Conexão : criando valor e significação por meio da mídia propagável, São Paulo, Aleph, 2014.

Note de bas de page 2 :

 L’idée d’« économie d’engagement », fondée sur les postulations de Jenkins, Ford et Green (op. cit., p. 92), se réfère aux stratégies qui visent à rentabiliser les comportements du public sur les réseaux sociaux. Le terme d’« engagement » désigne également l’implication du consommateur / utilisateur à l’égard de certains produits de l’industrie médiatique, qui peut le conduire à intervenir sur les contenus qui lui sont proposés.

« Propager », « propagation », « média propagable », « propagabilité » (en anglais spreadability), tels sont les termes employés par Henry Jenkins, Sam Ford et Joshua Green pour décrire les modes de circulation des contenus médiatiques tels qu’ils résultent à la fois des filtres et procédures fixées par les plateformes Internet, et des motivations et dispositions d’un public prêt à participer à une telle production collaborative rendue possible par des « applications » désormais connues sous le nom de Web 2.01. Cet environnement culturel et technologique fait coexister des logiques et des pratiques relevant du marché privé avec des démarches sans but lucratif qui s’appuient sur le collectif et le volontariat ; entre les unes et les autres les frontières sont ténues et donnent lieu à toutes sortes de tensions. Motivés par l’attente de reconnaissance, la possibilité d’exprimer et de diffuser des idées auprès d’un large public, ainsi que de tisser des relations, les utilisateurs, de leur côté, sont prêts à consacrer une partie de leur temps à des contributions créatives qui viennent alimenter les réseaux numériques dans le cadre d’une « économie de l’engagement »2.

Parmi ces contributions créatives, les mèmes font partie des formes les plus populaires et les plus susceptibles d’être propagées sur Internet. Les « mèmes » sont des textes spécifiques du web. Ils résultent de la disposition des internautes à transformer et partager toute forme qui apparaît et se diffuse sur Internet, en général anonymement. La compréhension des modalités de diffusion des mèmes sur les médias sociaux peut donc nous aider à mieux saisir la dynamique de la propagation en réseaux. Au-delà du cas spécifique des médias sociaux, et des mèmes en particulier, la propagation doit être envisagée comme une dynamique expansive plus ample, soutenue par une syntaxe dont la description constitue une sorte de défi pour la sémiotique.

Note de bas de page 3 :

 Cf. E. Landowski,Passions sans nom, Paris, PUF, 2004, ch. 6., et « Pour A. », in Y. Fechine et al. (éds.), Semiótica nas práticas sociais, São Paulo, Estação das Letras e Cores, 2014, pp. 17-18.

Notre point de départ pour la décrire réside dans le présupposé que la propagation consiste, dans le cas des médias sociaux comme dans d’autres cadres, en une dissémination motivée et plus précisément dans la mise en circulation d’éléments qui conservent leur valeur dans l’acte même de leur propagation. Les réseaux sociaux numériques ne font que nous indiquer de manière particulièrement manifeste la nécessité de construire un cadre conceptuel suffisamment général et articulé pour nous permettre de rendre compte sémiotiquement de la façon dont des éléments se disséminent au sein d’une culture marquée par l’accélération et l’appel à la participation. Ces réseaux peuvent donc être vus comme la pointe de cet iceberg qui nous interpelle théoriquement. C’est pour cette raison qu’ils vont ici nous servir de référence pour la construction d’une sémiotique de la propagation. A un stade ultérieur, nous devrions ainsi pouvoir contribuer non seulement à la problématisation de notions reconnues dans le domaine de la communication mais que la logique des plateformes numériques remet en cause, telle celle de transmission, mais aussi à l’approfondissement d’idées comme celles de processus de propagation par transitivité (contagion) ou contiguïté (alastramento), identifiés par Eric Landowski pour des phénomènes de l’ordre du sensible3.

Note de bas de page 4 :

 Cf. E. Landowski, Interações arriscadas (2005), trad. Luiza Silva, São Paulo, Estação das Letras e Cores - CPS, 2014.

Note de bas de page 5 :

 Le 27 juin 2017, Mark Zuckerberg, président-directeur de Facebook, a fait savoir que le réseau social comptait à ce jour deux milliards d’utilisateurs dans le monde. Cf. http://g1.globo.com/tecnologia/noticia /facebook-atinge-os-2-bilhoes-de-usuarios.ghtml.

Note de bas de page 6 :

 Cf. J. Van Dijck, The Culture of Connectivity. A Critical History of Social Media, New York, Oxford University Press, 2013, p. 50.

Cette approche liminaire de la propagation se fonde sur les études du langage et notamment sur la typologie des régimes de sens et d’interaction construite par Landowski4. Ce modèle nous a servi de référence pour la catégorisation que nous présentons ici sur la base de l’analyse spécifique de mèmes d’Internet en circulation sur le réseau Facebook. Le choix de ce réseau se justifie sans peine puisqu’on sait que Facebook, créé en 2004, est devenu en un peu plus d’une décennie le plus grand réseau social numérique grâce au développement de milliers d’applications qui garantissent sa connexion avec d’autres plateformes et services5. Sa position de leader lui a permis de jouer un rôle clé pour incorporer dans notre quotidien la pratique du « partage » et par conséquent de la propagation6.

Note de bas de page 7 :

 Y. Fechine, « Propagabilidade e interação em redes sociais digitais : uma abordagem semiótica a partir dos memes », Galáxia, 37, 2018 (https://revistas.pucsp.br/galaxia). Article publié dans le cadre d’un dossier consacré au centenaire de la naissance d’Algirdas J. Greimas, organisé par le Centre de recherches socio-sémiotiques (Centro de Pesquisas Sociossemióticas (CPS), Programme de maîtrise et doctorat en communication et sémiotique, PUC-São Paulo).

Le modèle que nous allons présenter résulte de l’observation des mèmes collectés sur le profil Facebook de l’auteur au cours de l’année 2016. On trouvera dans la revue brésilienne Galáxia une description détaillée de cette étude, incluant la reproduction d’exemples de mèmes d’Internet correspondant aux catégories analytiques proposées7. Pour la présente publication, nous avons cependant choisi de mener une discussion plus conceptuelle des catégories qui forment la base de notre modélisation. Deux raisons motivent cette décision. Tout d’abord, le souci de mettre en avant la portée générale de la proposition, en l’affranchissant d’un corpus particulier. Ensuite, le fait que l’analyse des mèmes avec lesquels nous travaillons imposerait une description excessivement longue des contextes et des situations de la vie politique et culturelle brésilienne, sans lesquels ils ne pourraient pas être compris.

Etant donné le nombre extrêmement limité de travaux portant sur les mèmes selon une perspective sémiotique, nous croyons utile, avant d’analyser les conditions et les formes de leur propagation, de les caractériser en tant que type particulier de manifestations textuelles. Ce sera la première étape de notre parcours.

2. Les mèmes d’Internet comme phénomènes de langage

Note de bas de page 8 :

 Cf. J. Toth et V. Mendes, « Monitorando memes e mídias sociais », in T. Silva et M. Stabile (éds.), Monitoramento e pesquisa em mídias sociais : metodologias, aplicações e inovações, São Paulo, Uva Limão, 2016.

Note de bas de page 9 :

 Cf. Gabriele Marino, « Semiotics of spreadability : A systematic approach to Internet memes and virality » , Punctum, 1, 1, 2015 (http://punctum.gr/?page_id=194).

Dès l’origine, le terme de « mème » (de l’anglais meme) a été associé à l’idée d’« unités d’imitation » susceptibles de se transformer au cours d’un processus de réplication. L’expression a été utilisée pour la première fois par le biologiste Richard Dawkins, qui, en suggérant un parallélisme avec le concept de gène, a proposé, dans les années 1970, la notion d’unités de transmission culturelle ou d’imitation (sociale) par le truchement desquelles les comportements et les idées passeraient d’une génération à l’autre. Pour Dawkins, le mème serait le « gène de la culture »8. Bien que l’idée d’évolution culturelle inhérente à l’expression en question ait fait l’objet de nombreuses critiques, le terme a fini par être repris, métaphoriquement et dans d’autres domaines de la connaissance, y compris dans les études sémiotiques, pour désigner des idées, des images, des textes qui se diffusent facilement9. L’expression s’applique aujourd’hui à un type spécifique de textes relevant d’une logique d’imitation, en circulation sur le web.

Note de bas de page 10 :

 Cf. Museu de Memes, O que são memes, www.museudememes.com.br/o-que-sao-memes/, 2017. Le #MUSEUdeMEMES (www.museudememes.com.br.) est un projet lié au Département d’études culturelles et des médias de l’Université Fédérale Fluminense qui, outre des publications et l’organisation de rencontres, gère une collection de références (webmuseu) mise à la disposition des chercheurs intéressés par l’univers des mèmes.

Génériquement, l’appellation de « mème d’Internet » recouvre des manifestations variées — photos avec légende, GIFs (Graphics Interchange Format), tournures verbales, vidéos, etc. — qui se répandent à la faveur du partage entre utilisateurs. Prenant généralement la forme de contenus éphémères, les mèmes comportent souvent une part d’humour, d’ironie, de critique politique et sociale. Ce ne sont pas des unités isolables mais des chaînes composées d’éléments en provenance d’un même champ notionnel, et leur signification dépend de l’ensemble dans lequel ils sont insérés. Les chercheurs du #MUSEUdeMEMES expliquent qu’une pièce particulière qui se propage à travers les médias sociaux comme une unité isolée ne constitue pas un mème mais un viral10. Agissant nécessairement comme des « collections » de textes, les mèmes forment des arrangements complexes de concepts et de comportements qu’on peut appeler des chaînes mémétiques.

Note de bas de page 11 :

 Cf. G. Marino, art. cit. ; Y. Fechine, « Regimes de interação nas manifestações transmídias », in id., Semiótica nas práticas sociais. Comunicação, Artes, Educação, São Paulo, Estação das Letras e Cores - Centro de Pesquisas Sociossemióticas, 2014 ; C. A. Scolari, Hipermediaciones. Elementos para uma Teoría de la Comunicación Digital Interativa, Barcelona, Gedisa, 2008.

Note de bas de page 12 :

 Cf. G. Genette, Palimpsestos. La literatura en segundo grado, Madrid, Taurus, 1989.

Toutefois, l’appel à des éléments de la culture populaire, et leur propagation dans les environnements virtuels ne suffisent pas pour caractériser sémiotiquement le type de texte d’Internet qu’il est convenu d’appeler un mème. Pour cela, il faut ajouter qu’étant donné que le sens d’un mème dépend toujours d’un ou de plusieurs textes avec lesquels il est associé, tout mème d’Internet doit, de plus, être considéré comme une manifestation dotée d’hypertextualité, propriété fondamentale des nouvelles formes de communication11. La notion d’hypertextualité dérive des idées pionnières de Gérard Genette sur la « transtextualité » (tout ce qui met un texte en relation explicite ou implicite avec d’autres textes ou éléments textuels)12. Selon Genette, l’hypertextualité caractérise la situation où un texte A (hypotexte) dérive d’un texte B (hypertexte) et plus précisément le cas où, même si B ne dit rien de A, il ne pourrait pas exister tel qu’il est si A ne l’avait pas précédé, étant donné qu’il en constitue d’une certaine manière le double. Le mème peut être considéré comme une manifestation hypertextuelle dès lors que le sens de chaque unité dépend essentiellement de son rapport à une forme originelle déterminée, génératrice de l’ensemble. Autrement dit, ce qui constitue un mème, c’est la relation hypertextuelle qui s’établit entre lui et un autre mème moyennant tel ou tel type de dérivation qui les lie l’un à l’autre.

C’est sur la base de ces dérivations continues entre formes que s’établit la « collection » ou la chaîne de mèmes, ce qui nous amène à les concevoir nécessairement comme les parties d’un tout qui se constitue telle une série. Chaque mème possède des éléments qui se répètent dans toutes les autres unités et qui permettent de l’identifier comme une partie de la même série. Cependant, si chaque unité était identique à une autre, la sérialisation n’aurait pas lieu. Une transformation entre les unités de la série s’avère donc nécessaire. Pour cette raison, chaque mème présente des éléments qui varient par rapport à un autre élément de la collection dont il fait partie. La manière dont cette sérialisation différenciée se produit sur la base des dérivations d’une unité à une autre peut s’expliquer par un processus plus général de transformation du langage, que Saussure a nommé « analogie ».

Note de bas de page 13 :

 F. de Saussure, Curso de Linguística Geral, São Paulo, Cultrix / Edusp, 2006, p. 189.

Note de bas de page 14 :

 Ibid., p. 187.

Note de bas de page 15 :

 Ibid., p. 194.

Note de bas de page 16 :

 Ce qui correspond à la notion bien connue en sémiotique de « praxis énonciative ».

Note de bas de page 17 :

 F. de Saussure, op. cit., p. 187.

Saussure entend par analogie le processus par lequel les langues « passent d’un état d’organisation à un autre » grâce à la capacité relative d’une forme d’en engendrer d’autres par le biais d’un usage créatif du système, autrement dit, d’une invention13. Chez Saussure, une forme analogique « est une forme faite à l’image d’une ou plusieurs autres d’après une règle déterminée »14. Dans toute analogie, il existe une « forme génératrice » : un élément commun entre la forme transmise et celle d’arrivée. Dans le cas de la langue, on peut identifier cet élément, par exemple, à une « racine », un radical ou un suffixe. Mais dans une perspective plus générale, cette forme commune peut être associée à tout élément reproductible et reconnaissable15. Par ailleurs, en termes saussuriens, l’analogie, qui apparaît nécessairement dans la parole (le procès) et dans la sphère de l’individu, ne passe pas toujours sur le plan de la langue (du système). Pour entrer dans la langue, elle doit être adoptée par la collectivité, c’est-à-dire être imitée jusqu’à ce qu’elle s’impose à l’usage16. Elle présuppose donc « un modèle et son imitation régulière »17. Les mèmes, qui relèvent de ce processus général de transformation du langage malgré leurs modes spécifiques de manifestation, peuvent être considérés comme un type de forme analogique. Leur traitement en ces termes requiert cependant d’indiquer ce qui pourrait être conçu, dans leur cas, comme la « forme génératrice » à partir de laquelle la variabilité transformatrice se manifeste.

Note de bas de page 18 :

 Luiz Fiorin rappelle que le sens se construit dans un « continuum où nous passons graduellement du plus abstrait au plus concret ». Le thème renvoie au niveau le plus abstrait de la manifestation du sens et la figure, au plus concret (elle évoque généralement quelque chose qui tient à la perception, au monde naturel et au monde construit). Une thématisation est toujours sous-jacente à la figurativisation. Fiorin souligne qu’on ne saurait chercher le sens d’un texte à partir d’unités isolées relevant de l’un ou de l’autre niveau : tout texte doit au contraire être interprété à partir des parcours figuratifs et thématiques qu’il construit. Cf. J.L. Fiorin, Elementos de análise do discurso, São Paulo, Contexto, 1994, pp. 65 et 69.

Le jeu entre les éléments invariants et les variantes, qui établit la sérialisation de ces formes typiques d’Internet, doit être observé non seulement sur le plan de l’expression, mais aussi sur celui du contenu. Eu égard à la complexité de ces formes, qui se manifestent dans différents systèmes sémiotiques, nous pouvons raisonnablement supposer que, pour ce qui est des mèmes, ce « noyau générateur » d’autres formes s’identifie à ce que, dans le métalangage sémiotique, on appelle des « thèmes » et des « figures » récurrents18. Une fois identifiées les récurrences à un niveau ou un autre de la discursivisation, il convient de déterminer comment les dérivations de thèmes ou de figures se produisent dans la constitution de la chaîne mémétique. Autrement dit, il s’agit de comprendre quelle est la relation qui s’établit entre la forme génératrice et la forme générée, en considérant que la première doit être suffisamment ouverte pour donner lieu à des dérivations, soit par des similitudes, soit par des contiguïtés. Lorsque les dérivations se produisent par similitude, les relations entre les formes s’effectuent par des identifications ; et lorsqu’elles se produisent par contiguïté, ce que nous observons consiste en un transfert de « traits », de qualités ou de significations, que ce soit sur le plan du contenu ou de l’expression, ou les deux.

Les présupposés présentés jusqu’ici nous permettent de conclure provisoirement que les mèmes sont des formes sériées, porteuses d’une grande efficacité de dissémination, qui se manifestent dans différents systèmes sémiotiques et procèdent d’analogies opérées par une collectivité d’utilisateurs des réseaux sociaux numériques. Ils présupposent un thème et/ou une figure générateurs, capable d’engendrer d’autres formes, à partir de leurs similitudes et contiguïtés. À l’instar de toute forme qui s’instaure par analogie, le mème implique à la fois l’invention et l’imitation, deux notions qui vont nous aider à saisir les processus plus généraux de transformation, y compris ceux liés à la propagation sur les réseaux sociaux numériques. Dans cette dynamique, l’invention peut être considérée comme le point de référence pour toute transformation, comme le « point zéro » de toute propagation. C’est ce que nous montrerons plus loin.

Note de bas de page 19 :

 Interações arriscadas, op. cit.

Note de bas de page 20 :

 Cf. « Semiotics of spreadability… », art. cit.

Note de bas de page 21 :

 Cf. principalement G. Tarde, Les lois de l’imitation (1890).  Comme on le sait, les idées de Tarde sur l’imitation et l’invention, sur la répétition et la différence ont été redécouvertes et reprises par des philosophes majeurs du XXe siècle, dont Gilles Deleuze.

Note de bas de page 22 :

 Cf. E. Telles Saint Clair, Por um contágio da diferença. Contribuições de Gabriel Tarde para a Teoria da Comunicação, Dissertação de Mestrado, Universidade Federal Fluminense, 2007.

Lorsqu’une invention fait irruption à la manière d’un « accident créatif » (selon l’expression d’Eric Landowski19), elle peut théoriquement donner lieu, dans les médias sociaux, à un cycle d’« imitations », de « recréations » et de « réplications » : autant de modes de transformation qui, on va le voir, iront respectivement de pair avec des régimes d’interaction diversifiés entre les utilisateurs et les textes (en l’occurrence, les mèmes) mis en circulation. Notre proposition consiste à décrire ces modes de transformation impliqués dans la propagation — l’invention, l’imitation, la réplication et la recréation — en mettant en avant leur relation avec le modèle interactionnel proposé par Landowski. Nous espérons contribuer de la sorte à la construction d’une sémiotique de la propagation, déjà amorcée par Gabriele Marino20. Afin de décrire ces catégories, nous nous appuyons également sur les idées de Gabriel Tarde à propos de l’imitation21. Ses thèses ont été reprises au Brésil notamment par Ericson Telles Saint-Clair, qui en a utilement tiré parti du point de vue de la théorie de la communication22.

3. Répétition et variation, similitude et différence

Note de bas de page 23 :

 E. Telles Saint-Clair, op. cit., p. 37.

Voulant décrire comment les hommes s’influencent les uns les autres, Tarde concevait l’imitation comme un mode de fonctionnement à part entière des mondes physique et social. Sa tentative d’expliquer les comportements à partir de « lois de l’imitation », bien que très contestée de son vivant, a insufflé des idées encore aujourd’hui inspiratrices pour qui cherche à comprendre la manière dont la répétition amène à la différence. Chez Tarde, aucune répétition ne saurait éliminer l’hétérogénéité originelle et essentielle des éléments. Par suite, toute répétition est imparfaite en ce sens qu’elle implique et comporte toujours des variations23. Bien qu’entendue comme un effort tendant vers la ressemblance, ou la similitude, une répétition consiste en effet toujours, inévitablement, en une répétition avec quelque variation, en une reproduction imparfaite de ce qu’elle répète, ou encore, en une répétition seulement partielle. Et l’imperfection inhérente à chaque répétition successive, en se reproduisant à divers degrés et cumulativement, engendre progressivement une variation si importante qu’elle peut finir par aboutir à une complète différenciation. C’est à cet instant précis que survient l’invention. Autrement dit, l’invention correspond au stade où la variation est complète.

Nous pouvons traduire sémiotiquement cette postulation générale de Tarde en traitant l’imitation et l’invention, quel que soit le domaine envisagé, comme des termes contradictoires définis respectivement comme répétition partielle et comme variation complète. Cette première catégorie — répétition vs variation — recouvre cependant une autre catégorie, plus élémentaire, qui oppose la similitude à la différence. Nous sommes donc en présence de deux catégories — répétition vs variation, similitude vs différence — dont la combinaison amène à prévoir, eu égard à la dynamique relationnelle du carré sémiotique, deux positions complémentaires par rapport à l’« invention » (ou variation complète) et à l’« imitation » (ou répétition partielle), à savoir ce que nous appelons la « réplication » et la « recréation ».

D’un côté, comme on l’a vu, les postulations de Tarde nous permettent, sur la base des transformations opérées par les variations progressives, de rapporter « l’invention » à la production de la différence. De l’autre, en revanche, les mêmes postulations nous empêchent d’identifier l’« imitation » à une parfaite similitude, puisque nous avons admis avec Tarde que les répétitions constituent toujours des répétitions avec quelque variation. Pour cette raison, mais également afin de maintenir la cohérence du carré sémiotique, dès lors que l’imitation occupe la position de contradictoire par rapport à l’invention, elle doit être pensée comme une non-différence.

Toutefois, le carré sémiotique suppose non seulement des relations de contradiction, mais aussi de contrariété. Par suite, si un terme de la catégorie de base est la différence, il convient de placer au pôle contraire la similitude. Et l’organisation logique du carré prévoit alors aussi son terme contradictoire, la non-similitude. En continuant de suivre la pensée de Tarde, il nous reste donc à décrire deux nouvelles positions en termes de variations possibles entre les pôles de la répétition et de la variation. Pour ce qui est de la « similitude », nous la caractériserons comme la composante qui fonde (comme le mot même le suggère) une répétition à son degré maximal, extrêmement proche de ce qu’on pourrait considérer comme une reproduction à l’identique. Pour cette raison, nous parlerons en pareil cas d’une répétition complète. Corrélativement, nous pouvons penser la « non-similitude » comme la composante qui sous-tend une variation fortement marquée, sans qu’elle puisse pour autant être considérée comme une différenciation complète. Il faut par conséquent la considérer comme une variation partielle.

Nous aboutissons ainsi à quatre positions interdéfinies conformément à la logique relationnelle du carré sémiotique et qui permettent de différencier, sur un plan d’une grande généralité, des processus de propagation déterminés par l’influence exercée entre des agents quelconques en fonction des relations de suggestion réciproque qu’ils entretiennent — ce qui nous autorisera par la suite à reprendre cette même articulation entre positions pour penser les processus interactionnels. Sur l’axe supérieur du diagramme prennent donc place, en tant que termes contraires, la répétition complète, que nous appelons réplication, et la variation complète, qui correspond à l’invention. Sur l’axe inférieur figurent, en position de subcontraires, la répétition partielle, qui correspond à l’imitation, et la variation partielle, appelée recréation.

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Note de bas de page 24 :

 Le terme de « rhizome », issu de la botanique où il désigne une racine qui croît horizontalement dans toutes les directions, a été repris pour l’étude des réseaux sociaux en vue de rendre compte de relations de communication asymétriques et multidirectionnelles. Comme le note Sônia Aguiar, dans une structure rhizomatique, « le flux d’informations peut commencer à partir de n’importe quel point, ou de plusieurs, et n’importe qui peut envoyer des messages à n’importe qui, ou à tous simultanément ; les rôles d’émetteur et de récepteur sont interchangeables ; et la circulation de l’information dans tout le réseau est indépendante d’une instance centrale ». S. Aguiar, Redes sociais e tecnologias digitais de informação e comunicação, Núcleo de Pesquisas, Estudos e Formação da Rede de Informações para o Terceiro Setor – NUFEP, Universidade Federal Fluminense, 2006, p. 13.

Note de bas de page 25 :

 Cf. Interações arriscadas, op. cit., p. 80.

Réplication, imitation, recréation et invention, tels sont donc les concepts descriptifs que nous utiliserons plus bas pour décrire les modes de propagation des contenus qui circulent sur les réseaux sociaux numériques. Chacune des positions recouvre un régime spécifique de propagation, défini par un degré et un mode déterminés de transformation des contenus à la faveur du processus même de circulation dans les limites d’un média social donné ou entre plusieurs médias. Bien que logiquement enchaînées selon la formalité du carré, ces positions ne doivent pas être regardées comme des étapes qui se succèderaient nécessairement en suivant une linéarité temporelle déterminée. Face à la logique rhizomatique des réseaux sociaux24, il est seulement possible de constater comment des contenus se modifient, sans savoir au juste quand et où les transformations ont lieu. Ce n’est pas par hasard que nous articulons les deux catégories descriptives et les quatre positions qui en résultent dans un « carré » sémiotique aménagé sous la forme d’une ellipse. Le mouvement suggéré par l’enchaînement circulaire des flèches du schéma, que nous empruntons au modèle de Landowski25, indique à lui seul la nature cyclique et dynamique de la propagation, aspect qui s’éclairera davantage avec la description de chacune des positions.

4. Conditions et formes de la variation

Avant d’entamer la description régime après régime, il faut ici rappeler que toute notre construction repose exclusivement sur l’observation des modes de propagation des mèmes sur Facebook. Autrement dit, les positions du modèle ci-dessus vont nous servir à rendre compte d’autant de modes d’agencement auxquels recourent les usagers des réseaux sociaux par rapport aux contenus accessibles à travers leur profil Facebook. Selon le principe de pertinence que nous avons adopté, chacun de ces modes se caractérise par un certain degré de variation, entre un minimum et un maximum de différenciation, portant sur les thèmes et les figures d’un texte d’internet — en l’occurrence d’un mème donné. Ceci revient à dire que ce degré de variation est fonction (et c’est ce qui nous permettra de l’évaluer) des transformations opérées sur le « topique discursif » qui unifie la chaîne mémétique et qui, par conséquent, est sous-jacent à chacun des mèmes qui la composent.

Note de bas de page 26 :

 Cf. Ugo Volli, Manual de Semiótica, São Paulo, Loyola, 2007, pp. 83-84.

Par topique discursif, nous entendons le sujet, l’idée et, d’une manière générale, ce dont traite la chaîne mémétique. Sa description prend comme point de départ ce qu’on appelle en linguistique le « topique », c’est-à-dire grosso modo le propos du texte, tel qu’il résulte d’une hypothèse de sens construite par le lecteur. Selon Ugo Volli, on ne peut parler de texte qu’à partir du moment où un topique commun relie entre eux les différents énoncés qui le composent, en garantissant par là leur cohérence sémantique26. De même, nous ne reconnaissons l’existence d’une chaîne mémétique que lorsqu’il est possible de repérer l’existence d’un topique discursif commun à ses diverses unités composantes.

Note de bas de page 27 :

 Ibid., p. 86.

Le concept d’isotopie est lié à celui de topique. Volli explique qu’à la différence de la notion de topique, qui renvoie à une opération pragmatique effectuée par le lecteur, l’isotopie constitue une structure sémantique inscrite dans l’organisation immanente du texte27. Pour l’étude des mèmes, le concept de topique discursif va nous permettre d’envisager concomitamment les deux opérations : à la fois celle qui consiste en l’identification, dans la chaîne mémétique, d’un topique unificateur, et celle que cette opération même suppose de la part de l’usager, à savoir l’exercice d’une compétence lui permettant de reconnaître la manifestation du topique en question à travers plusieurs isotopies. Autrement dit, la configuration d’une chaîne mémétique résulte des développements d’un topique discursif, développements rendus possibles par des changements progressifs d’isotopies qui, eux-mêmes, font intervenir des connecteurs pouvant relever du plan du contenu ou du plan de l’expression.

Note de bas de page 28 :

 A.J. Greimas et J. Courtés, op. cit., entrée « Isotopie ».

Note de bas de page 29 :

 J.L. Fiorin, op. cit., p. 81.

Note de bas de page 30 :

 U. Volli, op. cit., p. 87.

Comme on le sait, Greimas et Courtés définissent l’isotopie comme la récurrence de catégories sémiques ou de traits sémantiques au long du texte, induisant un mode d’interprétation déterminé28. Les isotopies définissent donc des chemins de lecture à partir de récurrences sémiques, qu’elles soient thématiques ou figuratives. Fiorin rappelle que les diverses lectures que permet un texte y sont déjà inscrites en tant que possibilités, à partir de marques indicatrices de sa polysémie29. Quant aux textes pluri-isotopes, c’est-à-dire ceux qui autorisent plusieurs parcours de lecture, ils comportent certains éléments — des connecteurs isotopiques — qui ouvrent la voie à des interprétations diverses en mettant en place des isotopies différentes et souvent même divergentes. Selon Ugo Volli, la possibilité de trouver des points de contact entre les signifiés des divers éléments employés par un texte et de bâtir des hypothèses y compris relativement à ce que le texte ne dit pas mais qui peut en être inféré en recourant au savoir partagé par une communauté de locuteurs est ce qui permet la construction d’isotopies diversifiées30.

Le caractère pluri-isotopique du mème est à la base des transformations de sens dont il fait l’objet, donnant par là-même lieu à de nouvelles manifestations. Un mème n’est par conséquent ce qu’il est — un mème — que par rapport à un autre mème auquel le rattache un connecteur isotopique, élément commun de liaison à partir duquel est produite et reconnue la variation entre eux deux. L’identification des variations qui interviennent dans la dynamique de la propagation dépend donc de la reconnaissance a priori d’un topique discursif générateur de la chaîne mémétique et autour duquel ces variations s’effectuent. Elle dépend aussi de l’identification des isotopies qui se déploient à partir de leurs connecteurs respectifs.

Ce cadre théorique étant posé, passons maintenant à une description plus précise des diverses formes de propagation, en commençant par le processus de « réplication ».

4.1. La Réplication

Note de bas de page 31 :

 Cf. G. Marino, op. cit., p. 53.

A raison de son caractère élémentaire, la réplication constitue, dans notre perspective, le premier mode de propagation à envisager. Le partage étant, on le sait, l’impératif de Facebook et, plus largement, le fondement même de la circulation des contenus sur les médias sociaux, la réplication est l’activité consistant simplement à diffuser, à « faire passer » un texte donné d’Internet, sans effectuer aucune opération sur son contenu, en se bornant par conséquent à le retransmettre. De la sorte, le degré d’intervention de l’utilisateur sur l’objet transmis implique une variation si infime qu’il serait permis de traiter la réplication comme une répétition complète, n’était que, comme souligné par Tarde, une manifestation donnée n’est jamais totalement identique à une autre. De fait, même dans la similitude, il y a nécessairement quelque altération. En l’occurrence, le fait d’être retransmis constitue à lui seul cette variation minimale. S’il convient, même en cas de simple réplication, de parler d’un certain degré de variation, c’est donc uniquement en raison du partage lui-même. Le fait de partager implique en effet, par définition, un changement de contexte ; de plus, sur Facebook, le postage d’un mème s’accompagne souvent de commentaires de la part des internautes parties prenantes à l’acte de partage. Cherchant lui aussi à comprendre quels types de relations certaines manifestations d’Internet requièrent par rapport à un texte originel, Gabriele Marino appelle ready-mades ou « mèmes tous prêts » les pièces extraites d’une chaîne mémétique qui sont diffusées sans aucune transformation31.

Occupant le pôle contraire de l’« invention », la réplication de « mèmes tous prêts » confine à un pur automatisme comportemental, et par suite relève de la logique de la simple « opération » qui caractérise la programmation, l’un des quatre régimes de sens et d’interaction que distingue Landowski, à savoir celui qui a pour principe régisseur une stricte régularité de comportement de la part de n’importe quel type d’agent (humain ou non humain). Aussi bien que de la causalité physique, ces formes de régularité peuvent procéder de conditionnements socio-culturels faisant l’objet d’apprentissages et s’exprimant dans des pratiques routinières, comme c’est le cas ici (et dans de nombreuses autres conduites adoptées face aux médias sociaux). En l’occurrence, l’utilisateur agit d’une manière tellement prédéterminée et « régulée » qu’il paraît obéir à des modèles de comportement prévus par les mécanismes mêmes de participation mis en place par les réseaux sociaux. Il accomplit ainsi ce qu’on attend de lui : en diffusant des mèmes sans altérer significativement le sens des formes auxquelles il a originellement eu accès dans son profil, il remplit la fonction de propagation qui définit leur mode même d’existence.

4.2. L’Imitation

L’imitation est le plus élémentaire des modes de propagation des mèmes. Elle est sous-tendue par l’existence et l’adoption d’un modèle, ce qui implique une non-différence par rapport à une forme génératrice. Cependant, comme il s’agit inévitablement d’une répétition « avec quelque variation », l’imitation implique toujours un certain degré de modification d’un texte préexistant, modifications qui dépendront des réinterprétations faites du topique discursif autour duquel le texte d’origine a été organisé. Les formes imitables doivent donc comporter des éléments que la structure du texte permet de modifier en fonction à la fois de ce que vise la répétition et des particularités du contexte. Autrement dit, les formes imitées se manifestent toujours comme des versions d’une forme première, dont l’organisation fait qu’elle est imitable.

Sur les réseaux sociaux, la propagation par imitation est souvent associée aux utilisations les plus diverses du sampling et du remixing. Le remixing correspond généralement à des remontages, à des « rééditions » et à des réorganisations du texte préexistant. Le sampling, de son côté, est habituellement associé à l’extraction de parties d’un texte en vue de leur réutilisation dans un autre. Bien qu’elle comporte nécessairement une variation, la forme imitée ne s’écarte pas complètement du topique discursif mis en place par la forme imitable. Dans le cas contraire, il ne s’agirait plus d’un type de répétition (même partielle). Ce qui caractérise la propagation par imitation, c’est donc l’exploitation et le déploiement d’un topique discursif donné, dont elle décline des variations sous la forme de répétitions de certains thèmes et/ou figures recontextualisés, mais cela strictement à l’intérieur des limites d’un propos donné ou d’un champ sémantique déterminé.

Note de bas de page 32 :

 Nous empruntons le terme d’« accroches » (en anglais, hooks) sémantiques et syntaxiques à G. Marino (op. cit., pp. 60-61). Selon cet auteur, un mème typique d’Internet possède une structure qui fonctionne à la fois comme une « formule » (ou accroche syntaxique) et comme un élément « impressionnant », un punctum (ou accroche sémantique).

Placée en position contraire par rapport à la recréation, l’imitation s’en distingue surtout parce qu’elle suppose un conditionnement plus direct du faire déployé par le sujet qui modifie la forme imitable. Plus précisément, l’imitation implique un faire orienté, qu’il soit dicté par la volonté imitative des utilisateurs eux-mêmes (qui se suggestionnent les uns les autres dans l’environnement constitué par les médias sociaux), ou par des éléments marquants, présents dans la forme imitable mise en circulation et y faisant fonction d’« accroches » sémantiques ou syntaxiques32. Ceci nous conduit à associer l’imitation au régime interactionnel dit de la manipulation, dont la principale caractéristique, tant chez Landowski que dans la grammaire narrative classique, est un jeu de persuasion entre sujets. Comme toute interaction d’ordre manipulatoire, l’imitation engage une relation hiérarchique entre partenaires puisqu’en l’occurrence l’imitateur est toujours soumis, par définition, au faire de celui (ou de l’objet) qu’il imite ; et inversement, on peut dire que, ne fût-ce qu’à son corps défendant, tout inventeur « fait faire » ce qu’ils font aux épigones qui l’imitent.

Note de bas de page 33 :

 Cf. J.R. Carmo Junior, Melodia e Prosódia. Um modelo para a interface música-fala com base no estudo comparado do aparelho fonador e dos instrumentos musicais reais e virtuais, thèse de doctorat, Université de São Paulo (Faculdade de Filosofia, Letras e Ciências Humanas, Departamento de Linguística), 2007.

Par ailleurs, tout en comportant la répétition partielle d’un même topique discursif, l’imitation peut résulter aussi d’une opération effectuée sur une isotopie plastique. Car s’il est possible de repérer sur le plan du contenu des traits sémantiques récurrents qui donnent au discours sa cohérence, on peut de manière analogue identifier sur le plan de l’expression des éléments qui y remplissent la même fonction. C’est ce qu’a montré notamment Carmo Junior à propos de manifestations musicales en faisant apparaître des isotopies fondées sur la réitération d’éléments rythmiques chargés d’assurer l’unité et la cohérence d’une mélodie33. L’emploi de tels éléments donne lieu, à partir du moment où on les soumet à un jeu de variations rythmiques, à différentes versions d’une même mélodie. Il permet ainsi l’instauration d’isotopies rythmiques. De la même manière, il est possible de repérer les réitérations de formants éidétiques, chromatiques ou topologiques qui établissent et caractérisent la cohérence et l’unité d’une manifestation plastique quelconque. L’instauration d’une chaîne mémétique par imitation peut par conséquent résulter aussi de la réitération, dans une forme imitée, de formants plastiques présents dans une forme génératrice. C’est la présence de tels formants imitables qui nous permet d’associer ces formes l’une à l’autre, même lorsque les développements de la forme imitée aboutissent, sur le plan du contenu, à une grande distanciation par rapport à la forme génératrice.

Cependant, lorsque le processus d’imitation s’intensifie et que se produit une transformation significative du topique discursif lui-même, alors c’est à une recréation que l’on commence à avoir affaire.

4.3. La Recréation

Note de bas de page 34 :

 Dans son étude sur les mèmes, G. Marino (op. cit., p. 48) recourt au célèbre texte de Roman Jakobson, « On Linguistic Aspects of Translation »,in Reuben A. Brower (éd.), On Translation, Cambridge, Harvard University Press, 1959, pp. 232-239.

La recréation implique une variation thématique ou figurative de « second degré », c’est-à-dire des variations qui portent sur l’ensemble des formes imitées. Il s’agit en somme de variations sur des variations. D’où un degré accru de transformation (et par suite de non-similitude) par rapport au topique discursif générateur. La recréation renvoie très souvent à ce qu’on appelle dans le monde d’Internet un remake. Dans le cas des mèmes, le remaking se manifeste comme un procédé créatif qui met en jeu une libre appropriation ou une réinterprétation complète d’un texte préexistant. S’inspirant de Jakobson, G. Marino décrit certaines de ces réinterprétations impliquées dans la production de mèmes comme des cas de transmutation comparables au passage d’un langage à un autre, ou à la « traduction » d’un système sémiotique dans un autre34.

Étant donné qu’elle procède d’interventions libres et créatives sur un matériau qui résulte déjà d’un cycle préalable d’imitations, la recréation met en œuvre tout un jeu d’allusions, implicites ou explicites, aux formes imitées. Comme dans toute allusion, la forme recréée n’est reconnaissable comme telle que si l’internaute connaît les formes utilisées comme objets de référence. C’est par ce caractère nécessairement intertextuel que la forme recréée peut être reconnue comme faisant partie de la même chaîne mémétique, que ce soit par l’identification d’un élément invariant qui fait allusivement référence à la forme imitée, ou par la possibilité de trouver des points de contact entre les effets de sens générés par les textes mis en relation.

Note de bas de page 35 :

 L’idée d’encyclopédie a été originellement proposée, comme on sait, par Umberto Eco. Cf. Lector in fabula. A cooperação interpretativa nos textos narrativos, São Paulo, Perspectiva, 1986. Nous nous référons ici à la présentation qu’en donne Ugo Volli (op. cit., pp. 84-85).

Note de bas de page 36 :

 Cf. U. Volli, op. cit., p. 87.

Le repérage de ces points de contact n’est possible, encore une fois, que si l’utilisateur a une pleine connaissance de la chaîne mémétique même qui leur sert de référence (à la manière d’une sorte de « répertoire » de mèmes). L’établissement de ces points de contact dépend donc de la compétence cognitive des utilisateurs. Chaque lecteur interprète les textes sur la base des connaissances qu’il partage avec certains groupes et environnements sociaux. L’ensemble de connaissances et de croyances qui se trouve partagé à un moment et dans un milieu social donnés correspond à l’encyclopédie d’un individu ou d’un groupe d’individus, c’est-à-dire à un ensemble de savoirs de fond sur le monde, inscrit et comme stocké dans la sémantique de la langue35. Ce savoir encyclopédique constitue ce qui permet aux utilisateurs de découvrir et d’exploiter, dans un texte, tous les signifiés possibles, y compris ceux non dits mais ajustables à leurs désirs et à leur créativité36. Une fois qu’une forme déterminée est mise en circulation, il n’est pas toujours aisé de prévoir en quoi elle se transformera, car c’est précisément à partir de la compétence encyclopédique de chacun et moyennant des ajustements mutuels rendus possibles par l’interaction même qu’émergeront les variations les plus profondes.

Note de bas de page 37 :

 Cf. Ana C. de Oliveira, « As interações discursivas »,in id. (éd.), As interações sensíveis. Ensaios de Sociossemiótica a partir da obra de Eric Landowski, São Paulo, Estação das Letras e Cores - CPS, 2013.

C’est exactement une imprévisibilité de cet ordre, résultant de la réciprocité et d’une étroite interdépendance des comportements, qui est inhérente au régime interactionnel que Landowski appelle ajustement. Sous ce régime, un actant ne planifie ni ne contrôle ce qui résulte de son interaction avec l’autre. La transformation bilatérale qui se produit dans l’interaction procède du contact grâce auquel s’accomplit un faire-ensemble qui transforme les actants en partenaires à la faveur d’un processus énonciatif privilégiant l’interchangeabilité des rôles37. Le geste de l’un est une invite au geste corrélatif de l’autre, l’un se laissant conduire par le mouvement créatif de l’autre, et réciproquement. C’est dans ce jeu d’influence mutuelle, sans aucune adaptation unilatérale (définitoire de la programmation) ni imposition de l’un à l’autre (marque de la manipulation), que s’ouvre la voie d’un créer-ensemble, qu’il s’agisse de tout un mode de vie ou d’une forme ponctuelle. La recréation apparaît donc comme le fruit de l’actualisation d’un « stock » de signifiés contenus dans des formes transformables (les mèmes), en l’occurrence convoquées dans le cadre de rapports de suggestion réciproque nés du contact entre internautes sur les réseaux sociaux.

Ce qui nous permet de reconnaître la forme recréée comme faisant partie d’une même orbite de sens qu’une forme originaire, c’est précisément ce jeu intertextuel qui mobilise le savoir encyclopédique des usagers, y compris celui qui porte sur la dynamique même des réseaux sociaux numériques, c’est-à-dire sur les variations inhérentes au processus de propagation. Comme nous l’avons indiqué plus haut, une telle reconnaissance suppose que l’on sache ce qui a fait précédemment l’objet d’une imitation, faute de quoi il ne serait pas possible d’en déceler les ajustements ultérieurs. Ce n’est pas un hasard si les recréations recourent si souvent à des expressions parodiques. De fait, c’est là le moyen le plus facile d’établir à la fois une distanciation et un rapprochement par rapport au topique discursif, puisque la parodie le subvertit tout en le conservant comme sa référence. Ce jeu de décalages qui atteint son point maximal avec les recréations souligne, ici plus encore qu’ailleurs, la pluri-isotopie caractéristique de la forme mème. Cette forme dont l’existence dépend nécessairement d’une dynamique d’imitations et de recréations s’appuie sur la latitude et la flexibilité des significations et sur la multiplicité des interprétations inhérente au processus de circulation des contenus sur les réseaux sociaux. La reconnaissance et, en même temps, la transformation des topiques discursifs, voilà le ressort essentiel de cette circulation. Mais c’est là aussi ce qui fait des réseaux sociaux le domaine par excellence de l’invention.

4.4. L’Invention

Note de bas de page 38 :

 Cf. A.J. Greimas, Da Imperfeição, São Paulo, Estação das Letras e Cores - CPS, 2017.

Note de bas de page 39 :

 Dominique Reynié, « Gabriel Tarde, teórico da opinião », in Gabriel Tarde, A opinião e as massas,  Martins Fontes, 2005, p. XI (notre retraduction). Voir D. Reynié, « Gabriel Tarde, théoricien de l’opinion », in G. Tarde, L’Opinion et la Foule, Paris, PUF, 1989 (Introduction).

Savoir où et quand commence la transformation d’un contenu sur le web est pratiquement impossible, nous l’avons déjà dit. Cependant, d’un point de vue logique, l’invention peut être considérée à la fois comme le point de départ et comme le point d’arrivée du cycle de transformations enclenché par la mise en circulation d’un contenu. L’invention correspond à l’« accident créatif », à cet instant où surgit quelque chose de complètement différent de tout ce qui existe déjà, que ce soit comme cause ou comme effet du cycle même de propagation. Le terme d’« accident » employé ici renvoie à celui des régimes de sens que Landowski présente comme fondé sur le principe de l’aléa, de l’improbabilité, de l’inattendu (plus ou moins), du « hasard ». C’est le régime où le cours des choses est soumis à l’irruption de discontinuités radicales ou, pour reprendre le terme de Greimas dans De l’Imperfection, à des « fractures » imprévues38. Dans certaines circonstances et sous des conditions déterminées, de tel « accidents » peuvent générer l’apparition de quelque chose d’inédit qui surgit de la rencontre imprévisible — du croisement aléatoire, de la « coïncidence » — entre deux trajectoires. En tant que régime du « risque pur » (ou de la pure chance, en fonction de la perspective et du principe de valorisation qu’on adopte), la caractérisation de l’interaction par accident est étonnamment proche de la façon dont divers interprètes de la pensée de Gabriel Tarde, tel Dominique Reynié, décrivent l’invention en l’associant eux aussi au hasard, à un « mystérieux dessein », à un « heureux croisement » entre chaînes d’imitation ou à « une lumière imprévue sur une idée reçue »39.

Selon la manière dont nous venons de l’envisager, l’invention est une sorte de « point zéro » des transformations qui se produisent dans le processus de propagation. « Par accident » ou selon un « mystérieux dessein », quelque chose se crée. De cette « fracture » créative naît une forme, qui, mise en circulation, peut donner lieu, simultanément ou successivement mais sans ordre privilégié, à des réplications, à des imitations ou à des recréations — jusqu’au moment où, en fonction du « stock » de signifiés mobilisé par un topique discursif déterminé, une découverte, une idée et une forme nouvelles feront irruption.

Il n’existe aucun moyen de s’assurer empiriquement que l’invention d’une nouvelle chaîne mémétique résulte des transformations successives de telle ou telle chaîne particulière qui l’aurait précédée. Pour ce faire, il faudrait à tout le moins un accompagnement diachronique des transformations, ce qui est pratiquement exclu eu égard à la nature rhizomatique des réseaux sociaux numériques. Même si telles ou telles chaînes mémétiques ont été créées à des moments différents — successifs ou non —, elles peuvent circuler en même temps, en fonction des déterminations des algorithmes propres au profil de chaque utilisateur. Au demeurant, si on admet, comme nous le faisons, que l’invention est un acte créatif présupposé par toute propagation, l’établissement d’une ligne de succession temporelle des transformations — qui permettrait de dater le moment d’émergence d’une invention particulière ou d’une autre — est superflu. Car ce qui seul importe selon cette perspective, c’est de rendre compte de l’invention en tant que telle, comme étape logique d’un processus dont la nature est nécessairement cyclique. Qui plus est, dans cette circulation cyclique, chaque invention s’épuise d’elle-même du simple fait qu’elle peut donner naissance à n’importe laquelle des autre formes de propagation (réplication, imitation, recréation)… jusqu’à l’avènement d’un nouveau cycle, à partir d’une autre invention.

Si, au moment de la collecte de nos données, la coexistence de plusieurs chaînes mémétiques circulant simultanément à propos d’un même topique discursif (un fait politique, par exemple) nous a obligée à constater la difficulté — la quasi-impossibilité — d’établir l’origine de la circulation d’un item donné dans les médias sociaux, en revanche, elle nous a aidée à saisir la nature cyclique de la propagation et ensuite, dans ce cadre, à mettre en évidence le caractère « fondateur » de l’invention. L’invention est le point de départ et d’arrivée de chacune de ces chaînes. Cela revient à dire que toute propagation commence par une invention qui, du fait même qu’elle est répliquée, imitée ou recréée, disparaît en tant que telle. Elle s’épuise d’elle-même. Une invention, comme tout ce qui survient sous le régime de l’accident, est momentanée et provisoire. Elle fait irruption et, immédiatement, ou bien donne lieu à une forme de reprise ou une autre — à imitation, réplication ou recréation —, ou bien elle « meurt », faute, précisément, d’être mise en circulation et d’entrer dans le cycle de la diffusion. Le destin de toute invention est en somme de cesser d’être une invention à raison du processus même de propagation auquel elle donne naissance.

Note de bas de page 40 :

 Curso de Linguística Geral, op. cit., p. 196.

Ce phénomène s’éclaire si on revient une fois de plus à Saussure. Pour décrire les transformations de la langue, Saussure explique qu’une analogie, apparue nécessairement dans la sphère individuelle de la parole (c’est-à-dire du procès), ne sera pas toujours intégrée dans la langue (dans le système). Pour entrer dans la langue, il faut que l’analogie soit adoptée par la collectivité, c’est-à-dire que d’autres l’imitent jusqu’à ce qu’elle s’impose à l’usage. Saussure rappelle que la langue ne retient qu’une infime partie des créations de la parole40. En d’autres termes, l’histoire de toute innovation comporte toujours un moment où elle surgit parmi des individus, et un autre moment où, si elle est adoptée, elle cesse du même coup, une fois incorporée à l’usage de la communauté, d’être une nouveauté. Il nous semble possible et utile de penser le rôle de l’invention dans la constitution des mèmes selon ces principes généraux de transformation du langage.

5. Le mode d’être et le mode de faire de la propagation

Note de bas de page 41 :

 Interações arriscadas, op. cit., p. 80.

Les quatre positions du modèle étant décrites, il nous semble maintenant plus facile de comprendre pourquoi nous proposons de considérer l’invention comme une sorte de point zéro du cycle de propagation des mèmes. L’« invention » est un présupposé logique : si rien n’a été inventé, il n’y a rien non plus à propager. La réplication représente, quant à elle, la condition sine qua non de la propagation de la chose inventée. Sur les réseaux sociaux, ce qui ne se réplique pas n’existe pas : le mode même d’existence d’une unité sur ce type de plateforme consiste en sa réplication opérée par au moins un internaute, ou par des millions de « partages ». Situées sur l’axe supérieur du carré sémiotique présenté plus haut, la réplication et l’invention définissent le mode d’être de la propagation des mèmes. Ce sont des étapes fondatrices, ou en tout cas instauratrices de la « propagabilité ». Sur l’axe inférieur du schéma se trouvent, complémentairement, les positions qui décrivent le faire transformateur qui donne lieu à une chaîne mémétique. Une fois encore, on a là les conditions d’une homologation possible entre les catégories que nous présentons et les régimes d’interaction puisque, dans le carré sémiotique qui articule ces derniers les uns aux autres, l’axe supérieur, où figurent la programmation et l’accident, est défini comme l’instance du faire être, et l’axe inférieur, où sont situés la manipulation et l’ajustement, comme celle du faire faire41.

Bien que la circulation s’effectue rhizomatiquement, sans que les positions présentées s’ordonnent temporellement selon une linéarité déterminée, rien n’empêche d’imaginer la propagation comme un parcours logique dont « l’origine » serait l’invention. L’invention est ce qui permet la propagation en enclenchant un cycle qui, théoriquement, commence et se termine avec elle. Comme l’indiquent les flèches qui orientent l’ellipse au long de laquelle prennent place les possibilités énumérées, l’invention oriente, tend vers l’imitation. Et lorsque, selon la même logique, l’imitation en vient à faire l’objet de réplications successives, l’usure du sens peut devenir telle qu’elle stagne puis disparaisse, ou bien génère des recréations. Ces dernières, à leur tour, selon leur degré de transformation, ouvrent la voie à d’autres inventions à l’intérieur d’un cycle de propagation qui se nourrit ainsi, continuellement, de lui-même.

Il convient de relever encore, à partir de l’observation des axes verticaux du carré, deux autres principes communs aux catégories que nous proposons et au modèle interactionnel. Les axes verticaux qui organisent, d’un côté, l’imitation et la réplication, de l’autre, la recréation et l’invention, mettent en évidence la complexité d’une circulation qui relève à la fois, respectivement, de la conservation et de l’innovation. Tout invite à homologuer la conservation (imitation et réplication) à la prudence (qui recouvre ce qui va du « risque limité » à la « sécurité ») et l’innovation (invention et recréation) à l’aventure (qui se joue entre « insécurité » et « risque pur »). Ces principes de base qui régissent les régimes en question nous permettront, dans de futurs travaux, de traiter des risques liés à la propagation, en particulier lorsqu’on prétend monétiser d’une manière ou d’une autre la participation des utilisateurs des médias sociaux.

Note de bas de page 42 :

 Cf. ibid., p. 85.

Tout comme l’auteur des Interactions risquées au moment de synthétiser son modèle, nous reconnaissons ici ce qu’il y a de schématique dans la catégorisation que nous venons de présenter42. Nous ne prétendons évidemment pas que notre tentative rende compte de tous les aspects impliqués dans la propagation des mèmes ou d’autres textes de l’Internet. De fait, bien que l’étude qui seule nous intéressait ici, celle des modes de propagation, soit intrinsèquement liée à la mise en circulation des textes, notre objectif n’était pas de traiter empiriquement le problème de la circulation proprement dite dans les réseaux sociaux numériques. Au présent stade de ce travail, il ne pouvait être question de suivre les mèmes dans leurs incessants déplacements en vue d’établir une sorte de « cartographie » de leurs trajets et mouvements à l’intérieur d’un réseau social donné, ou entre plusieurs (par exemple, de Facebook à Twitter, et vice versa), voire à partir de plateformes numériques vers d’autres médias (portails, journaux, télévision). Et compte tenu du caractère général de la visée qui guide notre approche des interactions dans les médias sociaux, nous pouvions aussi nous dispenser de la collecte et du traitement des données empiriques qui permettraient de dégager des modèles de comportement.

En un mot, notre préoccupation concerne moins ce qu’on propage sur la Toile que le comment, c’est-à-dire les modalités de propagation de certains types de textes, à savoir les mèmes. Notre vœu est donc que la catégorisation ici proposée — invention, imitation, réplication et recréation — puisse contribuer à la description de l’interaction entre les utilisateurs des médias sociaux et les textes qui y circulent, et, par voie de conséquence, de l’interaction entre les utilisateurs eux-mêmes. Le modèle interactionnel général développé par Landowski constitue, dans cette perspective, une référence efficacement inspiratrice pour la construction d’une sémiotique de la propagation.