Typologie des structures du signe : le signe selon le Groupe μ

Louis Hébert

Université du Québec à Rimouski

https://doi.org/10.25965/as.1761

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Articles du même auteur parus dans les Actes Sémiotiques

Mots-clés : signe

Auteurs cités : Groupe , Joseph COURTÉS, Umberto Eco, Algirdas J. GREIMAS, Louis HÉBERT, Jean-Marie KLINKENBERG, Charles Sanders PEIRCE, François RASTIER, Ferdinand de SAUSSURE

Plan
Texte intégral

Introduction

Nous voulons ici étudier le modèle du signe que propose le Groupe μ et en particulier le modèle du signe iconique. Nous le ferons en deux mouvements. D’abord nous situerons ce modèle dans une typologie générale des modèles du signe. Cette typologie constitutive retiendra six termes susceptibles d’entrer dans la constitution du signe. Ensuite, nous tenterons de cerner la nature exacte du type remplaçant le signifié dans le signe iconique selon le Groupe μ. La complexité de la théorie du signe du Groupe et, plus généralement, des questions sémiotiques traitées, nous serviront d’excuse pour n’apporter qu’un éclairage limité.

1. Typologie des structures du signe

1.1 Sortes de définitions du signe

Note de bas de page 1 :

 On peut également considérer les opérations portant sur les termes et/ou les relations comme éléments constitutifs. Elles modifient un terme ou une relation, à divers degrés, jusqu’à les transformer en un autre terme ou une autre relation. Par exemple, sans être un modèle de signe, le carré sémiotique est une structure dotée de termes (A, non-A, etc.), de relations (contrariété, contradiction, etc.) et d’opérations (par exemple, la négation qui transforme A en non-A).

Le signe a reçu de nombreuses sortes de définitions, notamment fonctionnelles (qui s’intéressent à ce que fait, produit le signe) et constitutives. Dans une approche constitutive, on considérera qu’un signe peut être reconnu par la présence des éléments dont il est composé. Ces éléments sont principalement de deux sortes : des termes (ou relata) et des relations unissant les termes1. Selon les théories, le nom, la nature et le nombre de ces éléments sont susceptibles de varier.

1.2 Parties possibles du signe

Nous nous intéresserons ici aux termes, en laissant de côté les relations (par exemple la sémiose, interprétée, dans les systèmes saussuriens, comme une relation de présupposition réciproque entre le signifiant et le signifié). Nous comparerons quelques-unes des différentes façons de concevoir la constitution du signe en ce qui a trait aux termes. Pour ce faire, nous devons présenter un à un les principaux termes susceptibles d’être considérés comme faisant partie du signe. Mais d’abord définissons le signe. Qu’on nous pardonne ce détour académique : ces définitions pourront sembler superfétatoires, mais elles nous apparaissent nécessaires, ne serait-ce qu’en raison des assimilations voire confusions produites entre stimulus et signifiant ainsi qu’entre signifié et concept, même chez des sémioticiens patentés.

1.2.1 Le signe, le stimulus et le signifiant

Le signe sera considéré ici simplement comme l’élément qui résulte de la combinaison, selon telle ou telle théorie, d’un, de quelques-uns ou de tous les termes décrits ci-après. Pour désigner un signe, nous emploierons les guillemets (« signe »).

Le stimulus est l’élément physique perceptible (par exemple un son) qu’utilise le signifiant comme substrat pour se manifester. Nous symboliserons le stimulus par les accolades ({stimulus}).

Le signifiant est le modèle, le type (ce mot prendra plus loin un autre sens dans la théorie du Groupe μ) dont le stimulus constitue une manifestation, une occurrence (un token). Nous symboliserons le signifiant par les italiques (signifiant).

1.2.1.1 Distinction stimulus/signifiant

La langue comporte, comme on le sait, deux sortes de signifiants, les phonèmes et les graphèmes. Par exemple, les phonèmes [v] et [t] permettent, en français, de distinguer les signes « va » et « ta ». Les phonèmes sont associés à des sons vocaux, qui jouent le rôle de stimulus. Qu’un locuteur roule ou pas son {r} en disant {Montréal} ou {Montrrréal} ne change pas la compréhension de l’interlocuteur, qui comprendra que le locuteur parle de la ville du Québec appelée « Montréal ». De la même façon, même si le rouge du panneau de signalisation routière où est écrit « Stop » n’est plus rouge mais est devenu plutôt un stimulus rose sous l’effet du soleil, on comprendra qu’il évoque encore le signifiant rouge, qui a pour signifié dans le code routier l’idée d’une action impérative. Le graphème est au signifiant linguistique graphique ce que le phonème est au signifiant linguistique phonique. Ainsi, que la barre sur le {t} soit petite ou grosse, que cette lettre soit écrite en Times New Roman ou en Arial, on comprend, malgré ces variations de stimulus, que c’est le graphème t qui est en cause.

Nous considérerons que seules les structures du signe produites après Saussure peuvent distinguer — mais elles ne le font pas toujours — stimulus et signifiant. Les théories antérieures ou celles qui ne respectent pas la vision saussurienne ne prennent pas en compte le signifiant proprement dit.

1.2.2 Le signifié et le concept

Le signifié est le sens, le contenu du signe. Souvent on considère qu’il se décompose en sèmes, qui sont des traits de sens (que nous symboliserons par des barres obliques). Par exemple, le signifié du signe « corbeau » est la somme des sèmes /oiseau/, /noir/, etc. Le signifié peut être symbolisé par les apostrophes (‘signifié’).

Note de bas de page 2 :

 François Rastier, Sémantique et recherches cognitives, Paris, Presses universitaires de France, 1991, pp. 125-126.

Le concept est la représentation mentale à laquelle correspond le signifié. Il s’agit sans doute, avec le référent, du terme le plus problématique à décrire. Il a reçu de nombreuses définitions, parfois contradictoires. Rastier a distingué six significations principales au mot « concept »2. Entre autres, le concept est tantôt considéré comme un élément logique, tantôt comme un élément psychologique, cognitif ; tantôt comme un élément universel ou général (donc qui ne varie pas ou qui varie peu avec les individus), tantôt comme un élément individuel ; tantôt comme un type, tantôt comme une occurrence. Il semble qu’une théorie qui intègre le concept logique dans le signe n’y intègre pas le concept psychologique et vice-versa. Rien n’empêche cependant de tenir compte cette possibilité et de produire un hyper-signe constitué non plus de cinq termes, comme nous le ferons, mais de six.

1.2.2.1 Distinction signifié/concept
Note de bas de page 3 :

 George Mounin (dir.), Dictionnaire de la linguistique, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 301.

Note de bas de page 4 :

 Algirdas Julien Greimas et Joseph Courtés, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette Université, 1979, p. 57.

Quelques théories linguistiques, dont la sémantique interprétative de Rastier (1987 : 25), distinguent le signifié du concept (logique et psychologique) ; tandis que les théories « classiques » les assimilent, même lorsqu’elles emploient l'appellation « signifié ». Voici une définition qui assimile signifié et concept : « Le signifié est cette composante d'un signe saussurien à laquelle renvoie le signifiant. Il s’agit d’un concept, résumé de l’intension (ou compréhension) de la classe d’objets évoquée par le signifiant3. » Au contraire, pour Greimas et Courtés, l’assimilation du signifié à un concept n'intervient chez Saussure que « dans une première approximation », éliminée par la suite au profit de la « forme signifiante »4.

Reprenons un exemple de Rastier qui illustre pourquoi il est possible — sinon nécessaire — de distinguer signifié et concept. Un aveugle de naissance est à même de comprendre le sens linguistique de « blanc ». Il sait par exemple qu’il s’agit de l’opposé de « noir » et il comprend parfaitement le sens de « canne blanche » et ce, même si l’image, la représentation mentale qu’il se fait du blanc est assurément différente de celle d’un voyant.

Pour Klinkenberg, le statut positif du signifié (par opposition à son statut négatif, en tant qu’il est interdéfini avec les autres termes du signe) n’intéresse pas la sémiotique :

Note de bas de page 5 :

 Jean-Marie Klinkenberg, « Le sens et sa description », Précis de sémiotique générale, Paris, Seuil, 1996, pp. 96-97.

« Soulignons que la notion de signifié est approchée différemment suivant les écoles : pour certains philosophes, c’est le concept ; pour d’autres, c’est l’image psychologique « idéale » ou un modèle social intériorisé ; pour d’autres encore, tels les psychologues comportementalistes, ce serait plutôt « une aptitude à répondre ». […] La sémiotique n’a pas à se préoccuper de ce débat. Elle se contente de noter que le sens naît du rapport entre un univers dont relève le signifiant et un autre univers dont relève le signifié5. »

Nous croyons au contraire qu’il n’est pas indifférent et sans conséquences que tel sémioticien considère en définitive, plus ou moins consciemment, le signifié comme un concept logique, un concept psychologique ou un signifié « pur ».

1.2.3 Le référent

Note de bas de page 6 :

 Voir notamment Louis Hébert, Introduction à la sémantique des textes, Paris, Honoré Champion, 2001, chap. I et Louis Hébert, « Référence du référent », Semiotica, Bloomington, Association internationale de sémiotique, 120-1/2, 1998, pp. 93-108.

Le référent est, pour couper court dans une matière complexe et épineuse6, ce dont on parle quand on emploie tel signe (étant entendu qu’une production « complète » comme un texte est signe et fait de signes). Nous symboliserons le référent à l’aide des majuscules (RÉFÉRENT). Lorsque le référent est considéré comme faisant partie du signe, il semble que le signifié correspond alors toujours à un concept (même lorsqu’il s’appelle « signifié »).

De nombreuses apories s’élèvent autour de la notion de référent. Plusieurs de ces apories s’articulent autour des oppositions sensible (ou concret, perceptible) / intelligible (ou abstrait), classe / élément, type / occurrence, réel / fictif. Si le référent est le statut que prend un élément du monde physique lorsqu’il est intégré au signe ou lui est directement associé, il va de soi que les signes évoquant des éléments proprement intelligibles (comme « gloire », « congruité », etc.) n’ont pas de référent, pas plus que les signes qui évoquent des éléments perceptibles fictifs (« licorne »). Si les signes qui évoquent des éléments non directement perceptibles possèdent également un référent, celui-ci ne peut être qu’une entité mentale. Le référent n’est-il dans tous les cas, incluant celui des signes évoquant les éléments sensibles, qu’une entité mentale? Qu’est-ce qui distingue alors le référent de ces autres entités mentales susceptibles d’intégrer un signe ou d’y être associés que sont le signifié, le concept logique ou cognitif? Le référent est-il une classe et/ou un élément d’une classe ? S’il est une classe, l’est-il en ce qu’il correspond à l’ensemble des éléments d’une classe et/ou à la définition de cette classe ? Bref est-il une extension ou une intension (ou compréhension) ? Serait-il plutôt un type, un modèle et/ou une occurrence, une manifestation de ce modèle ? La distinction entre un type et la définition, l’intension d’une classe peut sembler vague, mais il s’agit bel et bien de deux choses distinctes. Type et définition sont nécessairement des entités abstraites ; occurrence et élément peuvent être aussi bien concrets (ce poème représentant du genre poème, cette bille membre de la classe des billes dans ce sac) qu’abstraits (cet amour qui est une manifestation de l’amour; l’humiliation, membre de la classe des émotions négatives). La différence est donc ailleurs. Le type est un individu abstrait résultat d’une induction produite à partir de ce qui deviendra ses occurrences et par rapport auxquelles il prend par la suite une valeur d’entité générative (par opposition à génétique).

Notre but n’est pas de tenter, si tant est qu’il soit possible de le faire, de trancher dans ces apories, simplement de les rapporter en les synthétisants. Donnons tout de même un exemple de théorie qui prend position à ces égards : plus loin nous verrons que, pour le Groupe μ, si le référent peut correspondre ou non à un élément réel (POMME, LICORNE), à un élément concret ou abstrait, il n’est jamais une classe d’individus (même s’il peut être un collectif : MEUTE) ni un objet du monde en tant que tel.

1.3 Statut des termes

Note de bas de page 7 :

 François Rastier, Sémantique et recherches cognitives, Paris, Presses universitaires de France, 1991, p. 211.

Un terme donné est susceptible de deux statuts dans une théorie donnée : il fait partie du signe ; il n’en fait pas partie (voire il n’existe pas); si le terme ne fait pas partie du signe, soit il ne lui sera pas relié du tout, soit il lui sera relié à divers degrés et fait ainsi partie de sa périphérie. Donnons des exemples. Les théories d’inspiration saussurienne excluent le référent du signe. Comme nous le verrons, le Groupe μ considère au contraire qu’il est interne au signe, à la sémiose. Rastier considère que le concept cognitif (qu’il appelle pédagogiquement « image mentale » ou rigoureusement « simulacre multimodal ») est externe au signe, mais qu’ils sont reliés : le signifié conditionnant, déterminant le concept7 ; nous reviendrons sur cette détermination.

1.4 Enchaînement des termes

Note de bas de page 8 :

 Louis Hébert, Introduction à la sémantique des textes, Paris, Honoré Champion, 2001, chap. I et Louis Hébert, « Référence du référent », Semiotica, Bloomington, Association internationale de sémiotique, 120-1/2, 1998, pp. 93-108. Par rapport à ces deux textes, nous ajoutons ici un terme : le stimulus.

L’ordre dans lequel nous avons présenté les termes du signe n’est pas indifférent. En effet, plusieurs théories ordonnent en un parcours les termes constitutifs du signe. Appelons ces parcours « parcours sémiosiques ». Si un signe est intégré dans un parcours où un ou plusieurs termes sont externes au signe, le parcours n’est alors que partiellement sémiosique. Lorsqu’un parcours aboutit sur le référent, on peut parler de « parcours référentiel »8. Par exemple, chez le Groupe μ, le parcours va du stimulus, au signifiant, puis au signifié et de là au référent et il est entièrement interne au signe. Bien sûr, les parcours des théories qui, comme celle de Saussure, excluent le référent comme terme du signe et même comme terme extérieur au signe mais à lui relié, ne peuvent être dits « référentiels ».

Lorsque un parcours inclut comme point de départ un stimulus et comme point d’arrivée un objet du monde (rappelons-nous que le référent n’est pas toujours considéré comme un objet du monde, par exemple dans la théorie du Groupe μ), on sera parti de la sphère physique (plus exactement phéno-physique) pour y revenir (nous reviendrons plus loin sur la question des sphères).

Note de bas de page 9 :

 François Rastier, « Sens et signification », dans Louis Hébert (dir.), Interprétation, Protée, Chicoutimi, UQAC, printemps, 26, 1, 1998, pp. 12-13.

Ces parcours nous apparaissent en définitive comme des simplifications, au mieux didactiques, au pire trompeuses. En effet, pour prendre le modèle saussurien du signe, et en court-circuitant le stimulus, le signifiant ne constitue pas, selon Rastier, le point de départ absolu de l'interprétation : « le signifiant [n’est] pas le point de départ [de la sémiosis], malgré les théories inférentielles ou associationnistes, car il a lui-même à être reconnu. En d’autres termes, les relations qui établissent le sens vont de signifié en signifié, aussi bien que du signifié vers le signifiant. […] la sémiosis ne peut être fixée que comme résultat de l’interprétation, non comme son point de départ. L’identification des signifiants semble un des points d’entrée dans le parcours interprétatif, mais elle est précédée par les attentes et présomptions que définit le contrat propre au genre textuel de la pratique en cours […] En somme les signes sont des interprétations réifiées9. »

1.5 Nombre de structures de signes possibles

D’un point de vue strictement mathématique, si l’on prend pour termes le stimulus, le signifiant, le signifié, le concept logique, le concept psychologique et le référent, il existe quelques dizaines de combinaisons de termes, et donc autant de structures possibles du signe. Ces structures sont monadiques, dyadiques, triadiques, tétradiques ou pentadiques. Il existe de plus une structure sextadique, composée donc des six termes.

Dans les faits, plusieurs structures sont, à notre connaissance, non attestées. Par exemple, on voit mal comment se justifierait une théorie qui dirait que le signe n’est fait que du seul signifié ; à notre connaissance aucune théorie qui inclut le concept logique dans le signe n’y inclut le concept psychologique (ou cognitif) et vice-versa ; enfin (et a fortiori), à notre connaissance toujours, aucune théorie n’exploite la structure sextadique.

Évidemment, des théories peuvent présenter des structures impliquant un ou plusieurs termes différents de ceux que nous avons retenus. Notre modélisation n’est pas exhaustive.

1.6 Exemples de structures de signes

Présentons sommairement quelques-unes des principales combinaisons de termes attestées dans des théories.

1.6.1 Signe monadique

Note de bas de page 10 :

 Charles Morris, Foundations of the Theory of Signs, Chicago University Press, 1938 ; Signs, Language and Behavior, New York, Prentice Hall, 1946.

Note de bas de page 11 :

 Rudolf Carnap, Meaning and Necessity, Cambridge (Massachusetts), Harvard University Press, 1975.

Note de bas de page 12 :

 Richard Montague, Formal Philosophy, New Haven (Connecticut), Yale University Press, 1974.

Note de bas de page 13 :

 Bertrand Russel, Écrits de logique philosophique, Paris, Presses universitaires de France, 1989.

Les plus vieilles théories du signe sont dites nomenclaturales : un stimulus différent désigne chaque « chose » différente. Il existe des théories néo-nomenclaturales, par exemple celles de Morris10, de Carnap11, de Montague12 et de Russell13 (pour les noms propres logiques seulement).

Il est également possible de concevoir les théories nomenclaturales comme dyadiques, si on considère que la « chose » désignée prend statut de référent et que ce dernier est interne au signe : alors un stimulus différent désigne chaque référent différent. Le principe reste le même, un stimulus est constitué en étiquette apposée sur un objet du monde.

1.6.2 Signe dyadique

Comme on le sait, Ferdinand de Saussure a proposé au début du XXe siècle un signe dyadique, fait du signifiant et du signifié (il est souvent représenté par un cercle dont la moitié inférieure est le signifiant et la moitié supérieure le signifié). Greimas et Rastier, par exemple, considèrent également que le signe est ainsi conformé.

Note de bas de page 14 :

 Louis Hébert, « Schéma de l'interprétation et nombre d'interprétations adéquates », Semiotica, Bloomington, Association internationale de sémiotique,126, 1/4, pp. 97-120.

Les signes dyadiques, saussuriens ou autres, en tant qu’ils opposent, d’une part, un élément perceptible (stimulus) ou corrélé à un élément perceptible (signifiant) et, d’autre part, un élément intelligible (signifié, concept) participent fréquemment, fût-ce à leur corps défendant, de séries d’homologations : corps/âme, sens littéral/sens figuré, dénotation/connotation, etc. Nous avons étudié cette question ailleurs14.

1.6.3 Signe triadique

Les théories du signe triadique sont nombreuses. On utilise souvent un triangle pour représenter visuellement ce type de signe. On parle alors de « triangle sémiotique » (la base de ce triangle est souvent figurée en pointillés pour indiquer que la relation entre la première et la dernière pointes est moins directe que celle entre les autres ; nous y reviendrons).

Note de bas de page 15 :

 François Rastier, « La triade sémiotique, le trivium, et la sémantique linguistique », Nouveaux actes sémiotiques, 9, 1990.

Note de bas de page 16 :

 Umberto Eco, Le signe, Bruxelles, Labor, 1988, p. 39.

Le schéma qui suit constitue l’enrichissement (notamment avec un texte de Rastier15) d’un schéma d’Eco16. Il confronte différentes dénominations données pour un « même » terme. Nous mettons des guillemets à « même » parce que la façon de concevoir ces termes est souvent très différente. En fait il s’agit de rapprochements analogiques. Par exemple, l’interprétant de Peirce est, parmi les trois termes du signe tel que conçu par ce théoricien, ce qui se rapproche le plus de ce que Saussure appelle « signifié » ou de ce que Aristote appelle « états d’âme », etc. Pour donner des repères, nous avons placé dans le schéma les termes du signe selon Saussure, mais il faut se rappeler que le signe saussurien, comme nous venons de le voir, n’est pas triadique mais dyadique.

Termes du triangle sémiotique

Termes du triangle sémiotique

Note de bas de page 17 :

 Umberto Eco, Le signe, Bruxelles, Labor, 1988, p. 39.

Quelques commentaires d'Eco sur la profusion terminologique autour du triangle sémiotique : « Quelqu'un va même jusqu'à nommer “ signifié ” ce que nous avons appelé référent, et “ sens ” ce que nous avons appelé “ signifié ”. Et, par exemple, la Bedeutung de Frege a pu être traduite par ” signifié ” ou “ meaning ” chez l'un et par “ référence ” chez l'autre17. » Parfois, les divergences terminologiques occultent une convergence théorique ; parfois, elles redoublent et illustrent des dissensions profondes. Parfois, une même dénomination recouvre des termes différents. C’est le cas du signifié, souvent conçu en réalité comme un concept, en contradiction comme nous l’avons vu avec les positions de Saussure, l’inventeur de cette dénomination.

Les structures de signe triadique les plus usuelles combinent (1) stimulus ou signifiant, (2) concept logique ou psychologique et (3) référent. Par exemple, nous dirons que le signe aristotélicien est fait d’un stimulus, d’un concept psychologique (l’état d’âme) et d’un référent. Plusieurs des théories qui emploient ce signe appellent « signifié » ce qui est plutôt dans les faits un concept.

1.6.4 Signe tétradique

Comme, à notre connaissance, personne n’a proposé de structure de signe composée de cinq des termes retenus ou des six termes retenus, nous arrêterons notre étude des structures des signes au signe tétradique. Le seul signe tétradique que nous connaissons qui reprend quatre des termes que nous avons présentés est celui du Groupe μ.

2. Signe tétradique : le Groupe μ

2.1 Le signe non iconique

Selon le Groupe μ, le signe, qu’il soit visuel non iconique (plastique) ou non visuel, est constitué du stimulus (c’est chez lui que nous avons puisé la dénomination de ce terme), du signifiant, du signifié et du référent; le signe visuel iconique possède une structure légèrement différente comme nous le verrons plus loin. Cette structure tétradique est représentée visuellement par un rectangle, comme ci-dessous.

Représentation visuelle du signe tétradique du Groupe μ

Représentation visuelle du signe tétradique du Groupe μ

La ligne discontinue unissant stimulus et référent indique que leur relation n’est pas aussi directe que celle des autres termes du signe. En effet, le lien qui unit ces deux termes est arbitraire. Ainsi, le stimulus {pomme} n’est pas plus pertinent pour désigner une POMME que toute autre combinaison de sons vocaux. À preuve, en anglais, le stimulus associé à ce référent est {apple}. Mais il existe évidemment des signes non arbitraires (motivés), comme les signes visuels iconiques dont nous parlerons plus loin.

2.2 Le signe visuel iconique

Note de bas de page 18 :

 En clin d’œil au Groupe μ et aux quatre opérations substantielles qu’il a distinguées, on dira que, dans leur modèle du signe iconique, le type a été substitué au signifié. Plus sérieusement, nous avons proposé dans un article à paraître de fusionner la typologie générale des opérations de transformation du Groupe μ avec celle de Zilberberg et avec une typologie spécifique et pointue de Rastier que nous avons généralisée. Nous proposons ainsi de faire passer de quatre à dix les opérations élémentaires de transformations : adjonction, suppression, substitution, permutation et conservation se déclinent en versions extenses (ou substantielles) et en versions intenses.

Selon le Groupe μ, la structure du signe visuel iconique (celui associé aux figures, reconnaissables ou non, représentées dans l’image) est différente de celle des autres signes, notamment du signe visuel plastique (celui associé, par exemple, à la couleur, à la texture de la pâte d’un tableau). Le signifié y est remplacé18 par un terme appelé « type » (dorénavant, le mot « type » désignera dans notre texte cette créature du Groupe, et nous emploierons « modèle » comme substitut pour le mot « type » dans son sens général) :

Note de bas de page 19 :

 Groupe µ, Traité du signe visuel, Paris, Seuil, 1992, p. 136.

« Le “ type ” a une fonction particulière que l’on comprendra si l’on considère la structure du signe iconique [, par exemple le dessin d’un chat]. Le stimulus, c’est-à-dire le support matériel du signe (taches, traits, courbes, etc.), entretient avec le référent (la classe des animaux que l’on appelle chats) une relation de transformation : le chat dessiné n’est pas du tout identique à l’animal chat. Mais je reconnais un chat parce que le stimulus est conforme à un modèle (le signifiant) équivalent à un type (un ensemble d’attributs visuels) qui lui-même est conforme à ce que je sais de l’animal chat (le référent). Tout cela peut sembler compliqué mais permet de comprendre que pour un signe iconique, le processus de signification est assuré par le fait que le stimulus (le dessin) et le référent (la chose représentée) entretiennent des rapports de conformité avec un même “ type ”, qui rend compte des transformations qui sont intervenues entre le stimulus et le référent19. »

Plus précisément, le référent, pour le Groupe,

Note de bas de page 20 :

 Jean-Marie Klinkenberg, « Le sens et sa description », Précis de sémiotique générale, Paris, Seuil, p. 97.

« c’est ce dont il est question dans un processus de communication ou de signification donné. Une communication donnée, écrivons-nous ; c’est dire que le référent est particulier (ce qui ne veut pas dire singulier, singulier étant ici entendu par opposition à pluriel) : c’est une actualisation du signifié. Mais le référent n’est pas l’objet du monde, par exemple en tant que paquet de molécules. On ne peut connaître l’objet du monde comme tel : nous ne faisons que projeter nos modèles sur les stimuli provenant de la réalité. Le référent est donc l’objet du monde en tant qu’il peut être associé à un modèle, en tant qu’il peut faire partie d’une classe20. »

Note de bas de page 21 :

 Groupe µ, Traité du signe visuel, Paris, Seuil, 1992, p. 136.

Autrement dit, le référent est « un designatum (et non un denotatum, par définition extérieur à la sémiose), mais un designatum actualisé21. »

Note de bas de page 22 :

 Groupe µ, Traité du signe visuel, Paris, Seuil, 1992, p. 136.

Comme le Groupe le laisse entendre, l’objet du monde ne se comprend pas uniquement comme « paquet de molécules » ; considérons qu’il peut aussi être envisagé comme paquet de sensations (les effets de la matière sur nos capteurs sensoriels) en deçà de la perception (qui constitue les sensations en référents) : le référent « c’est l’objet entendu comme somme inorganisée de stimuli, mais comme membre d’une classe »22. On note que le Groupe considère tantôt le référent est comme une classe (« la classe des animaux que l’on appelle chat »), tantôt comme un élément d’une classe (l’objet du monde en tant qu’il peut faire partie d’une classe, en tant que designatum) ; nous considérerons que la seconde interprétation est celle qui reflète le mieux la pensée du Groupe.

Greimas et Courtés, avec leur hypothèse de la sémiotique du monde naturel, considèrent le monde physique comme doté d'un plan de l'expression et d’un plan du contenu, il est par là assimilable à une sémiotique (en simplifiant, à un signe). Le problème des relations (incluant la référence) entre le monde naturel et tout langage (incluant les langues naturelles) devient alors un problème de relations intersémiotiques (ou, en simplifiant, intersignes) :

Note de bas de page 23 :

 Algirdas Julien Greimas et Joseph Courtés, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette Université, 1979, pp. 233-234.

« Nous entendons par monde naturel le paraître selon lequel l'univers se présente à l'homme comme un ensemble de qualités sensibles, doté d'une certaine organisation qui le fait parfois désigner comme « le monde du sens commun ». Par rapport à la structure « profonde » de l'univers, qui est d'ordre physique, chimique, biologique, etc., le monde naturel correspond, pour ainsi dire, à sa structure « de surface » [sa structure phéno-physique, dirait Rastier] ; c'est d'autre part, une structure « discursive » car il se présente dans le cadre de la relation sujet/objet, il est « l'énoncé » construit par le sujet humain et déchiffrable par lui. » [...] [L]e monde naturel est un langage figuratif, dont les figures — que nous retrouvons dans le plan du contenu des langues naturelles — sont faites des « qualités sensibles» du monde et agissent directement — sans médiation linguistique — sur l'homme23. »

Si l’on rabat cette hypothèse sur le modèle du Groupe μ, pour ce qui est du monde naturel, le plan du contenu correspond au plan des référents et le plan de l’expression, à celui des objets du monde.

Note de bas de page 24 :

 Jean-Marie Klinkenberg, « Le sens et sa description », Précis de sémiotique générale, Paris, Seuil, 1996, p. 97.

Pour μ, un référent n’est pas nécessairement réel : « nous savons comment sont faites les licornes, même si nous ne croyons pas à leur existence ». Un référent n’est pas nécessairement concret : ce peut-être un objet (un caillou, la conscience), une qualité (rouge, incompréhensible), un processus (casser, réfléchir), tous éléments qui peuvent indifféremment être concrets ou abstraits24.

Si l’on veut bien considérer un élément d’une classe comme une occurrence relevant du modèle associé à cette classe, le référent est une occurrence (un token). En conséquence, le parcours référentiel, avec ce modèle du signe, va d’une occurrence – le stimulus – à un modèle – le signifiant – à un autre modèle – le type – puis à une autre occurrence – le référent. Pour le Groupe μ, du moins en ce qui concerne le type d’un signe iconique, un type est une classe.

Note de bas de page 25 :

 Jean-Marie Klinkenberg, « Structure des signes iconiques », Précis de sémiotique générale, Paris, Seuil, 1996, p. 384.

Dans l’exemple qui suit, avec le nom « Chipie », on voit que le référent peut posséder des traits qui ne se retrouvent pas dans le type : « Par exemple, le référent du signe iconique chat est un objet singulier, dont je puis avoir l’expérience visuelle (il est gris et blanc sous la gorge, pas très gros et a d’assez larges oreilles, ainsi qu’une blessure à la patte postérieure gauche et répond – mal – au nom de Chipie), mais en tant que cet objet peut être associé à une catégorie permanente : l’être-chat25. » On peut présumer, même s’il n’en est pas fait mention explicitement, que, pour le Groupe, le référent peut ne pas posséder toutes les propriétés du type, par exemple si Chipie a trois pattes au lieu de quatre (à supposer que la quadrupédie effective fasse partie des traits du type).

2.3 Discussion : type, signifié modèle et simulacre multimodal

Note de bas de page 26 :

 Groupe µ, Traité du signe visuel, Paris, Seuil, 1992, p. 137.

Note de bas de page 27 :

 Groupe µ, Traité du signe visuel, Paris, Seuil, 1992, p. 154.

Nous considérerons que la position du Groupe μ sur la structure du signe iconique se résume ainsi : chaque signe iconique n’a pas de signifié mais un type; et ce type ne contient pas que des traits visuels (par exemple le Groupe μ parle du miaulement comme d’une caractéristique présente dans le type « chat »26) et pas que des propriétés physiques27. Par définition, le type ne contient que des traits typiques.

Si je dessine le chat dont parle Klinkenberg, Chipie, telle qu’elle se trouve à la suite d’un terrible accident, soit sans ses pattes, le Groupe μ considérerait sans doute que ce signe iconique « chat » contient dans le type le trait /avec quatre pattes/ (ou du moins /quadrupède/) et dans le référent le trait /sans pattes/.

Supposons que j’écrive toujours à propos de Chipie : « Ce chat n’a plus de pattes ». Le Groupe μ considérerait que le référent de ce signe contient le trait /sans pattes/, mais dirait-il que le signifié ‘chat’ contient /avec pattes/ ou /sans pattes/? Puisque, dans un signe iconique, le type est un modèle et non une occurrence, considérons que le signifié d’un signe non iconique est également un modèle et non une occurrence. En ce cas, le signifié ‘chat’ contiendrait /avec pattes/.

Prenons les choses autrement maintenant. Supposons que, comme chez plusieurs théoriciens, dont Rastier, on distingue signifié modèle et signifié occurrence et qu’on veuille décrire le contenu de notre énoncé. On dira que le signifié modèle ‘chat’ contient /quatre pattes/ et le signifié occurrence /sans pattes/. Pourquoi le signe iconique ne se comporterait-il pas de la même manière? Le type qui remplace le signifié selon le Groupe μ n’est-il en fait qu’un signifié modèle qui s’ignore? Bref, a-t-on vraiment besoin de remplacer le signifié par un type?

La description du signe iconique peut peut-être tout aussi bien fonctionner sans recours au référent, la conformité s’établissant alors entre signifié modèle et signifié occurrence plutôt qu’entre type et référent. Mais, objectera-t-on, si l’on a peur de la génération spontanée, d’où proviendrait alors le sème /sans patte/ dans une telle structure du signe, puisque ce sème ne se trouve assurément pas dans le signifié modèle? Ce trait – comme tout autre trait que l’on considérerait comme pertinent sans qu’il se trouve pour autant dans le signifié modèle ou dans le cotexte, les autres signifiés de la production – se trouve comme trait potentiel dans l’entour et est sélectionné pour devenir un sème dans le signifié occurrence.

Note de bas de page 28 :

 Nous adaptons : François Rastier, Sens et textualité, Paris, Hachette, 1989, p. 278 à la lumière de : François Rastier, « Anthropologie linguistique et sémiotique des cultures », dans François Rastier et Simon Bouquet (dirs.), Une introduction aux sciences de la culture, Paris, Presses universitaires de France, 2002, p. 247.

L'entour, selon Rastier, est l’ensemble des phénomènes sémiotiques ou (re)présentationnels associés à l’objet interprété28. Il englobe l’objet, l’émetteur et le récepteur et contient les interprétants nécessaires à l'actualisation de contenus de l’objet (plus exactement aux incidences sémiques dans l’objet). L’entour se dispose en trois zones d’étendue croissante, ici rapportées au texte :

Note de bas de page 29 :

 François Rastier, Sens et textualité, Paris, Hachette, 1989, pp. 50-51.

« 1. Les sémiotiques associées au texte (mimiques, gestuelles, graphies, typographies, diction, musique, images, illustrations, etc.).
2. La situation de communication et notamment la pratique sociale où le texte prend place, et qui rend compte du choix de son genre, comme des autres formations sociolectales.
3. Les connaissances encyclopédiques de la société où la communication a lieu ; et, englobant les précédentes, sur cette société. Elles incluent bien entendu toutes les connaissances disponibles sur l'émetteur et le récepteur29. »

Note de bas de page 30 :

 François Rastier, Sens et textualité, Paris, Hachette, 1989, p. 52.

L’entour n’est pas le référent : le problème du référent se pose après la (re)construction du sens et dépend donc non seulement de l’objet et des systèmes impliqués, mais de leurs interrelations avec l’entour et les acteurs de la communication30.

Note de bas de page 31 :

 François Rastier, Marc Cavazza et Anne Abeillé, Sémantique pour l'analyse, Paris, Masson, 1994, p. 5.

Note de bas de page 32 :

 Jacob Von Uexküll, Mondes animaux et mondes humains, Paris, Denoël, 1956.

Pour pallier les insuffisances de la bipartition en sphères sensible et intelligible, Rastier propose la tripartition sphère physique, sphère sémiotique et sphère des processus mentaux (1994 : 4-5 et 1991 : 237-243). Le sémiotique est une sphère médiatrice entre le monde physique et le monde des processus mentaux, le plan de l’expression (les signifiants) trouve alors des corrélats privilégiés dans la sphère physique et le plan du contenu (les signifiés) dans la sphère mentale31. Par la suite, Rastier a précisé sa tripartition en relativisant et spécifiant l’opposition entre Umwelt – le monde propre des individus – et Welt, tels que ces concepts sont définis par Uexküll32 :

Note de bas de page 33 :

 François Rastier, « Anthropologie linguistique et sémiotique des cultures », dans François Rastier et Simon Bouquet (dir.), Une introduction aux sciences de la culture, Paris, Presses universitaires de France, 2002, p. 247.

« Les “états internes” des sujets humains sont des présentations – non des représentations, car ils apparaissent dans des couplages spécifiques entre l’individu et son entour mais ils ne représentent pas pour autant cet entour ou ce couplage. Le substrat, notamment physique, de l’entour, le Welt venant en arrière-plan, nous l’appellerons arrière-monde. Ainsi souhaitons-nous réarticuler les oppositions entre le phénomène et l’objet, l’événement et le fait. L’entour est composé des niveaux présentationnel et sémiotique des pratiques. Le niveau physique n’y figure pas en tant que tel, mais en tant qu’il est perçu, c’est-à-dire dans la mesure où il a une incidence sur les présentations (d’“objets” ou de signifiants) ; aussi nous empruntons à Thom le terme de phénophysique33. »

La tripartition prend alors la forme suivante :

Les trois niveaux, l’entour et l’arrière-monde

Les trois niveaux, l’entour et l’arrière-monde

La tripartition de Rastier donne une sphère autonome et médiatrice au sémiotique et donc notamment au signe. La bipartition en sphères physique (ou sensible) et cognitive (ou intelligible) nous apparaît réserver au sémiotique et au signe trois principaux traitements concurrents. (1) Les « signifiants » (en fait les stimuli) appartiennent à la sphère physique et les « signifiés » (en fait les concepts), à la sphère cognitive. Quant au référent, selon les théories, soit il logera uniquement dans l’une ou l’autre des deux sphères, soit dans les deux. (2) Signifiants et signifiés sont considérés comme éléments mentaux, mais se retrouvent sans autonomie dans la sphère cognitive (que le signifié soit considéré ou non comme un concept). Quant au référent, comme dans le premier traitement, selon les théories, il relèvera exclusivement de l’une ou de l’autre sphère ou encore des deux. (3) Chacune des deux sphères est une sémiotique, c’est-à-dire qu’elle est dotée d’un plan de l’expression (des signifiants) et d’un plan du contenu (des signifiés). On retrouve ici Greimas et sa sémiotique du monde naturelle. Si l’on considère que Greimas distinguait implicitement trois sphères, car il distinguait, comme nous l’avons vu, signifié et concept, force est de constater qu’il n’a pas, semble-t-il, envisagé de considérer la sphère cognitive comme une sémiotique, formée elle aussi d’un plan de l’expression et d’un plan du contenu. Sans aller jusqu’à cette hypothèse pansémiotique qui voit chaque sphère comme une sémiotique, considérons que les principales unités de chacune des trois sphères sont articulables en traits et relations (ou cas) entre les traits, tel que le montre le schéma ci-dessous. Bien que personnellement nous préférons éliminer le référent ou le dissoudre en d’autres unités, nous l’avons placé dans le schéma ; nous avons opté pour une théorie qui distingue des référents physiques et d’autres cognitifs et considéré que les référents non physiques ne sont pas des simulacres multimodaux ; d’autres choix sont possibles évidemment.

image

Mais revenons à Chipie. Les connaissances sur les chats en général ou sur la pauvre Chipie en particulier prennent le statut d’interprétant (au sens où l’entend Rastier), pour peu qu’elles ont une incidence sémique, à savoir permettre de virtualiser au moins un sème ou de l’actualiser ou encore d’en modifier la prégnance (mise ou remise en saillance, au neutre, en retrait). Dans le cas contraire, elles demeurent des éléments de l’entour sans incidence dans la description en cours mais sont toujours susceptibles d’être sollicitées ultérieurement.

Note de bas de page 34 :

 Dans cet exemple, le sème /félin/ est spécifique. Dans d’autres énoncés, il peut être microgénérique, en tant que sème affecté à l’ensemble des signifiés inclus dans le taxème (la plus petite classe sémantique) //félins// : ‘chat’, ‘tigre’, ‘lion’, etc.

Pour les fins de la discussion, nous avons pris le sème /avec quatre pattes/ ou /quadrupède/. Cependant, ces sèmes ne font sans doute pas partie du signifié modèle de ‘chat’ selon Rastier. En effet, un sème (dit inhérent) ne fait partie du signifié modèle d’un morphème, ici de « chat », que s’il répond à l’une ou l’autre des conditions suivantes : il note l’appartenance à une classe sémantique (comme les sèmes /concret/, /animé/, /animaux de compagnie/, etc.), ou il distingue entre eux les signifiés les plus proches (/félin/ ou /félinité/ permettant par exemple de distinguer ‘chien’ et ‘chat’ au sein de la classe des //animaux de compagnie//)34. Un trait comme /à poils doux/, présenté par le Groupe μ comme un trait du type de « chat », n’est pas considéré par Rastier comme un sème du signifié type ; en effet, il n’existe pas de classe des //animaux à poils doux// et ce trait ne permet pas de distinguer ‘chat’ de, par exemple, ‘chien’ dans le taxème des //animaux de compagnie//.

Note de bas de page 35 :

 François Rastier, Sémantique et recherches cognitives, Paris, Presses universitaires de France, 1991, p. 207 ; Louis Hébert, Introduction à la sémantique des textes, Paris, Honoré Champion, 2001, pp. 101-104.

Note de bas de page 36 :

 François Rastier, Sémantique et recherches cognitives, Paris, Presses universitaires de France, 1991, p. 211.

S’il s’avérait que nous ne rendions pas justice à la spécificité du type du Groupe μ en l’assimilant à un signifié modèle comme les autres, peut-être est-il possible de le rapprocher d’un autre élément de la systémique de Rastier, le simulacre multimodal. Comme nous l’avons vu, dans la théorie de Rastier, on distingue nettement signifié et concept. Pour Rastier35, le concept n’est pas une image mentale, au sens strict du mot « image », mais un simulacre multimodal. Parmi les différentes modalités que le simulacre convoque se trouvent les modalités sensorielles, incluant la visuelle mais ne s’y limitant pas. Selon Rastier, ce n’est pas la représentation mentale qui détermine le contenu, mais le contenu occurrence qui détermine la représentation mentale, le simulacre multimodal. Ainsi, la représentation associée à « poisson » sera-t-elle différente selon que l’on écrive « le poisson et le canari » (image d’un poisson rouge) et « le poisson et le cormoran » (image d’un poisson « sauvage »)36.

Pour que le rapprochement soit plus étroit, puisque le type du Groupe μ peut comporter des traits abstraits, il faudrait encore s’assurer que, dans la théorie rastiérienne, les modalités autres que sensorielles qui sont constitutives du simulacre multimodal incluent des traits abstraits. Il faudrait également s’assurer que, de même que l’on distingue signifiés occurrences et signifiés modèles, il existe bien des simulacres multimodaux modèles et pas seulement occurrences : en fait, nous ne voyons pas pourquoi il n’en serait pas ainsi. En tant qu’occurrence, le simulacre est déterminé par le signifié occurrence. En tant que modèle, il est susceptible d’agir comme interprétant pour le signifié occurrence. À ces conditions, le simulacre multimodal type agit peut-être comme l’interprétant privilégié des signes iconiques, surtout en tant que les traits visuels sont impliqués. Rappelons que l’interprétant peut être interne ou externe à la production, être sémiotique (signe, signifiant ou signifié) ou présentationnel (comme le simulacre et sans doute d’autres formations cognitives). Il se définit par sa portée fonctionnelle, qui est une incidence sémique comme nous l’avons vu.

Pour (ne pas) conclure

Que gagne-t-on, que perd-on à voir le type du Groupe µ plutôt comme un signifié modèle ou, mais cela reste à valider, un simulacre multimodal modèle et/ou occurrence? Le principal gain est sans doute d’éviter les problèmes multiples et, croyons-nous, insolubles associés au référent.

Le signe iconique redevient, structurellement, essentiellement un signe comme les autres. Cela rassurera les tenants d’une structure du signe universelle ou du moins générale et cela déplaira sans doute à ceux qui cherchent à distinguer le signe visuel pour mieux affirmer l’autonomie de la sémiotique visuelle.

Si l’on considère que le signe visuel, qu’il soit iconique ou non, n’a pas de spécificité structurelle importante eu égard aux termes que nous avons considérés, cela ne veut pas dire qu’il n’en ait pas à d’autres égards. Ses spécificités autres que structurelles sont évidemment nombreuses et plusieurs sont bien mises en lumière dans le Traité du signe visuel.

Dans le pire des cas, si la transplantation dans la systématique rastérienne n’est pas totalement satisfaisante, le modèle du Groupe µ en ressort, croyons-nous, précisé et revigoré.