Interdisciplinarité et recherche opérationnelle sur le paysage
l’exemple du potentiel ornitho-écologique du pays d’Apance-Amance en Haute-Marne

Brossard Thierry

HéMA, CNRS, Université de Franche-Comté

Chambaud François

Cellule d’Application en Ecologie, Université de Bourgogne

Joly Daniel

THéMA, CNRS, Université de Franche-Comté

Lemaire Elisabeth

Cellule d’Application en Ecologie, Université de Bourgogne

Le paysage constitue une entrée privilégiée pour aborder des domaines d’application variés relevant du développement durable. A ce titre, la présente recherche, qui s’intéresse aux rapports entre paysage et biodiversité, s'inscrit dans le cadre d'une opération agri-environnementale concernant le pays d’Apance-Amance (Haute-Marne). L'objectif visé est d’identifier et de cartographier différentes unités ornitho-écologiques dont la typologie a été définie après prospection de terrain. Celle-ci a autorisé l’identification d’un certain nombre de critères paysagers distinctifs de chacun des types reconnus. On a ensuite établi une correspondance entre les critères en question et certaines informations contenues dans un système d’information géographique (SIG). Informations tirées principalement d'images satellites et d'un modèle numérique de terrain. La formalisation des liens entre observations au sol et base d'informations numériques a donné lieu à l'élaboration d'un opérateur cartographique qui permet de circonscrire l'espace paysager potentiellement favorable aux unités ornitho-écologiques reconnues.

Landscape is a major object concerned by sustainable development. Thus, this study aims to explore the relationship between landscape and biodiversity. It is a contribution to a local land planning operation on the Apance-Amance area (Haute-Marne, France). Different ornitho-ecological units are defined by field investigations and then classification processing. This one leads us to identify some discriminant landscape criteria related to each ornitho-ecological unit. Then, the link between the recognized landscape criteria and different G.I.S. information layers is established. Most of the used data are obtained from a satellite image (SPOT XS+P channels) and a digital elevation model. The formalization of links between filed observations and G.I.S. data base leads to establish an operator for mapping the potential distribution of the ornitho-ecological units. A synthetic map shows up the obtained results.

Index

Articles des auteurs de l'article parus dans les Actes Sémiotiques : Brossard Thierry, Chambaud François, Joly Daniel et Lemaire Elisabeth.

Mots-clés : biodiversité, écologie du paysage, ornitho-écologie, système d’information géographique

Plan

Texte intégral

Introduction

Le paysage est un terme du langage courant qui fait sens pour chacun de nous ; il nourrit aussi la recherche scientifique dans la mesure où il est le signe et le révélateur d’enjeux territoriaux importants, que les débats actuels autour du développement durable prennent en considération (Landais, 1997). Encadrée par la loi « Paysage », la demande sociale qui se manifeste dans ce domaine est importante, qu’il s’agisse de préserver un patrimoine environnemental ou historique, d’évaluer et de promouvoir une offre touristique ou foncière, de simuler l’impact visuel et fonctionnel d’ouvrages d’art, de cerner des évolutions diffuses comme l’enfrichement (Brossard et al., 1994) ou l’extension urbaine ou encore, comme nous le montrerons à travers un exemple, d’évaluer le potentiel ornitho-écologique d’une zone rurale en mutation. Pour appréhender, sur des bases assurées, ces diverses réalités du paysage et de sa dynamique, il est nécessaire de mettre en place, par une démarche appropriée, des méthodes et des outils capables d’en éclairer la complexité et d’aider ainsi les acteurs territoriaux, institutionnels ou particuliers, dans leur prise de décision (Ahern, 1999). Cette thématique, éminemment pluridisciplinaire, prend appui sur les partenariats diversifiés, qu’il s’agisse d’opérations locales ou de programmes internationaux, d’acteurs publics ou privés.

Pour asseoir l’approche du paysage ainsi définie, il convient de rassembler et de mettre en ordre une information aussi complète que possible grâce à des systèmes de gestion spécifiques (Brossard et al.,1999). Les informations, archivées sous forme numérique de manière à être consultées et combinées, peuvent être de nature diverse (Nilsen et al., 1999) : images satellites, données sur l’altitude et les formes du relief, occupation du sol, photographies et cadastres anciens, relevés écologiques, statistiques socio-économiques, résultats d’enquêtes, etc. Ensuite, le cœur du travail de recherche consiste à repérer, parmi les informations ainsi disponibles sur le territoire, celles qui sont significatives pour traiter les problèmes concrets d’aménagement et de gestion du paysage qui se posent. Il convient, ensuite, d’élaborer des procédures qui, grâce la modélisation mathématique, permettent de faire le diagnostic requis et d’orienter en conséquence les décisions. Cette mise en perspective prend appui sur un exemple d’application relevant de l’écologie du paysage et impliquant la collaboration de géographes et d’ornithologues.

Figure 1. Carte de localisation de la zone d’étude

La zone d’étude concerne le pays d’Apance-Amance, près de Bourbonne-les-Bains, en Haute-Marne (fig. 1). Dans ce secteur, la déprise agricole, particulièrement sensible, induit une transformation importante des paysages (Deffontaines, 1994) et de leur potentiel écologique. D’où le besoin de disposer de méthodes d’évaluation et de diagnostic de ces transformations pour guider une politique ajustée de développement local impliquant la lutte contre la déprise, la préservation et la restauration du paysage, le maintient de la biodiversité. A cette égard, l’avifaune constitue un indicateur particulièrement intéressant à considérer car elle est fortement déterminée, dans sa distribution, par les caractéristiques paysagères (Kareiva et Wenergren, 1995 ; McGarigal et McComb, 1995) ; les oiseaux, grâce à leur mobilité, ont la capacité de réagir aux modifications du milieu dont ils constituent un indicateur de choix. C’est à ce titre que l’étude présentée fut conduite dans le cadre d’une opération agri-environnementale centrée sur le pays d’Apance-Amance. Un des points importants du diagnostic de biodiversité recherché fut d’établir une carte des unités ornitho-écologiques dont les critères distinctifs portent d’une part sur le paysage et ses composants (Cale et Hobbs, 1994) et, d’autre part, sur l’avifaune ses cortèges aviens. La démarche a été construite à travers le développement d’un système d’information dédié, dont l’apport principal consiste à généraliser les résultats tirés d’observations ponctuelles (les points d’écoute) à l’espace continu de la carte (Brossard et al., 1994 ; Foltête et al., 2002). L’instrumentation requise par ce projet se décompose selon les points suivants :

  • mise au point de protocoles d’observation et de mesure par échantillonnage,

  • définition d’unités ornitho-écologiques sur la base de critères croisés faunistiques et paysagers,

  • constitution d’une base d’information multi-source propre à fournir les critères paysagers mis en évidence par l’enquête de terrain,

  • formalisation, au sein du S.I.G., des termes de requête,

  • élaboration de cartes de potentiel relatives aux unités reconnues.

Matériellement, l’opération a été organisée en deux phases distinctes :

  • observation de terrain et traitements conjoints servant à caractériser le paysage en fonction des aptitudes qu’il offre en terme d’habitat ornitho-écologique,

  • élaboration d’un opérateur cartographique approprié à partir des informations exogènes contenues dans le S.I.G. et production de cartes de potentiel.

Le terrain d’étude

L’opération agri-environnementale Apance-Amance porte sur 32 communes. Elle est localisée au sud de Boubonne-les-Bains. La surface agricole utile y représente 17 000 ha dont 15 000 de surface toujours en herbe (S.T.H.). L’élevage bovin (lait, viande) constitue l’essentiel de l’activité agricole sur des structures généralement importantes. Ce pays est constitué d’un bas plateau gréso-limoneux compris entre 430 et 470 m ; il est entaillé vigoureusement par les vallées de l’Apance, de l’Amance et de leurs affluents. Le plateau est dévolu aux cultures et aux forêts tandis que les coteaux de forte pente sont consacrés aux herbages et aux bois dans leur partie haute, aux vignes et vergers dans leur partie basse. Des prairies humides occupent les fonds de vallée.

Actuellement, cette région est touchée par un fort dépeuplement rural et agricole. Les orientations de la P.A.C. influent sur le milieu et se traduisent par une nette modification du paysage sous l’effet de la déprise agricole et de l’enfrichement. Outre de la disparition déjà ancienne du vignoble, on assiste aujourd’hui à la disparition des vergers et à l’abandon progressif des prairies de coteau et de vallée. Les conséquences de cette évolution se traduisent par une fermeture du paysage par nucléation et/ou épaississement de lisière.

Etude ornitho-écologique

Choix de l’indicateur écologique

Rappelons qu'un bio-indicateur ou indicateur biologique est constitué d'espèces animales ou végétales, qui, en raison de leurs particularités écologiques sont l'indice précoce (organismes sentinelles) de modifications abiotiques ou biotiques de leur environnement dues à des actions humaines (Ramade, 1993). L'avifaune a été retenue comme matériel d'étude car les oiseaux sont considérés comme de bons indicateurs de qualité et de dynamique de la biodiversité : ils ne posent pas de problème d'ordre systématique et leurs manifestations visuelles et auditives les rendent facilement identifiables. Très sensibles aux modifications de leur environnement et dotés d’une grande mobilité, ils réagissent immédiatement, ce qui est intéressant dans une problématique de gestion paysagère et de suivi pluriannuel. Enfin, ils sont présents dans tous les contextes y compris les plus artificialisés.

Echantillonnage et collecte des données

Les informations aviennes et paysagères (environnement, composition et structure des stations d'écoute) ont été collectées sur les 30 000 ha du territoire d'étude à l'aide d'un échantillonnage stratifié représenté par 41 stations, soit 820 ha (20 ha par station) et 3% de la superficie totale. La stratification a été faite selon les types de milieux retenus par l'opération locale : les lisières de bois au contact de prairies et cultures, les coteaux en voie de déprise, les prairies humides de fond de vallon, les bords de rivière. Dans chacun de ces types de milieu, les points ont été placés de manière aléatoire.

Recensement de l'avifaune

Les dénombrements des oiseaux ont été effectués par la méthode des IPA, Indices Ponctuels d'Abondance (Blondel et al., 1970 ; IBCC, 1977). C'est une méthode relative(elle ne donne que des indices) standardisée bien adaptée pour comparer l'abondance d'une même espèce dans différents milieux et au cours du temps, pour comparer la richesse spécifique et la diversité des points d'écoute entre eux. Elle s'intéresse aux oiseaux nicheurs (comportement de territorialité) mais permet d'inventorier toutes les espèces présentes, nicheuses ou non.

Choix des descripteurs paysagers

À chaque zone échantillonnée par l'IPA est associée une description de la physionomie paysagère du site dans un rayon de 250 m correspondant à la limite auditive de la majorité des oiseaux à partir d'un point fixe. Chaque unité de description couvre environ 20 ha. Six critères ont été pris en compte :

  • la position topographique de la station (altitude, pente, station en sommet, mi-versant, bas-versant, vallée plate ou profonde),

  • l'occupation du sol (% de forêts, prairies fauchées ou pâturées, cultures, vignes, vergers entretenus ou abandonnés, bâti,...),

  • la physionomie des différentes strates verticales (% de recouvrement des strates herbacées, arbustives et arborescentes),

  • les caractéristiques des éléments ligneux (distance à la forêt, longueur de lisière, longueur, hauteur, type, position des haies),

  • les caractéristiques des rivières (largeur, type d'écoulement, hauteur et végétation dominante des berges, présence de radiers...),

  • la physionomie dominante de l'environnement lointain (occupation du sol dominante autour du cercle d'écoute).

La description paysagère du rayon d'écoute de l'IPA cherche à établir une relation entre le cortège avien observé et la structure physionomique du paysage environnant. En effet, en partant du postulat que les mâles chanteurs entendus durant l'écoute sont reproducteurs et qu'ils défendent un territoire, une description du paysage à l'intérieur du rayon d'écoute doit permettre de caractériser tout ou partie du territoire de reproduction des espèces et d'approcher leurs exigences écologiques via le critère paysager (Li et Wu, 2004).

Analyse et traitement des données

Les données brutes IPA et paysagères récoltées sur le terrain ont été traitées par analyses statistiques multivariées, enchaînant successivement une analyse factorielle de correspondances (AFC), une classification hiérarchique ascendante (CHA) et une partition de l'arbre hiérarchique permettant la construction de typologies. Ce sont 41 relevés, 74 variables aviennes, et 34 variables paysagères représentées par 141 modalités qui ont été analysés. Ces analyses ont établi des comparaisons entre les relevés sur la base de leur composition avienne et de leurs caractéristiques paysagères, et ont proposé ensuite des regroupements typologiques de relevés d'après leur ressemblance mutuelle.

Résultats et synthèse

Le premier axe de l'AFC (15,25% de l'information) traduit la présence ou l'absence de rivière et de prairie humide et la situation topographique des stations. Il oppose d’une part, les situations de fond de vallon occupé par une rivière et caractérisé par des oiseaux typiques des milieux aquatiques et prairiaux (Martin-pêcheur, Canard colvert, Alouette des champs, Bruant proyer...), et d’autre part, les situations en mi-versant de coteau à pente forte, avec une dominance d'espèces de milieux arbustifs (Fauvette à tête noire, Fauvette grisette, Pouillot véloce...).

Le second axe (7,23%) correspond à un gradient d'ouverture du milieu. Il oppose les milieux ouverts herbacés à pente faible à proximité de forêts, avec essentiellement des espèces de lisières ou de forêts dégradées (Geai des chênes, Bruant zizi, Grive musicienne...) aux milieux fermés en friches où les espèces caractéristiques sont typiques des strates buissonnantes (Fauvette grisette...).

Le troisième axe (6,23%) traduit une typologie des rivières : opposition entre faciès de rivière à eau courante avec des berges arborées (espèces des eaux vives telles que Cincle plongeur, Bergeronnette des ruisseaux...) et rivière à eau lente aux berges herbacées avec ceintures linéaires d'hélophytes (Rousserolle effarvatte, Bruant des roseaux...).

Tableau I : Critères paysagers et espèces servant à discriminer les unités ornitho-écologiques

Unités

Facteurs paysagers discriminants

Especes discriminantes

Unité 1

 longueur de berges herbacées < 50 m
 longueur de berges arborescentes > 200 m
 hauteur des berges < 2 m
 eau courante
 longueur de berges arbustives < 50 m
 largeur de la rivière < 2 m
 situation en bas de versant
 pente nulle

présence
Bergeronnette grise
Martin-pêcheur
Troglodyte mignon

absence
Fauvette grisette
Bruant proyer
Tourterelle des bois

Rivière de faible largeur à eau courante, hauteur des berges inférieure à 2 m, végétation arborescente

Unité 2

 eau stagnante
 absence de gravière et de radier
 largeur de la rivière > 2 m
 surface en prairies humides > 75 %
 hauteur des berges > 2 m

présence
Rousserolle effarvatte
Tarier des prés
Bruant proyer
Canard colvert
Bruant des roseaux
Grive litorne
Alouette des champs
Corneille noire
Courlis cendré

absence
Alouette lulu
Mésange bleue

Rivière à eau stagnante et grandes prairies humides. Largeur de rivière et hauteur des berges sont importantes

Unité 3

 superficie en feuillus 26 à 50 %
 recouvrement de la strate arborescente 26 à 50 %
 recouvrement de la strate arbustive 6 à 25 %
 longueur de lisière > 100 m
 recouvrement de la strate herbacée 51 à 75 %
 absence de route
 absence de rivière

présence
Grive musicienne
Bruant zizi
Geai des chênes
Pie-grièche écorcheur

absence
Huppe fasciée

Prairies ouvertes à proximité de forêt; longueur de lisière importante

Unité 4

 absence de rivière
 recouvrement de la strate buissonnante 1 à 5 %
 superficie de vignes entretenues > 75 %
 superficie en prairies de coteau entretenues > 75%

présence
Alouette lulu
Chardonneret élégant
Pipit des arbres

Coteau occupé par des prairies et/ou vignes entretenues

Unité 5

 superficie de friches > 75 %
 absence de haie
 recouvrement de la strate arbustive 51 à 75 %
 absence de rivière
 aucun arbre isolé

présence
Fauvette grisette
Grimpereau des jardins
Fauvette à tête noire
Pouillot fitis
Tourterelle des bois

absence
Grive musicienne
Alouette des champs

 Paysage fermé dominé par des friches

Unité 6

 environnement lointain à dominance de résineux
 superficie de friches 26 à 50 %
 superficie en prairies de coteau abandonnées 26 à 50 %
 superficie en résineux 1 à 25 %
 superficie en vergers abandonnés 26 à 50 %
 recouvrement de la strate arbustive 26 à 50 %
 superficie en prairies de coteau entretenues 1 à 25 %
 absence de prairie humide

présence
Pie bavarde
Mésange à longue queue
Moineau friquet
Mésange bleue

absence
Troglodyte mignon

Prairies de coteau et vergers abandonnés. Présence de résineux et de quelques prairies de coteau entretenues

La partition de l'arbre hiérarchique individualise six ensembles caractérisés par un lot de variables paysagères et un cortège d'oiseaux caractéristiques. Ils correspondent à six unités ornitho-écologiques dont deux unités linéaires (deux types de rivières), et quatre unités plus couvrantes dans l’espace : interface forêts / milieux ouverts, friches, coteaux occupés par des prairies et vignes entretenues, coteaux occupés par des prairies et vergers abandonnés associés (cf. tableau 1).

Ces unités homogènes indépendantes correspondent à la construction d'un référentiel ornitho-écologique local utile pour comprendre l'évolution des communautés aviennes en fonction des modifications de la structure du paysage. Elles permettent d’assurer le suivi des mesures agri-environnementales appliquées dans le cadre de l'opération locale Apance-Amance.

Cette typologie descriptive pose les bases d'un modèle prospectif qui décrivent les modifications qualitatives des cortèges aviens en fonction des simulations de scénarios d'évolution proposées par l'imagerie spatiale. En retour, l'image satellite permet d’automatiser la cartographie des unités ornitho-écologiques. Cette spatialisation servira de base à un plan d'échantillonnage relatif au test du modèle dans le cadre du suivi de l'opération locale et de l'évaluation écologique et paysagère des mesures agri-environnementales.

Instrumentation par S.I.G. et généralisation spatiale

Précisons que le terme S.I.G. employé ici ne se réfère pas à un produit particulier mais à un ensemble de modules et de fonctions instrumentés dans une démarche ; en effet, la conduite du travail a demandé le recours à plusieurs outils complétés par des développements logiciels spécifiques.

A l’issue de l’étude ornithologique, chaque type d’unité est caractérisé par des critères à la fois faunistiques et paysagers. L’information traitée portera uniquement sur ces derniers que l’enquête de terrain a fait ressortir comme discriminants (Gustafson, 1998). Après examen des critères ainsi reconnus, des couches d’information appropriées permettant de détecter ceux-ci, sont élaborées à partir de différentes sources : image satellite, modèle numérique de terrain (M.N.T.), et données de la base « B.D. Carto » de l’Institut Géographique National. Il convient d’évoquer la manière pratique dont cette information a été élaborée et ajustée pour répondre au problème posé.

  • La position topographique de la station (altitude, pente, station en sommet, mi-versant, bas-versant, vallée plate ou profonde). Parmi ces critères morpho-topographiques, les positions de coteaux, de bas de versant et de pente nulle ont été reconnues comme explicitement déterminantes. Ces informations furent dérivées du M.N.T., par reconnaissance automatique grâce à un seuillage sur les valeurs de pentes et, éventuellement, sur la longueur de celles-ci.

  • L'occupation du sol (% de forêts, prairies fauchées ou pâturées, cultures, vignes, vergers entretenus ou abandonnés, habitations...). Cette information est tirée d’une image satellite SPOT résultant de la fusion entre données multi-bandes (XS) et panchromatique (P). Le modèle numérique de terrain a servi en outre à une correction radiométrique et géométrique des données en fonction de la topographie. L’image ainsi constituée offre une résolution homogène de 10 m dans ses différents canaux, deux visibles (vert et rouge), un infrarouge proche et panchromatique. Cette image fut soumise à une classification supervisée, affinée thème par thème (classification emboîtée), puis validée par de nombreux contrôles de terrain (Belluzzo et Girard 1997). Ainsi, la plupart des critères paysagers retenus par l’enquête ornithologique et relevant de l’occupation du sol ont été tirés de cette image. Des difficultés sont apparues avec les vignes et les vergers dont nous n’avons pu instrumenter la reconnaissance par analyse de texture sur l’image. Des interventions manuelles ont levé partiellement cette difficulté. Pour les friches, une analyse de texture, portant sur l’association locale “ herbe/buissons ” a permis de faire ressortir la plupart des zones concernées.

  • La physionomie des différentes strates verticales (% de recouvrement des strates herbacées, arbustives et arborescentes). Si la classification permet assez bien de différencier la végétation dans ses strates supérieures par grandes classes, il n’est pas possible de reconnaître les sous-strates forestières éventuellement présentes. On s’est donc contenté de prendre en considération la strate dominante caractéristique de chaque pixel.

  • Les caractéristiques des éléments ligneux (distance à la forêt, longueur de lisière, longueur, hauteur, type, position des haies). Le critère de distance à la forêt, lorsqu’il est requis, peut être obtenu directement par une requête spécifique sur l’image classée (Baize et Girard, 1996). Pour les lisères, les haies et les autres éléments arborés singuliers, il a fallu procéder à un traitement intermédiaire (Brossard et al., 1994). Un algorithme original fut élaboré pour distinguer d’une part, les lisières franches établissant la ligne de contact entre forêt et espace cultivé et d’autre part, les lisières extra forestières associées à des éléments arborés (haies, bosquets) colonisant des espaces ouverts.

  • Les caractéristiques des rivières (largeur, type d'écoulement, hauteur et végétation dominante des berges, présence de radiers,...). Si la présence de rivières peut être facilement obtenue de la couche « hydro » de la B.D. Carto, éventuellement enrichie de saisie manuelle, la plupart des éléments paysagers qui leur sont associés sont trop ténus pour être reconnus à l’aide de l’image dont nous disposions. En effet, la finesse des éléments en question demanderait une saisie spécifique : la caractérisation des cours d’eau et de ses berges n’est pas assez précise, même à l’aide d’une image à 10 m de résolution.

  • La physionomie dominante de l'environnement lointain (occupation du sol dominante autour du cercle d'écoute). Cette information a été obtenue de l’image satellite en y ajoutant un critère de distance.

Formalisation de requête

En reprenant, pour chaque unité ornitho-écologique, les facteurs paysagers qui la caractérisent, il apparaît que les unités 1 et 2, totalement liées au linéaire des rivières n’ont pu être reconnues pour la raison déjà évoquée du manque de précision des informations disponibles. C’est pourquoi nous n’avons pas recherché à mettre en évidence les unités ornitho-écologiques reliées à ce type d’environnement aquatique dont l’emprise au sol est d’ailleurs très réduite. Cependant, la différenciation des unités en question pourra certainement être abordée à terme proche, avec la mise en place de bases de données en très haute résolution, par l’IGN notamment.

Pour les autres unités (3 à 6), l’instrumentation fut possible puisque la plupart des critères établis par l’étude in situ sont disponibles dans la base. La mise en place de l’opérateur cartographique a demandé le recours à la technique de fenêtres glissantes. Celles-ci, calées sur un pixel central couvraient une surface de 20 ha équivalent à l’aire d’écoute prise en compte autour de chaque point d’observation, soit 45 pixels de côté. A chaque itération, en considérant la fenêtre correspondante et les critères propres aux différents types ornitho-écologiques, on a établi les pourcentages, par type d’occupation du sol, constaté la présence éventuelle de route ou de rivière, mesuré les linaires de lisière ou encore calculé la distance du pixel central aux éléments paysagers significatifs. Ensuite, type par type, on a appliqué un système de score en incrémentant celui-ci de 1, à chaque fois qu’une des conditions requises était remplie. Enfin, un ratio fut calculé entre le score obtenu et celui qui correspondrait au modèle éco-paysager de chaque unité (quand tous les critères favorables sont réunis).

Paysage et potentiel orniho-écologique

Grâce à cette procédure, on obtient, pour chaque pixel et pour chaque unité, un score qui révèle son affinité plus ou moins grande avec les éléments de la typologie. Cette opération débouche sur la constitution de nouvelles couches d’information dont chacune fixe l’espace de distribution potentielle d’une unité donnée. Sur cette base, une carte de synthèse fut compilée. Pour l’essentiel, elle fait apparaître des zones de distribution distinctes pour chaque unité. Des interpénétrations sont toutefois possibles entre deux unités. On les a fait ressortir par des couleurs particulières. Il est intéressant de constater que les caractéristiques paysagères de certains secteurs les mettent en connexion potentielle avec plusieurs cortèges aviens.

Au terme de la démarche cartographique, il convient de fournir une estimation de la validité des résultats obtenus. A cette fin, la meilleure solution eût été d’implanter un nouveau réseau de points d’écoute sur chacune des zones reconnues comme favorables. Malheureusement, les moyens matériels de mettre en œuvre ce protocole de vérification n’ont pu être rassemblés. A défaut, la technique de validation, dite de “ resubstitution ”, fut utilisée. Elle consiste à voir si les points d’observation classés par l’enquête de terrain ont été correctement reconnus à l’issue de la modélisation cartographique. A cet égard, les résultats obtenus sont conformes et portent crédit à la méthodologie proposée, même si, évidemment, d’autres termes de vérification restent à mettre en œuvre pour établir la qualité du modèle et sa valeur de généralisation pour d’autres régions géographiques.

Conclusion

La méthode des indices ponctuels d’abondance (IPA) mise au point par les ornithologues permet d’établir d’une manière très sure le lien qui existe entre cortèges aviens et éléments structuraux du paysage : position topographique et forme du relief, formations végétales et occupation agricole du sol, éléments construits par l’homme. Ce type d’indice constitue un élément de diagnostic ponctuel de la qualité d’un paysage comme facteur de biodiversité. La démarche pluridisciplinaire proposée associant ornithologues et géographes, a permis de restituer ce type d’indice en continu dans l’espace à partir d’un semis de points d’observation. La difficulté essentielle qui ressort de l’exercice est de pouvoir transcrire, sous forme numérique et en respectant les contraintes techniques des S.I.G., les termes d’une requête dont la définition initiale relève des sciences de l’environnement. En la matière, le recours à un protocole normalisé et systématique a facilité la transcription en question. A cette occasion, on a vu aussi que les sources d’information usuelles impliquées dans les S.I.G. (télédétection, modèles numériques, etc.) ne fournissent pas, à tout coup, les données nécessaires, soit parce que la précision spatiale n’est pas suffisante (exemples distinctifs des unités 1 et 2), soit parce que les critères fixés sont mal (vignes / vergers) ou incomplètement reconnus (strates verticales de végétation). Dans d’autres cas, enfin, il convient de mettre au point des procédures pour extraire de la base des informations spécifiques comme ici avec les lisières. La somme de ces différentes contraintes qu’il n’a pas toujours été possible de maîtriser, fait que l’inventaire cartographique proposé reste incomplet.

En dépit de ces réserves, le S.I.G. apparaît comme un auxiliaire puissant de l’enquête au sol pour saisir le paysage à travers l’agencement de ses composants. En outre, la procédure automatisée conduit à une représentation cartographique des résultats, toujours recherchée dans le cadre de la gestion et de l’aménagement territoriaux. En effet, la méthode préconisée, repose sur une base expérimentale qui vient opportunément prendre le relais du classique levé de terrain. Le défaut du levé qui repose sur une appréhension sensible directe du paysage, est de ne pas permettre une appréhension homogène de l’espace, sa reproductibilité devenant incertaine. Sur ce point, l’apport de l’instrumentation est indiscutable.

Enfin, dans la perspective de futurs travaux, de nouveaux opérateurs cartographiques qui ne relèveraient pas d’une simple transcription de l’expertise de terrain, mériteraient d’être testés. A cette fin, il faudrait procéder à une exploration systématique (analyse exploratoire des données) des couches d’information pour mettre au jour de nouveaux facteurs, tout aussi significatifs des unités ornitho-écologiques, qui n’ont pas été considérés au départ par l’enquête de terrain (Lebart et al., 1995 ; Foltête et al., 2002).