PROTÉE, « Autour de Peirce : poésie et clinique », vol. 30, n° 3, hiver 2002-2003

Nicole Everaert-Desmedt

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Texte intégral

Le volume 30, numéro 3, de Protée contient un dossier « Autour de Peirce : poésie et clinique », réalisé sous la responsabilité de Michel Balat, qui, depuis plusieurs années, exploite les concepts peirciens lors de son travail clinique quotidien. Dans son article « Peirce et la clinique », il ouvre le dossier en présentant les principaux concepts qu’il utilise : le tonal ou les qualités émergentes, la fonction scribe et l’inscription, l'interprète, la distinction Type/Tessère, et le musement. Ces notions lui permettent de situer les rapports entre le thérapeute (en position de scripteur et devineur) et le patient (museur et interprète), notamment dans la phase végétative d’éveil du coma.

Après cette présentation théorique fort dense, suivie d’un texte de Gérard Deledalle, « Du possible à l’existant par le discours », qui donne quelques précisions terminologiques sur la trichotomie peircienne « icône – indice – symbole », le lecteur pourra se rendre compte de l’efficacité des concepts proposés dans l’analyse de cas concrets. Ainsi, Pierre Delion en montre l’intérêt dans l’étude du processus de la sémiose chez le bébé et dans la pratique psychiatrique à l’égard des enfants. Francesca Caruana établit un parallélisme entre la pratique clinique et artistique. Tout en reconnaissant que le musement selon Peirce est « une sorte de totalité première de notre mode d’être au monde », elle insiste cependant sur l’aspect de secondéité qui intervient dans le musement, au moment précis où nous réalisons que nous avons musé, et elle décrit le processus de création artistique comme une rupture dans le musement de l’artiste, qui produit la solidification d’une image vague.

Le concept de musement apparaît essentiel tout au long du dossier. On le retrouve dans la belle étude que Bertrand Gervais consacre à L’Attente l’oubli de Maurice Blanchot, en mettant en évidence la figure du labyrinthe comme lieu de l’oubli, non pas d’une amnésie complète, mais d’une pensée désordonnée, du musement, « qui n’est pas absence de mémoire, mais errance ». L’expérience du musement est comparée à l’avancée dans un labyrinthe. Pour sortir du labyrinthe, il faut un couple lié par un fil, comme Thésée et Ariane : l’oubli et le rappel, ou le musement et sa transcription. Un tel couple est mis en scène dans le texte de Blanchot : une femme qui muse et un homme qui transcrit. Dans un premier temps, la transcription, trop fidèle aux mots prononcés, échoue. Pour capter le musement, le scribe doit apprendre à écouter autrement, avec une attention flottante, détachée du fil du temps, « ouverte sur une attente qui n’est plus attente de rien », qui est elle-même de l’ordre du musement.

C’est encore du musement qu’il est question sous la plume de Alain Freixe, dans son approche de la lecture littéraire. Le dossier se clôt avec un document : la transcription d’un exposé oral de Jean Oury, intitulé « Introduction au pragmatisme en psychiatrie », et il est illustré de dessins de Paul Lussier (1997) qui ont pour titre « Détails. Aspects de la vie et de la mort de saint Sébastien racontés par le détail ».

Ce dossier permet au lecteur de prendre connaissance d’un ensemble conceptuel riche, à la fois cohérent et souple, qui découle de Peirce, comme l’indique le titre, et qui met effectivement en rapport la poésie et la clinique, comme l’annonce le sous-titre.

Ajoutons, pour terminer, que cette intéressante livraison de Protée contient également deux articles hors dossier, qui se situent dans l’orientation de la sémiotique de l’école de Paris : « Pour une définition sémiotique du discours humoristique », de Christian Morin, et « Le monde de la mouche », de Anne Beyaert.