La maltraitance intrafamiliale aux personnes âgées Elder abuse within the family

Valérie Ladame 

https://doi.org/10.25965/trahs.3695

Selon l’OMS (Key benchmarks on elder abuse, 15 June 2020), environ une personne âgée sur six a été victime de maltraitance dans son environnement au cours de l'année passée. Dans le même temps, en institution, deux membres du personnel sur trois reconnaissent avoir commis un acte de maltraitance. A domicile, ces actes sont bien souvent le fait d’un proche ou d’un membre de la famille. Il en découle des conséquences graves sur l’état de santé de la personne âgée, notamment des traumatismes physiques et des altérations psychologiques à long terme. Or, ce fléau, longtemps tu, est appelé à s’amplifier si l’on en juge par le nombre des plus de 60 ans dans le monde qui devrait doubler entre 2015 et 2050 pour atteindre deux milliards d’individus. D’abord, les facteurs de risque sont multiples : mauvaise santé, abus d’alcool, charge ressentie, cohabitation contrainte, dépendance financière, dévalorisation des aînés, dispersion des familles... Ensuite, la prévention est déficitaire, qu’il s’agisse, notamment, des campagnes de sensibilisation du public, du dépistage des victimes ou de la mise en œuvre de l’obligation de signalement. Enfin, le droit, malgré son arsenal législatif, entre autres, les articles 434-3 et 223-6 du code pénal relatifs à la non-dénonciation de mauvais traitements et à la non-assistance à personne en danger, est insuffisant pour juguler cette violence ordinaire.
Il en va ainsi, en particulier, du régime de la preuve, à en juger par le peu de poursuites au pénal comme au civil, en comparaison avec l’ampleur du phénomène.

According to the WHO (Key benchmarks on elder abuse, 15 June 2020), about one in six elderly persons have been abused in their environment in the past year. In the same time, inside institutions, two out of three staff members admit to having committed an act of abuse. At home, these acts are often carried out by a close relative or family member. This has serious consequences for the health of the elderly person, including physical trauma and long-term psychological damage. However, this plague, which has been kept quiet for a long time, is set to increase, judging by the number of over-60s in the world, which is expected to double between 2015 and 2050 to two billion people. Firstly, there are multiple risk factors : poor health, alcohol abuse, perceived burden, forced cohabitation, financial dependence, devaluation of the elderly, dispersion of families… Next, there is a lack of prevention in terms of, for example, public awareness campaigns, victim screening or implementation of the reporting duty. Finally, the law, despite its legislative arsenal, including among others, Articles 434-3 and 223-6 of the criminal code related to non-reporting of abuse and failure to assist a person in danger, isn’t sufficient enough to curb this ordinary violence. This is particularly true of the system of proof, judging by the small number of prosecutions in both criminal and civil cases, in comparison with the scale of the phenomenon.

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Phénomène protéiforme, la maltraitance est aussi ancienne que le sont les rapports de domination. Héritage des sociétés qui nous ont précédés, un tel lien trouve son origine dans une forme primitive d’interaction sociale visant alors à maintenir en place les structures des communautés.

Certes, le besoin primaire de puissance habite toujours l’individu. Pour autant, il est communément admis que la domination et son corollaire, la soumission, sont l’expression de mécanismes de compensation du besoin d’affirmation de soi et de reconnaissance, insatisfait socialement ou culturellement. En dehors des causes objectives de vulnérabilité (grand âge, maladie, déficience…), il faut alors remonter en lisière de l’enfance pour désamorcer le processus. A défaut, une zone cérébrale est activée : l’amygdale limbique.

Cette partie du cerveau, profonde et ancienne, est responsable de la peur sociale que nous subissons ou infligeons aux autres. Autrement dit, toutes les personnes âgées ne sont pas vulnérables de même que la pandémie actuelle n’est pas la cause de leur maltraitance. Elle en est seulement le révélateur, dans une culture ambiante imprégnée d’un âgisme systémique.

Il sera donc, ici, question des mesures de prévention et d’accompagnement des protagonistes mais, aussi, de l’arsenal répressif qui tient compte de la qualité de la victime, personne vulnérable. En somme, même insuffisants, les moyens de lutter contre ce drame ordinaire de la vie quotidienne existent.

Cependant, auparavant, il faut en dresser le contour, dans son approche protéiforme mais, aussi, à travers la relation asymétrique qui unit la personne vulnérable et le proche parent maltraitant, tout en gardant à l’esprit la particularité du huis clos familial, protégé par les immunités de certains membres et le secret auquel sont tenus les professionnels qui les entourent. Ces obstacles ne sont, toutefois, pas infranchissables.

En vérité, la vulnérabilité de la victime permet de les surmonter.

I - Le contour de la maltraitance intrafamiliale aux personnes âgées

Phénomène protéiforme, la maltraitance intrafamiliale prend néanmoins sa source dans l’intimité du lien asymétrique entre deux personnes. L’une vulnérable et l’autre abuseur. Parfois prises au piège d’un jeu d’interdépendance, toutes deux sont emmurées dans le silence que seule la vulnérabilité de l’une d’elles peut briser.

A - Un phénomène protéiforme

Dans son ouvrage, La vieillesse, Simone de Beauvoir nous interpellait déjà en ces termes :

Ce ne sera plus nous quand ça arrivera. Avant qu’elle ne fonde sur nous, la vieillesse est une chose qui ne concerne que les autres (1970 : 12).
Ce vieil homme, cette vieille femme, reconnaissons-nous en eux (1970 : 13).

Pourtant, il a fallu attendre une vingtaine d’années pour qu’apparaissent des chiffres sur la maltraitance intrafamiliale.

1 - Les chiffres

Note de bas de page 1 :

Conseil de l’Europe. (25-27 nov. 1987). Colloque sur les violences contre les personnes âgées au sein de la famille. Strasbourg.

Selon le Conseil de l’Europe1, « La famille est le creuset de toutes les violences ; la violence serait le mode de vie habituel dans 20 % des familles, violence contre les êtres faibles, enfant, femme, personne âgée ». Comme l’inceste, la maltraitance intrafamiliale aux personnes âgées a longtemps été tue. Il faudra attendre les années 1990 pour que les pouvoirs publics s’en emparent.

Note de bas de page 2 :

https://www.un.org/fr/global-issues/ageing.

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), environ une personne âgée sur six a été victime de maltraitance dans son environnement au cours de l’année écoulée (2017 : e147-e156). La Fédération 3977 contre la maltraitance précise dans son rapport d’activité (2019 : 40-47), que 65 % des victimes sont des femmes et 83 % ont plus de soixante ans. Dans près d’un dossier sur deux signalés à l’association, les personnes mises en cause sont les proches et les faits de maltraitance sont commis au domicile de la victime dans 73 % des cas. Toujours selon l’OMS, les taux de maltraitance des personnes âgées ont augmenté pendant la période COVID-19. Une étude américaine laisse entendre que l’augmentation de la prévalence dans les communautés pourrait avoir atteint jusqu’à 84 % (Chang, Levy, 2021 : 4). Or, le problème risque de s’amplifier, eu égard au nombre de personnes âgées de plus de 80 ans dans le monde qui devrait tripler, passant de 143 millions, en 2019, à quelque 426 millions en 20502.

Toujours est-il que, peu à peu, le droit a fait sienne cette idée selon laquelle la famille est une société miniature, l’école de l’apprentissage de la vie sociale. La préservation des intérêts familiaux a donc progressivement reculé en faveur de la lutte contre les violences intrafamiliales et la protection des plus faibles, notamment, les enfants et les personnes âgées dépendantes. Des définitions émanant des institutions ont alors vu le jour.

2 - Les définitions

Note de bas de page 3 :

Conseil de l'Europe. (25-27 nov. 1987). op. cit. (4).

La France s’appuie sur les définitions de la maltraitance du Conseil de l’Europe, de l’OMS et du Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA). Le Conseil de l’Europe, dans un colloque3, en 1987, en donne la définition suivante :

Tout acte ou omission commis par une personne, s'il porte atteinte à la vie, à l'intégrité corporelle ou psychique ou à la liberté d'une autre personne ou compromet gravement le développement de sa personnalité et/ou nuit à sa sécurité financière.

En 2002, dans son rapport mondial sur la violence et la santé, l’OMS donne une définition de la maltraitance à l’égard des personnes âgées :

un acte unique ou répété, ou l’absence d’intervention appropriée, dans le cadre d’une relation censée reposer sur la confiance, ce qui entraîne des effets délétères ou une détresse morale chez la personne âgée (2002 : 141).

En 2003, le Conseil de l’Europe publie le rapport de la Professeure Hilary Brown sur la protection des adultes et enfants handicapés contre les abus. Le document contient une nouvelle définition qui consolide la précédente :

Tout acte ou omission commis par une personne ou un groupe, qui a pour effet de porter gravement atteinte, que ce soit de manière volontaire ou involontaire, aux droits fondamentaux, aux libertés civiles, à l’intégrité corporelle, à la dignité ou au bien-être général d’une personne vulnérable, y compris les relations sexuelles ou les opérations financières auxquelles elle ne consent ou ne peut consentir valablement, ou qui visent délibérément à l’exploiter (Brown, 2003 : 9).

Note de bas de page 4 :

Commission rattachée au Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA).

En 2021, en France, la Commission nationale de promotion de la bientraitance et de lutte contre la maltraitance4 a souhaité améliorer la cohérence des données recueillies et celle des réponses apportées, en adoptant la définition suivante :

Il y a maltraitance d’une personne en situation de vulnérabilité lorsqu’un geste, une parole, une action ou un défaut d’action, compromet ou porte atteinte à son développement, à ses droits, à ses besoins fondamentaux, et/ou à sa santé et que cette atteinte intervient dans une relation de confiance, de dépendance, de soin ou d’accompagnement.
 
Les situations de maltraitance peuvent être ponctuelles ou durables, intentionnelles ou non ; leur origine peut être individuelle, collective ou institutionnelle. Les violences et les négligences peuvent revêtir des formes multiples et associées au sein de ces situations (2021 : 11).

Une liste des différents types de maltraitance a été établie par l’OMS mais c’est celle du Conseil de l’Europe, adoptée en 1992, qui sert, actuellement, de référence au Ministère des Solidarités et de la Santé :

  • les violences physiques avec, par exemple, des coups, une bousculade, une gifle, une griffure, un ligotage, une séquestration, des soins brusques sans information ni préparation, la non satisfaction des demandes pour des besoins physiologiques, les violences sexuelles, les meurtres (dont l’euthanasie) ;

  • les violences psychiques ou morales, se traduisant, notamment, par un langage irrespectueux ou dévalorisant, l’absence de considération, le chantage, la menace, l’abus d’autorité, l’intimidation, l’infantilisation, le non-respect de l’intimité, les injonctions paradoxales… ;

  • les violences matérielles et financières telles que les vols, l’exigence de pourboires, les escroqueries diverses, les locaux inadaptés… ;

  • les violences médicales ou médicamenteuses, comme, par exemple, le défaut de soins de base, la non information sur les traitements ou les soins, l’abus de traitements sédatifs ou neuroleptiques, le défaut de soins de rééducation, la non prise en compte de la douleur…

  • les négligences actives qui comprennent, entre autres, toutes formes de délaissement, d’abandon, de manquements pratiqués avec la conscience de nuire ;

  • les négligences passives qui relèvent de l’ignorance, de l’inattention de l’entourage ;

  • les privations ou violations de droits, s’agissant, notamment, de la limitation de la liberté de la personne (non-respect du droit de choisir son mode de vie, de la correspondance privée, de la sexualité, protection juridique abusive…), la privation de l’exercice des droits civiques ou citoyens (se déplacer librement, droit de culte…) ;

Selon la Fédération 3977, les maltraitances sont fréquemment imbriquées (2019 : 49). S’agissant, par exemple, des maltraitances financières, les demandes d’argent en échange de services succèdent aux pressions psychologiques, puis, survient le chantage à l’abandon, voire les violences physiques.

Dans tous les cas, la maltraitance puise sa source dans une relation asymétrique entre deux personnes, l’une vulnérable et l’autre abuseur.

B - La maltraitance intrafamiliale aux personnes âgées : une relation asymétrique

Le plus souvent, le proche parent abuse du lien de confiance qui l’unit à la personne vulnérable, dans le but d’en retirer un profit personnel.

Dans la sphère familiale, la victime est souvent une personne âgée, l’abuseur, un proche et le lien de confiance déjà installé.

1 - La personne âgée vulnérable

Note de bas de page 5 :

Badinter, R. (1988). « Préface, Projet du nouveau Code pénal ». Dalloz, spéc. : 31 : « Les textes de 1810, de façon significative, privilégiaient la défense de l’État et le respect de la propriété individuelle. Sans négliger la sauvegarde des institutions républicaines, sans méconnaître la nécessité de protéger les biens et les échanges économiques, il demeure que le nouveau Code pénal doit prendre pour fin première la défense de la personne et tendre à assurer son plein épanouissement en la protégeant contre toutes les atteintes, qu’elles visent sa vie, son corps, ses libertés, sa sûreté, sa dignité, son environnement. Pour exprimer les valeurs de notre temps, le nouveau Code pénal doit être un code humaniste, un code inspiré par les droits de l’Homme ».

C’est le nouveau code pénal en vigueur depuis le 1er mars 1994 qui sacralise la vulnérabilité, n’hésitant pas à renverser des valeurs établies, dans un mouvement humaniste, inspiré des droits de l’Homme et brillamment décrit par l’avocat pénaliste Robert Badinter5.

Note de bas de page 6 :

V., entre autres, C. pén., art. 223-15-2 pour l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse ; art. 225-13 pour la soumission à des conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité humaine ; art. 222-3, 2° et 222-4 pour les tortures ou actes de barbarie ponctuels et habituels ; art. 222-29 pour les agressions sexuelles autres que le viol ; art. 222-24, 3° pour le viol ; art. 221-4, 3° pour le meurtre ; art. 221-5 al. 3 et 221-4, 3° sur renvoi pour l’empoisonnement ; art. 313-2, 4° pour l’escroquerie ; art. 312-2, 2° pour l’extorsion ; art. 434-3 pour la non-dénonciation de privations ou sévices ; art. 222-13, 2°, 222-8, 2° ou 222-10, 2° pour les violences volontaires avec ITT inférieure ou égale à huit jours, suivies de mort sans intention de la donner ou ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente.

Depuis, le terme s’est insinué dans divers textes du code pénal6.

La loi ne donne pourtant pas de définition générale de la vulnérabilité. Pour recouvrir tous les cas de figure, le législateur a préféré arrimer ce substantif avec des critères suffisamment généraux. Cela lui a valu d’être désigné par les expressions de « mot valise » (Pierron, 2019 : 569) ou « concept polymorphe » (Roux-Demare, 2019 : 619).

Quoi qu’il en soit, la vulnérabilité peut être appréhendée selon deux approches, toutes deux à l'œuvre dans la maltraitance intrafamiliale. La première est inhérente à la personne, elle est d’ordre physique ou psychique. La seconde est liée à l’état de sujétion de la victime, engendré par l’auteur des faits.

a) La vulnérabilité inhérente à la victime, d’ordre physique ou psychique
Note de bas de page 7 :

C. pén., art. 223-15-2 pour l’abus de faiblesse, art. 434-3 pour la non-dénonciation de privations ou mauvais traitements et art. 222-14 pour les violences habituelles sur personne vulnérable.

Note de bas de page 8 :

C. pén., art. 223-3 pour le délaissement et art. 226-14 pour l’autorisation de levée du secret professionnel.

Dans la plupart des textes du code pénal7, la particulière vulnérabilité de la victime peut être « due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse ». D’autres textes8 renvoient à une « personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, de son état physique ou psychique ». Quoi qu’il en soit, ces deux formulations recouvrent la même idée.

Note de bas de page 9 :

Crim., 11 juill. 2017, no 17-80.421 P: RSC 2017. 507, obs. Mayaud; Gaz. pal. 24 oct. 2017, p. 51, obs. Detraz.

Dans les deux cas, les différents facteurs de vulnérabilité sont autonomes. Ainsi, le grand âge suffit pour établir la vulnérabilité de la personne âgée dont l’affaiblissement des défenses psychiques a été constaté. Il n’est pas nécessaire de démontrer, en outre, une altération des facultés mentales ou physiques de la victime9. A défaut de seuil, le juge dispose ainsi d’un large pouvoir d’appréciation car l’âge, c’est bien connu, ne dit rien sur la personne. Vieillir diffère grandement d’un individu à l’autre.

Note de bas de page 10 :

V., par ex., pour des troubles bi-polaires : Cass. crim., 19 févr. 2014, n° 12-87558 ; pour un état d’éthylisme chronique : Cass. crim., 16 oct. 2007, n° 06-88897 : Dr. pén. 2008, comm. 9, obs. M. Véron.

Note de bas de page 11 :

Crim., 17 janv. 2001, Bull. crim. n° 16 ; D. 2001. IR 981 ; AJDI 2001. 522, obs. Laporte.

Note de bas de page 12 :

Paris, 2 avr. 2001, D. 2002. Somm. 1804, obs. Gozzi ; RSC 2002. 821, obs. Ottenhof.

Note de bas de page 13 :

Crim., 11 déc. 2013, n°12-86.489: Dr. pénal 2014, no 20, obs. Véron.

Dans le silence de la loi, il en va de même pour les autres facteurs de vulnérabilité. Maladies, infirmités ou déficiences peuvent toutes être retenues, quelle que soit leur nature, physique ou psychique, mais aussi leur durée, permanente ou provisoire10. C’est à fortiori le cas lorsqu’elles se combinent avec le grand âge. La jurisprudence a eu l’occasion de l’affirmer à plusieurs reprises dans des espèces où la personne âgée souffrait de surdité11 ou de difficultés visuelles et auditives, de nature à diminuer son autonomie de jugement12 ou encore d’un handicap ou d’un déficit intellectuel13.

Note de bas de page 14 :

Crim. 11 juill. 2017, no 17-80.421 P: RSC 2017. 507, obs. Mayaud; Gaz. pal. 24 oct. 2017, p. 51, obs. Detraz.

Note de bas de page 15 :

Crim. 2 déc. 1998, Gaz. Pal. 1999. 1, Chron. crim. 62.

La personne privée de discernement ou de jugement au moment des faits est protégée par la loi. A cet égard, une déficience psychique peut tout à fait exister en dehors de toute altération des facultés mentales. Aucune mesure de protection (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice…) n’est requise14. A l’inverse, une personne de soixante-quatorze ans vivant seule à son domicile et placée sous tutelle a été reconnue vulnérable15. Il est, en effet, communément admis que les personnes qui ont besoin d’assistance sont davantage susceptibles d’être maltraitées parce qu’elles sont incapables d’agir pour elles-mêmes.

Note de bas de page 16 :

Crim., 17 oct. 2018, n° 17-87048.

Note de bas de page 17 :

En l’espèce, un couple, à l’aide de procurations, a méthodiquement vidé les comptes de leur parente âgée, de santé fragile et éprouvée par des deuils familiaux successifs : crim., 7 mai 2004 / n° 03-82.738 P: D. 2004. Somm. 2750, obs. Mirabail; D. 2005. Pan. 685, obs. Pradel; Dr. pénal 2004. 130, obs. Véron; RSC 2004. 881, obs. Mayaud; ibid. 886, obs. Ottenhof.

Par ailleurs, il faut reconnaître que dans le cas où une personne très âgée est en parfaite santé sur le plan physique, l’approche inexorable de la fin comme la raréfaction de son réseau primaire ont pour corollaire l’accroissement du besoin ou du désir d’autrui. Aussi, la jurisprudence prend-t-elle, parfois, en compte, au titre de l’élément constitutif de l’abus de faiblesse, la solitude de la victime, son manque affectif engendré, notamment, par des conflits familiaux16 ou survenu à la suite du décès d’un proche17.

Note de bas de page 18 :

Cass. crim., 8 juin 2010, n° 10-82039 : Bull. crim., n° 102 ; Revue de science criminelle 2010, p. 619, obs. Y. Mayaud – Cass. crim., 16 juin 2015, n° 14-87756 ; Cass. crim., 27 nov. 2019, n° 18-87082.

Note de bas de page 19 :

Cass. crim., 1er avr. 2014, n° 13-83163, relatif à un curatélaire.

Toutefois, il ne suffit pas de démontrer la vulnérabilité in concreto, encore faut-il établir, d’une part, qu’elle était apparente ou connue de l’auteur et d’autre part, qu’elle a permis ou facilité l’infraction : une motivation sur la base du seul critère de l’âge (de la maladie ou d’une déficience...) ne peut pas prospérer18 quand bien même la victime serait un majeur protégé au sens du Code civil19. Lorsque la maltraitance est intrafamiliale, la vulnérabilité de la victime est toujours connue de l’auteur. Il n’en demeure pas moins qu’elle doit avoir empêché la personne de se protéger. Il appartient alors au juge de l’apprécier au regard d’une expertise médicale, d’éléments issus des opérations d’investigation de la police judiciaire ou, encore, d’attestations des proches.

Cela étant, la vulnérabilité n’est pas toujours intrinsèque à la personne, elle peut aussi avoir été construite par l’auteur des faits.

b) La vulnérabilité construite par l’auteur des faits
Note de bas de page 20 :

C. pén., art. 223-15-2

Il est ici question d’emprise psychologique, dénommée aussi “état de sujétion”. Ce cas de vulnérabilité est spécifique au délit d’abus de faiblesse20. Elle a été engendrée par les stratagèmes de l’auteur. Par conséquent, entre en jeu

la capacité de résistance à une entreprise de déstabilisation selon le tempérament et l’histoire personnelle de celui qui la subit, ce qui, certes, renvoie à la psychologie mais est totalement étranger à l’aliénation (Mayaud, 2017 : 507).

Note de bas de page 21 :

Crim., 5 nov. 2019, n° 18-84554 : Dr. pén. 2020, comm. 1, obs. P. Conte.

Note de bas de page 22 :

V. l’infraction commise par un prêtre sur son “ami” : crim., 27 oct. 2015, n° 14-82.032, Bull. crim. n° 232, D. 2015. 2251 ; RSC 2015. 847, obs. Y. Mayaud ; RTD com. 2016. 209, obs. B. Bouloc ; Dr. pénal 2016. Comm. 1, obs. P. Conte - v. l’état de dépendance affective et psychologique empêchant la victime, un invalide de guerre, sans liens avec sa famille, d’admettre qu’il avait été abusé par son aide à domicile, la seule personne susceptible de s’occuper de lui et de son fils handicapé de soixante ans : crim., 5 janv. 2017, n°15-81.079.

Toutefois, force est de constater que sur ce versant de la vulnérabilité, la jurisprudence apparaît quelque peu clairsemée. En dehors de la question sectaire21, il semblerait qu’il y ait peu de contentieux entre particuliers22. Cela ne signifie pas que l’emprise familiale n’existe pas. En revanche, cela souligne la difficulté de mettre en lumière et d’arbitrer des mécanismes de revanche enfouis au tréfonds de l’intimité du foyer.

Quoi qu’il en soit, le proche parent maltraitant ne l’est pas toujours intentionnellement.

2 - Le proche parent maltraitant

Lorsque la charge de la personne vulnérable n’a pu être suffisamment anticipée, en raison d’un manque de temps ou de formation, d’une inaptitude ou d’un manque de soutien, la maltraitance est alors souvent au rendez-vous. Il faut toutefois, ici, distinguer le proche parent dépassé ou surmené du proche parent malveillant.

a) Le proche parent dépassé ou surmené

Généralement, il s’agit d’une maltraitance de type organisationnel, due à la négligence. Les besoins de la personne âgée sont alors ignorés par manque de temps, de connaissances ou de soutien.

Note de bas de page 23 :

Plus d’un quart des aidants sont des conjoints dont la moyenne d’âge est de 73 ans - DREES. (2015). Enquête Capacités, Aides et Ressources des seniors, ménages, volet aidant (CARE-M).

Cette situation survient, tout particulièrement, dans les zones tendues et les déserts médico-sociaux mais, aussi, en raison d’un manque de coopération entre les secteurs sanitaire et médico-social. Au bout du compte, c’est le proche, sans titre ni formation, pris dans un imbroglio de responsabilités familiales et professionnelles, auxquelles vient s’ajouter la coordination des intervenants, qui se voit contraint de les suppléer, au pied levé, en faisant courir des risques à la personne aidée, à fortiori lorsque tous deux avancent en âge23.

Note de bas de page 24 :

V., notamment, la délégation de soins prévue à l’article L.1111-6-1 du CSP pour les personnes durablement empêchées du fait de limitations fonctionnelles des membres supérieurs en lien avec un handicap physique ou les aspirations endo-trachéales en application du décret n°99-426 du 27 mai 1999.

Note de bas de page 25 :

C. pén., art. 221-6 pour l’homicide involontaire puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende et art. 223-1 pour la mise en danger de la vie d’autrui, passible d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.

Or, il peut être utile de rappeler que l’aidant familial reste un tiers dans la relation médicale entre professionnels de santé et personne aidée. Même en cas de délégation en bonne et due forme, lorsque le proche aidant est formé à cet effet24, un geste de trop peut avoir pour conséquence la mise en danger de la vie d’autrui, voire même l’homicide involontaire25. Dans tous les cas, la responsabilité de l’aidant sera mise en cause au plan civil et/ou au plan pénal. Il y a, là, de quoi alimenter du stress et de l’épuisement qui peuvent expliquer bien des erreurs et des négligences du parent aidant.

Note de bas de page 26 :

CSP, art. L. 4314-4.

Note de bas de page 27 :

Arrêté du 10 juin 2021 relatif à la formation conduisant au diplôme d’Etat d’aide-soignant et décret n°2021- 980 du 23 juillet 2021, modifiant en ce sens l’article R. 4311-4 du code de la santé publique.

À titre d’exemple, certains actes de soins de la vie quotidienne (lavage oculaire, instillation de collyres, application de pommades anti-inflammatoire sur prescription médicale…) étaient, jusqu’alors, exclus du référentiel des activités de l’aide-soignant. Autrement dit, ils n’étaient pas accomplis. À défaut, l’aide-soignant pouvait être sanctionné pour exercice illégal de la profession d’infirmier26. L’oubli vient néanmoins d’être corrigé, seulement depuis cet été27.

Note de bas de page 28 :

CSP, art. R. 4311-4.

Note de bas de page 29 :

L’art. R. 4311-5 du CSP liste les actes que l’infirmier accomplit au titre de son “rôle propre”, à savoir ceux qui relèvent de sa responsabilité directe (prise d’initiative, pose de diagnostic, objectifs de soins, protocole).

Toujours est-il que, si les activités de l’aide-soignant ont ainsi été étendues à l’ensemble des actes de soins de la vie quotidienne, elles ne sont autorisées qu’à l’occasion d’une coopération dont l’initiative et l’encadrement relèvent de l’infirmier28. Aussi, certains territoires interprètent la règle, à la lettre, en interdisant à toute personne qui ne serait pas titulaire du diplôme d’infirmier, y compris un aide-soignant, de réaliser les actes listés à l’article R. 4311-5 du code de la santé publique29, tels que les aides au lever ou à la marche.

Note de bas de page 30 :

V. art. 49 de la loi n°2015-1776 du 28 déc. 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement et le décret n° 2015-1293 du 16 octobre 2015 relatif aux modalités dérogatoires d'organisation et de tarification applicables aux services polyvalents d'aide et de soins à domicile dans le cadre de l'expérimentation des projets pilotes destinés à optimiser le parcours de santé des personnes âgées en risque de perte d'autonomie.

A l’avenir, cela ne devrait plus poser aucune difficulté à la personne âgée qui pourra avoir accès à un service polyvalent d’aide et de soins à domicile (SPASAD)30. Cependant, ce modèle intégré d'organisation, de fonctionnement et de financement est encore en phase d’expérimentation et son déploiement prendra du temps.

Note de bas de page 31 :

Loi n°2015-1776 du 28 décembre 2015, op. cit.

Enfin, le secteur du maintien à domicile recouvrant des réalités très disparates en termes de prestations, la loi du 28 décembre 2015 (ASV)31, a harmonisé les conditions d’exercice des structures en les soumettant toutes au régime de l’autorisation avec des évaluations internes et externes. Encore faudra-t-il que le contrôle soit indépendant et constructif, dans le sens du bien-être de la personne âgée.

La négligence peut aussi être active. C’est l’hypothèse moins courante du refus d'assistance. Dans cette situation, l’auteur des faits est le plus souvent lui-même en difficulté, épuisé nerveusement et physiquement ou voire même en souffrance. Lui permettre alors de se réapproprier du temps pour lui et son proche est essentiel, de même qu’il est capital de changer le regard de la société sur l’accompagnement pour qu’il ne soit pas vécu comme une impasse mais comme une expérience, le plus souvent transitoire et enrichissante.

Note de bas de page 32 :

CASF, art. L. 232-3-2.

Note de bas de page 33 :

CASF, art. D. 232-9-1, I - A l’issue de l’évaluation, le proche aidant pourra, s’il le souhaite, être orienté vers des structures (centre local d’information et de communication, centre communal d’action sociale, associations…) qui le renseigneront sur les plateformes d’accompagnement et de répit et les solutions pour son proche (hébergement temporaire accueil de jour ou relais à domicile) ; elles lui proposeront, également, des actions de formation sur différents thèmes tels que la toilette et les soins corporels, le soutien psychologique, le travail de la psychomotricité, les gestes de réconfort ou les premiers secours…

Note de bas de page 34 :

CASF, art. L. 232-3-3 et art. R. 232-10 (D. 232-9-1, II et III).

En ce sens, depuis la loi ASV, le proche aidant d’une personne bénéficiaire de l’APA dispose d’un droit au répit, dès lors qu’il assure « une présence ou une aide indispensable au soutien à domicile » de son proche et « ne peut être remplacé » par un membre de l’entourage pour assurer cette aide32. Dans cette optique, la situation et les besoins du proche aidant doivent être évalués par l’équipe médico-sociale33 au domicile de la personne âgée. Il en est tenu compte dans l’élaboration du plan d’aide dont le montant est alors majoré34.

Note de bas de page 35 :

C. trav., art. L. 3142-16 et s.

Note de bas de page 36 :

GIR 1, 2 ou 3.

Note de bas de page 37 :

LFSS pour 2020.

Note de bas de page 38 :

Le montant de l’AJPA est identique à celui de l’allocation journalière de présence parentale (43,89 euros pour les personnes vivant en couple et 52,13 euros pour les personnes seules), dans la limite de vingt-deux allocations par mois, pendant un an, renouvellements compris, sur toute la carrière (sauf dispositions conventionnelles).

Autre innovation de la loi ASV, le congé de proche aidant35 permet à tout un chacun de cesser son activité professionnelle pour s’occuper d’un proche en perte d’autonomie d’une particulière gravité36. Depuis octobre 202037, cette parenthèse professionnelle permet de conserver le bénéfice des avantages acquis tout en percevant une allocation journalière de proche aidant (AJPA)38, prise en compte automatiquement au titre des droits à la retraite.

Note de bas de page 39 :

C. trav., art. L. 3142-25-1 : (...) pour sa durée excédant vingt-quatre jours ouvrables.

Enfin, tout salarié peut bénéficier d’un don anonyme de jours de repos de la part d’un collègue39. La période d’absence est alors assimilée à une période de travail effectif.

Cela étant, le manque de temps n’est pas toujours en cause. A l’autre extrémité, la maltraitance intentionnelle se traduit par des rapports de sujétion et d’interdépendance.

b) Le proche parent malveillant en situation d’interdépendance avec la victime

Entre un fils et sa mère âgée, entre une petite-fille et sa grand-mère, entre époux, la confiance est généralement la norme. Cependant, il n’est pas rare qu’une relation perverse entre des conjoints vieillisse avec eux. De même, les rapports irrespectueux entre parent et enfant ne s’améliorent pas nécessairement avec le temps. La maltraitance passe alors, parfois, de l’un à l’autre, selon des logiques de vengeance souterraines. Ces situations conflictuelles agglomèrent presque toujours d’autres facteurs de risques. En tête, figurent les addictions (alcoolisme, toxicomanie, abus médicamenteux…) et les difficultés financières, le tout produisant, souvent, de la violence familiale ou conjugale.

Note de bas de page 40 :

C. pén., art. 311-12.

Note de bas de page 41 :

C. pén., art. 311-12 pour le vol, art. 312-9 al. 2 pour l’extorsion, art. 312-12 al. 2 pour le chantage, art. 313-3 al. 2 pour l’escroquerie et art. 314-4 pour l’abus de confiance.

Dans la cellule familiale comme à l’extérieur, le mobile des agissements est la plupart du temps d’ordre financier. Dans un tel contexte, les escrocs, voleurs et maîtres chanteurs qui sévissent au sein de leur propre famille, ne peuvent en principe pas faire l’objet de poursuites pénales. Ils sont couverts par « les immunités familiales patrimoniales », causes d’irrecevabilité de l’action publique40. En substance, ces immunités excluent l’application du droit pénal pour un certain nombre d’infractions contre les biens41.

L’idée, ici, du législateur, est de ne pas s’immiscer dans les affaires familiales, la répression pénale étant réservée aux troubles à l’ordre public et à la société. Aussi, le délit commis doit-il l’avoir été à l’encontre de certains membres de la famille, entendue dans un sens restrictif : conjoint, ascendant ou descendant. En sont exclues toutes les formes de conjugalité autres que le mariage. Les alliés et les collatéraux subissent le même sort.

Note de bas de page 42 :

Crim., 14 déc. 1999, no 98-82.980 P.

Note de bas de page 43 :

Crim., 8 nov. 2011, n°11-81.798.

En outre, l’immunité est levée, non seulement après le divorce mais, aussi, lorsque les époux sont séparés de corps ou autorisés, par décision de justice, à résider séparément42. Elle ne bénéficie pas non plus au veuf ou à la veuve en secondes noces qui a voulu s’accaparer les biens de la succession au détriment des héritiers, nés d’un premier mariage43.

De telles immunités patrimoniales revêtent un caractère strictement personnel. Aussi, ne sauraient en profiter les co-auteurs ou complices étrangers au cercle familial. Enfin, lorsqu’un homicide volontaire accompagne l’incrimination, en principe couverte par l’immunité, l’auteur n’échappe plus aux poursuites.

Note de bas de page 44 :

C. pén., art. 311-12 modifié par la loi n°2006-399 du 4 avril 2006, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs.

Dans cette même logique de restriction du champ d’application des immunités44, en ont été exclus les auteurs familiaux d’un vol portant

sur des objets ou documents indispensables à la vie quotidienne de la victime, tels que des documents d’identité relatifs au titre de séjour ou de résidence d’un étranger ou des moyens de paiement ou de télécommunication.

Une telle exclusion vise aussi le chantage, l’abus de confiance et l’escroquerie par renvoi à l’article 311-12 du code pénal.

Note de bas de page 45 :

Crim., 23 mars 2016, n°15-80214 : escroquerie du mari au moyen de sa carte bancaire, subtilisée par l’épouse juste avant qu’elle ne quitte le domicile conjugal - Crim., 27 oct. 2010, n°10-85878 : petit-fils complice du vol commis au préjudice de sa grand-mère, décision découlant probablement de l’infraction aggravée relevant de la Cour d’assises, le vol ayant été commis sous la menace d’une arme.

Au-delà de la cause des femmes battues, la jurisprudence a étendu l’exclusion à tous les membres de la famille concernés par les immunités patrimoniales. Elle a d’ailleurs eu l’occasion de rappeler45 que « la monnaie fiduciaire constitue un moyen de paiement » comme les chèques et cartes bancaires, de même qu’« une somme d’argent, quel qu’en soit le montant, est indispensable à la vie quotidienne », selon l’article 311-12 du code pénal.

Note de bas de page 46 :

C. pén., art. 312-11, al. 2, b. : « (...) le tuteur, le curateur, le mandataire spécial désigné dans le cadre d'une sauvegarde de justice, la personne habilitée dans le cadre d'une habilitation familiale ou le mandataire exécutant un mandat de protection future de la victime ».

Note de bas de page 47 :

C. civ. art. 417 et art. 421 : « Tous les organes de la mesure de protection judiciaire sont responsables du dommage résultant d'une faute quelconque qu'ils commettent dans l'exercice de leur fonction. Toutefois, sauf cas de curatelle renforcée, le curateur et le subrogé curateur n'engagent leur responsabilité, du fait des actes accomplis avec leur assistance, qu'en cas de dol ou de faute lourde. »

Note de bas de page 48 :

Crim., 18 janv. 2017, n° 16-80178 : abus de confiance commis par la fille de la victime, désignée mandataire spécial par le juge des tutelles dans le cadre d’une sauvegarde de justice.

Enfin, la loi ASV a accompli un pas supplémentaire, significatif, dans le sens d’une limitation des immunités familiales. N’en bénéficie plus l’auteur des faits lorsqu’il est un protecteur familial46. En cas de manquement caractérisé dans l’exercice de sa mission, il peut être dessaisi et voir sa responsabilité engagée47. Ce n’était pas le cas avant la loi48.

Note de bas de page 49 :

En effet, ce dernier appartient à la catégorie des infractions contre les personnes, échappant ainsi aux immunités patrimoniales. Dossier : « Le délit d’abus d’ignorance ou de faiblesse », AJ pénal, 2018. 219.

Note de bas de page 50 :

V. Crim., 4 mars 2014, n°13-82.344 : le fils de la victime est condamné pour abus de faiblesse ; v. aussi Crim., 18 janv. 2017, op. cit.

A l’inverse, si la victime est un ascendant vulnérable, aucune exclusion n’est prévue mais il est possible de retenir à l’encontre du descendant, le délit d’abus de faiblesse49 qui relève des atteintes à la personne et échappe, donc, aux immunités patrimoniales50.

Note de bas de page 51 :

https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/elder-abuse

On le voit, « la cohabitation constitue un facteur de risque de maltraitance pour la personne âgée », même s’il est encore difficile de déterminer quels sont ceux, parmi les conjoints et enfants adultes, qui sont davantage susceptibles d’en être les responsables51. Dans ces conditions, briser le silence est une nécessité. Or, elle fait souvent défaut.

C - Briser le silence au nom de la vulnérabilité

Selon la Fédération 3977, 45 % des appelants étaient les proches de la victime, 26 % les victimes elles-mêmes et 12 % des personnes de l’entourage, autres que les proches. Les autres catégories d’appelants représentent chacune moins de 10 %, englobant les intervenants professionnels (personnel de services sociaux, de services de soins à domicile, mandataire judiciaire…) (2019 : 45).

Note de bas de page 52 :

Op. cit.(14).

De son côté, l’OMS considère que s’agissant des personnes âgées, « un cas sur vingt-quatre, seulement, serait signalé, en partie parce que ces dernières ont souvent peur de le porter à la connaissance de leur famille, de leurs amis ou des autorités »52.

Parmi les intervenants au domicile de la victime, beaucoup se retranchent derrière le secret professionnel auquel ils sont tenus. Quant aux parents qui savent mais se taisent, ils sont couverts par les immunités familiales extrapatrimoniales et la dispense de témoigner en justice. Pourtant, un arsenal juridique existe qui protège la vulnérabilité.

1 - La levée des immunités familiales extrapatrimoniales en cas de vulnérabilité de la victime

Bien souvent, la personne âgée, en rupture de réseau relationnel, poursuit une quête affective qui fait obstacle à tout consentement au signalement. C’est à plus forte raison le cas lorsque la personne maltraitante est un membre de sa famille. Bâillonnée par un sentiment de honte et/ou craignant des représailles ou des répercussions sur la réputation familiale, le parent âgé se tait, parfois sous la pression de proches qui savent mais ne font rien, complices ou manipulés par l’auteur des faits.

L’entourage familial silencieux a, toutefois, le droit pour lui. Depuis fort longtemps, il est couvert par des immunités extrapatrimoniales relatives à certaines entraves à la saisine de la justice, prévues par le livre IV du code pénal. Il s’agit, ici, de ne pas inciter à la délation entre parents et de préserver, ainsi, la paix familiale.

Note de bas de page 53 :

C. pén., art. 434-1, sauf crime terroriste ou sur mineur de quinze ans et art. 434-6 pour le recel de criminel.

Dès lors, les infractions de non-dénonciation de crime ou de recel de criminel ne s’appliquent pas aux membres de la famille de l’auteur ou du complice du crime53. Sont visés, d’une part, ses parents en ligne directe et leurs conjoints ainsi que ses frères et soeurs et leurs conjoints et d’autre part, son conjoint ou la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui (concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité).

Note de bas de page 54 :

C. pén., art. 434-11.

Note de bas de page 55 :

C. pr. pén., art. 326 pour la cour d’assises et c. pr. pén., art. 438 pour le T. corr.

Note de bas de page 56 :

C. pr. pén., art. 335, 5° et art. 448.

Par conséquent, ces mêmes personnes ne sont pas non plus soumises à l’obligation de témoigner en faveur d’un innocent détenu provisoirement ou jugé pour crime ou délit54. De même, elles échappent à l’obligation de comparaître, prêter serment de dire la vérité et déposer devant le tribunal, pesant sur toute personne ayant assisté à un délit ou un crime55. Toutefois, jusqu’à récemment, le partenaire lié au prévenu ou à l’accusé par un pacte civil de solidarité ainsi que le concubin étaient exclus de la liste56.

Note de bas de page 57 :

Loi n°2020-1672 du 24 décembre 2020, relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée.

Note de bas de page 58 :

C. civ., art. 515-8.

La loi du 24 décembre 202057 a corrigé cet oubli, en énonçant deux conditions relatives au concubinage qui s’entend d’une vie commune stable et régulière58. D’une part, il doit être allégué par le témoin, l'accusé ou une partie. D’autre part, il doit être établi par les éléments de la procédure ou, du moins, ne pas être contesté. Par ailleurs, cette dernière prohibition, contrairement aux précédentes, subsiste même après le divorce, la dissolution du pacte civil de solidarité ou la cessation du concubinage.

Note de bas de page 59 :

C. pén., art. 434-3.

Malgré tout, au fil du temps et des évolutions de la société, le législateur a souhaité ouvrir une brèche dans ce mur du silence qui entoure les infractions dont sont victimes les personnes âgées vulnérables. Ainsi échappe à l’immunité familiale « la non-dénonciation de privations, de mauvais traitements, d’agressions ou d’atteintes sexuelles, infligés à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse »59.

Note de bas de page 60 :

Crim. 14 avr. 2021, no 20-81.196 P: D. actu. 3 mai 2021, obs. Chollet.

Note de bas de page 61 :

Selon l’article 434-3 du code pénal, la personne qui s’abstient de dénoncer de tels faits aux autorités ou qui continue à ne pas le faire alors même que ces infractions n'ont pas cessé, encourt trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende.

Note de bas de page 62 :

Crim. 14 avr. 2021, no 20-81.196 P: op. cit.

Il s’agit d’une infraction instantanée, dont la prescription court à compter du jour où le prévenu a eu connaissance des faits et ne les a pas transmis60. La passivité continue61 à laquelle fait référence le texte n’entre en jeu que dans la mesure où les faits perdurent. Dans une affaire récente et amplement médiatisée, la Cour de cassation a estimé que la condition tenant à la vulnérabilité de la victime devait être remplie « non seulement au moment où les faits ont été commis, mais encore lorsque la personne poursuivie pour leur non-dénonciation en a pris connaissance ».62

Note de bas de page 63 :

Ibid.

En revanche, tant que l'obstacle ainsi prévu par la loi demeure, l'obligation de dénoncer persiste, même s'il apparaît à celui qui prend connaissance des faits que ceux-ci ne pourraient plus être poursuivis, compte tenu de la prescription de l'action publique. En effet, d'une part, la condition que la prescription ne soit pas acquise ne figure pas à l'article 434-3 du code pénal, d'autre part, les règles relatives à la prescription sont complexes et ne peuvent être laissées à l'appréciation d'une personne qui peut, en particulier, ignorer l'existence d'un acte de nature à l'interrompre.63

Seules en sont exemptées les personnes tenues au secret professionnel, en application de l’article 226-13 du code pénal.

2 - La vulnérabilité, motif d’autorisation de levée du secret professionnel

En présence d’une victime vulnérable, le professionnel tenu au secret, peut choisir, en toute liberté de conscience, de se taire ou de parler.

a) Le secret professionnel
Note de bas de page 64 :

C. pén., art. 226-13.

S’agissant du secret professionnel, le code pénal vise « toute personne qui est dépositaire d’une information à caractère secret, soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire »64.

Note de bas de page 65 :

CSP, art. L. 4314-3 et R. 4312-4.

Note de bas de page 66 :

CASF, art. L. 411-3.

Note de bas de page 67 :

CSP, art. R. 4127-4.

Note de bas de page 68 :

CSP, art. R. 4235-5.

Note de bas de page 69 :

CSI, art. R. 434-8.

Les personnes tenues au secret de par leur état sont essentiellement les ministres du culte. Y sont astreintes de par leur profession, notamment, les infirmiers65, les assistants de service social66, les médecins67, les pharmaciens68, les policiers et les gendarmes69. Les étudiants se préparant à l’exercice de ces professions y sont également soumis.

Note de bas de page 70 :

CASF, art. L. 113-3.

Enfin, de nombreuses missions relèvent de l’article 226-13 du code pénal au nombre desquelles, figure, notamment, l’accompagnement coordonné des personnes âgées en perte d’autonomie, sur la base de la méthode d'action pour l'intégration des services d'aide et de soins dans le champ de l'autonomie, dite méthode MAIA70.

Note de bas de page 71 :

Crim., 19 nov. 1985, n°83-92.813.

Selon la jurisprudence, cette obligation s’explique par la volonté d’assurer « la sécurité des confidences », « qu’un particulier est dans la nécessité de faire à une personne dont l’état ou la profession, dans un intérêt général et d’ordre public, fait d’elle un confident nécessaire »71.

C’est ainsi que :

Note de bas de page 72 :

CSP, art. R. 4127-4.

le secret, institué dans l’intérêt des patients [...] couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris.72

Note de bas de page 73 :

C. déont. med., art. 4, CSP, art. L. 1110-4.

Note de bas de page 74 :

CASF, art. L. 133-4.

Note de bas de page 75 :

CSP, art. L. 2132-1, al. 3.

Dans le domaine sanitaire, le secret s’impose à tout professionnel de santé mais aussi à tout établissement ou service ainsi qu’à tout professionnel ou organisme concourant à la prévention ou aux soins73. Autrement dit, n’importe quel professionnel intervenant dans le système de santé est soumis à l’article 226-13 du code pénal. L’ensemble du personnel est donc visé, quel que soit son statut, dès lors qu’il accède à des informations nominatives à caractère sanitaire et social, détenues par les services des affaires sanitaires et sociales74. C’est le cas de toute personne amenée à consulter le carnet de santé du parent âgé75.

Note de bas de page 76 :

Mentionné au I de l'article L. 312-1 du CASF.

Note de bas de page 77 :

CASF, art. L. 411-3.

Note de bas de page 78 :

CASF, art. L. 312-1, 6° et 7°.

Note de bas de page 79 :

CASF, art. L.133-5.

Note de bas de page 80 :

L. n° 83-634, 13 juill. 1983, art. 26.

Il en va de même de tout professionnel du secteur médico-social ou social ou de tout établissement ou service social et médico-social76. Il s’agit, entre autres, des travailleurs sociaux77 mais aussi des personnes travaillant dans des services d’aide ou de soins à domicile ou encore dans des centres d’information et de coordination78. Plus largement, sont concernés tous les professionnels qui participent aux missions spécifiques du secteur social comme, par exemple, une personne appelée à intervenir dans l’instruction, l’attribution ou la révision des admissions à l’aide sociale79 mais aussi un bénévole ou un élu, même si ce dernier l’est déjà, généralement, de par son statut de fonctionnaire80.

S’agissant des faits de maltraitance, il va de soi que seules les informations obtenues dans l’exercice d’une profession, sont couvertes par le sceau du secret. En sont donc exclues les informations acquises dans le cadre de la vie privée.

Cependant, il existe des situations où la parole se substitue à l’obligation de se taire.

b) Les autorisations de levée du secret professionnel
Note de bas de page 81 :

CSP, art. L. 1110-4, II et III, mod. par la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

Ainsi, à l’occasion du parcours de soins du parent âgé, des informations relatives à cette personne peuvent être échangées entre professionnels ou partagées au sein de l’équipe de soins. Leur mise en commun se fait alors dans la double limite, d’une part, du périmètre des missions relevant de la prise en charge et d’autre part, des informations strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins, à la prévention ou au suivi médico-social et social de ladite personne81.

Note de bas de page 82 :

CASF, art. L. 121-6-2.

Entre professionnels de l’action sociale, travailleurs ou médiateurs sociaux mais aussi tout professionnel intervenant auprès des familles, le partage d’informations doit avoir pour but d’évaluer la situation des personnes concernées, de déterminer les mesures d'action sociale nécessaires et de les mettre en œuvre. La divulgation de ces informations doit en outre être limitée à ce qui est strictement nécessaire à l'accomplissement de la mission d'action sociale82.

En outre, l’article 226-14 du code pénal structure l’autorisation de levée du secret professionnel, selon trois hypothèses.

D’abord (1°), le professionnel ne peut pas être poursuivi s’il « informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu'il s'agit d'atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ».

Note de bas de page 83 :

TGI Caen, 4 sept. 2001: D. 2001. IR 2721 ; ibid. 2002. Somm. 1803, obs. Roujou de Boubée; Gaz. Pal. 2001. 2. 1811, note Damien; Dr. pénal 2001, chron. no 46, obs. L. Leturmy. – Adde: Y. Mayaud, D. 2001. Chron. 3454.

Par privations ou sévices, il faut entendre toute atteinte à l’intégrité corporelle de la personne, par action ou par omission. Le signalement peut être adressé au procureur de la République mais aussi à un policier ou à un médecin. A ce stade, il peut être utile de rappeler que l’obligation de dénonciation prévue par l’article 434-3 du code pénal ne porte que sur des faits. Il « appartient aux autorités judiciaires de diligenter les enquêtes propres à l’identification tant des auteurs d’infraction que de leurs victimes »83.

Note de bas de page 84 :

https://circulaire.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000029039475/?detailType=EXPOSE_MOTIFS&detailId=

Il faut ici souligner que l’article L. 331-8-1 du code de l’action sociale et des familles, issu de la loi ASV, fait obligation aux établissements et services sociaux et médico-sociaux d'informer sans délai les autorités administratives compétentes, en cas de dysfonctionnement grave susceptible d'affecter la prise en charge des usagers. Les termes ici employés par le législateur visent tout particulièrement les situations de maltraitance, comme indiqué dans l’exposé des motifs de la loi de 201584.

Complémentaire au précédent, l’article L. 313-24 du même code précise qu’un salarié ou un agent qui témoigne de tels faits au sein dudit établissement ou service, ne doit pas faire l’objet de mesures défavorables « en matière d'embauche, de rémunération, de formation, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement du contrat de travail, ou pour décider la résiliation du contrat de travail ou une sanction disciplinaire ». Le salarié licencié en raison de son témoignage, peut être réintégré par le juge, à sa demande.

Note de bas de page 85 :

Cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être, mentionnée au deuxième alinéa L. 226-3 du code de l'action sociale et des familles.

Ensuite (2°), le médecin ou tout autre professionnel de santé qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République ou de la CRIP85 les sévices ou privations qu'il a constatés, lui permettant de présumer la commission de violences physiques, sexuelles ou psychiques, ne peut être poursuivi pour violation du secret professionnel. Le texte précise que l’accord n’est pas nécessaire lorsque la victime est une personne vulnérable.

L’enjeu est donc double. Si la victime est autonome, elle doit pouvoir être soutenue dans sa volonté de divulguer ou non une information intime par l’entremise du professionnel. Autrement, la perspective d’un signalement systématique la conduirait vraisemblablement à renoncer à toute prise en charge médicale. Si elle est vulnérable, il s’agit d’inciter le professionnel à signaler des faits particulièrement graves et ce, en dépit de l’absence de volonté ou de lucidité de la victime.

Note de bas de page 86 :

CSP, art. L.1413-14, R.1413-67 et s. et instruction DGS/PP1/DGOS/PF2/DGCS/2A/2017/58 du 17 fév. 2017

Il convient, ici, de rappeler que tout professionnel de santé ou tout représentant d’établissement de santé ou d’établissement et service social ou médico-social a l’obligation de signaler à l’ARS des événements indésirables graves liés aux soins (EIGS)86.

Note de bas de page 87 :

Loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.

Enfin (3°), depuis 202087, est exclu des poursuites le médecin ou tout autre professionnel de santé qui porte à la connaissance du procureur de la République une information relative à des violences conjugales, lorsqu'il estime, en conscience, que celles-ci mettent en danger la vie de la victime majeure sous l’emprise de l'auteur des faits.

Les ex-conjoints, ex-partenaires ou ex-concubins sont également visés dès lors que l’infraction est commise en raison des relations ayant existé entre l’auteur des faits et la victime. Le texte ajoute que le médecin ou le professionnel de santé doit s’efforcer d’obtenir l’accord de la victime et que quand bien même il n’y parviendrait pas, il doit l’informer du signalement fait au procureur de la République.

Note de bas de page 88 :

C. déont. méd., art. 44.

Là encore, la vulnérabilité, au sens large, dans ses deux acceptions, intrinsèque et extrinsèque, permet de faire sauter les verrous du secret. Cependant, pour le professionnel, il ne s’agit là que d’une simple faculté qu’il exerce en conscience88.

Note de bas de page 89 :

Crim., 27 avr. 2011, n°10-82.200, D. actu. 31 mai 2011, obs. Bombled; Dr. pénal 2011, no 77, obs. Véron : est cassé l'arrêt de la cour d'appel qui avait condamné le médecin pour non-dénonciation de mauvais traitements infligés à des personnes vulnérables.

Note de bas de page 90 :

C. pén., art. 434-1 pour la non-dénonciation de crime, art. 434-3 pour la non-dénonciation de privations, mauvais traitements et atteintes sexuelles et art. 434-11 pour l’omission de témoigner en faveur d’un innocent.

S’il ne signale pas, il ne peut plus être poursuivi comme auparavant89. Et cela vaut pour la non-dénonciation de crime ou la non-dénonciation de privations, mauvais traitements, agressions ou atteintes sexuelles, infligés à une personne vulnérable ou encore pour l’omission de témoigner en faveur d’un innocent, détenu provisoirement ou jugé pour crime ou délit90.

Note de bas de page 91 :

Loi n°2015-1402 du 5 novembre 2015 tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance pour les professionnels de santé.

Note de bas de page 92 :

C. pén., art. 226-10 pour la dénonciation calomnieuse, une telle infraction supposant d’alléguer des propos dont leur auteur sait qu’ils sont mensongers.

A l’inverse, depuis 201591, un signalement infondé n’engage plus sa responsabilité civile, pénale ou disciplinaire, sauf si sa mauvaise foi est établie. Un professionnel qui aurait effectué une dénonciation calomnieuse pourrait donc être condamné pour ce motif92.

Note de bas de page 93 :

CSP, art. R. 4127-44, al. 2 et c. déont. méd., art. 44 : « (...) Lorsqu'il s'agit d'un mineur ou d'une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique, il alerte les autorités judiciaires ou administratives, sauf circonstances particulières qu'il apprécie en conscience. »

Entre se taire ou parler, le professionnel tenu au secret peut donc librement choisir. L’article R. 4127-44 du code de la santé publique ainsi que l’article 44 du code de déontologie médicale ne disent pas autre chose lorsque tous deux renvoient in fine aux circonstances particulières que le médecin apprécie en conscience et qui peuvent justifier sa décision de ne pas alerter les autorités93. Dans tous les cas, il lui faudra argumenter son choix dans le dossier médical de la personne prise en charge.

La situation est tout autre lorsque la victime est en péril. En effet, la notion de péril exclut la liberté de conscience du professionnel. Sa passivité peut alors caractériser deux infractions, l’omission d’empêcher un crime ou un délit contre l’intégrité corporelle d’une personne ainsi que celle de porter secours, toutes deux visées par l’article 223-6 du code pénal.

Note de bas de page 94 :

Crim. 23 oct. 2013, no 12-80.793 P: D. actu. 13 nov. 2013, obs. Le Drevo; Dr. pénal 2013, no 166, obs. Véron; ibid. 2014, no 15, obs. Maron et Haas; Gaz. Pal. 2014. 1. 476, note Detraz.

Dans le premier cas, l’obligation d’agir s’impose à la personne qui a des motifs sérieux de croire que l’infraction va être commise alors qu’elle peut encore l’empêcher, sans risque pour elle et pour les tiers. L'abstention se trouve constituée au moment où l'intervention est possible, son existence découlant de l'instantanéité de l'obligation d'intervenir. Le médecin qui, ayant connaissance de maltraitances envers des personnes âgées dépendantes, s’abstient d’intervenir, commet le délit d’omission d’empêcher une infraction94.

Dans le second cas, la personne âgée est alors exposée à un péril grave, actuel et imminent. La gravité s’apprécie au moment où la personne, qui peut intervenir, a connaissance des faits. Le délit est constitué dès lors que, la personne qui pouvait porter secours, ne pouvait se méprendre sur la gravité du péril et s’est volontairement abstenue d’intervenir.

Note de bas de page 95 :

C. pén., art. 122-7.

Dans les deux cas, l’assistance se traduit, soit par une action personnelle, soit en provoquant des secours. L’urgence de la situation impose d’agir, immédiatement. Aussi, le signalement à l’autorité judiciaire n’est-il, en principe, pas suffisant. Ce ne peut être que l’ultime solution lorsqu’il n’existe aucune autre issue. La violation du secret professionnel est alors justifiée par l’état de nécessité95.

L’exclusion des immunités familiales comme l’autorisation de levée du secret ont pour but de favoriser les signalements et, partant, le déclenchement des poursuites pénales, lesquelles s’inscrivent dans un dispositif d’ensemble de lutte contre la maltraitance intrafamiliale aux personnes âgées.

II - Les moyens de lutte contre la maltraitance intrafamiliale aux personnes âgées

Tout d’abord, des mesures de prévention et d’accompagnement existent. Ensuite, l’arsenal répressif tient compte de la qualité de la victime, personne vulnérable, soit comme circonstance aggravante des peines, soit comme élément constitutif de l’infraction.

A - Les mesures de prévention et d’accompagnement

La prévention de la maltraitance intrafamiliale aux personnes âgées passe par le recueil d’information et la sensibilisation des intéressés, de leurs familles et des professionnels qui interviennent à leur côté. En cas de violences avérées ou suspectées, il est alors indispensable d’accompagner les protagonistes.

1 - Les mesures de prévention

Note de bas de page 96 :

Décr. no 2013-16, 7 janv. 2013, portant création du Comité national pour la bientraitance et les droits des personnes âgées et des personnes handicapées, JO 9 janv., p. 719.

En 2013, un comité national pour la bientraitance et les droits des personnes âgées et des personnes handicapées a été créé96. Il s’est substitué au Comité national de vigilance et de lutte contre les maltraitances des personnes âgées et des personnes handicapées.

Note de bas de page 97 :

Guide de gestion des risques de maltraitance pour les services d'aide, de soins et d'accompagnement à domicile, janv. 2009.

Son rôle est de promouvoir la bientraitance. A cet effet, il publie des guides à destination des professionnels97 particulièrement à même de repérer la maltraitance intrafamiliale. Ce repérage est également encouragé par la Haute Autorité de santé (HAS).

Note de bas de page 98 :

Conformément à la LFSS pour 2018, l’instance a repris les missions dévolues à l’agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM).

Note de bas de page 99 :

Il sera déployé selon un rythme d’évaluation quinquennal.

Depuis 201898, l’instance intervient dans les champs social et médico-social. Il lui incombe, dorénavant, d’élaborer les procédures de bonnes pratiques professionnelles et d’habiliter les organismes de contrôle des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Un nouveau référentiel99 d’évaluation national est attendu prochainement. La HAS a déclaré à son sujet qu’il sera fondé sur

Note de bas de page 100 :

https://www.has-sante.fr/jcms/p_3193025/fr/ambitions-et-perspectives-de-la-has-dans-les-champs-social-et- medico-social.

une approche globale de la personne et portera quatre valeurs prioritaires sous-jacentes aux pratiques d’accompagnement : le pouvoir d'agir de la personne, le respect des droits fondamentaux, l’approche inclusive des accompagnements et la réflexion éthique des professionnels100.

Note de bas de page 101 :

Le Haut Conseil de l’âge a été créé par la loi n° 2015-1776 relative à l’adaptation de la société au vieillissement.

Note de bas de page 102 :

Le HCFEA est un organisme consultatif français, placé auprès du Premier ministre, chargé d'éclairer le gouvernement, notamment, sur les questions relatives à la famille.

Note de bas de page 103 :

Commission bientraitance HCFEA-CNCPH « Note d’orientation pour une action globale d’appui à la bientraitance dans l’aide à l’autonomie », 24 janvier 2019.

En 2015, un Haut Conseil de l’âge a vu le jour101. Il a depuis été intégré au Haut Conseil de la Famille qui est devenu le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge102. Parmi ses derniers travaux, il a co-publié, en partenariat avec le Conseil national consultatif des personnes handicapées, une note d’appui à la bientraitance dans l’aide à l’autonomie103.

Note de bas de page 104 :

Circ. DGAS/SD2 no 2002-280 du 3 mai 2002, relative à la prévention et à la lutte contre la maltraitance envers les adultes vulnérables, notamment les personnes âgées, BO, no 2002-21 – Instr. DGAS/12A no 2007-112 du 22 mars 2007, relative au développement de la bientraitance et au renforcement de la politique de lutte contre la maltraitance, BOSS, no 2007-4.

Note de bas de page 105 :

Y sont représentés les services de police et de gendarmerie, le président du conseil départemental, la direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP), le procureur de la République, le juge des contentieux de la protection ainsi que des associations.

Au plan local, depuis 2002, des comités départementaux de prévention et de lutte contre la maltraitance des personnes vulnérables ont été mis en place104. Chaque comité est pluridisciplinaire105. En son sein, une cellule institutionnelle de concertation et d’analyse se charge du traitement et du suivi des signalements. À cet effet, a été créé un fichier départemental des situations de maltraitance concernant des personnes âgées et /ou en situation de handicap. Y sont répertoriés les cas à risque de danger.

Note de bas de page 106 :

https://3977.fr/instances-federales/ : les centres sont répartis sur 75 départements.

En parallèle, des antennes d’appel et de recueils téléphoniques des signalements ont essaimé sur tout le territoire national. En 2020, la Fédération 3977 contre la maltraitance regroupait une plateforme nationale et une cinquantaine de centres106.

Enfin, toujours à l’échelle locale, la lutte contre la maltraitance intrafamiliale aux personnes âgées est aussi l’affaire des directions départementales de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP).

Toutes ces mesures ont pour but de mieux comprendre les ressorts de la maltraitance intrafamiliale aux personnes âgées. Sous l’angle purement opérationnel, elles visent aussi à améliorer le dépistage, encore déficitaire, des cas de maltraitance. Quand ceux-ci sont avérés ou même suspectés, l’accompagnement des intéressés doit prendre le relais.

2 - Les mesures d’accompagnement

Note de bas de page 107 :

L. no 2019-222, 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, JO 24 mars, texte no 2 – Décr. no 2019-507, 24 mai 2019, pris pour l'application des dispositions pénales de la loi no 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice relatives à la procédure numérique, aux enquêtes et aux poursuites, JO 25 mai, texte no3.

Note de bas de page 108 :

C. pr. pén., art. 15-3-1.

Note de bas de page 109 :

C’est le fondement de l’art. 434-3 du c. pén. relatif à la non-dénonciation de privations et mauvais traitements sur personne vulnérable.

Note de bas de page 110 :

C. pr. pén., art. 1 et 40-1.

En premier lieu, depuis 2019, la plainte déposée électroniquement est désormais admise107. Bien entendu, cette modalité ne peut pas être imposée108. En tout état de cause, s’agissant d’une victime vulnérable, l’absence de plainte ne fait pas obstacle à l’action publique109, laquelle est engagée par le ministère public, au nom de la société, dans le but de réprimer un trouble à l’ordre public et selon le principe d’opportunité des poursuites110.

Note de bas de page 111 :

() L. no 2010-769 du 9 juill. 2010, relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, art. 16.

Note de bas de page 112 :

C. pén., art. 226-10, al. 2 pour la dénonciation calomnieuse : « (...) La fausseté du fait dénoncé résulte nécessairement de la décision, devenue définitive, d'acquittement, (...) de relaxe ou de non-lieu, déclarant que le fait n'a pas été commis ou que celui-ci n'est pas imputable à la personne dénoncée. »

De même, depuis la loi du 9 juillet 2010111, les poursuites pour dénonciation calomnieuse ne sont plus encourues en cas de charges insuffisantes112.

Note de bas de page 113 :

C. pr. pén., art. 41-1, 5°.

Ensuite, la médiation pénale, qui suppose un rapport d’égalité entre les parties, ne peut plus être imposée à la victime qui doit la demander expressément113.

Note de bas de page 114 :

L. n°2015-1776 du 28 déc. 2015. op. cit. (11).

Note de bas de page 115 :

Discriminations, atteintes à l’intégrité physique, agressions sexuelles, abus de de l’état de faiblesse ; l’accord de la personne âgée est alors nécessaire.

Innovation de la loi du 28 décembre 2015114, les associations d’assistance ou de défense des personnes âgées ont la possibilité de se constituer partie civile pour de nombreuses infractions115 perpétrées en raison de l’âge de la victime.

Note de bas de page 116 :

C. civ. art. 515-9.

S’agissant des violences au sein du couple, l’ordonnance de protection116 est une avancée certaine, à bien des égards. D’une part, elle n’est pas subordonnée à l’existence d’une plainte pénale préalable, ce qui la rend d’autant plus efficace, ayant vocation à s’appliquer dans des délais très courts. D’autre part, son essence civile lui permet de se baser sur la notion de « vraisemblance du danger et des faits allégués », avec un régime probatoire nettement moins contraignant qu’en matière pénale. De tels faits doivent seulement être corroborés par un faisceau d’indices : sms, certificat médical, témoignages…

Note de bas de page 117 :

C. pr. pén., art. 41-3-1, le consentement éclairé des deux parties est toutefois requis.

Note de bas de page 118 :

mais aussi l’interdiction d’entrer en contact avec le demandeur, l’interdiction de se rendre dans certains lieux désignés, l’interdiction de détenir ou de porter une arme.

Note de bas de page 119 :

ou chez une personne morale qualifiée ou auprès du procureur de la République près le tribunal judiciaire.

Note de bas de page 120 :

L. no 2018-1021, 23 nov. 2018, portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi ELAN, JO 24 nov. 2018, texte no 1.

Note de bas de page 121 :

C. civ., art. 215-3 et 220, al. 1er; elle devra, néanmoins, en informer le bailleur par LRAR, accompagnée d’une copie de l’ordonnance de protection ou d’une condamnation pénale de l’auteur.

Note de bas de page 122 :

Durée renouvelable, notamment, en cas de requête en divorce ou séparation de corps. Le non-respect de l’ordonnance constitue un délit pénal, passible de deux ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Le juge aux affaires familiales peut alors prononcer diverses mesures telles que l’interdiction de se rapprocher de la victime à moins d’une certaine distance, assortie de l’obligation de porter un dispositif électronique mobile anti-rapprochement117 ou encore une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique118. La victime de violences peut également être autorisée à dissimuler son adresse et élire domicile chez son avocat119. Sous cet angle, depuis 2018120, l’ordonnance permet l’attribution prioritaire d’un logement social. En outre, lorsque la victime quitte son foyer, hypothèse probable dans le cas d’un couple âgé, elle sera libérée de l’obligation à la dette du logement, par exception aux principes de cotitularité du bail et de solidarité des dettes ménagères121. L'ordonnance est prise à l'issue d'un débat contradictoire, en présence des parties, assistées, le cas échéant, de leurs avocats et du ministère public, pour une durée de six mois122.

Note de bas de page 123 :

L. n°2005-1549, 12 déc. 2005, relative au traitement de la récidive des infractions pénales, JO 13 déc., p. 19152.

Enfin, la prise en charge thérapeutique introduite par la loi du 12 décembre 2005123, est insuffisamment mise en œuvre alors qu’elle constitue une mesure efficace de prévention contre la récidive, évitant ainsi à la machine judiciaire de se mettre à nouveau en branle.

B - Le dispositif pénal de répression de la maltraitance intrafamiliale

Le droit pénal français reconnaît la vulnérabilité de la personne âgée selon deux modalités : tantôt élément constitutif d’une infraction spécifique, tantôt cause d’aggravation des peines encourues.

1 - Les infractions spécifiques aux personnes vulnérables

Note de bas de page 124 :

C. pén., art. 223-15-2 pour l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse et c. pén., art. 223-3 pour le délaissement de personne hors d’état de se protéger.

Parmi ces infractions spécifiques aux personnes vulnérables, deux d’entre elles sont des infractions de mise en danger. Il s’agit, d’une part, de l’abus de la situation de faiblesse124 et d’autre part, du délaissement d’une personne hors d’état de se protéger.

a) L’abus frauduleux de l’état de faiblesse
Note de bas de page 125 :

Loi du 12 juin 2001, n°2001-504, tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales.

Sa rédaction initiale, issue du code pénal de 1992, ne faisait référence qu’aux mineurs ou aux personnes particulièrement vulnérables en raison de l’un des facteurs propres à la victime (âge, maladie…). Depuis 2001125, le texte distingue dorénavant clairement les personnes en état de « sujétion psychologique ou physique » des autres victimes, expressément qualifiées de vulnérables, tout en leur conférant la même protection.

Contrairement aux facteurs intrinsèques de vulnérabilité (âge, maladie, déficience…) qui préexistent au délit, l’état de sujétion a été engendré par les stratagèmes de l’auteur. En effet, celui-ci l’a fait naître par « l’exercice de pressions graves ou réitérées » sur la victime ou en usant sur elle de « techniques propres à altérer son jugement ».

Note de bas de page 126 :

C. pén., art. 223-15-2 : « Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse soit d'un mineur, soit d'une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur, soit d'une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables. »

Note de bas de page 127 :

Crim., 7 mai 2004 / n° 03-82.738 P : op. cit. (p. 7).

Note de bas de page 128 :

Crim., 8 févr. 2012, n°11-81.162 : Gaz. Pal. 2012. 2. 2222, obs. Dreyer.

Note de bas de page 129 :

Crim., 11 déc. 2013, 12-86.489 : v. la contrainte morale exercée par M. X... sur sa grand-mère, Mme Y..., âgée de 85 ans, handicapée à 90 % et sur son grand-père, âgé de 92 ans, présentant un important déficit intellectuel, qui se déduit de la nature des actes accomplis à leur préjudice.

Note de bas de page 130 :

Crim., 8 févr. 2012, n°11-81.162. op. cit.

L’élément matériel du délit réside dans l’abus comme le mentionne le texte de l’infraction126. Par-delà, il s’agit de conduire la victime « à un acte ou une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ». Il en va ainsi de l’octroi d’une procuration sur les comptes bancaires127, de la remise de chèques en blanc128, d’une carte de crédit ou du consentement à une donation129 ou une vente viagère130 dont les arrérages ne seront pas honorés.

Note de bas de page 131 :

Crim. 15 nov. 2005, n° 04-86.051, RSC 2006. 833, obs. R. Ottenhof ; JCP 2006. II. 10057, note J.-Y. Maréchal ; Dr. pén. 2006. Comm. 29, obs. M. Véron ; v., dans le même sens, Crim. 21 oct. 2008, n° 08-81.126, Bull. crim. n° 210 ; D. 2009. 911, note G. Roujou de Boubée ; AJ pénal 2009. 30, obs. J. Lasserre-Capdeville ; RSC 2009. 100, obs. Y. Mayaud ; RTD civ. 2009. 298, obs. J. Hauser ; Dr. pénal 2009. Comm. 12, obs. M. Véron ; Crim. 16 déc. 2014, n° 13-86.620, Bull. crim. n° 270 ; D. 2015. 76 ; ibid. 2465, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi et S. Mirabail ; AJ fam. 2015. 105, obs. N. Levillain ; AJ pénal 2015. 252, obs. C. Renaud-Duparc ; RTD civ. 2015. 356, obs. J. Hauser ; Dr. pénal 2015. Comm. 30, obs. M. Véron.

S’agissant d’une infraction contre les personnes (livre II du code pénal), le délit d’abus de faiblesse est établi indépendamment de la démonstration d’un préjudice effectif. Il est caractérisé par le fait d’abuser de la fragilité de la victime. Par conséquent, la Cour de cassation considère que « pour une personne vulnérable, l'acte de disposer de ses biens par testament en faveur de la personne qui l'a obligée à cette disposition, constitue un acte gravement préjudiciable » quand bien même un tel acte, toujours révocable, n’implique aucun appauvrissement pour la victime et peut être soumis à une action en nullité par les héritiers qui s'estiment lésés131.

Cependant, l'appât du gain se traduit, parfois, par des moyens encore plus radicaux.

b) Le délaissement d’une personne hors d’état de se protéger
Note de bas de page 132 :

C. pén., art. 223-3.

Il incrimine « le délaissement en un lieu quelconque, d'une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique »132. Un tel acte peut avoir des conséquences graves sur la vie et la santé de la victime. Il traduit de la part de l’auteur, le rejet de son devoir de secours à l’égard de la personne âgée dépendante.

Note de bas de page 133 :

C. pén., art. 223-6 pour l’omission de porter secours, art. 434-1 pour la non-dénonciation de crime ou délit contre l’intégrité corporelle d’une personne et art. 227-15 pour l’infraction de privation de soins.

Note de bas de page 134 :

GARÇON, Code pénal annoté, 1901-1906, t. I, art. 349 à 353.

S’agissant de l’élément matériel de l’infraction, il faut un acte d’abandon positif qui exclut toute attitude simplement négative ou passive. Un tel acte doit exprimer la volonté d’abandonner définitivement la victime. Il se distingue donc des diverses formes d’abandon passif133. Il dépasse la négligence, le défaut de surveillance ou le manque d’intérêt. Au temps du code pénal ancien, il fallait une exposition de la victime, définie comme le fait de « placer une personne incapable de se protéger elle-même dans un lieu quelconque, solitaire ou non, dans le but de se soustraire à l'obligation d'en prendre soin, et pour l'abandonner »134.

Note de bas de page 135 :

Paris, 11 sept. 1998, Juris-Data no 022239 , préc. ainsi, une cour d'appel a pu condamner la petite-fille d'une personne âgée de quatre-vingt-cinq ans pour l’avoir laissée dans une maison sans chauffage en hiver et sans subvenir à ses besoins alors qu’elle en avait la charge.

En outre, le délit implique l’existence préalable d’une prise en charge de la victime par l’auteur, quand bien même celle-ci serait temporaire ou définitive, factuelle ou juridique. La dépendance de la victime doit être appréciée à l’aune de ses besoins essentiels, inhérents à sa dignité, sa santé ou sa survie135.

Note de bas de page 136 :

C. pén., art. 121-7, al. 2 : « Est également complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d'autorité ou de pouvoir aura provoqué une infraction ou donné des instructions pour la commettre ».

L’auteur matériel comme l’auteur moral peuvent être poursuivis, le premier pour avoir commis les faits, personnellement, le second pour complicité par instigation136.

Note de bas de page 137 :

Crim., 13 nov. 2007, n°07-83.621, Bull. crim. no 273 ; Juris-Data no 2007-0417 52 ; RSC 2008. 342, obs. Mayaud ; AJ pénal 2008. 89, note Royer ; Dr. pénal 2008, comm. 17, obs. Véron ; JCP 2008, act. p. 23 no3.

Note de bas de page 138 :

Crim. 9 oct. 2012, no 12-80.412, Bull. crim. no 213 ; AJ pénal 2013. 39, note Lasserre Capdeville ; Dr. pénal 2013, no 1, obs. Véron ; RPDP 2013. 133, obs. Conte et Malabat ; Gaz. Pal. 2013, no 39-40, p. 39, note Détraz ; RJPF 2013, no 1, p. 20, obs. Lobé Lobas.

La Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer, par le passé, que priver la personne âgée d’une aide-ménagère ne constitue pas un acte positif exprimant la volonté de l’auteur d’abandonner définitivement la victime137. La haute juridiction n’a pas non plus retenu l’infraction au sujet d'un fils qui avait sollicité le médecin, in extremis, après avoir laissé sa mère, déshydratée, macérer dans ses excréments, en état d'inconscience et sans soins appropriés alors qu’elle souffrait de lésions cutanées138.

Peu importent donc la gravité de l’abstention et le risque engendré pour la victime. Le délaissement s'entend de façon restrictive. L’abandon positif doit manifester une volonté de rupture définitive de prise en charge de la part du parent. Tel n'est pas le cas d'une défaillance dans les soins prodigués ni même d’une privation de soins.

Pour caractériser l’élément moral de l’infraction, il faut établir que l’auteur des faits, en charge de la victime vulnérable, avait la conscience et la volonté d'abandonner définitivement celle-ci.

Note de bas de page 139 :

Ainsi, le délit est passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende. Cependant, en cas de mutilation ou d’infirmité permanente de la victime, provoquée par l’abandon, l’infraction est un crime puni de quinze ans de réclusion criminelle.
Le quantum de la peine peut être porté à vingt ans lorsque l’abandon a provoqué la mort de la victime.

S’agissant d’une infraction formelle, sa consommation ne nécessite pas la réalisation d’un dommage effectif. Toutefois, dans certaines circonstances, la répression du délaissement peut criminaliser l'infraction. Dès lors, les peines présentent des similitudes avec celles des violences volontaires, en ce sens qu’elles sont déterminées en fonction du résultat de l'infraction139.

Toujours est-il que pour les violences volontaires comme pour bien d’autres infractions, les peines sont aggravées en raison de la vulnérabilité de la victime.

2 - La circonstance aggravante de victime vulnérable

Note de bas de page 140 :

C. pén., art. 222-33-2-2, 3° en matière de harcèlement moral, art. 222-8, 2°, 222-10, 2°, 222-12, 2°, 222-13, 2° et 222-14 en matière de violences volontaires ; art. 222-15 pour l’administration de substances nuisibles ; art. 222-29 en matière d’agression sexuelle ; 222-24, 3° en matière de viol ; 222-3, 2° en matière de torture et de barbarie ; 221-4, 3° en matière de meurtre ; 221-5, al. 3 en matière d’empoisonnement.

La vulnérabilité de la victime est élevée en circonstance aggravante de diverses infractions, certaines contre les personnes (harcèlement moral, violences volontaires, viol ou agressions sexuelles...) et d’autres contre les biens (vol, escroquerie, abus de confiance…)140.

Note de bas de page 141 :

C. pén., art. 224-1 pour la séquestration et art. 223-13 pour la provocation au suicide.

Toutefois, contrairement aux circonstances générales, à défaut d’une disposition de la loi, le juge ne peut pas la prendre en compte, en vertu du principe de légalité criminelle. Ainsi, paradoxalement, en sont exemptées la séquestration ou la provocation au suicide141.

Note de bas de page 142 :

L’ITT n'est pas définie par la loi mais elle s’entend, selon la jurisprudence, de l'incapacité pour une personne à se livrer aux actes courants de la vie quotidienne.

Note de bas de page 143 :

C. pén., art. 22-13, 2°.

Note de bas de page 144 :

C. pén., art. R. 625-1.

A titre d’illustration, les peines maximales sont portées de 1500 euros à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende pour des violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT)142 inférieure ou égale à huit jours143. Ainsi, la contravention de cinquième classe144, de droit commun, devient ainsi un délit lorsque les faits ont été commis sur une personne vulnérable.

Note de bas de page 145 :

C. pén., art. 222-13, 2°, 3° et 10°.

Les peines peuvent aller jusqu’à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende lorsque les violences sont exercées dans deux circonstances aggravantes, comme, par exemple, sur un conjoint qui serait une personne âgée vulnérable. Elles sont portées à sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende maximum lorsque ladite infraction est commise dans trois circonstances aggravantes, avec, notamment, dans le cas de l’exemple précédent, usage ou menace d’une arme145. Un tel cumul des circonstances n'est toutefois possible qu'en matière de délits et non de crimes.

Ces condamnations pénales, lorsqu’elles visent un descendant, en font un indigne dans le Code civil qui renferme, par ailleurs, diverses dispositions, certaines post mortem et d’autres, au contraire, conférant à l’intéressé le droit d’agir de son vivant pour remettre en cause ou faire annuler des actes qui lui ont été extorqués ou en raison de l’inexécution des obligations du débiteur. Autrement dit, les dispositions et mesures pour lutter contre la maltraitance intrafamiliale aux personnes âgées existent. Même perfectibles, elles méritaient d’être rappelées.

Ce travail n’a d’ailleurs pas d’autre but que de s’inscrire dans l’effort de sensibilisation collectif des personnes âgées, de leurs familles et des professionnels qui les entourent. C’est, en effet, par la connaissance et l’appropriation de ses droits que la victime se sentira légitime pour briser le silence, avec l’appui, indispensable, d’un « primo-accompagnant » (Koskas, 2018 : 99), issu de son entourage, familial ou professionnel. Cela dit, même si de nombreux progrès ont été accomplis en faveur des personnes vulnérables, les efforts doivent être poursuivis dans des domaines tels que la coordination des acteurs professionnels, l’aménagement du régime probatoire en droit pénal, l’accès au droit et à la justice ou encore l’accompagnement tout au long du parcours procédural. En somme, il s’agit d’avancer vers une protection toujours plus adaptée aux capacités de chacun sans jamais restreindre les droits et libertés fondamentaux du citoyen.