Philippe Thomas, directeur de l’IRCER

"Je souhaite conserver un véritable équilibre entre recherche fondamentale (nécessaire au ressourcement des sujets de recherche) et recherche appliquée"

Depuis le 1er janvier 2018, Philippe Thomas, directeur de recherche au CNRS, spécialisé dans les domaines de la chimie du solide et des matériaux céramiques est le nouveau directeur de l’IRCER – Institut de Recherche sur les Céramiques, UMR CNRS 7315 (ex SPCTS), le plus grand laboratoire français dans le domaine des matériaux et procédés céramiques et des traitements de surface. Il succède à Thierry Chartier qui a assuré la direction du SPCTS pendant 10 ans et sera aussi le nouveau directeur de l’Institut des Procédés Appliqués aux Matériaux (IPAM).

Interview de Philippe Thomas


Pourquoi avoir pris la direction de l’IRCER ?

C’est une réflexion de longue date. Je suis dans le laboratoire depuis 1992 et j’ai passé différentes étapes – chercheur, responsable d’un groupe de recherche de 20 personnes, et en 2017 directeur-adjoint du laboratoire aux côtés de Thierry Chartier – c’est donc une suite logique dans ma carrière. Par ailleurs, c’était aussi en quelque sorte « mon tour », car certain.e.s collègues se sont déjà beaucoup investi.e.s dans des responsabilités.

C’est aussi motivant et cela fait plaisir de prendre la direction d’un laboratoire en bonne santé. Il faut d’ailleurs à cet égard féliciter mon prédécesseur.

Vous êtes directeur de recherche CNRS, quand on prend la direction d’un laboratoire comme l’IRCER, quelle est la place laissée à la recherche ?

Je ne peux pas me passer d’un travail de chercheur et j’ai besoin de participer aux discussions scientifiques et d’écrire avec mes collègues des publications. J’ai la chance d’avoir une équipe bien constituée, sur laquelle je peux compter et je continuerai à suivre les avancées scientifiques réalisées dans mon domaine de recherche.

J’ai cependant conscience que le temps réservé à la recherche sera certainement réduit.

Le SPCTS était un laboratoire, l’IRCER un institut ? Qu’indique ce changement d’appellation ?

Rien n’a changé vraiment, à part l’intégration en 2015 de collègues du Groupe d’Etudes des Matériaux Hétérogènes (GEMH) aux activités plutôt liées aux matériaux pour l’habitat (écomatériaux, géomatériaux, chimie verte, etc…) qui a été l’occasion d’une restructuration du laboratoire en quatre axes de recherche.

Nous avons ensuite envisagé de changer d’intitulé, le nom de SPCTS n’étant pas très visible aux niveaux national et international, ni très facile à épeler. C’est suite à une enquête auprès des personnels que nous sommes devenus I’IRCER – Institut de Recherche sur les Céramiques. A travers le terme générique de céramique, nous conservons notre vocation à travailler sur les 2 thèmes forts et fondateurs de nos activités que sont les procédés céramiques et les procédés de traitements de surface.

En fait, le passage du nom de laboratoire à celui d’institut ne change rien à notre structuration.

Comment envisagez-vous les orientations scientifiques de l’IRCER ?

Nous sommes positionnés sur le domaine des céramiques techniques et des traitements de surface pour « le futur », avec notamment un enjeu sociétal national et européen pour les secteurs tels que les TICs, la santé et l’énergie.

En Nouvelle Aquitaine, d’autres laboratoires travaillent sur les matériaux, mais nous sommes les seuls identifiés sur cette spécificité des céramiques. Par ailleurs, en Europe, cette thématique est uniquement partagée avec un laboratoire allemand situé à Dresde. C’est vraiment une niche d’excellence pour la région.

Quels sont vos objectifs en terme de partenariats en France et à l’international ?

Historiquement, nous avons un partenariat très fort avec les laboratoires publics associés aux matériaux en France, comme le CIRIMAT à Toulouse, l’ICMCB à Bordeaux.

Nous sommes aussi un laboratoire à très forte connotation industrielle, puisque près de 80 % de notre budget annuel, hors salaires, provient de contrats industriels. L’identité industrielle de l’IRCER est aussi liée à la présence de laboratoires communs avec des entreprises dans nos murs – Air Liquide SA et le LCTL avec Cilas.

Nous bénéficions aussi, sur le secteur d’Ester Technopole, de la présence de l’incubateur de l’Agence de Valorisation de la Recherche Universitaire du Limousin (AVRUL), du Pôle Européen de la Céramique et de deux centres de transfert technologiques – le CITRA (Centre d’Ingénierie en Traitements et Revêtements de Surface Avancés) et le CTTC (Centre de Transfert de Technologies Céramiques) – qui sont pleinement en phase avec nos domaines phares de recherche. Nous sommes aussi accompagnés par le pôle de compétitivité ALPHA – Route des Lasers & des Hyperfréquences qui possède une antenne sur Limoges. Cette chaîne nous aide à aller vers le transfert, l’innovation et le monde industriel.

Notre appartenance au laboratoire d’excellence – Labex Sigma Lim que nous avons en commun avec nos collègues d’XLIM nous permet de plus d’avoir une interface entre les matériaux céramiques, les TICs, les domaines de l’énergie et de la santé, mais aussi d’aller jusqu’aux dispositifs, d’intégrer nos matériaux et de développer ainsi des démonstrateurs C’est une plus-value pour que notre recherche soit de plus en plus appliquée et s’oriente vers la technologie et l’industrie.

Comment ressentez-vous la création de la région Nouvelle Aquitaine (NA) pour l’IRCER ?

Nous avons une tranquillité thématique avec les céramiques qui nous permet d’avoir de la visibilité au sein de la région, cependant, au quotidien, nous devons être compétitifs sur les appels à projets.

Par contre, aujourd’hui, Limoges s’éloigne de plus en plus de tout – rejoindre Paris en train, prend quarante minutes de plus que dans les années 90. C’est un vrai frein à l’installation de start-up et d’entreprises de proximité. C’est pénalisant pour notre unité et les entreprises aux alentours, car des personnes ne veulent plus se déplacer sur Limoges et nous devons aller les rencontrer sur Paris ou sur Bordeaux. C’est une aussi une vraie inquiétude vis-à-vis de l’international.

Si vous aviez un souhait à formuler pour l’IRCER, quel serait-il ? Comment voyez-vous le laboratoire dans 10 ans ?

Le laboratoire est sain et reconnu et je récupère un état des lieux plus que parfait.

Je souhaite conserver un véritable équilibre entre recherche fondamentale (nécessaire au ressourcement des sujets de recherche) et recherche appliquée, les deux étant vitales pour l’IRCER.

Dans dix ans, j’espère que le laboratoire sera dans le même état qu’aujourd’hui en conservant la dynamique déjà impulsée depuis quarante ans.

Propos recueillis par Françoise Mérigaud – Pôle Recherche