Récits des TVL

VOLTIGEUR 2005-04-02

Certains me l'ont déjà dit : je vois les choses d'une façon bizarre parfois. C'est vrai. J'ai parfois l'impression de voir le monde à l'envers, et je ne sais pas très bien d'où vient cette tendance au chavirage.

Comme tout remonte à l'enfance, je dois évoquer la balançoire dans la bergerie. A force de monter de plus en plus haut, j'avais la tête à l'envers, mais c'était plus pour faire voler les jupes des filles que pour repenser le monde. Il est possible qu'un ou deux neurones soient restés coincés, et que dès lors, le fonctionnement du cerveau ait été affecté. Les jeux du cirque sont dangereux pour les jeunes hommes sur leur trapèze volant.

Plus tard, je suis devenu un homme jeune, avec de la barbe au menton et un mentor ordinateur qui m'a appris les quelques finesses maximum des navigations intermédiaires sur écrans à pixels. Je m'amusais à faire pivoter les photos à 180 degrés, et dans la sécurité de mon fauteuil cuir inclinable, je pouvais à loisir contempler le paysage la tête en bas, mais l'estomac à l'endroit, ce qui, dans l'ensemble, m'a toujours paru beaucoup plus confortable.





J'ai vu les acrobaties aériennes des corbeaux, des chocards et des rapaces, mais je sais bien que je ne suis pas fait de ce bois là. Mes os sont trop lourds et j'ai la ceinture abdominale d'un cheminot moyen, voire d'un boulanger pâtissier (la brioche touche la baguette, c'est le cheminot qui le dit). J'ai toujours eu du respect pour la distance qui sépare la contemplation de l'action, et je préfère les grandes arabesques élégantes aux manoeuvres brusques qui défient les lois de la physique élémentaire : en physique, j'en suis resté à un niveau quasi primaire. L'essentiel est d'être en l'air, le plus tard en terre.

Aurais-je trop regardé le monde à l'envers ? Dans ma phase terminale, j'ai fait un vrai looping en planeur, en simple passager, sans pour autant me sentir pousser des ailes. On s'inquiète pour l'estomac, mais c'est le cerveau qui trinque. Depuis, j'ai l'impression de marcher au plafond, de temps en temps . C'est gênant pour passer l'aspirateur, mais c'est une position qui ouvre de nouvelles perspectives. La réalité banale et quotidienne devient un miracle permanent, avec tous ces objets qui sont comme collés au plafond. Imaginons un peu ce que ce pauvre Newton aurait manqué s'il avait été victime de ce syndrome inverse. Un bon point pour les chauve souris qui se retrouvent à l'endroit.

Je pense qu'il faut que je vois du coté du Yin et du Yan des neuronales connections, ou des Yazukas Kamikaze, pour bénéficier d'influences étrangères. Je vais rééquilibrer mon magnétisme personnel, vérifier le gyroscope. J'ai entendu parler d'une cellule de soutien psychologique. Si vous souhaitez contribuer au fond de soutien de la caisse nationale pour la recherche sur les neurones perturbés, n'hésitez plus. Il est encore temps avant que je prenne mon envol ; c'est alors dans les nuages qu'il vous faudra essayer de me trouver. Pour l'instant, je pense qu'il est préférable pour moi de ne pas monter au-dessus du plafond. La mythologie nous enseigne qu'il s'y passe d'étranges choses, et je suis quand même resté un peu terre à terre. Il y a des moments où les limites matérielles de mon environnement me rassurent. Références, quadrillage, coordonnées : je me situe bien dans l'espace temps.
Quand je suis à l'envers, je me demande si en sautant je retomberais vers le haut ou vers le bas. Vers le haut me parait logique car cette situation est finalement une annulation temporaire et personnelle des forces de la pesanteur. C'est une inversion en fait, pas une apesanteur. Vous voyez comme c'est trompeur.

De même la tradition nous dit que le paradis est tout là-haut, au plus haut des cieux. Alors que je vois un matelas décoré en lit de rose qui m'attend ici-bas dans mon monde inverse. Il reste au-dessus de ma tête, comme quoi le bonheur est une question de point de vue. Mais il faut mieux quand même avoir le matelas et le toit. Ah ! La poésie du toit du ciel étoilé des grandes steppes de Sibérie orientale ! Je vais faire mettre un hublot pour voir la grand ourse de mon lit afin de déterminer une fois pour toute dans quel sens est la queue de la casserole (ou la tête de l'ours si vous préférez). Pour la Croix du Sud nous verrons plus tard.

Nous arrivons assez vite dans des horizons cosmiques. Méfions-nous des couches d'inversion : normalement, la température décroît en montant. Dans l'inversion, ce n'est pas le cas. C'est un phénomène naturel qui donne lieu à d'étranges couleurs, tout comme pour moi (je suis peut-être un peu plus vert). Je crois qu'il faut accepter la nature et ses mystères, dont celui du septième ciel. En conséquence, je m'arrange comme le bon roi Dagobert pour la remettre à l'endroit la plus part du temps. Ça facilite quand même la vie.

J'espère que tout ceci n'est pas seulement une illusion, mais j'ai aussi entendu parler d'une autre dimension poétique, je ne voudrais pas qu'elle passe sans me voir. Si vous savez quelque chose, dites-le moi.

Aux limbes langoureuses des nuées de sens
Hosanna au plumeau des cieux.
Et accroche-toi au manche.



Pascal Legrand

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