Récits des TVL

TAO, T'ES KING 2005-02-06

Samedi 5 février 2005, année de l'hégire, et du calendrier des PTT : je vous le raconte pour mon copain cheminot qui a dû partir à la neige en vacances après avoir été à la grève d'où il contemplait la mer. C'est compliqué comme toujours, mais c'est ce qui fait l'intérêt de la chose et de la philosophie.

« N'est-on pas un petit peu immature de jouer ainsi avec les nuages ? » me demandait-il justement quelques lunes gibbeuses avant ce jour.

Et bien non. Car la voie de la maturité se rapproche de celle de la sagesse, et même de toute évidence du fruit qui tombe. A se sentir trop mur on court le risque de s'éclater le trognon en chutant, voire même de laisser gicler les pépins partout. La nécessité de la maîtrise de l'instant du contact crucial apparaît comme une évidence, faute de quoi c'est compote et pas Euréka. N'ayez crainte je vais expliquer.

Il faut tout d'abord faire attention aux signes, sans trop d'à priori. Car par exemple on pourrait penser que le mois de février n'est pas favorable aux kilomètres parcourus en tapis volant. Qui sait si cependant leur qualité due à leur rareté ne compense pas leur petit nombre. Parfois, les signes ne sont pas visibles à tous, et ceux qui voient doublent n'en perçoivent point un plus grand nombre pour autant.

14 km avec 500 m de gaz : pas de quoi en faire un fromage. Sauf, s'il est blanc. Le paysage. Blanc de neige. Tacheté. Horizon brumeux bleu. Neige couleur cumulus. Noir de terre.

J'hésitais entre me laisser aspirer par la gravité du trou noir et me diriger vers le bout du tunnel de lumière. Je voyais les signaux comme pour les aiguillages ou les balisages de bouées : et là on les appelle des voyants, ce qui vous rappelle les 4 points cardinaux et aussi quelqu'un qui écrivait des lettres.

Finalement, je me sentais plus porté vers la voie médiane, car il m'apparut que c'était celle qui me convenait le mieux. Vers l'ouest, j'aurais eu trop de vent de travers, vers l'est les terres inconnues m'éloignaient du café. Je choisis donc un but fixé raisonnable, et je laissais mon esprit voler en pays exotique.

Il faut vous dire que je lis les « souvenirs de voyages en Tartarie et au Thibet » du père Evariste Huc (excellent). Je voyais donc des yacks limousins, et les fermes étaient tellement isolées par les routes blanches de neige qu'elles devenaient des lamaseries. L'horizon était flou, un peu comme la vie, et je me sentais flotter, détaché comme il convient des contingences matérielles, prenant ma décision de partir seul vers le nord, les autres ailes s'éparpillant alentour. Les possessions terrestres oubliées (mon sandwich dans la voiture d'Olivier), je me dirigeais vers une vallée reculée, au sol ancien de temps accumulé sous forme de tourbe, aux herbes jaunies par le froid, qui pourtant dégageraient un peu de chaleur me permettant de chevaucher le dragon volant. Je me rapprochais des pagodes, sans pour autant me prendre pour Dieu. Etre en vie, c'est accepter le risque de la mort. Le soleil me maintenait naturellement dans l'air de la couche convective, parce que je me voulais en cet endroit éphémère, au bord du nuage et suivant à terre les courbes du yin et du yang de la fonte des neiges, blanches et noires, jeu de go. Dégradés de gris sur le lac gelé. J'existe sans compromis. Même pas froid (nouveaux gants).

Je suis au-dessus des estampes, léger comme un reflet qu'un souffle trop turbulent peut balayer. Je vois des arbres d'or dans la mare d'un arboretum et des aquarelles aux verts si dilués qu'on sent à peine le verre de marc. Tout est équilibre fragile. Le gel peut fendre la pierre et l'eau déplacer les montagnes. Mais ça prend du temps et je dois accepter mon retour à la terre. Même pas colère.
Je manque mon but d'un peu plus d'un kilomètre (grosse erreur en pourcentage), mais la marche me réchauffe les pieds (juste frais, comme le chèvre). Je longe le ruisseau d'eau claire. Le temps continue. Je me dirige vers mon rendez-vous, à l'hôtel du céleste voyageur. J'hésite encore entre Bouddha, Confucius ou un café crème. Au bar ça parle pétanque et tarot. Un panneau de signalisation SNCF me fait penser à ceux qui travaillent sur les rails, aie, aie.

Le Yi (la nature de l'esprit) passe avec Confucius du plan de la philosophie à celui de la vie quotidienne, et on reproche parfois à ce dernier de frôler la banalité. Et c'est Lao Tseu qui est comparé au dragon, symbole de la conscience, dragon volant.

J'hésite encore. Entre le Mahayana et le Hinaydna (grand ou petit véhicule). Olivier a un grand Espace (Renault, c'est bien aussi). Ou alors le Zen : « Qui chevauche un tigre craint de mettre pied à terre. »

Et voilà pourquoi je vais faire encore quelques petits vols d'hiver (pas très fluos) pour me rapprocher de ma sagesse toute personnelle.
Atch Tao.


Pascal Legrand

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