Récits des TVL

VOLS DE MONTAGNE 1999-12-10

Vive la plaine

Je suis le bouddhiste des plaines
En altitude mon zen manque d'oxygène
Les montagnes sur mon horizon
Sont des chaînes pour mon esprit
Qui cherche sa liberté dans un infini plus horizontal que vertical,
Dans un infini du vivant, terrestre, et non dans l'espace éternel des constellations,
Dans l'éther qui shoote le fanatique.

Je suis terre à terre comme marmotte, chamois et vache. Enlevez-moi la clochette et je promets d'agiter le moulin à prière de temps en temps pour dissiper mon brouillard personnel. Risque de collision. Chutes de Pierre, Paul, Dick, Harry, au milieu des grondements des séracs.

Les monstres des montagnes guettent dans les pierriers, tapis sous les névés, derrières les arêtes ils guettent leur proie, déroulent un tapis vert engageant et trompeur qui vous fait grimper le sentier pour mieux vous faire fondre dans le nuage, c'est indolore. Il n'y a plus de sensation d'espace, ni de sens de l'orientation. Vous grillez d'un éclair rageur d'orage pour avoir enfreint quelque règle subtile de l'univers minéral. Là haut, il fait toujours froid pour conserver les cadavres. Les âmes montées vers le ciel ont pris l'option air conditionné. Si là-haut on a du coeur, il n'est pas de bois bien sur, mais de pierre. L'érosion est impitoyable. Elle ride et creuse le visage des pics. C'est vieux comme ça s'érode.

Comparez donc avec l'éternelle jeunesse de la plaine où le regard se perd dans la perfection du cercle. Le vent nettoie à son gré de temps en temps. Une ondulation flatte l'imagination, et tout là-haut, on voit bien qu'il n'y a rien, rien au-dessus des nuages, sauf des étoiles trop lointaines encore. Alors l'esprit est libre de vaquer à ses occupations terrestres. Il n'y a pas d'autre défi que celui permanent de l'horizon, il n'y a pas de col, d'autre coté inconnu ou caché, pas d'ombres matinales qui font attendre le soleil, pas d'ombres du soir qui le dévorent comme le loup garou. Le disque rouge sombre dans la mer des blés blonds. Il s'aplatit pour nous montrer nos illusions, notre atmosphère. Le soleil couchant sur la mer, cette autre plaine, archi-pleine comme une lune aux malines, enchanteresse, mère du cliché magique de la fin du jour, le couchant déborde, dégouline de lyrisme romantique de carte postale. Mais il est tellement vrai. Je l'aime avec des amas de nuages lointains, il me faut de la place, pas du rocher. Pas de compression anticlinal, synclinal. Je veux de l'expansion, je veux le big-bang du début ou de la fin, le milieu va disparaître de toute façon, le milieu n'est qu'histoire, petite histoire humaine culminant dans l'Himalaya. Certes on peut y monter à pied, et alors le cercle de l'horizon redevient accessible.
C'est ce que recherchent toutes ces fourmis des montagnes, une vision autre que verticale ; finie la chute, adieu le gouffre. L'esprit vole horizontal, comme \"tal\", la vallée teutonne au-delà des tétons, qui sont ronds dans l'ensemble et plus attirants que des pics à glaces pointus comme des stalactites qui tombent ou des stalagmites qui montent. Néanmoins, sur l'arête sommitale on voit l'agitation humaine d'un autre oeil, celui du cyclope illuminé qui distingue la ligne de partage des zoos dans les cages desquels nous nous agitons. C'est un pas en avant vers la sagesse qui ne doit pas se transformer en saut dans le grand vide. Ce moment historique se concrétise par l'agitation d'un petit drapeau à couleur, instant immortalisé par une technologie de nos jours le plus souvent japonaise. Tout cela reste très artificiel, et il est bon de ne pas oublier la quête de nos racines, gingembre, ginseng et autres potions aux effets parfois pervers.
Du haut, se dessine une géographie qui aide à comprendre. L'image du haut est celle de la connaissance, voire de la sagesse. Celle du bas va au cachot, punitions des oubliettes, régime basse calories sans rillettes. Mais il nous faut aussi des nourritures célestes, nous sommes tout de même faits de chair et de sang. IL est difficile de faire sans. Sans nourriture, veux-je dire, laquelle doit être équilibrée afin de permettre de s'élever, mais également succulente et stimulante pour les papilles ; car c'est là ce qui nous fait ensuite aller de l'avant. L'esprit ne vole que par son énergie et son altitude acquise. Négliger un de ces éléments, et il s'ébouse, hérisson écrasé sur la route d'un printemps prometteur.

Le temps joue en notre faveur puisqu'il brise nos chaînes et les transforme en plateaux, puis en bacs à sable. Il faut cependant s'en méfier car parfois il suspend son vol lui aussi, en fonction de revendications salariales, un peu comme à Air France. Un vol suspendu est plus facile à attraper par sa ficelle, mais il est fragile car il ne tient qu'à un fil. Si le fil casse, on a plus le temps, et c'est alors du temps perdu.

On voit que le chemin de la connaissance zen-plaine reste ardu et tortueux, mais moins abrupte malgré tout. Un premier survol aplanit les difficultés, purifié la pensée qui naît dans la source claire du torrent, fertilise les champs du savoir sans engrais azotés. Comme vous le voyez, je suis le bouddhiste des plaines, ce sera ma conclusion d'aujourd'hui, mais je reste bien sûr prêt à léviter à toutes vos questions.


Pascal Legrand

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