Récits des TVL

LA VRAISEMBLANCE DU DEPART 2010-06-19

Je commence par la fin pour éviter des erreurs d’interprétations du récit. Je ne dis pas que c’est compliqué à comprendre mais parfois les esprits tordus s’élancent sur des pistes mal balisées, et s’égarent dans les tourbières et les pierriers.

Là, c’est simple. Je pose à côté du cimetière, à la fin de mon vol. je précise tout de suite qu’il ne faut pas forcément y voir un symbole de fin de vie. Bien évidement, je préférerais finir en cendre, en l’air, ou sur l’eau, que six pieds sous terre, rongé par les vers et par l’angoisse de ne pas voir ce qui se passe.

La raison du cimetière, c’est le village proche ; et dans le village, le bar pour la soif, l’église pour l’ombre, la place pour le rendez-vous du retour.

C’est ainsi que je l’ai voulu, car je n’avais pas envie d’une longue marche avec mon gros sac à dos. Notez que ce n’est pas toujours désagréable, mais il se trouve que j’avais oublié de prendre ma réserve d’eau, et mon docteur m’a recommandé de ne pas me déshydrater pour éviter les crampes.

J’ai donc choisi de descendre volontairement et j’ai même dû insister un peu, ce qui est assez inhabituel car l’évolution aérologique diurne rend en général les conditions de vol plus agréables en fin de journée. Mais, là, ce n’était pas le cas. C’était peut être simplement que je m’étais déjà rempli la tête de belles images et que la fatigue s’installait. Je ne voyais personne derrière moi, j’avais fait la moitié du trajet et les nuages dans l’est devenaient plus contrastés, plus chou-fleur. Moi, je suis devenu sage et raisonnable, ou presque.

Il me semblait que l’air s’agitait. Déjà, en haut près du blanc je voyais parfois les barbules qui dansaient sur les cotés des ascendances. Enroulement, tourbillons, courants. Je préfère avoir mon aile au-dessus de la tête plutôt que devant mes pieds. La sarabande est trop rapide. Je m’autorise donc à atterrir, pas trop serein malgré tout, vu que ça bouge ; je garde mon aéronef gonflé au bout de mes petits doigts musclés. Je choisis le champ à coté du cimetière, donc, je soigne mon approche, je vise bien mon point d’aboutissement, rigueur aéronautique exige. J’ai les bonnes chaussures (et l’air bag), mais je pose sur la pointe des pieds : c’est toujours un plaisir quand la terre vous reçoit délicatement. La première fois où je suis arrivé sur terre, j’ai trouvé qu’ils avaient mis la lumière un peu fort. J’ai même pleuré car il y a une main qui m’a tapé.

Un petit coin d’herbe à l’ombre avec des fleurs pour plier le matériel, avec la vérification qui dit que je n’oublie rien, et j’attaque les quelques minutes de marche vers l’église. Tout parait beaucoup plus accidenté vu du bas.

En vol le plateau de Millevaches est beau avec ses lacs et son cadre : à l’est le Puy de Dôme posé retourné comme un flamby, puis le Puy de Sancy et le Plomb du Cantal, iguane et crocodile (ils ont perdu leur neige d’hiver). A l’ouest, l’océan invisible ; au nord et au sud des dégradés de bleu sur les ondulations du relief. Certains lacs s’étirent et scintillent, parcourus comme des mares par des araignées d’eau, d’autres papillonnent et vous attirent, car il faut dire que le sol n’est pas loin du ciel. 1000 mètres au-dessus de la mer, et 1000 mètres sous les nuages. Ces grandes étendues boisées, ces zones bien vertes accueillent quelques villages éparpillés.

Je vais de tracteur en faneuse dans les champs jaune clair au milieu du vert printemps, pour trouver plus loin quelque coupe de bois marron aux andins alignés. Une grande antenne clignote, les éoliennes blanches semblent nonchalantes. Il reste de la place, de l’espace, des rivières au milieu des épicéas noirs. C’est sûrement pour cela que je suis là.

Je vois devant moi une arche inversée de nuage. J’ai contourné la base du cumulus, je la vois à ma droite, plus bas, et devant moi un rejet se tend vers l’ouest avec un autre petit bout de nuage. Je suis assez haut et assez dégagé pour passer au-dessus. Le bleu que je vois devant est comme une fenêtre ouverte. Je frotte les pieds dans une ouate que je ne sens pas. Il fait frais. Je suis sur la bonne route. Je joue avec les éclairages.

J’ai l’illusion de maîtriser le temps et l’espace. Je vais vers le nord, mais je ne suis pas obligé d’aller jusqu’au bout. J’ai 360° à choisir pratiquement à chaque instant pour fixer mon regard, sur quelques repères et sur beaucoup d’éphémères mouvements d’air.

Les risées passent, sombres sur l’eau des lacs. Le temps passe. Des trains au panache blanc, locomotives noires, le chauffeur risquant l’escarbille, la marque des lunettes sur le visage comme le raton laveur, et Buster Keaton1. Si vous saviez tout ce que l’on croise en l’air. Au bout de quelques heures, il faut redescendre, c’est évident, voire préférable (pensez à l’accumulation d’urine).

Une fois sur la place du village, je contemple une statue d’enfant portant une grande coquille en vasque sur sa tête ; c’est la fontaine du dix-neuvième, d’un l’auteur inconnu, qui m’évoque le Manneken-pis. Plus tard, je n’en trouverai pas l’histoire dans l’inventaire du patrimoine. C’est curieux comme il reste toujours des questions. Une jolie place avec des géraniums, du granit, de l’eau potable et de l’ombre. Les martinets passent à toute allure, avec leur cri strident à l’extrême. Deux hirondelles d’une délicate finesse (pas le modèle des cheminées) batifolent sur un fil.

Attendre. C’est bien un rare cas où je trouve cette parenthèse justifiée, supportable, pas entièrement déplaisante. Denis me trouve comme prévu devant l’église. Nous partons vers de nouvelles aventures, guidés par la voix (du gps). Nous croisons un Fouga -magister, près de la stèle à la mémoire des combattants des airs (à Feniers), une vache ailée dans un bar (à Sainte Merd les Oussines)…et des taureaux et des tourbières.

Dans l’ensemble le retour se passe bien. De plus, si vous vous souvenez, j’ai commencé mon récit par la fin. Vous comprendrez donc facilement, pour cette fois, que je m’arrête derechef, sans autre forme de procès et en queue de poisson volant.

La prochaine fois, nous irons voir les caracaras et les urubus dans les arroyos de la serra.


(1) Ceci sera la seule allusion aux cheminots de ce récit car mon commanditaire SNCF prend sa retraite


Pascal legrand

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