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Lire… Marie Nicolas, L’égalité des armes devant les juridictions pénales internationales

Lire… Marie Nicolas, L’égalité des armes devant les juridictions pénales internationales

Institut Universitaire Varenne, 2016, 624 p.

 

 

L’égalité des armes est devenue, à travers la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), la pierre angulaire du droit à un procès équitable, c’est-à-dire un principe essentiel pour la manifestation de la vérité judiciaire et l’équité de la justice. Ainsi, « chaque partie doit se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de désavantage par rapport à son adversaire » (CEDH, Dombo Beheer B.V. c/ Pays-Bas, 27 octobre 1993, série A n° 274, § 33 ; CEDH, Bulut c/ Autriche, 22 février 1996, req. n° 17358/90, § 47 ; CEDH, Foucher c/ France, 18 mars 1997, req. n° 22209/93, § 34). En vertu de ce principe cardinal du procès équitable, chacune des parties doit pouvoir préparer sa cause, recueillir des éléments de preuve et répondre aux arguments de son adversaire dans des conditions similaires. Les juges pourront alors statuer avec acuité et équité, ce qui facilitera l’acceptation des décisions par les accusés, les victimes et la communauté internationale. C’est dire l’importance de l’égalité des armes pour la légitimité de la justice. Les juridictions pénales internationales et internationalisées (TMIN, TMIT, TPIY, TPIR, TSSL, CETC, CPI, TSL) doivent donc impérativement reconnaître et mettre en œuvre de manière efficace ce principe. Or, cette garantie rencontre d’importantes difficultés d’application devant ces juridictions, ce qui risque de décrédibiliser les décisions rendues (les difficultés se sont notamment manifestées devant la Cour pénale internationale dans l’affaire Le Procureur c/ Thomas Lubanga Dyilo qui a dû être suspendue un temps en raison de manquements à l’égalité des armes). Élaborée autour de cet impératif, cette recherche propose d’étudier l’égalité des armes comme moyen de renforcer la légitimité de la justice pénale internationale.

 

La première partie de cette étude est consacrée au processus de reconnaissance de l’égalité des armes dans ce contentieux spécifique. Elle révèle un important paradoxe : l’essor du droit international des droits de l’homme à travers l’influence de la CEDH a, dans un premier temps, conduit les juges internationaux à importer l’égalité des armes dans leur contentieux afin d’assurer sa légitimité. Mais dans un second temps, les juges ont procédé au cantonnement du principe tant dans son acception substantielle que dans sa mise en œuvre au nom de l’efficacité de la justice. C’est là toute l’ambiguïté de la reconnaissance de l’égalité des armes dans le procès pénal international. Le premier titre de cette étude met l’accent sur l’importation de l’égalité des armes recherchée par les juges. Ces derniers ont, en effet, d’abord tenté de découvrir ce principe dans les sources internes aux juridictions (statut et règlement de procédure et de preuve), mais à défaut de référence expresse à « l’égalité des armes » dans ces instruments, les juges ont ensuite dû recourir à des sources externes, telles que la coutume, les principes généraux du droit et les droits de l’homme, nonobstant leur valeur juridique inférieure dans la hiérarchie normative. En exploitant toutes ces sources du droit, les juges ont ainsi pu consolider la reconnaissance de l’égalité des armes dans leur procès. Cette démarche heuristique fondée sur une analyse approfondie de l’ensemble des sources du droit international pénal fait alors apparaître une réelle volonté de la part des juges d’importer ce principe dans leur contentieux. Toutefois, le second titre démontre que cette garantie procédurale se heurte à un autre objectif assigné à ces procès : la lutte contre l’impunité. Perçue comme un frein à la répression, l’égalité des armes a donc été limitée dans sa portée : non seulement son champ d’application a progressivement été cantonné, mais en plus, les conditions procédurales adoptées par les juges rendent sa mise en œuvre particulièrement contraignante. Par conséquent, l’égalité des armes ne s’applique que dans des hypothèses limitées (égalité juridique formelle non exclusivement réservée à l’accusé et s’exerçant sur les circonstances contrôlées par la juridiction). Or, cette acception restrictive ne permet pas de couvrir les situations qui portent précisément atteinte à l’équilibre procédural, comme l’absence de coopération des autorités nationales avec une partie l’empêchant d’obtenir des preuves nécessaires à sa cause ou encore la différence de moyens matériels. De même, les conditions de mise en œuvre de l’égalité des armes sont très contraignantes (la partie alléguant une rupture de l’égalité des armes doit la soulever le plus tôt possible dans une requête écrite, motivée et détaillée), ce qui a pu conduire à des situations iniques de constat d’inégalités, sans que pour autant celles-ci ne soient sanctionnées par crainte de devoir mettre un terme à des poursuites pour des motifs procéduraux. Dès lors, une ambiguïté s’est clairement manifestée dans la reconnaissance de l’égalité des armes en droit international pénal, ce qui s’avère insuffisant au regard des exigences d’équité et de légitimité de la justice.

 

La seconde partie de cette étude se concentre sur l’application de l’égalité des armes devant les juridictions pénales internationales et internationalisées. Or, l’examen de la structure et de la procédure de ces juridictions révèle que l’équilibre entre les droits des parties reste encore à construire. Le premier titre permet, en effet, de mettre en exergue les déséquilibres sur lesquels ces juridictions reposent. Ce sont d’abord les déséquilibres structurels qui se manifestent car la défense, « pilier oublié », manque de moyens pour réaliser ses missions, contrairement au bureau du procureur, organe « tout-puissant ». De plus, les conseils de la défense sont uniquement protégés par une immunité fonctionnelle et leur responsabilité professionnelle est entière, tandis que le procureur bénéficie d’une immunité diplomatique et sa responsabilité professionnelle reste faible. Ensuite, c’est l’illusion d’un équilibre procédural qui se dessine : si les juridictions ont progressivement reconnu des garanties au profit des accusés, ces dernières rencontrent, en pratique, d’importantes difficultés d’application. En effet, les droits d’être informé des charges, d’obtenir la communication des preuves à décharge, d’être présent au procès et de contester les preuves avancées par son adversaire s’avèrent inefficaces en raison de nombreuses exceptions, de dévoiements observés dans le recours à certaines prérogatives (notamment dans la conclusion des accords de confidentialité devant la CPI) et de l’absence de sanction en cas de violation de ces droits procéduraux (seule la suspension de la procédure a été prononcée le temps de rétablir l’égalité des armes). Partant, pour redonner sa valeur de principe directeur à l’égalité des armes, des propositions de rééquilibrages sont effectuées dans le second titre de cette recherche. Il est plus particulièrement suggéré, en s’inspirant de l’esprit du droit allemand, de créer une chambre de l’enquête devant la CPI pour renforcer le contrôle de l’équilibre de la phase précontentieuse par l’autorité judiciaire. En outre, il est proposé de transformer l’audience de confirmation des charges en étape intermédiaire afin que l’autorité judiciaire s’assure davantage de la régularité et de la loyauté des enquêtes. Quant aux futures juridictions, elles pourraient opter pour un modèle plus ambitieux en supprimant ab initio les déséquilibres précontentieux. La création d’un collège d’instruction indépendant et impartial permettrait de placer la charge de l’enquête entre les mains des juges et non entre celles des parties. Le déséquilibre inhérent au lien procédural entre le procureur et l’accusé disparaîtrait alors et chacune des parties aurait les mêmes droits d’intervention dans la procédure. De la sorte, l’égalité des armes pourrait retrouver sa valeur de principe directeur du procès rendant toute sa légitimité à la justice pénale internationale.

 

Les résultats de cette étude révèlent les difficultés rencontrées par la justice pénale internationale tiraillée entre deux objectifs complémentaires : l’efficacité de la lutte contre l’impunité et la recherche de légitimité. Or, en choisissant de privilégier l’efficacité sur la légitimité, c’est le système judiciaire tout entier qui risque d’être déstabilisé. Par conséquent, le postulat selon lequel tout principe procédural empêcherait la justice d’être rendue devra désormais être écarté et remplacé par une priorité supérieure selon laquelle, sans égalité, il n’y a pas de justice. Cette formule doit dorénavant trouver une résonance particulière dans ce contentieux destiné à juger les auteurs de crimes internationaux. Plus le crime est grave, plus il est fondamental que toutes les garanties d’équité soient accordées afin que la justice rendue soit acceptée de tous et par tous. C’est donc en (re)trouvant le juste équilibre, celui qui conduit à des décisions légitimes, que la justice pénale internationale sera rendue avec qualité.

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