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Aurélien-Thibault Lemasson, Représentation et indemnisation des victimes devant la Cour pénale internationale

Représentation et indemnisation des victimes devant la Cour pénale internationale

Aurélien-Thibault Lemasson[1]

Professeur à l’Université du Littoral Côte d’Opale, Membre de l’OMIJ (EA-3177)

Rares sont les procureurs internationaux qui, comme Mme Carla Del Ponte, se sont battus pour que les victimes soient représentées et indemnisées à l’occasion des procès. Que la “présence” de la victime soit au cœur de l’action des juridictions internationales pénales, et de leurs procureurs, est une réalité communément admise, presque banale aujourd’hui. Mais que la victime civile puisse être juridiquement “représentée” par un avocat chargé de porter sa voix dans le procès international pénal constitue une innovation considérable. La victime civile des conflits se transforme ainsi pour l’avenir en partie civile à la procédure.

Tout l’enjeu consiste à déterminer comment sont traitées les victimes des crimes les plus graves qui puissent être commis sur Terre : le génocide, les crimes contre l’Humanité, les crimes de guerre et le crime contre la paix. Quels droits leur accorder dans la procédure menée devant les juridictions internationales pénales dont beaucoup siègent à La Haye ? L’engouement récent pour les victimes des crimes internationaux correspond à un changement durable de perspective car il contraste fortement avec la conception traditionnelle. La victime de tel acte de guerre illégal a longtemps été diluée, dans son individualité, dans un ensemble infini de victimes. Si l’on prend l’exemple du “crime contre l’Humanité”, c’était donc l’Humanité tout entière qui en était indéfiniment la victime, sans qu’il soit possible, ou même souhaitable, de chercher à faire en son sein quelque distinction.

La limite d’une telle conception, qui découlait finalement du caractère hors du commun des crimes contre la paix et la sécurité de l’Humanité, était d’en déduire à tort, et sans vraiment avoir jamais osé le formuler expressément, que les victimes ne pouvaient jouer aucun rôle dans la procédure internationale pénale, ou alors un rôle seulement passif. Or, les victimes d’un crime international ressentent exactement les mêmes besoins que les victimes d’un crime commis en France, sauf à reconnaître que l’intensité de leurs attentes augmente justement en proportion de la gravité des crimes dont elles subissent les conséquences. Est-il dès lors possible de définir des critères de légitimité permettant d’identifier, dans la masse indéterminée de l’Humanité, les seules victimes véritables qui subissent un préjudice direct, que ce soit immédiatement ou par contrecoup, mais en toute hypothèse par opposition au préjudice indirect que subit le reste du genre humain ? Est-il ensuite possible de rassembler l’ensemble des droits et prérogatives que le droit international pénal reconnaît aux victimes, mais avec quelque dispersion, pour mieux en induire un principe directeur de la procédure ? Cela suppose tout d’abord de définir les trois termes du sujet de manière simple et compréhensible.

La victime désigne traditionnellement toute personne qui subit un préjudice à la suite de la commission d’une infraction pénale, quelle que soit sa gravité. Toutefois, le droit français ne donne aucune définition, même sommaire, de la victime qu’il réduit souvent à la figure abstraite d’« autrui » ou de la « partie lésée ». L’étymologie enseigne cependant que le latin victima désigne à l’origine la créature vivante que l’on offre en sacrifice aux dieux. La victime devrait donc seulement désigner la personne qui subit les conséquences d’un crime atroce, souvent corporel voire mortel. Le mot “victime” est ainsi rarement employé avant la fin du XVème siècle en raison de sa connotation fortement sacrificielle[2]. Mais cette connotation mutilatrice convient parfaitement aux souffrances éprouvées par les victimes de guerre.

En matière de crimes internationaux, la figure prédominante de la victime est en effet celle d’une personne “privée” – généralement une personne physique – qui est atteinte dans son intégrité ainsi que dans sa dignité d’être humain, notamment dans ses sentiments ou son affection. Sans oublier pour autant les atteintes aux biens que des spoliations massives peuvent causer. Le propos se concentre sur la condition des victimes de crimes internationaux devant la Justice internationale pénale[3]. Mais les conclusions et les démonstrations que l’on tire des exemples ayant suscité la création d’une juridiction internationale pénale peuvent inspirer la mise en œuvre de réponses judiciaires devant les justices nationales. L’espoir est même qu’elles soient généralisées et servent un jour à rendre la justice aux victimes des “crimes oubliés de l’histoire” qui restent encore dans l’ombre, parfois loin des yeux et du cœur de l’Occident. Une juridiction a ainsi pu être créée en 2004 au Cambodge, une trentaine d’années pourtant après les crimes perpétrés par les Khmers Rouges pendant leur dictature.

La justice internationale pénale désigne donc les organes judiciaires chargés d’appliquer le droit international pénal. Le « droit international pénal » désigne dans ces travaux la branche du droit international qui régit les crimes dont la nature est de protéger les exigences fondamentales de la civilisation humaine[4]. L’interdiction et la punition des crimes internationaux garantissent donc la société humaine contre les agissements les plus graves et les plus nuisibles à ses intérêts vitaux. Elles protègent les valeurs fondatrices dont seul le respect assure la survie du genre humain. C’est le droit international pénal qui met en œuvre pénalement les conventions internationales de Genève (1949) que l’on désigne souvent sous le nom de « droit international humanitaire ». La justice internationale pénale est ainsi l’un des procédés à la disposition de la société internationale pour assurer la primauté de la personne humaine, le respect absolu de sa dignité ainsi que le maintien de la paix à une échelle internationale[5]. La question qui se pose dès lors est celle de la condition de la victime devant cette justice internationale pénale dont la légitimité s’installe progressivement.

L’action civile est enfin le nom sous lequel les juristes français désignent l’action que la victime peut porter en justice pour obtenir la réparation du préjudice causé par une violation de la loi pénale[6]. L’action civile peut donc être définie comme « l’activité procédurale exercée par la victime d’une infraction pour faire constater par le juge compétent la réalité du préjudice né de cette infraction, établir la responsabilité du délinquant dans la production du préjudice et obtenir l’indemnisation ou les restitutions nécessaires »[7]. Elle appartient directement à tous ceux qui ont souffert personnellement d’un préjudice, et peut être exercée en même temps que l’action publique du procureur ainsi que devant les mêmes juges. En raison de cette unité de temps, de lieu et de propos, le droit pour le procureur de demander qu’une peine soit appliquée à l’accusé et le droit pour la victime de demander à obtenir une réparation, sont donc susceptibles d’être soutenus dans la même instance judiciaire pour qu’ils soient dits ensemble bien ou mal fondés. L’auteur des faits a bien entendu le droit de contredire l’ensemble de ces prétentions, en tant qu’accusé au pénal et que défendeur au civil.

La victime se trouve ainsi au cœur d’une tension permanente entre le droit continental et le droit anglo-saxon. La procédure internationale criminelle présente cette spécificité de greffer des apports issus du droit romano-germanique sur un fondement censé demeurer de droit anglo-saxon. Les emprunts à la procédure “continentale” sont pourtant tellement importants que les juristes de tradition britannique ou américaine ne reconnaissent plus la procédure applicable. Ils s’étonnent surtout de la création devant la Cour pénale internationale d’une véritable phase préliminaire de mise en état de l’affaire. Cette mise en état est désormais confiée à des juges distincts de ceux qui composent la formation de jugement. Ils sont alors spécialement chargés de contrôler la façon dont le procureur international mène l’enquête et la poursuite avant le procès. L’objectif consiste à déterminer quels sont en conséquence les droits procéduraux appartenant aux victimes – ou susceptibles de leur appartenir[8].

Les victimes de la criminalité internationale sont-elles susceptibles d’être considérées comme des « parties civiles » sur le modèle qui existe sur le continent européen, tout particulièrement en France et en Belgique (A) ? La procédure suivie devant la Cour pénale internationale ainsi que devant les juridictions spéciales pour le Cambodge, le Liban[9] et le Timor oriental permet une intervention accrue des victimes pour prendre en compte activement leurs attentes (B). Le constat s’impose ainsi à l’analyse que les spécificités du droit international pénal l’ont amené à surmonter la contradiction entre procédure romano-germanique et procédure anglo-saxonne pour en faire la conciliation en développant son propre modèle que l’on peut qualifier de « contradictoire ». Ces recherches trouvent donc un aboutissement en faveur de la reconnaissance d’une action civile internationale (C) dont la consécration devient ainsi possible par la voie subsidiaire que les pénalistes nomment l’intervention ou l’adhésion (D).

A) Introduction à la question de la victime devant la justice internationale pénale

Dans quelle mesure peut-il exister une action civile internationale dont les victimes d’un crime international par nature pourraient saisir la justice internationale pénale ? Le professeur Hervé Ascensio soutient qu’une préoccupation pour les droits des victimes intègre progressivement la procédure internationale pénale[10]. Si « le développement des droits des victimes est favorablement perçu », leur transcription juridique devrait justement prendre la forme d’une action civile internationale. La doctrine commence en effet à relever la nouveauté qui consiste, dans les traités actuels, à permettre aux juridictions internationales pénales « de connaître en même temps d’une action visant à la rétribution, exercée par le ministère public, et d’une action visant à la restitution ou à la réparation, qui pourrait être exercée individuellement par la victime ». Le professeur Rafaëlle Maison relève ainsi que la victime individuelle devient « titulaire d’un droit à la réparation » des dommages résultant de la perpétration du crime international, un droit qui découle de la procédure elle-même[11].

Une autre doctrine met même en lumière « l’intégration contrôlée » de la victime dans la procédure en tant qu’ « actrice à part entière » à laquelle des droits de participation seraient ainsi distribués « sous la tutelle du juge »[12]. Seulement cette doctrine part malheureusement de « l’hypothèse d’un statut à géométrie variable concourant certainement à l’éclatement » des droits aménagés au profit des victimes. L’auteur semble hésiter, concernant la nature de l’intervention de la victime à la procédure internationale pénale, entre la « rationalité » et l’« ambiguïté ». Ainsi, « le schéma des droits de la victime » ne serait-il pas « un modèle d’unité » mais « une sorte de constellation » dont « les variables [seraient] trop nombreuses ». Toutefois, il reconnaît que « l’arborescence générale » des droits susceptibles d’être conférés aux victimes « ne constitue nullement un bloc indivisible mais des branches plus ou moins indépendantes d’un même tronc ». C’est précisément ce « tronc » commun qu’il est possible d’identifier comme une action civile internationale en émergence. Le droit d’accès des victimes à la justice internationale pénale en sort en effet consolidé si on le conçoit « comme un régime général de participation qui s’applique à tous les stades de » la procédure[13].

Un sentiment général d’inachèvement saisit en conséquence l’interprète des textes face à la construction doctrinale et jurisprudentielle qui en résulte pour l’instant[14]. L’action civile internationale serait ainsi une innovation considérable ouverte pour toutes les conséquences du dommage souffert, aussi bien matérielles que corporelles ou morales, qui découlent des faits objets de la poursuite pénale[15]. Son objet ne serait toutefois pas seulement la protection et l’assistance de la victime ainsi que la réparation des préjudices éprouvés, mais également la participation de cette dernière à l’établissement de la réalité des dommages imputables à l’auteur des faits, dans l’exercice d’une forme de “vindication”. Les prérogatives et les droits de la victime, en tant que partie lésée au procès international pénal, s’organisent ainsi selon trois axes autonomes mais complémentaires que la victimologie désigne comme l’accompagnement, la reconnaissance et le rétablissement.

Le droit international pénal participe déjà depuis deux décennies à l’objectif classique d’accompagner les victimes en leur offrant des mesures de protection et d’assistance qui relèvent d’une mission que les psychologues identifient parfois comme la “rassurance”. La procédure internationale pénale offre désormais des prérogatives modernes qui remplissent l’objectif de reconnaître les dommages que le crime a causés. La faculté de participer à toutes les phases du procès[16] s’analyse donc en l’exercice d’une véritable vindication susceptible de renforcer l’hypothèse d’une action civile par la voie de l’intervention. Enfin, l’objectif de rétablir les préjudices éprouvés explique la mise en place de modalités efficaces de réparation soit par réhabilitation, morale ou symbolique, soit par dédommagement matériel.

Dans un premier temps, les prérogatives de la victime peuvent donc être analysées – selon une démarche ascendante – telles qu’elles existent d’ores et déjà devant toutes les juridictions internationales pénales de l’histoire, du début jusqu’à la clôture de la procédure. Dans un second temps, doivent être ensuite traités – selon une démarche descendante – la définition de la victime ainsi que le rôle abstrait qu’elle devrait remplir dans le procès mené devant la Justice internationale pénale. Il s’agit alors d’engager une réflexion sur la juste place qu’il convient de conférer à la victime pour en déduire de nouvelles applications concrètes.

B) L’émergence progressive de la victime devant la justice internationale pénale

Chronologiquement, la progression des droits des personnes lésées par la criminalité internationale s’est faite en trois étapes devant la justice internationale pénale. Il est d’ailleurs tout à fait logique que ces trois étapes correspondent justement à celles de l’affermissent de la justice internationale pénale dans l’histoire contemporaine. Les victimes ont été successivement absentes, et par conséquent presque inexistantes, devant les juridictions militaires internationales créées après la Seconde Guerre mondiale. La victime apparaît surtout à partir des années 1990, devant les Tribunaux pénaux internationaux, ainsi que devant les premières juridictions hybrides assimilables à eux. Cela a été l’occasion d’une prise de conscience de la nécessité d’un traitement individualisé de la victime dans la procédure internationale criminelle, mais alors seulement dans la mesure où elle peut être utile comme témoin à la démonstration du procureur, voire de la défense. À l’aube du troisième millénaire, la victime reçoit enfin les prérogatives d’un véritable acteur du procès, susceptible de participer activement et efficacement à la manifestation de la vérité. Il s’agit d’une réalité qui se vérifie quotidiennement devant la Cour pénale internationale de La Haye ainsi que devant les juridictions établies pour le Liban et surtout au Cambodge.

Historiquement, les victimes ne jouent aucun rôle indépendant devant les Tribunaux militaires internationaux. Dans l’immédiat après-guerre, la répression internationale des crimes les plus atroces de l’histoire s’opère sans aucune considération procédurale pour les victimes directes de ces agissements. Le droit écrit applicable devant les Tribunaux de Nuremberg et de Tokyo ne se préoccupe effectivement de la victime – et encore, sans que le mot “victime” n’y apparaisse jamais – qu’en tant qu’élément constitutif des incriminations retenues contre les grands criminels de l’Axe. L’explication d’un tel silence dans les textes – et par conséquent presque dans le déroulement des procès – se trouve notamment dans l’abondance de preuves documentaires. Les régimes fascistes avaient en effet laissé en Allemagne comme au Japon suffisamment de documents à charge, compte tenu de l’hypertrophie de leur administration centralisée autour d’un État omnipotent[17]. L’étude des victimes devant les juridictions militaires internationales n’est pas impossible mais nécessairement limitée et leur absence – ou quasiment – dans les quelques développements qui suivent souligne davantage encore les lacunes du droit d’après-guerre entre 1945 et 1948.

À la fin du XXème siècle, devant les Tribunaux de La Haye et d’Arusha, l’individu lésé par le crime international apporte avant tout un témoignage[18]. S’il est accessoirement reconnu comme « victime », c’est sans pour autant lui octroyer le moindre rôle d’acteur au procès international pénal. Ainsi, la victime – dont le témoignage est en quelque sorte instrumentalisé pour servir les intérêts de la justice – est-elle seulement traitée comme un auxiliaire des parties principales. Elle reste donc en dehors du groupe des acteurs à la procédure internationale criminelle puisqu’elle est seulement considérée comme un témoin utile à l’établissement des faits, eux-mêmes constitutifs d’une violation grave du droit international. Les intérêts de la victime sont alors censés être suffisamment représentés par le procureur, dont le mandat est d’agir au nom des intérêts de la communauté internationale tout entière. La participation d’un avocat spécifiquement pour représenter les vues des victimes en tant que « troisième partie au procès » aurait en effet risqué de prolonger démesurément les débats judiciaires[19]. Les victimes relevant du droit privé, personnes physiques ou morales, sont donc rabaissées au rang d’objets du droit international pénal aussi longtemps qu’elles “servent” uniquement comme témoins, généralement à charge. Le même constat vaut devant les premières juridictions hybrides établies au Timor oriental (à l’origine)[20] et en Sierra Léone.

En effet, les critiques se multipliaient contre le rôle limité des victimes devant les Tribunaux pénaux internationaux qui leur accordent certes une place mais muselée[21]. Le rôle des victimes dans la poursuite des individus responsables de crimes dits universels reste donc longtemps « essentiellement limité » aux plaintes déposées devant la justice nationale[22]. La création de la Cour permanente de La Haye en 1998 fait enfin de la victime une « partie prenante » au procès international pénal, même si elle n’exerce pas forcément ses droits à égalité d’armes avec le procureur et l’accusé. La victime reçoit ainsi une série de prérogatives qui lui assurent la garantie d’une protection efficace dès l’ouverture du procès ; puis d’une participation utile dans le cours des débats où elle peut être autorisée par la Cour à exprimer activement ses vues et préoccupations chaque fois que ses intérêts personnels sont concernés (article 68 § 3) ; ainsi qu’une réparation effective à la clôture de la procédure (article 75). Le plaidoyer le plus vibrant est fait en août 1999 par la Colombie dans un « commentaire » relatif à « l’accès des victimes à la Cour pénale internationale »[23]. La doctrine salue l’humanité avec laquelle cette proposition rappelle la “victimisation secondaire” ou la “revictimisation” dont les victimes souffriraient si elles n’étaient pas effectivement incluses dans le système mondial de politique criminelle mis en place avec le statut de Rome. La délégation colombienne plaide donc – avec le soutien de la France, du Costa Rica, de l’Italie et des Pays-Bas – pour que la victime ne soit plus jamais transformée en « convive de pierre », telle une intruse à peine tolérée dans la procédure, une « grande absente » du procès.

Si les premières années ont pu laisser émerger la crainte d’un espoir déçu concernant l’admission des victimes à la procédure internationale, les demandes de participation sont désormais déclarées recevables de façon exponentielle, sans que le fonctionnement de la Cour n’en soit spécialement affecté. Quantitativement, les victimes admises à intervenir dans les procès devant la Cour se comptent par dizaines dans la première affaire Thomas Lubanga Dyilo (République Démocratique du Congo)[24]. Elles se comptent par centaines dans les deuxième et troisième affaires Germain Katanga (RDC)[25] et Mathieu Ngudjolo Chui (RDC)[26]. Elles se comptent ensuite par milliers dans la quatrième affaire Jean-Pierre Bemba Gombo (République centrafricaine)[27]. Les demandes de participation et de réparation pourraient se compter par dizaines de milliers dans l’enquête concernant le Kenya où un procès en première instance est ouvert le 10 septembre 2013. Et même à l’avenir concerner des centaines de milliers de victimes dans l’enquête sur la Lybie pour laquelle le fils de Mouammar Kadhafi, Saïf Al-Islam, est recherché pour crimes contre l’Humanité. D’un point de vue qualitatif, les premières décisions rendues dans l’affaire Lubanga Dyilo à partir de janvier 2006 ont posé des jalons qui ont ensuite été précisés dans la deuxième affaire Katanga avant d’être confirmés systématiquement par la suite. On peut donc considérer aujourd’hui que la jurisprudence de la Cour est établie durablement concernant les critères de définition et de participation des victimes à la procédure. Il en va de même au Cambodge et au Liban.

La victime est longtemps restée l’objet d’une procédure centrée sur “l’endroit du crime”, c’est-à-dire sur l’auteur des faits, alors que le phénomène criminel peut aussi être observé “à l’envers”, sous l’angle opposé mais complémentaire des attentes de la partie lésée. Ainsi, la victime n’est-elle plus le ‘faire valoir’ de la justice mais elle en devient un protagoniste dynamique dont les observations apportent une contribution déterminante au procès. Le législateur érige un véritable principe directeur de la procédure internationale pénale lorsqu’il affirme aussi nettement le droit de la partie lésée d’exercer dorénavant des prérogatives susceptibles de caractériser une action civile par voie d’intervention. Ses droits à réparation après la déclaration de culpabilité s’ajoutent donc à ses prérogatives de protection et de participation pendant les premières phases du procès. Leur combinaison manifeste ainsi l’émergence actuelle d’une action civile internationale dont la consécration est tout-à-fait souhaitable.

C) Le plaidoyer pour la consécration d’une action civile internationale

En droit international, les victimes sont longtemps restées les grandes ‘oubliées de l’histoire’ jusqu’au drame, que l’on croyait à l’époque sans commune mesure, de la Shoah. La recherche démontre aujourd’hui que la justice internationale pénale peine à offrir aux victimes un traitement uniforme. La position de la victime en procédure internationale pénale apparaît en effet de prime abord comme une constellation de variables en quête d’achèvement, qu’il convient précisément d’organiser et de rationaliser en une action civile internationale. Avec la contestation croissante du rôle central accordé aux États y compris dans la répression internationale, les victimes ne peuvent plus se satisfaire d’une gestion des conflits par la seule voie de l’action publique[28]. L’espoir ressurgit alors de leur permettre d’exprimer directement leurs plaintes par le biais d’une action civile internationale. En effet, les victimes de la “criminalité en col vert” (la criminalité de guerre commise par les militaires) ou de la “criminalité en col doré” (par référence aux dorures des palais du pouvoir politique) déploient des efforts étonnants pour accéder au statut de parties intervenantes à la procédure internationale pénale. Leur objectif est justement de ne plus être rabaissées à un statut passif de victime, voire de s’y complaire, mais de se saisir activement, comme parties civiles, de la défense de leurs intérêts lésés par la commission de l’infraction.

La reconnaissance d’une action civile présente l’avantage de coiffer l’ensemble des prérogatives de la victime qui progressent devant toutes les juridictions internationales. Même celles qui semblent de prime abord reconnaître les droits les plus modestes aux victimes participent en réalité déjà de ce mouvement. En effet, la victime y est habilitée au minimum à demander des mesures de protection ou d’assistance dès le seuil du procès, voire à demander la restitution de sa propriété légitime à la fin de l’instance pénale, comme devant les TPI. Dès lors, elle est titulaire d’un intérêt à agir que des prérogatives de participation active et de réparation effective viennent désormais compléter devant la Cour pénale internationale. Ainsi, le mécanisme romano-germanique de l’action civile peut-il sérieusement être transposé à la répression et au rétablissement des crimes internationaux. Toutes les prérogatives de protection (accompagnement), de participation (reconnaissance) et de réparation (rétablissement) appartenant aux victimes sont alors rassemblées dans une action unique. La dispersion, sinon les lacunes, des textes en vigueur sont donc dépassées et de nouvelles applications pratiques peuvent être déduites de l’existence d’une action civile internationale.

Quel enseignement tirer, à l’hiver 2015, de cette évolution du statut des victimes du silence à “l’utilitarisme” et finalement à la reconnaissance de leurs droits ? La Cour pénale internationale s’est prononcée le 17 août 2012 dans l’affaire Lubanga sur les principes applicables aux réparations pour les victimes mais cette décision fait actuellement l’objet d’un recours en appel. Des décisions portant sur les réparations susceptibles d’être allouées aux victimes sont attendues ultérieurement dans l’affaire Katanga. Devant les Chambres extraordinaires cambodgiennes, dans l’affaire Kaing Guek Eav alias « Duch », les parties civiles présentent un grand nombre de demandes de réparation précises : l’octroi de soins médicaux et psychologiques pour les victimes médiates et immédiates ; la décision de donner à des bâtiments publics le nom de victimes et la mise en place de plaques d’information ; l’organisation de cérémonies commémoratives ; et la construction de mémoriaux tels que des pagodes, des clôtures de pagode et des monuments… Mais les juges accordent seulement la compilation de toutes les excuses et de toutes les déclarations de reconnaissance de responsabilité faites par le condamné au cours du procès[29], y compris en appel[30]. Cette compilation est publiée le 16 février 2012 pour assurer l’information du public et le rétablissement des victimes. Toutes les autres demandes de réparation sont rejetées. Entretemps, le mouvement vers une action civile en droit international pénal est conforté par l’ouverture de nouveaux procès sur le fond devant les Chambres cambodgiennes, où plus de cent vingt victimes se constituent parties civiles ; ainsi que devant la Cour pénale internationale. Le paradoxe est que les prérogatives de la victime du crime international s’affermissent d’ores et déjà au cœur du procès, alors même que sa place n’y est manifestement pas encore consacrée – bien que la dégager soit tout à fait envisageable.

La criminalité internationale par nature évolue dans l’outrance, tellement la culpabilité des responsables sort du commun. La justice internationale pénale assume ainsi une fonction civilisatrice sous-jacente, contre toutes les formes de réification de l’individu ou de profanation de son identité, pour renouer la confiance des victimes et des citoyens dans le genre humain. Tout l’enjeu réside alors dans la nécessité de cerner, dans cette masse indéterminée, le groupe des seules victimes légitimement admissibles à se constituer parties à la procédure internationale criminelle. Comme il existe un lien étroit et indissociable entre les règles de forme et les règles de fond, le poids de la victime pénale en procédure internationale est inversement proportionnel à la largesse de sa définition. La consécration d’une action civile internationale est devenue parfaitement envisageable pour permettre aux victimes de jouer, par principe, un rôle actif dans le procès. La jurisprudence désavoue ainsi de manière cinglante l’appréhension traditionnelle du ministère public en matière de participation des victimes. La reconnaissance que le crime international engendre des victimes, au sens pénal du terme, permet donc de définir les conditions de recevabilité de leurs demandes[31].

La victime ne reçoit pas en droit international pénal la faculté d’initier la procédure, mais elle bénéficie progressivement de la consécration d’une action civile internationale par voie d’adhésion[32]. Il convient de rassembler l’ensemble des prérogatives et des droits de la victime dans une unique « action civile internationale » ou « action privée internationale » consacrée à son bénéfice[33]. L’une ou l’autre expression entraîne pour elle – sans aucune distinction de nationalité ni de lieu de résidence – d’une part, le droit de participer aux poursuites criminelles contre l’individu poursuivi par le procureur et d’autre part, le droit de demander réparation du préjudice causé par la réalisation d’un dommage assurément illicite[34].

D) La conclusion sur une possible action civile internationale par intervention

En avril 2010, le Bureau du procureur près la Cour pénale internationale précise, dans un document préparatoire à la conférence de Kampala (Ouganda), sa politique à l’égard de la participation des victimes. Le Bureau y reconnaît explicitement que « d’après le Statut de Rome, les victimes sont les acteurs de la justice internationale plutôt que ses sujets passifs. Leur participation est un droit statutaire, non pas un privilège qui serait accordé sur la base d’une appréciation au cas par cas »[35]. Le 8 juin 2010, la conférence de révision reconnaît en préambule « que le droit des victimes à un accès égal et effectif à la justice, à bénéficier d’une protection et d’un soutien, à obtenir sans tarder réparation adéquate du préjudice subi et à avoir accès aux informations pertinentes concernant les mécanismes de recours disponibles en cas de violation, constitue un élément essentiel de la justice » (§ 5). La victime d’un crime international entend en effet désormais s’associer au châtiment du coupable pour faire constater au juge international pénal qu’il a adopté un comportement hautement répréhensible, ayant généré pour elle directement un préjudice dont il est légitime qu’elle demande à la fois la reconnaissance (aspect vindicatoire) et le rétablissement (aspect réparateur). La véritable aspiration de la victime consiste donc à retrouver un pouvoir sur le monde qui l’entoure. C’est cette quête unique de mettre fin à l’impuissance qui soutient essentiellement ses soucis indivisibles d’être reconnue en qualité de victime par la justice humaine et d’être rétablie dans ses droits, dans tous les sens du terme. Les notions de vindication et de réparation désignent donc les objectifs complémentaires vers lesquels tend l’action civile qui émerge en procédure internationale criminelle. Elles représentent les deux visages indivisibles de l’action civile internationale dont la consécration se déroule assurément sous nos yeux[36].

  1. L’action civile comme remède à l’impuissance de la victime d’un crime international

Finalement, le mot-clef réside sans doute dans l’impuissance dans laquelle la criminalité internationale plonge la victime durablement. La commission d’un crime implique, par définition, que la victime soit impuissante à en éviter la réalisation[37]. Cette impuissance perdure ensuite aussi longtemps qu’elle ne recouvre pas, selon la terminologie des sociologues et des psychologues, sa dignité d’être humain, son visage humain, son pouvoir d’être au monde… Les attentes que l’on a identifiées comme primordiales devant la justice internationale pénale – à savoir la protection, la participation et la réparation – cachent en réalité une même soif chez la victime d’en finir avec l’impuissance. La victime ressent en effet instinctivement, sans pouvoir toujours le nommer comme tel en général, le désir de recouvrer une forme de puissance dont elle a été privée à l’instant même où l’auteur des faits commettait sur elle un crime qui bouleverse la conscience humaine : la négation injuste de son appartenance au genre humain.

  1. L’action civile comme réinvestissement de la victime d’un crime international

L’impuissance est le mal dont souffre la victime aussi longtemps que les poursuites internationales n’aboutissent pas à la reconnaissance de la responsabilité du défendeur et à sa condamnation à en réparer les conséquences. La manière dont l’action publique internationale éclipse pendant longtemps les attentes de la victime est évidemment ressentie comme une victimisation secondaire – ou une « revictimisation » – puisqu’elle entretient, voire renouvelle, l’impuissance de la victime à redevenir actrice de son destin et gardienne de ses intérêts propres[38]. L’action civile internationale est justement le moyen lui permettant de commencer à sortir de son statut d’objet de procédure, par définition passif, afin d’en redevenir un sujet, par définition actif. Participer au procès, c’est pour la victime avoir une action dans le cours de la justice internationale pénale, donc y agir en tant que sujet de droit. En latin, le particeps désigne justement « celui qui participe », c’est-à-dire « celui qui prend part » selon l’étymologie de ce verbe. À cet égard, il est caractéristique que la doctrine définisse l’action civile comme une « activité procédurale » par opposition à la passivité que la victime subit dans les faits, à l’occasion d’une guerre, et en droit, avant le Statut de Rome. L’action civile internationale est donc le facteur qui tend à éradiquer l’impuissance de la victime en refaisant d’elle une personne, un acteur dynamique à part entière. Ce but ultime peut finalement être désigné comme l’inverse exact de l’impuissance de la victime, à savoir son réinvestissement qui passe forcément par l’émergence d’une forme de pouvoir.

  1. L’action civile comme aboutissement de l’évolution du droit international pénal

À l’aube du troisième millénaire, l’avènement de la Cour pénale internationale lui permet enfin d’être accueillie en tant que véritable partie intervenante qui joint son « action » à celle du procureur, ce qui n’est pas exclusif de quelques terrains d’entente, le cas échéant, avec la défense.

Au terme de cette analyse, il est possible de conclure que la victime de la criminalité internationale par essence peut dorénavant être considérée comme une partie jointe qui agit, par voie accessoire, au soutien de l’action publique que le procureur exerce au nom de la communauté internationale. C’est alors le système dit de l’action civile par voie « d’adhésion » ou « d’intervention » qui fait de la victime une partie contingente du procès. La seule réserve consiste à mettre en garde la victime, ou le lecteur, contre le risque de désenchantement si la jurisprudence devait un jour inverser sa tendance actuelle à ouvrir progressivement les critères d’attribution de l’action civile internationale. Qu’un tel risque de désenchantement ne se réalise jamais est souhaitable car, selon l’expression que le président Claude Jorda a employée à Limoges en octobre 2007, il décevrait les espoirs immenses que l’évolution du droit international pénal a suscités chez les victimes et, manifestement, trahirait les choix de politique criminelle opérés par le législateur international[39]. L’objet de l’action civile internationale est précisément de concentrer l’ensemble des droits de la victime pour renforcer et faciliter leur intégration à la procédure. Les prérogatives exceptionnelles que la jurisprudence dégage déjà seront ainsi accordées à un nombre croissant de victimes.

  1. L’action civile comme facteur de souplesse pour la procédure internationale pénale

L’action civile est un support procédural suffisamment souple pour s’adapter aux attentes par définition protéiformes de chaque victime. Les sentiments et les réactions qui saisissent le survivant d’un crime contre le genre humain peuvent évoluer d’un extrême à l’autre. De la résignation – si l’on songe à l’exemple de Primo Lévi se résolvant sans doute au suicide en avril 1987 – à l’incompréhension face à une procédure envisagée comme trop lente, voire décevante. Sans oublier la possibilité de se libérer en accordant le pardon au bourreau ou alors, au contraire, la potentialité de lui vouer « une haine noire, mortelle, intense, inextinguible et totale qui ne fait que redoubler » à chaque évocation du souvenir[40]. Le pénaliste n’a pas à porter de jugement sur les motivations profondes de la victime qui se perdent dans l’épaisseur de sa psychologie lorsqu’elle revêt les habits d’une partie intervenante au procès. Il convient d’éviter tout manichéisme puisque la participation de la partie civile est souhaitable sans être ni bonne ni mauvaise en soi : elle dépend surtout de ce que la justice en retire[41]. Il est encore exclu que la victime puisse se constituer partie civile au procès international criminel par la voie initiale ou principale de l’action, tant cela concurrencerait le rôle du procureur. Cependant, elle devient progressivement titulaire d’une véritable action civile, par la voie subsidiaire de l’intervention ou de l’adhésion, dont la consécration est en cours en droit international pénal.


[1] Aurélien-Thibault Lemasson est l’auteur d’une thèse intitulée « La victime devant la justice pénale internationale : pour une action civile internationale » (2010) ; 759 p. avec les annexes ; disponible dans le site de la Bibliothèque universitaire de l’Université de Limoges [en ligne] : <http://epublications.unilim.fr/theses/2010/lemasson-aurelien-thibault/lemasson-aurelien-thibault.pdf>.

[2] Les termes « victime », « traumatisme » et « névrose » ont en effet tendance aujourd’hui à se banaliser progressivement pour être employés sans discernement et souvent à mauvais escient, parfois même par les spécialistes.

[3] L’objet de l’étude entreprise doit donc être recentré autour des seuls organes qui présentent véritablement à la fois une nature juridictionnelle, une dimension internationale et également une compétence relevant du droit pénal. L’ensemble des juridictions internationales pénales de l’histoire s’organise en effet en un système rationnel et cohérent.

[4] Ces règles pénales « sont internationales par nécessité parce qu’ayant en vue la défense de la société internationale elle-même, elles ne peuvent être édictées que par cette société. » (Claude Lombois, Droit pénal international (1979), Dalloz, coll. « précis », 2ème édition, p. 2-11). On les désigne parfois comme les crimes contre la paix et la sécurité de l’Humanité.

[5] Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les peuples du monde entier prennent progressivement conscience qu’il est essentiel que la conduite des relations internationales par les États soit animée par le respect de principes du droit naturel. Le phénomène correspond à une mondialisation et surtout à une harmonisation des valeurs primordiales au niveau planétaire. Ces valeurs constituent un nouvel ordre public international qui dépasse de loin, tel l’intérêt général en droit interne, la somme des seuls intérêts individuels, en l’occurrence la somme des seuls ordres publics strictement nationaux.

[6] Conformément au Code de procédure pénale français (articles 2 et 3 alinéa 1er).

[7] Roger Merle, André Vitu, Traité de Droit criminel : Procédure pénale (2001), éditions Cujas, février 2001, tome II, 5ème édition, 1180 p., § 25, p. 41-42.

[8] Il est donc aberrant que depuis 2010 la jurisprudence ne fixe aucune limite de temps au procureur pour prendre sa décision sur l’engagement ou non de poursuites et pour la notifier aux victimes (article 15 § 6). La portée et l’efficacité du contrôle judiciaire des décisions et éventuellement des omissions du procureur s’en trouvent ainsi singulièrement réduites à la phase préliminaire de la procédure. Voir : Gilbert Bitti, « Chronique de jurisprudence de la Cour pénale internationale – 2010 », RSC, n° 4, 2010, p. 959-982, La participation des victimes à la procédure, p. 982.

[9] Le premier acte d’accusation est déposé le 17 janvier 2011 par le procureur du Tribunal contre quatre accusés qui auraient joué un rôle dans l’attentat ayant causé la mort de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri le 14 février 2005. Le Juge de la mise en état confirme l’acte d’accusation le 28 juin 2011. Le 29 juillet 2011, leurs noms sont finalement rendus publics avec la délivrance de quatre mandats d’arrêt internationaux nominatifs. Leur audience de jugement devant la Chambre de première instance est ouverte depuis le 16 janvier 2014. D’autres enquêtes sont en cours.

[10] Hervé Ascensio, « Les droits des victimes devant les juridictions pénales internationales », La protection internationale des droits de l’Homme et les droits des victimes, études réunies par l’Institut René Cassin de Strasbourg [et al.], Belgique, Bruylant, janvier 2010, 266 pages, p. 77-109 ; citations des p. 80 et 109. Et l’auteur de préciser même que « la proclamation de ces nouveaux droits vise » à entrer « dans le patrimoine juridique des particuliers ».

[11] Rafaëlle Maison, La Responsabilité individuelle pour Crime d’État en Droit international public : de la Sanction pénale des Individus par les Juridictions internationales (2000), 518 pages, thèse de doctorat, Université de Lille II, 2000, p. 502-504. Et l’auteur d’y désigner également la victime comme un « acteur du procès pénal international ».

[12] Mathieu Jacquelin, « De l’ombre à la lumière : l’intégration contrôlée des victimes au sein de la procédure pénale internationale », La victime sur la scène pénale en Europe, études réunies par Geneviève Giudicelli-Delage et Christine Lazerges (directrices) [et al.], PUF, mai 2008, 290 pages, (Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, UMR de droit comparé de Paris), p. 179-204 ; citation des pages 181, 188, 196 et 203. La doctrine reconnaît ainsi que le droit à réparation des victimes, déjà évoqué dans les citations précédentes, est alors complété par un droit complémentaire à la participation.

[13] Gilbert Bitti, « Chronique de jurisprudence de la Cour pénale internationale – 2010 », op. cit., note 8, citation de la p. 978.

[14] « La participation des victimes à la procédure devant la CPI souffre cruellement de l’absence de définition de ces droits dont l’exercice est laissé trop souvent à la discrétion des juges, ce qui engendre des incertitudes graves et des inégalités de traitement entre les victimes ». (Gilbert Bitti, « Quelques développements intéressants en ce qui concerne la participation des victimes à la procédure », RSC, n° 4, 2009, p. 939, Chronique de la CPI).

[15] Par analogie avec le Code de procédure pénale français (article 3 alinéa 2nd).

[16] Les intérêts des victimes sont en effet susceptibles de concerner toutes les questions préalables touchant la compétence de la juridiction saisie ; puis les débats centraux sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé ainsi que sur la peine à lui appliquer s’il est reconnu coupable ; et bien entendu les demandes finales concernant la réparation.

[17] Sur cet aspect notamment, voir : Pierre Ayçoberry, La Société allemande sous le IIIe Reich : 1933-1945 (1998), Éditions du Seuil, coll. « Points Histoire », 1998, chapitre 8 « Vers l’utopie par la terreur », pp. 297-336.

[18] Le Greffe du TPIY prend en charge en moyenne 400 personnes par an : les témoins – dont les “témoins-victimes” – et leurs accompagnateurs, ce qui représente en tout plus de 7 500 personnes entre 1996 et février 2013, avec un premier pic en 2002 (675 personnes) et un second en 2007 (718 personnes). Aux témoins, dont les victimes, qui sont plus de 4 500 à avoir déposé à la barre du Tribunal, il convient en effet d’ajouter les personnes dont ils peuvent demander à être accompagnés. Certaines personnes viennent toutefois déposer plusieurs fois à La Haye ou par vidéoconférence. Même si, depuis 2007, les chiffres décroissent régulièrement, la Section d’aide aux victimes et aux témoins apporte encore son assistance à environ 112 personnes entre le 17 mai et le 15 novembre 2014. Certaines affaires, comme l’affaire Le procureur c/ Popović et consorts, peuvent toucher indirectement jusqu’à plus de sept milles victimes.

[19] Sur le rejet de la proposition tendant à permettre aux victimes de nommer leur propre avocat devant le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie : Birte Timm, « The Legal Position of Victims in the Rules of Procedure and Evidence », International and National Prosecution of Crimes Under International Law : Current Developments, études réunies par Horst Fischer, Claus Kreß, Sascha Rolf Lüder, Berlin : Berlin Verlag Arno Spitz GmbH, 2001, p. 289-308 ; p. 293.

[20] Depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure pénale de la République Démocratique du Timor Oriental le 1er janvier 2006, la victime peut, comme en droit portugais, revêtir le rôle d’assistente du ministère public (Décret-Loi n° 13/2005 du 22 novembre 2005).

[21] Les TPI déplorent eux-mêmes qu’aucun mécanisme de réparation ne soit instauré par le Conseil de sécurité, ce qui oblige parfois la Section d’aide aux victimes à intervenir dans l’urgence, malgré ses moyens nécessairement limités, pour satisfaire un besoin pressant de nourriture, de vêtements ou de bois de chauffage par exemple…

[22] William Bourdon, « Les victimes et les procédures pénales : leurs places et les moyens de faire valoir leurs droits », La Justice pénale internationale, actes réunis par Hélène Pauliat, Simone Gaboriau, Michel Massé et Claude Jorda, Limoges, 22 et 23 novembre 2001, PULIM, mars 2002, 614 p, (2èmes Entretiens d’Aguesseau), pp. 207-219 ; ibidem pour les deux phrases suivantes. Et l’auteur de conclure : « en cinquante ans, c’est grâce aux hurlements des victimes qu’a été élaborée une justice internationale fondée sur une universalisation croissante des valeurs ».

[23] CPI, Commission préparatoire, Groupe de travail ; Proposition présentée par la Colombie : Commentaire relatif au rapport du Séminaire international sur l’accès des victimes à la CPI (protection des victimes et des témoins, Participation des victimes au procès, Protection de l’identité des victimes et des témoins, Réparation) ; 3 p ; New York, 10 août 1999 ; disponible [en ligne] : <http://www.icc-cpi.int/home.html&l=fr> ; (pcnicc/1999/wgrpe/dp.37).

[24] Thomas Lubanga Dyilo est condamné définitivement en appel le 1er décembre 2014 à quatorze ans de prison pour crimes de guerre par enrôlement et conscription d’enfants de moins de quinze ans et pour leur participation active aux hostilités.

[25] Germain Katanga est déclaré coupable de crime contre l’Humanité et de crimes de guerre le 7 mars 2014. En répression, il est condamné à douze ans d’emprisonnement le 23 mai 2014. Les parties se sont toutes deux désistées de leurs appels respectifs.

[26] Mathieu Ngudjolo Chui est acquitté de toutes les charges de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité qui pesaient sur lui le 18 décembre 2012. La Chambre d’appel se prononcera sur l’appel interjeté par le procureur le 24 février 2015.

[27] Les juges délibèrent actuellement après que son procès en première instance a été clôturé le 13 novembre 2014. Plus de cinq milles demandes individuelles de participation à la procédure ont été déposées dans cette affaire. Voir : Gilbert Bitti, « Chronique de jurisprudence de la Cour pénale internationale », RSC, 2012, p. 945 s.

[28] Jacqueline Hoareau-Dodinau, Guillaume Métairie, Pascal Texier (avant-propos), La Victime :

I. – Définitions et statut (2008), 3-5 octobre 2007, Université de Limoges, PULIM, 3ème trimestre 2008, 402 pages, Cahiers de l’Institut d’Anthropologie Juridique de Limoges, volume 19, V. l’avant-propos, p. 7.

II. – La réparation du dommage (2009), 1-3 octobre 2008, Université de Limoges, PULIM, septembre 2009, 505 pages, Cahiers de l’Institut d’Anthropologie Juridique de Limoges, n° 22.

[29] CETC, Chambre de première instance, 26 juillet 2010 ; Affaire Guek Eav KAING alias « Duch » : Jugement ; 327 p. ; (n° 001/18-07-2007 /ECCC/TC) ; § 683.

[30] « La Chambre de la Cour suprême considère par ailleurs que le fait qu’elle reconnaisse le caractère approprié d’une mesure de réparation proposée peut en soi […] attirer l’attention, les efforts et les ressources nécessaires pour sa réalisation effective » par ailleurs (CETC, Chambre d’appel, 3 février 2012, Affaire KAlNG Guek Eav : Arrêt, n° 001l18-07-2007-ECCC/SC, § 661).

[31] La Cour retient ainsi un critère d’examen, progressivement exigeant selon la phase de la procédure concernée, qui tend à sélectionner précisément les seuls préjudices véritablement légitimes. Le demandeur doit tout d’abord être pourvu de la capacité d’ester en justice pour jouir du droit d’agir. Le mécanisme de contrôle consiste ensuite, pour la Cour, à ne retenir comme victimes recevables à agir devant elle que les personnes qui prouvent suffisamment l’existence d’un préjudice direct – médiat ou immédiat – dont la réalisation est certaine, personnelle et actuelle.

[32] L’influence des victimes sur l’action publique du procureur international s’apparente en effet davantage à une plainte simple mais sans mise en mouvement de l’action publique comme c’est possible en France ou en Belgique.

[33] La victime mérite assurément d’être considérée comme une partie civile mais l’on pourra préférer la dénommer partie « privée », partie « jointe », partie « lésée » ou encore partie « offensée » par euphémisme. Il s’agirait en effet de ne pas choquer les juristes de tradition anglo-saxonne ou germanique pour lesquels l’expression francophone « partie civile » signifie nécessairement la mise en mouvement de l’action publique par voie initiale ou principale, ce qui n’est pourtant pas le cas.

[34] Le « Fonds au profit des victimes » de la Cour pénale internationale initie depuis avril 2008 de nombreux projets qui prennent surtout la forme d’un soutien psychologique, physique et matériel aux victimes vulnérables (enfants, enfants-soldats, femmes, personnes mutilées, handicapées, enlevées, violées, contaminées…). D’autres concernent la reconstruction des communautés meurtries. En 2009, 400 000 victimes médiates ou immédiates bénéficient déjà des projets mis en place par le fonds. Entre 2008 et 2011, 4.45 millions d’euros sont affectés à la conduite de projets en République Démocratique du Congo et au nord de l’Ouganda. Le coût moyen par victime s’élève donc à quelques euros. En 2010, 600 000 € sont affectés au lancement de nouveaux projets en République centrafricaine. L’objectif était d’aider 1 880 000 victimes d’ici à la fin 2011. Le Fonds dispose d’une réserve de 3.6 millions d’euros pour exécuter toute réparation que la Cour pourrait ordonner (2014). V. le site du Fonds au profit des victimes [en ligne] dans : <http://www.trustfundforvictims.org/>.

[35] COUR PÉNALE INTERNATIONALE, Bureau du Procureur ; Review Conference of the Rome Statute : Policy Paper on Victims’ Participation ; La Haye : sine nomine, 12 avril 2010 ; 26 p ; (RC/ST/V/M.1) ; p. 1 ; (traduction).

[36] La philosophie du droit pénal explique de même que le procès et la peine sont tournés à la fois vers la rétribution et la restitution. En matière criminelle, on retrouve systématiquement ces deux objectifs inséparables : d’une part, la reconnaissance, la vindication ou la rétribution ; d’autre part, le rétablissement, la réparation ou encore la restitution.

[37] Michela Marzano, « Qu’est-ce qu’une victime ? De la réification au pardon », APC, n° 28, 2006, pp. 11-20, Regards pluridisciplinaires sur les victimes, pp. 12-13. Et l’auteur d’expliquer plus avant : « La victime serait ainsi celui (ou celle) dont la volonté et le désir ne sont pas pris en compte ; celui (ou celle) dont le corps et ses “limites” sont bafoués ; celui (ou celle) qui perd la possibilité d’exprimer son point de vue, d’agir dans le monde et d’habiter son corps comme un espace propre ; celui (ou celle), finalement, dont le statut de sujet moral et social est remis en question. »

[38] Michela Marzano, « Qu’est-ce qu’une victime ?… », op. cit., note 36, p. 18 : « Si c’est un homme exprime la tentative désespérée de la part d’un homme de reprendre possession de soi, de son humanité, de son identité. La tentative de dire à nouveau “je”, après l’expérience de la dépossession totale. […] Ce qui apparaît fondamental pour la victime est la possibilité pour celui (ou celle) qui a été effacé(e) dans son humanité de trouver les moyens d’accéder de nouveau au statut de sujet. »

[39] La mise en œuvre des droits procéduraux des victimes « se heurte à de nombreuses difficultés » en pratique en raison de « l’imprécision » des textes dont il résulte « une grande incertitude » jurisprudentielle. Les praticiens en arrivent « malheureusement à la conclusion que le rôle effectivement réservé aux victimes est très limité ». Ils en appellent donc à « une codification de leurs droits » pour mieux les intégrer à la procédure internationale pénale. Voir : Gilbert Bitti, « Les victimes devant la CPI : Les promesses faites à Rome ont-elles été tenues ? », RSC, n° 2, 2011, pp. 292-341.

[40] Révérien Rurangwa, Génocidé (2006), Presses Renaissance, mars 2006, 232 pages, pp. 17, 58-59, 107 et 147. C’est nous qui ajoutons les italiques à cette citation.

[41] Certains praticiens expliquent que les témoins-victimes accueillis au siège, par exemple des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie ou le Rwanda, ne formuleraient aucune demande correspondant aux prérogatives procédurales d’une partie civile mais réclameraient uniquement la mise en œuvre d’une réparation judiciaire de leurs préjudices par indemnisation et / ou par réhabilitation (la remise en l’état antérieur). Or, c’est oublier précisément que les prérogatives patrimoniales relèvent également de l’exercice d’une action civile internationale.


Crédit photo : Thomas Lubanga Dyilo sentenced to 14 years of imprisonment, Legal Representatives of Victims © ICC-CPI

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